J'eus à peine le temps de lui murmurer un « Toujours. » accompagné d'une caresse à l'avant-bras que nous partîmes dans la voiture. Évidemment que je serai présent peu importe la situation. Qu'il s'agisse de lui fournir une dose de courage pour monter sur la scène du plus grand festival d'Europe ou tout simplement pour lui préparer un bon plat chaud s'il se sentait trop flemmard pour ça ! Il n'empêche que son interrogation possédait un je-ne-sais-quoi de romantique. Peut-être me faisais-je des idées et que ce terme n'était pas le plus adapté mais cette promesse... Avec nous, il était toujours complexe de placer des mots tant notre relation semblait en-dehors des normes. Quant à celle qu'il partageait avec Castiel eh bien... J'étais sûr à 300% qu'elle ne dépasserait jamais le stade du fantasme à moins qu'un plot twist incroyable ne me balaye les jambes. Le millionnaire ne l'avait jamais regardé de cette manière comme il me l'avait confirmé à d’innombrables reprises. Peter devrait se faire une raison. Il en avait été de même avec Eliot auparavant. Il les choisissait vraiment très mal ou, quand la réciproque était présente, tout tournait rapidement au gaspillage. J'étais heureux que, au moins, la situation était déjà établie en cas de décès de ses parents car comment aurait-il pu entretenir les lieux (même si je lui souhaitais de « devenir riche », les chances étaient minces non?) ? Même mon boss n'aurait pas forcément tenu à ajouter l'endroit à ses propriétés ! Il avait déjà tant à faire.

Il n'empêche que j'en apprenais encore sur lui. Je ne le connaissais pas tout à fait par cœur contrairement à ce que je pensais ! L'anecdote au sujet de son professeur de musique, ancien amant, ne fut interrompue que par ma petite surprise destinée à le taquiner. Tant mieux si ça permettait au passage de rattraper une vieille soirée loupée ! Pourquoi il continuait à répéter qu'il était doué pour tout massacrer... Allez savoir. Je lui posai mon index sur les lèvres pour le faire taire même s'il eut le temps d'ajouter des remerciements auparavant.

- Rien à « bousiller » ce soir. Nous sommes juste deux amis qui ont envie de fêter leur célibat ensemble ! Il n'y a pas de raison que seuls les amoureux aient le droit de célébrer. Puis la broche... C'est juste parce que je savais qu'elle t'irait à la perfection, avouai-je avec un sourire.

Pourquoi toujours chercher à faire compliquer ? Des fois, je me demandais si j'étais réellement celui  qui se prenait le plus la tête dans notre duo ! Le tatoueur était extrêmement doué pour ça aussi. Nous ne serions jamais ensemble, je me le répétai autant qu'il le faisait. C'est pour dire ! Je n'attendais rien de cette soirée si ce n'est de m'amuser en sa compagnie. Il pouvait avoir l'esprit tranquille. La suite de ses paroles m'amusa cependant. Je ne pus m'empêcher de riposter avec une certaine ironie :

- On ne s'est pas tant disputés que ça ! Et puis on a toujours su se réconcilier avec... enthousiasme si tu vois ce que je veux dire.

Comment ça on voyait toujours ce que je voulais dire ? Bon ok, je n'avais pas tort en revanche. Nos réconciliations avaient toujours été torrides (je n'étais pas prêt d'oublier la fois en extérieur, dans la neige) mais mon commentaire faisait tout de même abstraction d'une exception : celle ayant mis un terme à notre « couple ». Inutile de le mentionner, il devait en avoir conscience autant que moi.

- Mais ce serait parfait pour toi. Un petit cinquantenaire à qui tu apprendrais à avoir du goût..., blaguai-je comme je ne détestais ni le jazz ni le blues bien que je n'en écoutais que rarement. Il doit avoir bien changer depuis tout ce temps... Toi aussi, forcément. Je serai tellement curieux de savoir si le courant passerait encore entre vous. Si vous pourriez être de simples amis malgré le passé. On le fait bien nous.

À quelques exceptions près, ne mentons pas. Toutefois, ce serait réellement fascinant s'ils se retrouvaient après deux décennies. Je me demandai alors à quoi il ressemblait... Si je me fiai à ce que je connaissais des goûts de mon interlocuteur...

- Il est brun hein ? Enfin, aujourd'hui il est sûrement poivre et sel mais...

Avait-il flashé sur un blondinet au moins une fois dans sa vie ? J'en doutais à force ! Bref, nous nous retrouvâmes bientôt assis à la table d'un restaurant italien dont la décoration me glissa des étoiles dans les yeux. C'était si soigné ! Je ne regrettai pas d'avoir choisi ce lieu pour toile de fond de notre rendez-vous non-galant ! Peter me fit rire à nouveau lorsqu'il s'enquit de qui paierait l'addition. Craignait-il de payer le plat principal une demi-centaine de dollars ? Si tel était le cas, je ne pourrais l'en blâmer vu le cadre dans lequel nous étions plongés.

- Évidemment, mais c'est à charge de revanche. Quand tu seras devenu riche et célèbre, je m'attends à ce que tu me gâtes comme jamais, ok ?

L'un de mes genoux cogna discrètement le sien sous la table. Je parlais de cadeaux ou d'invitations à dîner mais j'étais ouvert à toutes propositions ! Une bouteille de champagne fut commandée puis nous nous plongeâmes dans la carte. Le choix était riche et mon choix changeait à chaque proposition. Me décider serait une torture !

- Promet-moi de te faire plaisir ! Prends ce qui te fait envie. Ne regarde pas les prix.

Oui, ma situation financière avait évolué drastiquement depuis notre romance. La paie du Point était généreuse et cela s'était confirmé lors de ma prise de grade récente. Je ne serais forcément jamais au niveau de Castiel mais, au moins, je ne craignais plus d'être dans le rouge en me payant exceptionnellement un quatre étoiles ou plus. Être autonome financièrement était un sentiment si agréable.

- Tu sais quoi ? On reviendra. Tout me fait envie bordel, lâchai-je, le nez toujours plongé dans le menu. Tes parents aiment la nourriture italienne ? Ils ne pourront pas aller à Paris tous les ans pour fêter leur anniversaire de mariage.

L'alcool servit, j'ajoutai :

- À toi d'improviser le toast !

Malheureusement pour lui, je n’avais pas la moindre proposition de cinquantenaire à lui faire. Peut-être devais-je me lancer dans cette quête afin de rajouter un peu de piment à mon existence ? Oh et puis, à quoi bon, puisque cet amant hypothétique se retrouverait lui aussi avec le cœur brisé s’il s’attachait ? Ce serait contreproductif et de la destruction gratuite. Cela ne m’empêchait tout de même pas d’être extrêmement curieux vis-à-vis de cet ancien professeur de musique. J’aurais tout à fait été capable de le rechercher sur Google si je disposais de davantage d’information à son sujet ! Ouais, j’étais une fouine. Est-ce un scoop pour quiconque ? Au moins, lui et moi avions un point commun en-dehors de notre couleur de cheveux : l’avis que Peter serait tellement plus épanoui loin de Redwood. Seulement là pourrait-il exercer tout son potentiel. Malheureusement, il y était enchaîné par un sens du devoir et des responsabilités pour lequel je ne pouvais pas le blâmer vu ce dont il était question. Comment pourrais-je lui exiger de laisser ses parents derrière lui lorsqu’il était tant persuadé que ces derniers en profiteraient pour se donner la mort ? C’était tellement dramatique et morbide que des heures (si ce ne sont des jours) de consultation seraient insuffisantes. J’aimais les Black, profondément, mais l’ombre qui les surplombait était vraiment terrifiante. Impossible d’y croire au premier abord pourtant. Bref, je me tus sur ce point et continuai de prêter oreille à ses paroles suivantes.

- Pourtant je suis beaucoup plus lambda que disons… Castiel. Je me demande vraiment ce qui a pu t’attirer vers moi dans ce cas.

Non je ne me dénigrais pas mais, honnêtement, en quoi ma personnalité était-elle « marquée » ? Pour la résumer seuls une poignée de mots était nécessaire : « un mec un poil excentrique qui aime cuisiner et adore son chien ». Voilà. On avait fait le tour. Comparez cela avec les termes décrivant DeWitt ou même Eliot et… J’étais bien fade.

- Donc je maintiens que ce sont les cheveux, ajoutai-je finalement avec un gloussement.

Je ne m’apitoyais pas sur mon sort. J’avais arrêté cela depuis une éternité. J’étais juste conscient de qui j’étais et de ce que je n’étais pas, soit une personne qualifiable d’« extra-ordinaire » dans ce second cas. Cela ne m’ennuyait pas. J’aimais ma vie de « Monsieur Tout-Le-Monde » et me sentais à ma place, sans la moindre trace de frustration. J’avais parcouru un long chemin depuis les premiers mois à remettre le nez dehors après cinq ans d’isolement. L’argent, la gloire, la reconnaissance mondiale… Tout ça ne m’intéressait pas. J’étais heureux derrière mes fourneaux. Soit l’opposé de la direction dans laquelle se dirigeait mon interlocuteur à qui l’on promettait fortune et célébrité ! Ou tout du moins bossait-on pour cela. Évidemment que des producteurs, une maison de disque, investissaient dans des individus s’ils percevaient un potentiel monétaire. Qui paierait pour des concerts, des interviews promotionnelles et tout le tintouin pour avoir ses comptes dans le rouge à la fin du mois ? L’artiste devait être rentable. Ce qui n’était pas toujours synonyme de respect des choix et désirs de ceux qu’ils représentaient…

- Je ne me fais pas de souci. Le plus dur pour toi ne sera pas de dominer les charts mais d’imposer ta direction artistique à ces vautours. Mais tu vas tellement leur en mettre plein la vue qu’ils te mangeront dans la main et céderont à tous tes caprices. Note ce que je dis. Tu verras que tu pourras bientôt me gâter de mille et une façons !

Je lui fis un clin d’œil amusé pour nous passâmes à la consultation du menu. Tant de plats succulents… Choisir allait être une torture ! Je mentionnai alors ses parents, qui méritaient tant de découvrir cet endroit et compris bien vite que le tatoueur se méprenait sur mes intentions. Je ris, puis décidai de le reprendre en douceur.

- Oh non, ce n’est pas ce que… Ne méprends pas, je les adore et je suis toujours ravi de partager un repas avec eux mais je pensais plus que ce serait sympa de leur partager l’adresse s’ils recherchent un restaurant qui sort un peu de l’ordinaire. Que ce soit pour leur anniversaire de mariage ou tout autre prétexte ! On fait rapidement le tour à Redwood.

Surtout après y avoir vécu autant de décennies qu’eux ! J’étais certain que l’endroit les charmerait. Mine de rien, Martha marquait un point en me qualifiant de gendre idéal puisque, alors que j’étais en tête-à-tête avec leur fils, je songeais à leur bonheur. Des fleurs pour moi, allez ! Celui-ci porta ensuite un toast très… bref et un tantinet rabaissant envers lui-même avant d’enchaîner sur le Point. Je bus une gorgée de ma boisson pétillante puis reposai le verre délicatement. Enfoncé dans ma chaise, je répondis avec enthousiasme.

- Toujours. Je voulais justement t’en parler ce soir mais j’ai eu une sorte de promotion officieuse où je suis régulièrement consulté pour la création de nouveaux desserts. Vraiment, c’est dingue de voir tes idées réalisées, retravaillées s’y besoin puis ajoutées à la carte si ça le fait. Ultra gratifiant, dis-je avec un large sourire aux lèvres. Je dis « officieux » car ma fonction sur le papier n’a pas changé même si ma paie a augmenté grâce à ça et à mes différentes formations.

Vraiment, cet emploi était exténuant mais je l’aimais plus que tout.

- Je ne vais pas t’ennuyer avec les détails mais j’aimerais beaucoup que tu passes à la maison un de ces quatre pour que je t’en fasse goûter si ça te chante, lui proposai-je. Et toi, comment t’arrives à jongler entre la scène et le salon ? Tu n’es pas trop épuisé ?

Le sujet Castiel/Eliot n’était pas des plus simples à aborder avec mon interlocuteur qui avait longtemps rêvé de se trouver un jour dans leurs bras. Du fantasme à l’état pur, certes, mais qui n’était pas simple à repousser. Au moins, il avait conscience que cela ne se ferait pas. D’ailleurs, bien que je n’osais pas aborder le sujet, j’avais l’impression que sa relation avec l’agent immobilier n’était toujours pas au beau fixe. Cela faisait combien de temps maintenant que ça durait ? Il n’empêche que nous avions tous un point commun les uns avec les autres : notre couleur de cheveux. Honnêtement, c’était marrant à relever et le pianiste ne pouvait nier éternellement ce qui était devant ses yeux ! Toutefois, sur un registre plus sérieux (et inquiétant ?), je fronçai les sourcils en l’entendant se confier sur un « passage à vide » qu’il expérimentait récemment. Je détestais savoir mes proches mal en point et qu’il s’agisse précisément de Peter n’aidait en rien. Ma main vint se poser sur la sienne en signe de réconfort. Je me foutais que des clients potentiels puissent remarquer ce geste. Ils n’avaient qu’à regarder ailleurs.

- Et je suis sûr que tu y arriveras. En attendant, je suis là si tu as besoin d’en parler ou même si tu souhaites t’évader de la ferme en squattant quelques temps. On pourrait même se programmer un voyage si ça peut te vider la tête, lui proposai-je chaleureusement.

Rien de très long puisque nous avions chacun nos obligations mais pourquoi pas une poignée de jours loin de Redwood ? Est-ce que cela l’aiderait à faire le point dans son esprit ? J’étais prêt à me plier en quatre pour le soutenir. Comme toujours. Sauf s’il allait se plaindre en cuisine de l’absence de sa pizza chouchoute. Je levai les yeux au plafond, feignant d’être profondément exaspéré. J’aimais jouer les personnes indignées pour si peu.

- Si c’est si dramatique, je pourrais t’en préparer une maison !

Peut-être que celui lui remontrait le moral au passage ? J’avais le nécessaire chez moi (à l’exception de l’ananas) pour faire en sorte que son rêve devienne réalité. Mais, d’ici-là, il n’aurait d’autre choix que de se rabattre sur autre chose ! La mention des gâteaux ne fut pas pour lui déplaire non plus. En outre, cela m’amusait toujours qu’il pense Moana capable de provoquer des miracles. Si Pete remuait en sa présence, c’était rarement plus d’une poignée de minutes avant de renoncer pour le restant du séjour ! Ces deux-là formaient un duo aussi rocambolesque que leurs maîtres et nous donnaient toujours de sacrées vidéos et photos.

- Oui, l’année a été mouvementée pour nous deux. Perso, je ne regrette rien. J’ai vécu ma vie à fond et aie tellement appris ! Je ne sais pas jusqu’où j’irai comme ça.

Car oui, c’était bien beau de se lancer des défis mais comment savoir quand était arrivé le moment de stopper ? De tout simplement faire une pause, souffler et se reposer ? J’avais l’impression de ne pas arrêter depuis le voyage à Paris inclus. La virée à Las Vegas en compagnie d’Eliot m’avait fait un bien fou mais cela remontait déjà à des lustres ! Tristement, je n’étais pas le seul autour de cette table à avoir l’impression de me noyer parfois. L’artiste n’avait pas une minute à lui à l’entendre et je ne doutais pas qu’il disait la vérité.

- Tu vas devenir dingue à ce rythme… Tu aurais besoin d’un break. Compliqué, je sais bien, mais il ne faut pas que tu sois malheureux. Je peux tenter de raisonner tes parents si tu veux ? Pour qu’ils te laissent tranquille le soir. Tu sais comment ils sont : ils m’adorent.

En particulier Martha qui l’avait encore prouvé ce soir en voyant en moi le gendre idéal ! J’aurais probablement gain de cause en me débrouillant bien. Puis, mon attention se déporta sur un tout autre point de sa réponse.

- Satya hein… Il est plutôt pas mal de ce que j’ai vu et… brun, rappelai-je avec malice en sous-entendant clairement qu’il ne pouvait qu’avoir anguille sous roche entre cet homme et le fils Black. Ne prétends pas que tu n’as pas réfléchi à regarder par sa fenêtre !

Après tout, telle mère, tel gosse non ?