Lydia a désormais quatorze mois. Un peu plus d’un an. June a l’impression que la sage-femme avait posé sur elle ce petit être, sa petite fille, il y a à peine quelques jours. Assise dans sa chaise haute, Lydia tente de manipuler sa cuillère. Pas grand-chose n’arrive dans sa bouche, toutefois. Elle n’a plus rien à voir avec le petit bébé fragile d’il y a un an. Ils grandissent trop vite. C’est ce qu’on lui a dit à maintes reprises. Elle n’y croyait pas trop. Elle attendait aussi avec impatience quand sa fille serait plus indépendante. Elle imaginait que ça serait plus facile, moins prenant et qu’elle serait plus sereine. Mais ce n’est pas du tout le cas ! Même là, alors que Lily est en sécurité dans sa chaise, elle doit faire attention qu’elle n’avale pas de travers, qu’elle ne se fasse pas mal avec sa cuillère, qu’elle ne renverse pas tout par terre… Déjà quand elle avait commencé à ramper, il fallait être aux aguets. La petite fille est curieuse. Maintenant qu’elle marche… c’est encore pire. June et Liam avaient fait au mieux pour sécuriser la maison. Cache-prise, verrous, protections sur les angles des meubles… Ils avaient fait le tour, recenser chaque danger potentiel et tenter d’y remédier. Les chats filaient désormais à toute vitesse quand ils apercevaient le petit monstre dans une pièce. Mais June appréciait aussi de voir grandir son bébé. Elle l’observait s’éveiller et elle aimait passer du temps avec elle, lui montrer différentes choses.

Sortir de la maison semblait toujours être une expédition pour la jeune maman. Elle vérifiait au moins dix fois le sac à langer, jetait un œil à la météo toutes les cinq minutes pour être sûre que Lydia n’allait pas avoir trop chaud ou trop froid. Et puis, elle appréhendait à l’avance le déroulé de la sortie. Parce qu’elle se souvient encore des heures passées à tenter de calmer les pleurs du nourrisson. Et même si ça s’était arrangé, elle n’aimait pas trop que les gens la regardent quand Lydia pleurait un peu trop… Elle qui se fichait pas mal du jugement des autres il n’y a pas si longtemps que ça ! Alors, souvent, elle demandait à quelqu’un de l’accompagner. Liam, sa mère, une amie. Aujourd’hui, il faisait beau, elle avait sa journée de libre mais personne n'était disponible pour aller au parc avec elle. Tant pis ! Elle prend son courage à deux mains et voilà mère et fille qui se dirigent vers le Red Clover Gardens.

Installée dans sa poussette, Lydia babille, montre tout un tas de choses en prononçant des mots incompréhensibles. June entre dans son jeu, pointant du doigt différentes choses, lui indiquant ce que c’était. Alors qu’elles s’approchent des jeux pour enfants, la jeune femme est arrêtée par un inconnu qui lui demande son chemin. Il souhaite connaître la direction pour se rendre au musée de la ville, mais semble dur d’oreille. Ou alors, June ne sait pas bien expliquer car il ne comprend rien aux indications qu’elle lui fournit. Il peut pas utiliser son téléphone, comme tout le monde ? Et puis, la ville n’est pas si grande que ça, quand même… Après quelques minutes, l’homme finit - enfin ! - par la lâcher et s’éloigner d’elle. Elle baisse alors le regard sur la poussette, trouvant Lydia très calme depuis quelques secondes. Elle a l’impression que son cœur s’arrête. Une seconde, elle pense rêver. Lydia n’est plus dans la poussette. Son pouls s'accélère d’un coup. Elle sent la panique, l’angoisse monter. Ses mains lâchent la poussette, elle regarde autour d’elle mais elle voit flou. Des larmes sont montées. Elle les essuie rapidement. Il faut qu’elle se calme, qu’elle se concentre. Lydia n’a que quatorze mois, elle n’a pas pu disparaître comme ça ! A moins que… Le pire cauchemar des parents s’insinue dans son esprit. Et si quelqu’un l’avait enlevée ? Et si le type de tout à l’heure n’avait été là que pour la distraire pendant qu’un autre… « Lily ! » Sa voix chevrote, à peine audible. « Lily ! » La deuxième fois est plus convaincante. Une personne qui passe à côté d’elle tourne la tête vers elle, sans s’arrêter. « LILY ! » Cette fois-ci, sa voix porte bien plus loin. Elle balaye le parc des yeux, faisant quelques pas, laissant derrière elle la poussette vide. Les secondes semblent devenir des minutes. Des minutes interminables jusqu’à ce qu’elle aperçoive le sourire de sa fille. Elle n’a absolument aucune idée de la peur qu’elle vient de provoquer à sa mère. Elle semble même plutôt contente de cette virée dans le parc ! June se jette littéralement sur sa fille, l’arrachant presque aux bras de l’homme qui l’a retrouvée et ramenée auprès d’elle. Elle embrasse son bébé, sentant alors le soulagement l’envahir. Elle serre sa fille contre elle, mais celle-ci commence à se débattre. Ce jeu n’est pas drôle pour elle !  « Merci ! Merci infiniment ! » lance-t-elle à l’adresse de l’homme qui se tient auprès d’elles. Elle pose alors son regard sur lui et le reconnaît instantanément. « Oscar ? »