Il sourit, Jeff lui est déjà en train de penser à autre chose, comme d’habitude. Il s’attend à ce qu’il lui réponde mais non, il est à côté. En train de penser à des fleurs en train d’imaginer le nom de leur maison. Les mains de Jeff viennent sur ses hanches. Les tournesols, symbole de la joie, de l’épanouissement. Oui, d’accord, on plantera des tournesols. Il pose ses mains sur les siennes, elles sont froides. Je vais te chercher un pull dans la voiture. Al gardait toujours une veste pour le froid dans le coffre. On ne savait jamais quand l’hiver tombait dans cette région. Il abandonne son compagnon quelques instants. Il sourit tout seul. Parce qu’il est heureux tout simplement. Il revient avec la veste polaire, pas très jolie mais très chaude. Il ne l’a pas mise depuis l’hiver dernier. Il la pose doucement sur les épaules de Jeff. Ce n’est pas beau, mais ça te tiendra chaud le temps que le soleil se couche. Il passe ses mains dessus pour réchauffer son compagnon et il sent quelque chose de plus rigide dans une poche. Il l’ouvre doucement alors qu’elle est toujours sur Jeff. Les enfants sont petits peut-être six et huit ans, Miguel et Juan et… La photo est coupée, mais on imagine aisément Sonia à côté d’eux. Elle est prise devant leur ancienne maison, ils sont sur les balançoires. Il se souvient qu’il avait retrouvé cette image l’hiver dernier et il l’avait mise dans sa poche en prenant soin de retirer son ex-femme de la photo. Il ne sait pas s’il aurait la même rancœur aujourd’hui.

Il regarde la photo et la tend à Jeff parce qu’il n’y a pas de raison de lui cacher. Les tournesols… je crois… sont le symbole de la loyauté et de la longévité, l’amour durable. Il avait appris le langage des fleurs, il y a longtemps. Il pense à Sonia, un amour durable qui pour lui n’avait pas duré. C’était étrange de retrouver cette image qui symbolisait en quelque sorte sa rupture, son divorce, le jour où il s’engageait avec Jeff. J’aime beaucoup la sonorité de « Sunflowers cottage »… dit-il, pensif. Est-ce que l’univers voulait lui dire de ne pas se précipiter ? Qu’y croire ne voulait pas dire que ce serait toujours le cas ? Il n’espère pas. Il veut plutôt le voir comme une page différente de sa vie qui s’ouvre. Du coup, restaurant ? demande-t-il à Jeff en tournant la tête vers lui.

Le restaurant t'es sorti de la tête. Pas que tu veuilles arrêter de manger, juste, tu étais songeur et ce qui venait de se passer, l'idée de trouver un nom pour cette maison... L'avenir qui s'offrait à vous. Tu t'étais laissé emporté par tout cela en oubliant qu'il fallait aussi rentrer et peut être aller au restaurant pour finir cette douce journée en beauté. Qu'elle soit particulière jusqu'à la fin.

Des tournesols. Tu imagines bien, c'est une belle plante. Tu le regardes partir en souriant, tu croises les bras et frissonnes. Maintenant que tu sais que tu as froid, tu as encore plus froid. Alonso revient vite, Il te pose sa veste polaire sur les épaules et tu sens déjà qu'elle te réchauffe. Tu voulais la mettre correctement mais il en sort d'abord un bout de papier, quelque chose de plus rigide que du papier. Tu regardes mais tu ne vois pas ce que ça représente. Tu en profites pour mettre correctement la veste, qui est bien chaude et te fait du bien. Alonso te tend la photo, tu la regardes à ton tour. Tu reconnais les petites bouilles que tu as vu cet été. Ils sont bien plus jeunes. Ils ont l'air ravis sur leur balançoire. La photo est déchirée, tu te demandes pourquoi quelques instants avant de comprendre. Enfin, tu penses comprendre. Alonso ne le mentionne pas alors tu ne le fais pas non plus. Cette photo date, elle semblait aussi perdue dans cette veste. De la longévité et de l'amour durable ? C'est parfait alors. En plus d'être beaux et d'avoir cette forme radieuse de soleil que tu apprécies beaucoup. Tu aimes beaucoup aussi. C'est simple à dire, simple à retenir. Tout le monde comprendrait en voyant les tournesols tout autour et pourtant, seuls peur de personnes, les plus proches de vous, pourraient en mesurer la portée plus profonde. C'était parfait. Des doubles sens comme tu les affectionnais. Restaurant ! Tu dois connaître les meilleures adresses autour de Redwood alors je te laisse choisir... Et je ne serai pas difficile, tu peux même m'emmener dans un espèce de steak house rempli de mec qui crachent et qui se pensent super virils parce qu'ils ne mettent pas de déodorant, je ne dirai rien ! Tu fais une croix avec tes bras pour sceller ce que tu viens de dire. Au fond, tu espères qu'il ne t'amènera pas dans ce genre d'endroit mais tu étais près à le suivre partout. Jusqu'au bout du monde et jusqu'au bout de ta vie surement.

Vous restez un peu pour regarder le soleil se coucher. Alonso a bien fait de t'amener cette polaire. Tu y a remis la photo. Après tout, ça restait un souvenir de ses fils. Tu continues de sourire. On y va ? Pour aller diner tranquillement, parler de cette maison qui allait prendre beaucoup de place dans vos prochaines conversations.

Jeff ne fait pas de commentaires sur la photo, il la regarde et la range dans la poche. Il laisse à Alonso le choix du restaurant. Autour de Redwood… Un lundi ? Je ne veux pas te décevoir, mais il n’y aura que des vieux restaurants comme ceux dont tu parles d’ouvert de toute façon. Al sourit pour l’embêter un peu, ce n’était pas le jour où les restaurants étaient le plus ouvert mais il trouverait bien quelque chose. Il regarde le ciel qui se teinte d’orange. Quand le soleil s’efface à l’horizon, Jeff lui demande s'il s'en vont mais Alonso prend son courage à deux mains pour ajouter un petit mot. Jeff… Par rapport à cette photo… Il ne sait pas quoi dire mais il doit dire quelque chose, enfin, il croit qu'il doit le faire. Il avait coupé Sonia, le regrettait-il ? Il l’ignorait, mais il n’avait pas vraiment envie de parler de Sonia. C’était dans mon ancien jardin, mon ancien chez moi, qu’elle a été prise, quand j’habitais Brooklyn. Il sourit. Il se dit que c’est ce qu’il peut dire de mieux après avoir regardé le soleil se coucher. Enfin, la boucle était bouclée, il recommençait officiellement quelque chose avec quelqu’un d’autre.Tu sais… Ce n’est pas parce que je n’en parle pas trop que je n’aime pas en parler. C’est juste que je ne veux pas… T’imposer mes souvenirs de famille. Les lumières du ciel commencent à s'assombrir mais il fait encore jour malgré l'absence de soleil. Je ne sais pas pour toi, mais, ici, c’est seulement mon deuxième achat. Il vient prendre la main de Jeff dans la sienne, autant dire que c’était quelque chose de très important pour lui. Au début, il avait loué dans le Bronx avec Sonia quand Juan était né puis, rapidement ils avaient acheté cette maison où ils étaient restés plus de dix ans. Alonso change de sujet parce qu'il ne veut pas que Jeff soit mal à l'aise et qu'il est temps de partir. Je t’emmènerai bien un jour au Old Maple, le restaurant de Redwood, il est excellent, mais ce soir, on a vraiment quelque chose d’important à fêter, alors je te propose d’aller à Burlington.

Alonso et Jeff se dirigent vers la voiture. C’était vraiment un très beau coucher de soleil. murmure Al une fois qu'il a démarré. Il roule jusqu’au Bleu Northeast Kitchen, un restaurant qu’il aime beaucoup car particulièrement fin et raffiné sans pour autant être trop guindé, parfait pour ce soir et puis de la baie vitrée du restaurant, on voyait le lac Champlain. Il savait que Jeff y serait sensible.

Vous partez tranquillement. Il est temps der fermer cette joyeuse parenthèse. Pas pour toujours. Dès demain soir, tu allais t'atteler au dossier avec Alonso, au retour de son travail. Votre maison, ces deux mots résonnaient dans ta tête et ils étaient si doux, si prometteur.

Avant de partir, il te parle de la photo. Tu te doutais bien. Tu souris et pose ta main dans son dos. Tu as vécu avec Sonia, c'est un fait, et c'est aussi grâce à elle que tu es devenu cet homme aujourd'hui, quelque part. J'aimerai entendre tes souvenirs de famille. Tu dois en avoir des si beaux. Et puis peut être que si j'en sais plus, je pourrai aussi me rapprocher de tes fils. C'est important pour moi tu sais. Pas d'être un père, jamais, mais qu'ils sentent que tu n'es pas que le compagnon de leur père. Et puis Sonia avait été si longtemps avec ton Alonso, bien sûr qu'il avait aussi eu de très bons moments avec elle. Des périodes où il ne pensait plus du tout à toi, à vous, à Coco. Par contre... Ne parle pas de Sonia à Coco, tu sais comme elle peut vite être jalouse... Et ce serait une faute de gout certaine, que de parler d'une autre femme en sa présence.

Vous allez à Burlington, c'est décidé. Un endroit que connait Alonso. Vous parlez de la maison, sur la route, c'est évident. Tu parles de comment tu veux décorer votre chambre. Alonso parle de sa baignoire, ça semble important pour lui mais tu seras bien content de l'avoir cet hiver, quand il fera si froid dehors. Vous arrivez, le restaurant fait vraiment chic. Tu es content de ne pas avoir pleuré. En entrant, tu le trouves magnifique. Il n'y a pas grand monde ce soir, c'est parfait, vous pouvez avoir une place près de la baie vitrée. Tu as remarqué la vue... Le lac Champlain, encore tout un symbole pour votre couple. Tu t'assoies et tends la main pour qu'Alonso vienne y mettre la sienne. Tu t'es donné un défi personnel de me faire pleurer c'est ça ? Tu ris, amènes sa main à ta bouche pour y déposer un baiser. C'est un très bel endroit.

Vous ouvrez ensuite la carte. Tu ouvres grand les yeux. Même la carte cherche à te faire pleurer. Tu savais qu'ils avaient de la burrata avec des tomates ?... On doit prendre ça en entrée tu crois pas ? Tu regardes les plats, tu penses te tourner vers de la volaille, sur un lit de légumes, ce serait parfait pour avoir de la place et prendre un dessert aussi. Vous prenez de l'eau gazeuse en boisson, du moins, c'est ce que tu demandes. La serveuse repart, tu reprends la main d'Alonso et tu tournes le regard vers le lac. Quelle journée... Quelle soirée... Quelle vie on va avoir...

Jeff le rassure, lui dit qu’il aimerait entendre plus Alonso parler de ses bons moments. C’est curieux car, il a tant de mal à parler des mauvais mais, c’est encore plus difficile d’évoquer les bons. Parce qu’ils impliquent Sonia, parce qu’il ne veut pas blesser Jeff. Ca le fait sourire parce que d’une drôle de manière, Jeff s’était déjà un peu rapproché de ses fils pendant leur petite semaine en Espagne, un peu aussi au cours du mois d’août quand ils étaient venus mais… Jeff avait eu sa dépression et Alonso devait s’occuper des enfants alors, ils s’étaient un peu moins vus. Mais Juan était à Burlington maintenant et la fac avait l’air de lui plaire. Miguel se languissait de son frère d’après les échanges qu’il avait avec eux. Oh… Je sais bien… Je sais qu’elle est particulièrement jalouse et très exclusive. Mais, je sais aussi que c’est parce que je lui ai manqué pendant toutes ses années. Peut-être plus qu’il a manqué à Jeff. Mais il comprenait, elle avait tout de même dû être séduite par le beau Daniel qui devait la courtiser comme il l’imagine. Après tout, il lui avait érigé une peinture gigantesque qu’il ne savait pas encore où mettre, à l’étage sans doute ou dans le salon.

Ils parlent de la maison dans la voiture, si Alonso tient tant à sa baignoire, c’est qu’il se souvient que c’était l’un des critères les plus importants pour Jeff quand ils avaient cherché un logement pour lui. Et puis, quand il était revenu de l’hôpital, la première chose qu’il avait fait chez lui était de prendre un bain. Alors, oui, il y tenait à sa baignoire, pour que son compagnon se sente le mieux possible. Pour la décoration de la chambre, il laisse la main à Jeff mais donne tout de même son avis sur les couleurs. Le restaurant est comme il est habituellement. Alonso y va peut-être deux fois par an, lors d’occasions spéciales ou simplement pour le plaisir de la table. Mon amour, ce n’est pas un défi, mon but est simplement de te procurer des émotions et de te rendre heureux. Il sourit, les larmes de Jeff montent facilement, il en a parfaitement conscience, mais il aime cet aspect de sa personnalité. Il l’envie parfois même. Et si c’était un défi, il y aurait mis plus de cœur que ça pour le faire pleurer. Non, il voulait simplement le voir sourire. On va prendre la burrata, oui. acquiesce-t-il. Il savait que ce restaurant plairait à Jeff qui aime tant la bonne nourriture et le raffiné. Alonso prend l’Omble chevalier (Artic Char) en plat principal. Une bouteille d’eau gazeuse était parfaite pour le repas. Si Alonso s’autorisait un peu d’alcool, il évitait de boire en semaine, encore moins un lundi. Alonso sourit, il adore Jeff entendre parler de leur vie ensemble, parce qu’il sait que c’est tellement important pour son compagnon d’imaginer le futur. Oui… Une belle vie tous les deux. Mais, les prochaines semaines s’annoncent chargées une fois qu’on aura la validation, entre l’achat des meubles, de la décoration, la prévision d’aménagement du sous-sol… On va avoir un peu de stress. Du bon stress, j’espère, mais du stress quand même. Il serre sa main dans la sienne. Il comptait sur Jeff, parce qu’avec le travail, il n’aurait que ses soirées et ses week-ends. Tu disais que tu pouvais conduire, mais que tu ne le faisais pas, est-ce que… Ca a un rapport avec ce qui est arrivé à Daniel ? Il murmure cette dernière phrase parce qu’il ne veut pas le blesser. Mais ça lui simplifierait la vie si Jeff pouvait faire des aller-retour à la nouvelle maison surtout s’ils devaient y faire des travaux. Al connait le dosage en médicament de Jeff surtout en ce moment, il n’est pas si excessif au point d’être incapable de conduire.

Les plats sont commandés. L'entrée devrait arriver vite mais en attendant, vous discutez. Alonso te parle des semaines qui allait arriver. Tu sous estimez surement tout le travail. Mais vous aviez le temps, pour ce déménagement, puisque vous ne deviez pas quitter rapidement la maison actuelle dans laquelle vous viviez. Alonso commence à faire une liste, tu es certain qu'elle apparait dans sa tête et qu'au fur et à mesure, il fera des petits check. Tu es incapable de faire pareil et tu le sais. Du bon stress ça me va. Pas du stress qui te fait perdre tes moyens et parfois perdre le sens des réalité. Non, celui là allait te plaire, il allait aussi te fatiguer. C'était la meilleure période pour toi. Tu faisais attention à ton alimentation, ton poids, tu suivais ta thérapie et tu prenais bien tes médicaments.

Alonso serre sa main contre la tienne, tu as laissé ton regard s'échapper vers le lac. Tu as bien entendu ton compagnon, tu es juste un peu pensif. Évoquer Daniel, c'est quelque chose. Mais c'était aussi grâce à lui qu'un nouveau chapitre de ta vie allait s'écrire. Tu devais arrêter de t'interdire d'en parler. Je pensais surtout que c'était à cause des médicaments. Mais maintenant que tu le dis, je pense qu'il y a de ça. Si quelqu'un comme Daniel a pu avoir un accident, alors imagine quelqu'un comme moi ?... Imagine si je fais du mal à d'autres gens ? Tu te voyais toujours comme moins bien que les autres, c'était encore plus le cas quand il s'agissait de ton partenaire. C'est aussi le cas avec Alonso, si on te demande, tu diras toujours que tu as de la chance d'avoir un homme aussi extraordinaire dans ta vie.

Alonso laisse le temps à Jeff de réfléchir. Il ne souhait pas le brusquer et oui, ils avaient du temps, ils pouvaient emménager en un mois comme en trois ou en un an, mais… C’était important pour Al que le projet ne traine pas trop en longueur, c’était important pour lui et pour Jeff. Parce qu’ils avaient besoin tous les deux de ce nouveau départ, même si au début, ils n’auraient peut-être pas beaucoup de meubles, que toutes les chambres n’étaient pas pourvues de lit ou que certaines pièces étaient vides. Il préfèrera vivre là-bas et revenir de temps en temps pour des affaires que l’inverse. Bien sûr que le plan s’affiche dans sa tête aussi clairement que s’il était écrit. Mieux même puisqu’il ne pouvait pas y avoir de ratures dans sa tête.

Al ose mentionner Daniel, il essaie de le faire le plus délicatement possible. Il sait que cet homme a été passé sous silence par Jeff pendant des années. Peut-être même que Russell n’avait jamais entendu son nom à défaut de celui d’Alonso. La question d’Alonso appelle d’autre questionnements de la part de Jeff. Quelqu’un comme toi, mon amour ? Il caresse doucement le dos de sa main. Ne parle pas de toi ainsi, s’il te plait. Tout le monde peut avoir des accidents… Tu seras plus prudent que n’importe quel automobiliste justement parce que tu sais qu’un accident est si vite arrivé. Il réfléchit un instant à la suite de ce qu’il va dire. Jeff, si on a cette maison, il va falloir que tu puisses conduire, te déplacer de manière autonome… Je ne peux pas te laisser te reposer entièrement sur moi dès que tu auras besoin de sortir, tu as besoin de ta liberté pour ton équilibre personnel : voir des amis, voir ta mère, sortir faire des courses, aller au travail peut-être si tu le souhaites ou te promener, re-découvrir la région. Je ne te demande pas à ce que ce soit immédiat, mais je pense que c’est quelque chose que tu devras atteindre. Ils avaient le temps, mais il tenait à ce que Jeff ne soit pas désociabilisé, surtout pour quelqu’un d’aussi joyeux et curieux que lui. Il y avait une époque, où en un mois Jeff aurait connu tout le village et les secrets de chacun de ses habitants. Mais depuis qu’ils étaient ensemble, Jeff voyait peu d’amis, en tout cas, Alonso en avait l’impression, il se concentrait beaucoup sur lui et sur sa mère, ce qu’il pouvait bien entendu tout à fait comprendre. La serveuse apporte leur burrata en leur souhaitant une bonne dégustation. Al la remercie. J’espère que l’entrée sera à la hauteur de tes espérances. ajoute-t-il en coupant un morceau de burrata dans son assiette.

Vous discutez en attendant que l'entrée arrive. Tu es beaucoup plus confiant maintenant, quand tu parles avec Alonso. Tu commences à perdre cette habitude d'avoir peur de ce que tu pouvais dire, qu'il puisse le prendre mal, se fâcher ou juste te laisser là parce qu'il en avait marre de toi. Ça prenait du temps, tu aurais surement des rechutes mais tu étais sur la bonne voie. Tu pensais même beaucoup moins à sa crise cardiaque. Alonso faisait attention, c'était ce qu'il t'avait promis et il s'y tenait, comme ce soir où il ne buvait pas d'alcool.

Tu baisses les yeux. Tu savais qu'il allait rebondir la dessus. Mais c'est ce que tu penses de toi. Tu es dangereux. Tu pourrais l'être en tout cas. Le plus souvent, tu te fais du mal à toi, mais il était arrivé que tu blesses quelqu'un d'autre, sans le vouloir, juste pendant une crise violente, où tu avais perdu tout sens de la réalité. On te culpabilisait beaucoup là dessus, même en thérapie parfois. A l’hôpital aussi. Tu l'écoutes et tu sais qu'il a raison. Tu finirais par te sentir trop seul si tu ne peux pas te déplacer. C'est encore dur pour toi, d'y penser, de réellement conduire, peut être quotidiennement. Tu relèves les yeux. Je vais commencer par des petits trajets. Aller chez ma mère de chez nous, à Redwood, aller voir ta grand mère aussi. Des routes que je connais. Puis je ferai le chemin jusqu'à la nouvelle maison, plusieurs fois. Je peux m'entrainer à ça pendant que tu travailles... Et puis j'essayerai plus loin au printemps je pense, parce que le temps que j'ai assez confiance, il aura neigé et là, j'aurai bien trop peur. J'aurai alors trois saisons pour appréhender l'hiver prochain mais tu as raison, je ne suis pas un homme au foyer... et j'espère reprendre mes show bientôt, aussi. C'est ton plan, peut être que ce n'est pas le plus rapide, ni le plus courageux, mais c'est celui qui semble te convenir le mieux. Puis, tu pourrais aussi rapidement faire des courses, ce serait plus pratique. Tu prendrais une pause en hiver, mais tu n'étais pas fan de cette période pour les sorties, tu entrais dans un mood d'hibernation, les poils de l'ours en moins. Quoi que... Enfin. C'était ton plan.

L'entrée arrive, tu souris à nouveau en voyant comment elle est présentée. Ce plat représente tellement pour vous que tu sors ton téléphone pour le prendre en photo. Si on m'avait dit que je m'entousiasmerais autant pour du fromage italien et des tomates... Mais c'était le cas. Tu te sers un peu, un peu moins de la moitié car tu avais le plat et peut être le dessert aussi. Vos verres sont servis d'eau gazeuse alors que tu as fini de te servir, tu lèves le tien. A nous, à l’amour... Tu ne finis pas ta phrase, tu laisses Alonso le faire. Tu sais ce qu'il va dire pour la conclure.

Jeff ne panique pas, il lui fait confiance, il l’écoute, il ne fait pas de crise parce qu’Al lui dit quelque chose de contrariant. En ça, il voit à quel point il a changé. D’accord, ça me va, tu feras selon ton rythme… Je pourrais être là pour tes premiers trajets si tu le souhaites. Enfin, peut-être que ça va te stresser et te faire une responsabilité supplémentaire, mais quand tu seras prêt… J’aimerais parfois pouvoir être avec toi. C’est délicat, il le sait et il n’a pas l’intention de bloquer le processus de Jeff. C’est bien aussi si tu as envie de reprendre tes shows, je sais à quel point c’est important pour toi. Coco est importante, pour eux, elle est le signe que Jeff va bien, mais il sait que ça n’a pas toujours été le cas. Elle était sortie souvent quand Jeff n’allait pas bien justement, comme une béquille. Son compagnon lui avait même indiqué qu’à une période, il n’était plus qu’elle, qu’il s’était perdu dans le personnage. Alonso imagine une période entre Daniel et Russell peut-être. Un moment où vivre en Coco était un moyen de ne plus penser à rien.

C’était la version améliorée de la tomate feta : la tomate burrata. Une ode à leurs souvenirs, ça et le lac Champlain. Tellement de beaux souvenirs ensemble. Bien entendu, Jeff et Al s’aimaient déjà à l’époque, ce moment n’a été qu’une confirmation de leurs sentiments l’un pour l’autre. Il se souvient des trois semaines entre le retour de Jeff de l'hôpital où il avait passé deux semaines et ce week-end au lac. Trois semaines à être simples colocataires tout en sachant qu’ils avaient, tous les deux, envie de plus depuis plus de deux mois en réalité. Al aurait pu continuer à être son ami, si Jeff n’avait pas malaxé cette feta jusqu’à l’assassiner sauvagement en lui confessant ses peurs et ses doutes. Leur premier baiser après tant d’années. Rien qu’y repenser, il a de nouveau des papillons dans le ventre. Il revoit la fêta agoniser dans les mains de Jeff. Ils sont devenus bien plus sérieux depuis quelques temps. Peut-être qu’ils auraient besoin d’un nouveau week-end de déconnexion comme ça, à ne penser à rien d’autre que s’aimer. Loin des souvenirs difficiles, car entre Londres, Bilbao, Los Angeles, leurs dernières vacances avaient été rythmées par des fantômes présents ou passés.

Jeff lève son verre d’eau pétillante et Alonso fait de même. Le toast le fait sourire, est-ce que Jeff avait relu son livre récemment ? Et aux étoiles que nous sommes devenues. La vraie phrase qui concluait le roman était « et aux étoiles que l’on va devenir ». Mais ils étaient accomplis maintenant, ils brillaient tous les trois, chacun à leur puissance, pas encore au maximum de leur capacité mais ça viendrait. Il trinque et boit doucement son verre. Quel chemin on a accompli depuis que tu es revenu à Redwood… On a commencé à habiter ensemble en mars dernier. Tu te souviens ? Tu m’as offert cette soirée avec Coco, ce slow, et puis… Plus rien. On ne s’est pas beaucoup vus pendant ces trois semaines avant que tu ne t’enfuies loin de moi… Je me suis toujours demandé où tu étais allé, ce que tu avais fait cette semaine-là… Il ne lui pose pas vraiment la question. Il sait que Jeff avait dû chercher les excès, la fête, le sexe sans doute aussi. Il se souvient de son état quand Jeff était revenu lui s'était fait agresser la veille. Quand tu es revenu après cette semaine, tu m’as dit que j’étais comme un artiste à l’oreille absolue, que je savais reconnaitre les émotions... Ça m'a fait tellement plaisir. D'ailleurs... Je voulais que tu saches que ce jour-là, le jour où tu as fait ta crise qui t’a amené à l’hôpital - le jour où tu m’as dit que tu avais abandonné ton appartement pour venir vivre chez moi… Je voulais te dire que ce n’est pas le doute qui m’a fait tarder à descendre. C’est simplement que je téléphonais à ma mère pour officialiser le fait que tu allais habiter avec moi dans la maison familiale. Aujourd’hui, il savait qu’il aurait dû le faire devant Jeff et pas dans son coin dans sa chambre alors qu’il avait simplement dit qu’il montait pour un tee-shirt.

Forcément, remonter ces souvenirs, c’était aussi remonter leur échange terrible à l’hôpital. Là où Alonso avait dit à Jeff qu’il ne pouvait pas le quitter et que son ami à l’époque lui avait dit que si, il fallait qu’il le quitte et qu’il respecte sa décision de le faire. Que ces deux semaines sans lui avaient été longues et pleines d’inquiétude. Il avait lu, beaucoup sur le trouble de Jeff, il s’était renseigné sur ce qu’il pouvait et aujourd’hui, ils allaient acheter ensemble. Je te l’ai déjà dit mais je t’ai aimé de nouveau dès que je t’ai vu au centre commercial. Je sais que notre relation n’a été vraiment officielle qu’au lac Champlain, mais… Ces débuts chaotiques font autant partie de notre histoire que le reste et je t’aime, je t’aime tellement. Alonso sourit, soupire de joie de tous ces souvenirs qui les avaient menés ici. Il reprend la fourchette qu’il avait posée et commence à manger, c’est excellent.

C'est une soirée parfaite, après une journée qui l'était tout autant. Le lac Champlain, comme un encrage de votre relation, semble si calme. Il l'est toujours. Alonso te fait confiance. C'est important pour toi, qu'il te fasse confiance, qu'il te laisse aller à ton rythme. Ca n'a pas souvent été le cas. Soit on ne te laissait pas faire, soit on te pressait... Daniel, dans un autre registre, préférait te materner pour être certain que tu ne t'angoisses pas trop. Alonso savait trouver le juste milieu. Tu allais y aller doucement, surtout au début. Tu demanderais d'abord à faire la route avec lui, pour être certain de bien la connaitre. Puis seul, au début. C'était important pour toi que tu sois seul, pour ne mettre en danger personne. Même Chacha ne viendrait pas. Ca l'est. Ca ne l'était plus pendant un long moment. Tu avais même douté de pouvoir reprendre un jour et ça te rendait encore plus malheureux. Beaucoup ne comprenaient pas ta relation avec Coco et prenaient le fait que tu ne veuilles pas te transformer en un caprice. Mais c'était ainsi que tu fonctionnait et ce mécanisme là était celui qui te convenait le plus.

Tu lèves ton verre, comme tu le pensais, Alonso termine la phrase, en la modifiant un peu. Mais il était vrai que vous aviez évolué. Et puis, Alonso te voit comme une étoile qui brille dans l'infini de l'espace. Forcément, ça t'émeut. Ton compagnon te parle ensuite de vos retrouvailles, de tout ce qui s'était passé. Du fait que ça n'a pas été facile, au début. Surtout quand tu es parti, quand il t'a retrouvé à l'hôpital, appris bien plus sur ton état... Tu avais pensé qu'il valait mieux alors qu'il te laisse, que ça serait trop pour lui. Tu lui offrais un cadeau bien plus empoisonné qu'il ne pouvait le satisfaire, dans ton esprit à l'époque. Mais au fil du temps, tu avais appris que lui t'offrait quelque chose de précieux. La capacité de croire en l'avenir, d'avoir envie d'aller bien parce que tu avais envie de cette belle vie à ses côtés. Tu semblais toujours lui être redevable et c'était le cas. Alonso ne se rendait surement pas compte de ce qu'il te permettait d'accomplir. Tu ne réponds pas. Peut être qu'un jour tu seras prêt à lui dire ce qui s'est passé pendant ton absence mais ce n'était pas pour ce soir. Pas après de si beaux moments, pas après avoir visité votre maison. Il te parle de quand tu es revenu, que tu t'es imposé. C'est vrai, après réflexion, tu aurais pu l'amener autrement. Je pense qu'on a mis du temps à savoir communiquer... Ca avait été notre plus grand défaut quand on était jeunes. Mais vous y arriviez mieux, avec la confiance, avec le chemin sur lequel vous avanciez main dans la main. Tu ne doutes pas qu'il y aurait d'autres difficultés. Il y en avait toujours dans les couples, même les plus solides. Juste... Tu sais aujourd'hui que tu n'as plus à les lui cacher.

L'entrée semble délicieuse, la burrata commence à dégouliner quand tu l'ouvres pour la séparer, ça semble meilleur qu'avec de la feta. Au moins, ce n'était pas de la bouilli. Pas comme tu avais traité cette pauvre féta. Forcément, ce n'est pas simplement une salade préparée comme tu pouvais le faire. Il y a ce petit plus, de très bon produit déjà, la vinaigrette qui était excellente et des condiments pour rajouter des saveurs. Tu m'as aimé moi ou mon incroyable fessier ? Tu ris, tu adores faire de genre de plaisanteries. Mais ce que te dit Alonso te touche. Tu as aimé le retrouver, c'était certain et tu n'aurais pas voulu que ce soit juste des retrouvailles autour d'une boisson, c'était certain aussi. Mais tu ne sais pas vraiment pour le reste... Une partie de toi tend à croire que tu es revenu à Redwood en espérant le revoir, c'est la partie la plus importante et également celle qui te plait le plus. Je me suis aussi vite rendu compte que tu étais celui que je cherchais, j'aime le penser en tout cas, que je suis revenu avec cette idée, quelque part. Mais si je n'ose pas l'avouer, c'est aussi parce que je craignais qu'une nouvelle histoire ne soit pas possible. Et ça aurait pu être le cas. Il aurait pu être là, dans le centre commercial, à choisir un cadeau pour Sonia, pour une autre femme. Les possibilités étaient immenses. Finalement, le destin avait été plus que clément avec toi. L'entrée ne tarde pas à se finir. Même ton appétit s'était bien amélioré, même depuis vos retrouvailles en mars dernier. Tout allait si mieux dans ta vie et tu cherchais à maintenir cette ligne.

Vous discutez de nouveau de la maison. Tu parles notamment des couleurs que tu voudrais changer, mais pas toutes. Certaines pièces te plaisent comme elles sont. Tu demandes aussi si Alonso a un type de baignoire en particulier qu'il voudrait faire installer. Une pour deux personnes serait bien, tu trouves. Tu commences à parler de baignoire massante avec des lumières comme dans les spas. Le plat principal arrive, il sent vraiment bon. Tu te régales à nouveau et tu le finis, c'est léger, tu as pris des légumes exprès pour ne pas trop charger ton estomac. On vous débarrasse et vous donne la carte des desserts. Est ce qu'on a prend un chacun comme on a fait pour les précédents plats, ou alors on s'en prend deux qu'on partage ? Parce que plusieurs me font envie... Tu relèves les yeux vers lui. En plus de celui que je vais manger à la maison... Tu viens caresser sa main, qu'il a laissé posée sur la table. Tu restes sérieux pour le moment. Ce lac te donnait bien des idées et des envies.