« J’envoie une convocation officielle ? » lui demande la secrétaire administrative tandis qu’Andrea grimace, puis secoue la tête à la négative. Ses yeux parcourent une nouvelle fois les tableaux qui leur sont présentés, implacables : un manque qui reste à combler sans le moindre doute possible. « Un courrier ? » Le regard mélancolique d’Andrea se relève vers celui, interrogatif, de son interlocutrice. Désir de bien faire son travail, une tâche administrative comme une autre. Que celle-ci représente un réel chamboulement dans la vie de la personne concernée n’est qu’un détail que les tableaux et lignes de comptes ne prennent guère en considération. « Puis-je vous demander une copie de ce document ? Je me charge d'en discuter avec le docteur Grayson. » Avec plus de tact que ne le ferait une lettre, espère-t-il. Pas que cela soit réellement son rôle, mais il n’ignore pas que Camilla n’a plus de tuteur depuis le départ du docteur Howell. Un facteur expliquant la situation actuelle ? Dans une certaine mesure, peut-être : il n’est pas tout à fait normal que de si jeunes collègues ne soient plus supervisés par qui que ce soit avant la fin officielle de leurs études. Une situation sur laquelle il ne s’était cependant pas penché plus tôt, trop occupé à bien d’autres choses. Observant désormais la secrétaire effectuer les copies demandées et se préparant à les montrer à sa jeune collègue, la pensée d’une rectification de dernière minute peine à quitter son esprit.

Inutile de faire traîner les choses. Une fois les documents déposés dans son bureau, Andrea a vaqué à ses occupations ordinaires dans le service de psychiatrie et approché Camilla dès qu’il l’a vue. Avec discrétion, bien sûr. Un ton détaché pour lui demander de passer le voir à l’occasion, tout en sachant que la jeune médecin ne laisserait probablement pas cette occasion traîner à trop longtemps non plus. Au final la situation ne comporte rien de très grave en soi, simple contre-temps, léger retard à rattraper. Parce qu’il a eu ses filles très jeune, alors qu’il était encore en études également, Andrea croit comprendre ce que Camilla peut traverser. Et tout à coup, il s’en veut de n’avoir pas cherché plus tôt à prendre de ses nouvelles pour l’épauler. « Non, non. Entrez, je vous en prie. » La journée désormais écoulée, le psychiatre occupé à signer ses dossiers de la journée relève un regard bienveillant sur la jeune femme qui vient de passer le bout de son nez dans son bureau. D’un geste, il lui désigne la chaise en face de la sienne tout en lui adressant un sourire qui se veut encourageant.

« Je suis désolé de vous retenir après votre service, ce ne sera pas long » poursuit-il d’un ton égal, ses doigts soulevant déjà quelques pochettes cartonnées pour retrouver les documents qui intéressent Camilla. Un instant de réflexion, malgré lui Andrea revêt son masque de psychiatre. Pas qu’il veuille jouer une mauvaise parodie de consultation, mais il n’a pas l’intention de lui jeter la nouvelle à la figure sans la moindre délicatesse ; Ce n’est tout simplement pas son genre. « Comment allez-vous ? » demande-t-il donc en relevant les yeux vers elle, son regard expérimenté s’attardant immédiatement sur les cernes creusés de la jeune femme. « Et le petit Ralph, comment va-t-il ? » Bonne mémoire pour les prénoms, en particulier lorsqu’il se souvient avoir envoyé une carte de félicitations polie à sa collègue. Trois fois rien, Andrea n’est pas un homme très exubérant. Attentif, en revanche. « J’étais en troisième année lorsque ma première fille, Charlotte, est née. Cinquième pour Victoria… Si vous avez besoin de ventiler un peu, je pense pouvoir comprendre. » L’éclat d’un sourire plus sincère, moins figé dans son rôle de médecin. Plus tendre, au souvenir de ses deux filles qui lui manquent tant et dont il ne parle absolument jamais. Pudique, sa vie privée le reste définitivement au travail. Et comme le suicide encore récent de son épouse n’est un secret pour personne à l’hôpital, il est rare qu’on lui pose la moindre question à ce sujet. Face à Camilla, les mots lui viennent cependant avec spontanéité : empathie d’un parent envers un autre parent, d’un collègue envers un autre collègue. Plus jeune, et peut-être plus en difficulté qu’il ne le pensait. Pourquoi a-t-il tant attendu pour prendre de ses nouvelles, se demande-t-il encore.