La journée de Castiel se déroulait comme à son habitude, sous le signe du surmenage. Dès les premières heures du matin, il était assailli par des réunions interminables, des coups de téléphone urgents et des dossiers à examiner. Son agenda débordait de rendez-vous fixés avec des clients importants, des partenaires à séduire, et des décisions stratégiques à prendre pour son entreprise. Au milieu de ce tourbillon incessant, une pile d’invitations trônait en désordre sur son bureau. Mariages mondains, galas prestigieux, soirées d’affaires — tous exigeaient son attention. Mais en haut de cette pile, un peu à l’écart, l'invitation au gala de charité de l’ONG IGH se distinguait. Modeste, bien plus discrète que les autres, elle semblait le narguer. Entre deux signatures rapides et des emails urgents, Castiel jetait parfois un regard furtif à cette carte, comme un rappel silencieux que, malgré tout ce brouhaha matériel, il y avait encore des causes plus importantes qui méritaient son temps et son argent.
Castiel tenait dans ses mains l'invitation au gala de charité de l'ONG IGH, et son regard s'attarda sur le papier recyclé, rugueux sous ses doigts. Un sourire léger mais narquois étira ses lèvres. Ce genre de carton, tout en simplicité écologique, ne correspondait pas du tout à ses préférences. Lui, qui dans le cadre de son entreprise ne jurait que par les belles impressions sur des papiers luxueux et des cartons soigneusement sélectionnés, trouvait ce modeste support un brin… insipide.
Les enjeux écologiques ne le touchaient guère. Il ne prétendait pas être un homme vertueux, et encore moins un modèle de conscience environnementale. La défense de la planète ne figurait pas en tête de ses priorités. Pourtant, malgré son penchant pour l’esthétisme coûteux, il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y avait un certain paradoxe ici. Après tout, ce gala avait pour but de récolter des fonds pour une cause noble. Son argent, pensait-il, serait sans doute mieux utilisé pour aider les personnes dans le besoin que pour gaspiller en invitations clinquantes.
Assis dans son fauteuil de cuir, Castiel laissa son esprit vagabonder, loin des préoccupations professionnelles. Trois ans déjà qu’il portait ce masque de veuf éploré, un rôle qu’il avait appris à perfectionner face aux journalistes et aux regards indiscrets. Mais en vérité, son veuvage, loin d’être une source de peine profonde, avait été pour lui une libération. La liberté retrouvée, celle de ne plus rendre de comptes à personne, de mener sa vie comme bon lui semblait, sans compromis ni contraintes. À chaque interview, il savait exactement quoi dire, quels mots utiliser pour toucher la corde sensible du public, mais au fond de lui, il commençait à trouver que ce petit jeu avait assez duré. L’ombre du deuil était devenue un vêtement trop lourd à porter, une comédie dont il était las.
Castiel tapota distraitement sur son téléphone, ses doigts glissant sur l'écran avec l'aisance d'une habitude bien ancrée. Il venait de composer un message à Isobel, son ancienne maîtresse, l'invitant au gala de l'ONG IGH. Même si leur relation appartenait au passé, il appréciait encore sa compagnie lors de ce genre d'événements mondains. Mais à peine quelques minutes plus tard, une réponse lui parvint, brève et sans détour. Isobel déclinait, prétextant qu’elle était "occupée avec son nouveau jouet". Castiel esquissa un sourire en coin en lisant cette phrase. Il savait exactement ce que cela signifiait, et cela ne le surprenait pas. Isobel avait toujours eu ce goût pour les distractions passagères, et cette fois-ci, il semblait qu’elle en avait trouvé une nouvelle.
Après un bref moment d'hésitation, il prit sa décision. Il s’y rendrait seul. D’un geste rapide, il appela son secrétaire. "
Répondez à l'invitation de l’ONG IGH, s’il vous plait." dit-il d’une voix calme mais ferme, sans lever les yeux de l'écran de son ordinateur. "
Confirmez ma présence au gala." Il n'avait pas spécialement envie de s'y rendre, mais il savait que ce genre de présence était utile, à la fois pour son image et pour entretenir certaines relations. Le secrétaire, habitué aux demandes précises de Castiel, hocha la tête sans un mot, se dirigeant vers son bureau pour s'occuper de la formalité. Une tâche de plus sur la longue liste des engagements soigneusement calculés par l'homme d'affaires.
Castiel arriva au gala avec l’assurance tranquille de celui qui sait que tous les regards se tourneront vers lui.
Vêtu d’un élégant smoking bleu nuit parfaitement taillé, accompagné d’un nœud papillon noir, il dégageait une prestance naturelle. La tenue, sobre mais raffinée, mettait en valeur son allure impeccable. Chaque détail était maîtrisé, des revers satinés de la veste à la chemise blanche immaculée qui ajoutait une touche de pureté à l’ensemble. Il fit son entrée avec aisance, jetant des regards calculés aux invités, un sourire subtil aux lèvres. Les flashs des photographes crépitaient à son passage, immortalisant cet instant où Castiel, parfait dans son rôle, semblait régner en maître sur l’événement.
Malgré son allure impeccable et son air sûr de lui, un détail subtil détonnait légèrement dans l'image parfaite qu'il offrait. Castiel portait toujours son alliance, discrète mais bien visible à son annulaire gauche. Ce petit anneau d’or, symbole de son veuvage, semblait à la fois un vestige du passé et un rappel de la comédie qu’il jouait encore, celle du veuf éploré. Tandis qu’il avançait avec assurance au milieu des invités, il jeta un coup d'œil à la bague, une fraction de seconde, avant de reporter son attention sur l’événement. Il n'était pas encore prêt à s'en débarrasser, du moins pas officiellement. Cette bague constituait le meilleur des remparts contre les prétendantes trop insistantes.