Allen n'était pas sûr d'être au bon endroit ce soir. En réalité, il ne savait toujours pas pourquoi il avait rejoint la grange pour "commémorer" le suicide collectif soit-disant rattaché à la Rose Lunaire. Les habitants étaient fous à ce point. Ils célébraient la mort des gens depuis trente ans. Ca faisait d'eux des psychopathes notoires. Si Allen s'y était rendu, c'était à cause de sa curiosité malsaine. Lui ne croyait pas à toutes ces sornettes, mais c'était le cas pour bon nombre de gens ici, alors il s'était imaginé obtenir des éléments de réponses et contrecarrer les arguments bancals des gens cupides et crédules. De plus, on y servait de l'alcool, et la vie du jeune Rowe était si morose à l'heure actuelle qu'il se disait qu'un petit remontant entouré de villageois passait toujours mieux qu'un verre plein en solitaire. Il remarqua d'ailleurs de nombreuses têtes connues, et il fut même surpris de voir que Robin était revenue. Elle ne l'avait pas contacté depuis belle lurette, et un peu rancunier, il se refusa à aller la saluer, ce qui mettait par conséquent Taylor hors-jeu également puisqu'elle discutait avec elle. Ca le mettait dans l'embarras, car il n'avait pas envie de se retrouver seul dans ce genre de lieu, il se sentait presque mal à l'aise. Aussi, c'est en allant prendre une coupe de champagne qu'il remarqua une jeune femme seule (Elise). Elle lui disait vaguement quelque chose, et il se souvint: elle était pâtissière. Constatant qu'elle était aussi mal à l'aise que lui, il l'accosta: "Drôle de soirée, n'est-ce pas?" Mais conscient qu'elle ne remettait pas forcément un nom sur son visage, il se présenta: "Allen Rowe, je suis le libraire de la ville, vous êtes pâtissière je crois..." Il but une gorgée de sa coupe pour se donner légère contenance tout en jetant un regard par ci par là au groupe qui s'était formé, où ses amies se trouvaient.

Il commençait à y avoir du monde dans la grange reconvertie en musée, Robin n’aurait jamais cru qu’il puisse y avoir tant de gens venus célébrer les trente ans de la dissolution de la Rose, elle se demandait s’il n’y avait pas parmi eux quelques illuminés encore adeptes de la secte. Peut-être, certainement. Mais le service de police avait été réquisitionné pour l’occasion et elle aperçut d’abord Desmond, le chef de la police, dans un coin. Il arborait une mine tellement hargneuse qu’elle préféra éviter de l’approcher. Elle et les deux hommes furent rejoints par une jeune femme que Robin ne connaissait pas – Taylor – et elle lui sourit gentiment. « Faut bien commémorer un truc… La Rose, c’est ancré à Redwood, ça fait partie de son patrimoine en quelque sorte. Mais je suis d’accord, ça reste un attrape-touristes, une connerie pour amateurs de morbide en tout genre » ricana-t-elle. Elle, elle était du genre terre-à-terre, elle ne croyait que ce qu’elle voyait. Et la Rose Lunaire n’en faisait sûrement pas partie. Jenn vint ensuite la saluer d’une brève accolade et Robin sourit, heureuse de voir son amie – ses amies pouvaient se compter sur les doigts d’une main, alors les rares qu’elle avait, elle en profitait ! – « Ouais, ils ont réussi à la restaurer pour qu’elle ne fasse pas trop maison hantée, je trouve ça plutôt cool » Même si le musée servait certainement de lieu de pèlerinage pour fanatiques désoeuvrés et barjos sympathiques, Robin aimait bien cet endroit. Elle trouvait ça reposant.

Du coin de l’œil, elle aperçut Allen, l’un de ses plus proches amis, mais il ne vint pas la saluer, à sa plus grande surprise. Rancunier, probablement. Elle ne chercha pas à aller le voir, se disant que s’il voulait venir, il viendrait, et elle s’arrangerait pour lui envoyer un message dès que possible afin de savoir s’il lui faisait la gueule. En attendant, le monde commençait à affluer et elle but une nouvelle gorgée de champagne, bien décidée à finir son verre le plus vite possible.

Il avait du mal à comprendre ce qui rassemblait les gens autour de cette grange. La perte d'un être cher n'était-elle pas personnelle? Même si ce suicide s'avérait collectif, qui pouvait comprendre la relation que chacun entretenait avec l'autre? Personne. Allen n'était pas du genre à s'immiscer dans la vie des gens, mais il était très à l'écoute et observateur, et se forgeait son opinion en fonction de ce que les gens voulaient bien lui révéler, mais la secte de la Rose Lunaire, il ne parvenait pas à comprendre. Qu'est-ce que les gens pouvaient bien vénérer? Pourquoi célébrer un événement tragique? Il ne pouvait s'empêcher de penser tout haut. "Je trouve ça un peu malsain de fêter un suicide collectif..." Comme il se trouvait fou de pénétrer en ces lieux. Sa curiosité le poussait à en savoir plus sur cette histoire. Mais il craignait de déterrer des démons auxquels il ne croyait pas, mais en qui beaucoup croyaient malheureusement. La jeune femme était bel et bien la pâtissière. Il n'avait jamais prêté véritablement attention à ses interlocuteurs lors de sa routine et passait à côté de rencontres. "J'aime beaucoup vos pâtisseries, elles font le bonheur de mes pauses déjeuner!" La complimenta-t-il alors pour lui signifier qu'il n'était pas rustre au possible, juste discret. La jeune femme voulait savoir pourquoi il était là, et il fut réticent à répondre tout de suite car il savait qu'il pourrait éventuellement la froisser, elle ou un autre villageois qui avait perdu quelqu'un dans le drame. Il ne niait pas les morts, mais il minimisait l'existence de la secte. "Non, aucune. En fait, pour être honnête, je ne crois pas franchement à cette histoire de la Rose Lunaire. Donc la curiosité me pousse à vouloir en apprendre plus. Et vous, pourquoi êtes vous ici Elise?" Il n'était pas sûr de la pertinence de la question et s'excusa immédiatement: "Enfin, ça ne me regarde peut-être pas, pardonnez-moi..." Le regard du jeune homme se détourna pour regarder une nouvelle fois Robin, mais il ne se décida pas une fois de plus. En revanche, il finit sa coupe.

Je savais pas trop si j'allais y aller, aux trente ans de la fin de la rose lunaire. Enfin trente ans que les gens de la secte sont morts. Je m'en fichais un peu, je voyais pas l’intérêt de "fêter" ça. Des tarés ont tué plein d'autres tarés, et on rend hommage à ça ? A quoi exactement on rend hommage ? Qu'est ce qu'on fête au juste ? Je ne comprenais pas, pour moi il fallait tourner la page et oublier les agissements de ces tarés, et ceux qui s'y étaient laissé embrigadés et qui s'étaient suicidé n'avaient qu'à s'en prendre qu'à eux-même. Même ma mère, pourtant bien barge, n'y était pas allée au suicide collectif. Bref, passons, moi j'avais décidé de m'y rendre finalement parce qu'il y avait à manger et à boire gratuitement. Hé oui quand on est comme moi et qu'on a pas de quoi se payer un verre de bière tous les week end on est contents quand y a un truc comme ça et on en profite, c'est pas méchant, c'est juste la vie qui est ainsi faite.

Je m'étais quand même bien sapé pour l'occasion, par bien sapé je veux dire un petite chemise blanche et un jeans. Rien de fou. Vous me verrez jamais en costard toute façon j'en ai pas. Mais ça changeait de mes jeans troués et mes vieux t-shirts de groupes que je me trimbalais habituellement. Du coup, j'arrivais à la grange qui servait de local pour la fête, je me dirigeais vers le buffet et me servis un verre, et pris quelques petits trucs à manger dans une assiette. Pas trop, j'avais déjà une mauvaise réputation j'voulais pas faire encore plus mort-de-faim. Je me tournais ensuite pour regarder tout le monde, il y avait déjà énormément de gens, heureusement que la grange était grande parce qu'avec la chaleur on allait vite étouffer ici. Je repérais alors ma petite Taylor qui discutait avec d'autres gens. J'hésitais à la rejoindre. Elle était occupée et je n'étais pas ami avec les gens avec qui elle parlait, je ne voulais pas les déranger. Tant pis j'irais la rejoindre après, alors je mangeais mes petits canapés, tout en restant tranquillement à côté du buffet pour pouvoir me reservir discrètement quand mon assiette serait vide.

Jenn lui fit remarquer qu’elle s’était fait toute belle aujourd’hui, ce qui arracha un sourire à Robin. Belle, c’était un bien grand mot… Elle n’était pas du genre à se déverser un pot de peinture sur le visage, et elle était fringuée presque normalement, malgré le chemisier qui la serrait et lui donnait l’impression d’étouffer. Elle jeta un coup d’œil en direction d’Allen et haussa les épaules. « Oh, ça non, c’est… C’est Allen, j’t’expliquerai. D’ailleurs tu m’excuses ? J’ai un truc à faire » Elle posa une main amicale sur le bras de Jenn avait de se carapater et de se diriger vers Allen, justement. Tant pis s’il discutait avec quelqu’un d’autre, une jeune femme que Robin identifiait comme la pâtissière de Redwood Hills, Elise Kennedy, elle les interrompit sans vergogne – mettre les deux pieds dans le plat, toujours – et lui demanda, un sourire crispé aux lèvres « Et alors, tu viens plus me dire bonjour ? » Elle ne savait pas très bien pourquoi Allen n’était pas venu, peut-être qu’il lui faisait la tête (sûrement, même), sans doute parce qu’elle n’avait pas donné de ses nouvelles depuis un bail, mais Robin était comme ça, elle pouvait ne pas en donner pendant des semaines et se repointer comme une fleur ensuite, c’était dans ses habitudes. Allen la connaissait suffisamment, pourtant, pour le savoir.

Elle se planta donc devant lui, bien décidée à ne pas le laisser filer comme ça, avant de jeter un coup d’œil à Elise. « Désolée, j’vais pas vous déranger longtemps…Comment tu vas, Allen ? » s’enquit-elle, sachant bien qu’il allait probablement la maudire pour son intervention saugrenue.