Une voix enfantine se faisait entendre autour des caravanes et autres abris de fortunes. Le garçonnet jouait gaiement dans le jardin délimité par ses parents. Quelques animaux en plastiques et le voilà embarqué dans son univers où cohabitaient Godzilla et le Sasquatch. Une rencontre au sommet, chacun donnant son avis sur le burger du coin bref de quoi occuper le bambin. L'herbe haute aurait pu le dissimuler, la pelouse en effet montrait des signes de négligence. Pourtant, la petite communauté de forain s'entraidait, se surveillant les uns et les autres. Aujourd'hui ne faisait pas exception, Mieczyslaw était chaperonné par un ami de son père, Harry. Un ami plutôt amusant, mais aux conduites d'addictives dirons-nous. D'apparence malgré tout propre, rasée de près, chemise repassée, l'homme gardait en lui un profond penchant pour les jeux d'argent et l'alcool. Dans le monde idéal du louveteau, ce n'était pas bien grave de le voir décuver dans un coin, vomir au pire. Mais hey ! C'était drôle de regarder. Ses parents étaient très souvent demandés à gauche et à droite. Alors avoir un compagnon de jeu même silencieux ça n'avait rien d'affreux au bout du compte. La solitude était moindre.

L'après-midi était bien entamé déjà, le soleil du printemps brillait doucement, les nuages venant le cacher au grand désarroi de l'enfant. Il avait un peu froid avec cette bise, même habillé de son manteau et écharpe. Quelques frissons lui parcourraient l'échine alors qu'il resserra vainement ses bras. Et pour couronner le tout Mieczyslaw sentait venir poindre les premiers signes de faim. Son ventre grondait bien trop pour ne pas réclamer à un adulte un truc à se mettre sous la dent. Ainsi, le polonais chercha du regard son gardien ou quelconque personne capable de répondre à ses attentes. Se levant, il trouva Harry comme à son habitude assis sur sa chaise camping, l'air de dormir.  

«Harry ?» s'exclama le garçonnet avec un peu plus d'insistance. Mais sans succès, l'homme demeurait sourd à ses suppliques, bien trop enfoncé dans ses songes. Avec lassitude, Kaleb tenta de dénicher un quelconque encas une fois avoir escaladé les marches. Laborieusement, le louveteau grimpa à l'intérieur essoufflé. Il se savait seul, et n'essaya donc pas d'interpeller quelqu'un. Ses yeux céruléens scannèrent le lieu et tombèrent sur un paquet de céréales vide. Déçu, il continua pour finalement se souvenir qu'il existait des cookies maisons dans un des placards en hauteur. Bien sûr Mieczyslaw ne mesurait pas toute l'ampleur de la tâche, ni même des conséquences. Décidé, il poussa avec ardeur une chaise. En équilibre précaire sur le plan de travail, il ne fit pas attention glissa lourdement, s'écroulant dans un bruit sonore. La suite, il avait oublié.

Des cris de la part d'Ava sa mère, des pas précipités, une voiture dépassant les limitations recommandées sur le bitume. Un détour à l’hôpital fut au programme de cette mésaventure,quelques points de suture sur l'arcade sourcilière, rien de bien méchant, un peu de sang, une mine un peu apeurée du gamin.  

Le retour au domicile provisoire de la famille Nowiński fut tard. Et les traits du visage d'Ava attestaient de la fatigue accumulée de ces derniers jours. La blonde ne manqua pas de poser devant le poste de télévision son fils pour patienter le temps de. Les oreilles de Mieczyslaw ne captèrent pas toute la tension qui pouvait régner dehors. Seulement des :

«HARRY ? VRAIMENT ? ENCORE TROP EMBOURBÉ DANS TA BIBINE POUR NE PAS SURVEILLER CONVENABLEMENT UN ENFANT EN BAS ÂGE ?»

ou des

«JE NE VEUX PLUS TE VOIR À PROXIMITÉ DE MON FILS ! ET TOI RAY, TU PERDS RIEN POUR ATTENDRE ! TU AVAIS À TA CHARGE MIECZYSLAW ! TU FAISAIS QUOI EXACTEMENT ?»

Non vraiment les personnages qu'il avait devant les yeux de son dessin animé préféré valaient mieux.


Mieczyslaw avait compris à son jeune âge comment les relations pouvaient se construire, comment le monde tournait en somme avec sa perception d'enfant bien sûr. Assez vite, et plutôt de manière très brusque, le garçon avait observé ces batailles incessantes au sein du foyer Nowiński. Ces accusations de tromperie de son père vis-à-vis de sa mère, ces nuits pour seule compagne la veilleuse quand l'histoire du soir fut repoussée parce occuper. Alors oui, pour Kaleb la vie lui avait montré très peu d'unité, de lien de filiation fiable. Une fissure qu'il arrivera à comprendre, à l'usure. Ou était-ce la résignation qu'il allait primer ? Par moments, il y avait des instants de grâce où tout le monde souriait, où le rêve était permis. Néanmoins ils ne duraient pas. Dans ce chaos ambiant, il résidait la figure d'une voisine assez âgée qui lui rendait visite faisant partie de la communauté de forains. La dame avait l'habitude des enfants, cette dernière vendait très souvent des douceurs comme les barbes à papa, ou autres. Elle le gardait donc dans ses pattes, lui racontant des histoires de loups, de folklores. Mais rien de plus. Juste des histoires.  


Ce dernier était encore bien loin de comprendre que la fiction pouvait parfois étrangement rejoindre la réalité. Les monstres qui hantaient contes et légendes ne demeuraient pas ainsi. Parce que tout ce qui restait tapi dans l'ombre allait prendre vie. Inévitablement, il subsistait en surface ces agrafes solidement ancrées dans son palpitant. Des doutes que son existence ne lui apportera rien de nouveau.



Être adolescent n'avait rien d'affriolant, pas la meilleure expérience au monde cependant un passage obligatoire dans la vie. Surtout quand la famille se parlait à peine à table. Le point de discussion restait ses notes et si son attitude à l'école avait cessé de déranger le corps enseignant. Avec franchise Kaleb leur faisait bien comprendre qu'ils n'avaient pas de compte à lui rendre quand eux-mêmes ne pouvaient guère se voir sans hausser le ton. Mais bon, en général ça finissait en remontrances ou sanctions corporelles avec demande express de partir pour la chambre. Un truc que Mieczyslaw avait pris pour acquis.


Que ne fut pas sa surprise quand du jour au lendemain on le laissa sur le bas de la porte de son oncle et tante sans un au revoir. Il semblerait que les parents avaient perdu l'essentiel : le devoir. Une procédure de divorce lui fut murmurée un jour, lors d'un appel téléphonique que sa tante Ella avait pris pour lui. Demeurant dans sa phase de rébellion l'originaire d'Ottawa avait feint d'ignorer l'appel, trop fier de rendre les armes. Une bataille d'égo qui n'avait pas lieu d'être, faisant vacarme. De quoi donner le tournis et le sidérer intérieurement. Le jeune homme s'était ainsi retrouvé avec de simples étrangers, cohabitant silencieusement ne sachant trop quoi faire. Un lien qui peina à prendre, un travail laborieux de longue haleine. Les simples choses quotidiennes reprenaient une autre teinte à leur contact. Ella jouait les oreilles discrètes tandis que Lee -son oncle- le poussait, l'encourageait à envisager un avenir. Un cadre idyllique. Des gens de confiance. Une possibilité d'envisager quelque chose sans crainte, sans déception. Du moins il s'était senti à l'abri, l'instabilité devenant une source tarie. Au centre de ce noyau résidait la religion. Bien qu'on lui avait déjà inculqué quelques principes il en fut tout autre, amenant une nouvelle direction. Cependant dans l'équation le jeune homme n'avait nullement prévu pareille lassitude dans sa pratique quand vient le problème amoureux. Malheureusement il arrive que relation rime avec désillusion.




Des corps s'élançaient, figures animales, leurs courses effrénées à travers broussailles, fougères-aigle, se poursuivirent dans un brouhaha incessant de respirations rauques et piaillements d'excitation. La salive leur pendait des babines, réflexe d'anticipation à un futur festin. Leurs ouïes captaient la moindre vibration, tantôt bifurcation du gibier, quelconque palpitation dans ce rythme erratique. Un bruissement de feuilles mort laissait penser qu'ils n'étaient plus loin. Rien à faire ce spectacle du monde animal le fascinait toujours autant. Admirateur de la scène de loin par pur hasard, l'adolescent s'était rêvé à travailler dans pareil cadre. Mieczyslaw se permit d'ambitionner une carrière. Nul autre vocation ne pouvait faire frissonner son âme, fébrile sensation.



L'indépendance fut l'un de ses fers de lance. Une demande presque obsédante de pouvoir enfin jouir d'une liberté qu'il lui serait propre. Une certaine importance. Ainsi à sa majorité il décida de mettre les voiles pour les Etats-unis. Redwood Hills lui tendit les bras, pleines promesses et ivresse. Mieczyslaw entreprit donc des études, se redonnant une seconde chance. Repentance. A dire vrai, son parcours fut chaotique, un brin symptomatique de sa situation familiale. Erratique. Chômant peu, il adore entreprendre plusieurs choses : ses études et job alimentaire. Bien qu'il ne disait pas non à quelques actes de bénévolat. Toujours était-il qu'il vivait désormais en autonomie. De quoi le gonfler d'euphorie, oubliant l'espace d'un court instant ses soucis. Néanmoins aurait-il suffisamment de courage pour y faire face ? Allait-il être rattrapé par son passé ? Ses parents ?

Une chose était sûre; seul l'avenir nous le dirait.