step 1 of forgiveness
EDITH ⅋ HAILEE

Un mois. Un long mois.
Trente et un jours qu’Hailee évite le quartier de la boutique d’antiquités et toutes ses rues adjacentes pour ne pas risquer de tomber sur Edith Hardings, son ancienne patronne. Cette dernière ne lui a donné aucune nouvelle depuis l’incident qui a sonné la fin de la carrière d’employée d’Hailee. Des années de bons et loyaux services – même si rémunérés – fichus en l’air par la curiosité maladive de la trentenaire. Après longue réflexion et discussion avec son frère, l’historienne en est arrivée à cette conclusion : elle est sûre qu’elle a fait ce qu’elle avait à faire ce jour-là. Oui, ce document ne lui a jamais appartenu. Et oui, elle l’a volé. Toute cette forme de déshonneur s’est toutefois vue lavée au moment où elle a fait le choix de rendre ce qui revenait de droit à Peter Black. La morale supérieure, c’est ce qui prédomine, dans ce monde ravagé par le vice.
Le seul regret qui persiste malgré le temps qui passe et la morale de son geste, c’est par rapport à sa relation avec Edith. Ou plutôt sa non-relation avec son ancienne patronne. Ca fait un mois qu’elle dort mal, et malgré le fait qu’elle ne soit plus seule avec son secret, elle vit toujours aussi mal cette sorte de rupture professionnelle. Elle a toujours admiré Edith, plus que n’importe quelle autre femme. Il faut dire qu’elle n’a pas eu beaucoup de modèle féminin dans sa vie, ce qui a pu avoir pour conséquence de la tenir écartée des femmes en général. Peut-être même assez critique. C’est en travaillant pour et avec Edith qu’elle s’est rendue compte du pouvoir des femmes et de tout ce dont elles sont capables. Le meilleur comme le pire, d’ailleurs…

Un mois, c’est ce qu’il a fallu pour qu’Edith Hardings recontacte Hailee. Un long mois.
A vrai dire, elle a perdu espoir durant cette période. Elle se rappellerait longtemps du sentiment qu’elle a ressenti lorsqu’elle a vu s’afficher le prénom tant redouté sur l’écran de son téléphone. Edith veut la voir.
Alors Hailee s’exécute. En bonne petite soldate. Si elle l’a trahie, elle lui reste pourtant bien loyale. Elle a des nouveaux projets bien sûr. Mais si elle peut rétablir un lien avec Hardings, arranger les choses, partir (ou plutôt se faire dégager) en bons termes...
Elle inspire longuement devant la porte d’entrée de la boutique, priant presque pour recevoir le pardon. Mais elle connaît Edith, ou du moins, elle croît la connaître. Une femme froide et impitoyable. Ce pourrait être une invitation à recevoir le dernier coup fatal.
Elle entre. La porte effectue sa petite sonnerie habituelle. Elle réalise en entendant ce son familier qu’il lui manque. Et près du comptoir apparaît enfin la redoutable Edith Hardings…
Hailee avance difficilement, péniblement vers la sentence. Elle ne sourit pas et évite presque le regard de son ancienne patronne. Arrivée à sa hauteur, le desk les séparant, elle fouille dans sa poche et en ressort les clefs. « Bonjour, Edith. » Toujours aussi péniblement, elle pose les clefs sur le comptoir et les fait glisser vers la femme en face d’elle. Elle repense à la discussion avec son frère pour se redonner du courage. Elle a la force en elle, elle l’a, et elle est capable de relever son visage vers Edith pour affronter son regard. Alors, elle relève la tête, avec un air plus assuré. « Edith, donnez-moi cinq minutes pour dire ce que j'ai à dire. » Hailee soutient le regard d’Edith désormais, à deux doigts de tendre la joue gauche.

Spoiler:

step 1 of forgiveness
EDITH ⅋ HAILEE

Plutôt du type évitante, Hailee. C’est bien pour ça qu’elle n’a pas résisté, ce jour là où elle s’est faite pincée à la boutique. C’est aussi pour ça qu’elle n’a montré aucun signe de vie depuis. Faire profil bas est-il signe de respect ou de lâcheté ? La question ne se pose pas pour Hailee qui sait qu’elle n’aurait jamais pu gagner contre Edith Hardings. Pas après ça. Elle l’a toujours reconnu, malgré la morale, toutes les bonnes volontés du monde, son geste désintéressé en rendant le document à Peter : elle a fauté vis à vis de sa patronne. Son entière faute. Potentiellement impardonnable.
Et elle s’est faite à l’idée de ne plus jamais travailler ici, dans le calme et la tranquille obscurité de la boutique d’Antiquités. Elle s’y est faite mais il reste ce sentiment désagréable de perte, fait de et si et de dommage. Edith, face à elle, affiche un air résolument fermé. Elle n’a même pas répondu lorsque son ancienne employée l’a saluée en rentrant. Visiblement, si bataille il faut mener, c’est plutôt perdu d’avance. Pourtant…
Il arrive qu’on passe toute sa vie à éviter les conflits aussi soigneusement que possible, en ne prenant aucun risque, en menant une vie bien rangée. Puis il suffit d’un évènement. Un incident qui vient changer à tout jamais la chimie du cerveau et allumer la flamme du possible. Pas son genre, à Hailee, de voir du positif dans toutes les tragédies du monde, mais il faut qu’elle le reconnaisse. Elle a changé. Tout ça l’avait changée.

C’est donc dans ce nouvel élan de courage qu’elle a demandé – imploré – presque ces cinq minutes d’explications à Edith. En est-ce vraiment, d’ailleurs, des explications ? L’historienne n’a pas réfléchi une seconde à ce qu’elle veut dire à son ancienne patronne. Ce n’est pas son cerveau rationnel qui parle mais un système interne qu’elle ne comprend pas trop ; quelque chose de l’ordre de l’intuitif, qu’elle n’a jamais vraiment appris à connaître puisque pas encore découvert jusqu’à présent.
Cinq minutes, qu’Edith lui répond. Et Hailee cache sa surprise. Mal.
Rien n’est préparé, elle qui s’est attendue à faire un aller retour express. Porte – comptoir, comptoir – porte. Alors ce qui va sortir, c’est de l’improvisation totale. « Edith. J’ai pris quelque chose qui vous appartenait, dans un endroit où je n’avais pas lieu d’être. Je le reconnais. Je reconnais que mes ambitions personnelles… disons plutôt ma curiosité, a pris le pas sur la déontologie. Est-ce que je regrette ? » La jeune femme fait une pause, cherche ses mots. « Je regrette d’avoir rompu votre confiance et ruiné cette relation de travail que nous avons construite patiemment durant toutes ses années. Je… » pause. « Travailler à vos côtés m’a apporté tellement plus que ce que vous pourriez penser. Je voulais simplement vous dire cela. Je sais très bien que ce que j’ai fait est inexcusable et je suis navrée que notre collaboration se termine ainsi, par ma faute. » Voilà. Pas d’explications, en réalité, juste une petite déclaration tardive, pas si désespérée dans le ton mais certainement déterminée. Décidée à accepter son destin – celui d’être virée – mais pas sans avoir pu dire à Edith à quel point elle a été un modèle féminin de référence pour elle, dans sa prestance et dans ses actions. Le tout, très modestement, tête haute, sincère.

step 1 of forgiveness
EDITH ⅋ HAILEE

Edith n’était sûrement pas le genre de femme qu’on pouvait endormir avec de belles paroles. De toute façon, c’est assez peu sûr qu’Hailee en aurait été capable. Mentir n’était pas dans ses cordes, et elle n’avait jamais trop compris le concept de diplomatie qu’elle associait à de l’hypocrisie déguisée. Si elle avait des choses à dire à Edith, elle le dirait avec le cœur et en toute honnêteté. La stricte vérité. De toute façon, elle n’avait plus rien à perdre. Dans sa tête, ce boulot, c’était fini pour elle.
Alors elle improvisa une sorte de laïus en moins de cinq minutes à sa patronne, laquelle ne semblait pas vraiment y être réceptive. S’excuser d’avoir volé le document ? A quoi cela servirait-il ? Au lieu de ça, Hailee voudrait mettre l’emphase sur ce qu’elle est désolée d’avoir perdu. Cette qualité de travail, l’ambiance à la boutique et même cette relation qu’elle avait cultivée avec sa patronne. On pouvait aisément le voir dans son ton : elle regrettait. Elle allait véritablement regretter cette routine mais aussi la personne qu’était Edith. Un rôle modèle qu’elle avait plus ou moins secrètement admiré, dans l’incompréhension générale de la part de ses proches qui n’affectionnaient pas particulièrement Hardings. Pourtant, il en était ainsi. Et ça l’affectait de voir que cette dernière bloquait sur ses actes passés plutôt que sur ce qu’elle était en train de lui dire. Hailee aurait aimé qu’elle reconnaisse qu’elle n’essayait pas de se racheter. Qu’elle ne s’écrasait pas non plus, contrairement à ce que beaucoup – elle en était sûre – aurait pu penser d’elle. Quelque part, c’était aussi grâce à Edith Hardings qu’elle avait commencé à s’affirmer un peu plus. La voir gérer son business d’une main de fer, sans pitié avec ses autres collaborateurs, les voir lui assurer un respect inconditionnel. Tout ça, elle avait pu l’observer des années durant. Hailee baisse la tête, confuse, et fronce les sourcils. Une voleuse. Est-ce qu’une seule action effectuée dans un moment impulsif pouvait résumer toute une personnalité ?

« J’avais prévu de le remettre à sa place une fois que j’aurais pu l’étudier chez moi. Vous savez, ces documents sont précieux. Je voulais lui donner le temps qu’il méritait. » De la même façon qu'elle s'occupait de tous les objets de la boutique avec minutie. Elle releva le regard vers son ancienne patronne, l’air entendu. « Puis je me suis rendue compte qu’ils parlaient de quelqu’un que je connaissais. Je n’ai pas pu... » Peter, en l’occurrence. Hailee s’était découverte pleine de principes justiciers qu’elle ne soupçonnait pas chez elle. Plutôt d’ordinaire à mener une vie réservée et loin des commérages, là, ça avait été plus fort qu’elle. Si le document parlait de Peter, c’était évident qu’il lui revenait. « Je l’ai donné à la personne concernée. » Le regard d’Hailee se perdait dans celui d’Edith à la recherche d’un soupçon de compréhension, d’empathie à son égard… mais elle était déjà peu capable de lire les émotions sur les visages des gens lambda, ça allait donc être l’enfer de déceler quoi que ce soit dans les yeux d’Edith Hardings, le dragon, comme disait son frère. « C’était la première fois. Jamais ça ne m’était ou serait venu à l’esprit de vous nuire. Jamais de la vie, Edith. » Les deux mains sur le comptoir, Hailee respirait lentement pour maintenir son rythme cardiaque qui s’affolait depuis qu’elle avait passé le pas de la porte. La confrontation n’était déjà pas son fort, c’était encore pire de passer directement par le boss final. Elle se surprenait à la supplier intérieurement. Qu’on en finisse… même si c’était la dernière chose dont elle avait envie.

step 1 of forgiveness
EDITH ⅋ HAILEE

La question semblait à double sens, double tranchant. Quelles étaient les raisons fondamentales de ce besoin d’étudier le document en question, au prix de son travail ? « C’est que… C’était le cœur de ma formation, à l’université. » La recherche. Hailee, destinée à un avenir brillant et une carrière académique sans accroc s’était finalement retranchée dans cette petite boutique d’antiquités, à Redwood Hills. « J’imagine que ça me manque, parfois. » avoua t-elle à demi mot, tête baissée. Oui, le travail de recherche lui manquait. La stimulation intellectuelle, le rush de découvrir de nouvelles choses inconnues du grand public, tout ça lui manquait. Pour autant, elle ne voulait pas évoquer le grand rôle qu’avait joué le sujet principal, la Rose Lunaire, dans toute cette mésaventure. Edith savait cette particularité d’Hailee, petite obsession qu’elle pouvait mal dissimuler parfois. Tout ce qu’elle espérait, c’était ne pas subir de représailles, ni elle, ni sa famille, à ce sujet. Si Edith gardait des archives de la secte, qui pouvait savoir le lien qui les rattachait à eux ? Simple commerçante de documents subtilisés ? Obsession de sa part à elle aussi, ou alors... Agent de propagande ? Ces interrogations l’avaient tenue éveillée ces derniers temps. Si jamais Edith était reliée de près à la Rose Lunaire, et vu l’esprit revanchard de la secte, l’historienne s’était mise dans un beau pétrin. C’était bien pour cela qu’elle avait décidé d’en parler à son frère. Au cas où.
Elle cru déceler en relevant la tête et en expliquant qu’elle avait rendu l’archive à Peter sans le nommer qu’Edith voyait exactement de quoi elle parlait. Ça ne l’étonnait guère, étant donné à quel point sa patronne était méticuleuse et un poil psycho-rigide. Deux qualités pour la Burrows dont le cœur se fendait à mesure qu’elle sentait le temps passer dans l’endroit qu’elle allait bientôt quitter pour toujours.
C’est alors qu’Edith prononce des mots qui font l’effet d’un coup de tonnerre dans la boutique. Une demande très simple, courte, mais remplie de ce qui s’apparente à de l’espoir. Les yeux d’Hailee se voile légèrement tandis que ses sourcils se ré-haussent instinctivement. En alerte. Ses lèvres s’entrouvrent mais elle est incapable d’en faire sortir un seul son. Tu ne le referas plus ? Sourcils désormais légèrement froncés, elle ferme la bouche, toujours aussi perplexe. Serait-ce possible qu’Edith change d’avis et lui pardonne ? Sa tournure de phrase allait en ce sens, et elle décelait dans le ton pourtant ferme de la quarantenaire, une once de compromis. Si rare, si appréciable après tous ces évènements. « C’est promis. » murmura t-elle en un souffle, d’un ton tout de même assuré. Elle n’osait pas demander confirmation ou justification à sa patronne, faisant confiance à son analyse de la situation. L’historienne regardait les clefs sur le comptoir, ses yeux oscillant entre le jeu argenté et les yeux noirs de Hardings. Sa main glissa le long du comptoir pour les récupérer, maintenant son regard dans celui de sa patronne. Elle lui laissait ainsi le choix, dans ce geste lent et silencieux, de corriger le tir si elle changeait d’avis ; en espérant qu’elle ne le fasse pas. Clefs en main, un fin sourire naquit sur son visage où l’on pouvait lire l’humilité et toute la reconnaissance du monde. « Demain, neuf heures ? » se risqua t-elle avec retenue.