Cette période de l'année, Noël, les premiers flocons, les illuminations, la bonne ambiance générale, Cléo adorait cela depuis qu'elle était gamine. Elle était surexcitée, il n'y avait sans doute pas d'autre mot pour décrire mieux la jeune femme ces derniers jours. Et ce n'étaient sans doute pas ses colocataires qui diraient le contraire, puisque cela faisait au moins deux semaines qu'elle les soûlait littéralement avec ses histoires de sapin, de guirlandes, de cadeaux et de patinoire. Certes, ils ne lui avait pas clairement dit qu'elle était insupportable, mais elle avait bien compris le message à leurs regards en coin exaspérés. Regards qui n'avaient cependant pas réussi à la faire taire. Alors autant dire qu'aujourd'hui, où elle allait enfin enfiler ses patins pour la première fois de l'hiver, Cléo était tout simplement intenable. Elle fut rapidement arrivée sur les lieux, ne retenant pas le sourire face à ce qu'elle vit, le lac gelé, les arbres décorés, les premiers patineurs. Repérer Brooklyn fut rapide, elle qui était devenue sa partenaire de glisse chaque année depuis que la brune était arrivée en ville, et Cléo s'empressa de lui dire bonjour, lui adressant un large sourire.

« -Tu sais bien que oui ! J'ai vraiment hâte ! »

Répondit-elle, semblable à une enfant dont les yeux brillaient d'excitation. Elle suivit son amie sans broncher, et enfila ses patins avant de se relever prudemment, posant une nouvelle fois son regard sur l'étang gelé. Cléo s'autorisa un petit rire à la question de Brooklyn, avant de prendre un air faussement pensif.

« -Cette année, je me limite à deux chutes, c'est décidé ! »

Dit-elle avec un grand sourire en hochant la tête, ne se souvenant que trop bien de toutes ces gamelles qu'elle s'était prise la première fois qu'elle avait tenté de patiner. Impatiente, elle attendit que la belle blonde chausse également ses patins, puis sans perdre un instant de plus, elle lui prit la main et l'entraîna vers la glace, en lui disant qu'elles y surveilleraient l'arrivée de Jeel. Plus que quelques pas dans l'herbe, et prudemment, Cléo posa un premier pied sur la glace, puis le second, et enfin, s'élança. Voilà, elle y était enfin, bien décidée à en profiter, et personne n'aurait pu en douter à voir le sourire qui étirait ses lèvres.

Par chance, Anton n’était pas un homme frileux. Un autre cliché des anglais ? Sans doute… Il s’agissait surtout de sensibilité. Il avait froid, mais il n’y prêtait pas attention. Il ne s’en inquiétait pas. Il avait confiance en son système immunitaire et ne craignait pas les petites maladies qui font cruellement couler le nez… Ce psychique, son père l’avait forgé sans pour autant négliger l’état de santé de son fils. Sur ce point de vue, l’éducation était parfaite. Et Anton était un poil trop narcissique pour se laisser tomber dans la maladie de manière chronique… Il était donc là, couvert d’un simple long manteau, relativement fin, au dessus de son costume d’hiver. Aux mains, une paire de gants en cuir.

Anton offre un sourire modéré mais sympathique à son interlocutrice, tout en lui donnant un coup de main pour accrocher sa capuche. « On se laisse tous avoir… » dit-il en plaisantant, montrant son fin manteau comme pour prouver qu’il était dans la même galère… presque. « En tout cas, l’esthétique y est. » il montre le manteau de la jeune femme du bout du nez, non sans une légère prétention au fond de lui. Il n’en laisse rien paraître, mais il se fait aussi le compliment à lui-même…

« Je suis arrivé de Londres il y a peu. » dit-il en détournant un instant le regard vers la patinoire, songeur. Il devait rentrer pour les fêtes… Puis, sortant de sa rêverie, il enlève son gant et tend la main vers la demoiselle, accompagnant ses paroles d’un sourire : « Anton Holmes. »

Musique ! :

Le jeune homme dont il s'était moqué (Nahomé) se mit à rire ouvertement de lui pour la même raison, une chute malencontreuse. C'était le juste retour des choses et Arthur le prit sur le ton de l'humour alors que les notes de Nirvana résonnaient dans divers enceintes placées aléatoirement. Il se releva péniblement, se massant la fesse qui avait subi brusquement l'impact du sol, vérifiant que le cadeau était toujours dans sa poche. Oui, il sentait une forme assez grosse et longiligne qui n'avait pas bougé d'un seul centimètre. Il avait bien fait de choisir un cadeau qui n'était pas fragile sinon ce serait en pièces détachées qu'il offrirait à la personne tirée au sort. Peut-être que la personne qui recevrait son cadeau était présente déjà, patinant sur la glace ou buvant un chocolat ou un vin chaud, ou peut-être pas, il n'en avait pas la moindre idée, connaissant seulement cette personne comme un nom sur un morceau de papier. Haussant les épaules, il jeta un coup d’œil aux habitants de Redwood présents à la patinoire. Au loin, il reconnut Brooklyn qu'il avait connu au lycée et n'avait pas eu l'occasion de revoir depuis son voyage en France. Sur le moment, il eut envie de la saluer et commença à patiner dans sa direction mais il s'arrêta brusquement en discernant qui se trouvait à ses côtés. L'emmerdeuse, certainement plus connue sous le nom de Cléo. Ce n'était pas qu'il ne l'appréciait pas, mais il n'avait guère envie de la voir lui lancer des piques alors qu'ils étaient tous deux sur la glace. Il tourna alors vite fait les talons, ou plutôt les patins dans la direction inverse, sans savoir si elle l'avait remarqué ou non, et heurta sans le vouloir une jeune demoiselle (Annora) qu'il réussit à rattraper par le bras avant qu'elle ne tombe. « Je suis désolé. Ça va ? », demanda-t-il alors qu'il tenait toujours son bras. Au même moment, une nouvelle chanson se fit entendre, succédant à Nirvana mais restant dans le même registre, Foo Fighters, The Pretender. L'inconnue n'avait pas l'air très stable sur ses patins et Arthur fut pris d'un élan de sympathie. « Tu veux que je t'apprenne à patiner pour me faire pardonner ?! Je patine depuis l'âge que je sais marcher. Pas très bien mais je me débrouille quoi. Tiens, prends mon bras. », dit-il en souriant lui présentant son bras comme si il l'invitait à une danse. « Je m'appelle Arthur, en fait. », ajouta-t-il pour ne pas rester lui-même inconnu trop longtemps.

Voilà, enfin, elle y était. Ses premiers pas furent hésitants, cependant moins que les années précédentes, et Cléo eu tôt fait de retrouver ses aises sur la glace. C'était d'ailleurs à Brooklyn qu'elle devait d'être aussi à l'aise désormais, elle qui n'avait jamais patiné avant son arrivée à Redwood-Hills. Remettant son bonnet en place, la brunette après avoir décrit une large boucle, revint auprès de son amie, haussant les sourcils face à sa question :

« -Un type louche ? Nan, tu ne m'as rien dit ! C'est qui ce type louche ? »

Demanda-t-elle, tandis qu'elle patinait quelques instants à ses côtés. Quand elle était arrivée en ville, il y avait de cela six ans, Cléo avait été d'avis que tous les habitants de Redwood-Hills étaient plus ou moins louches et bizarres, elle qui venait d'une grande ville, où les gens se côtoyaient au quotidien sans jamais s'intéresser à l'autre. Ici, c'était un autre monde, une autre atmosphère, et la demoiselle avait l'impression que tous les habitants se connaissaient plus ou moins, même si cela n'avait pas toujours que des bons côtés, puisque même ici, les ragots allaient bon train. Malgré tout, elle devait admettre qu'elle avait hâte d'entendre cette histoire de type louche qui avait visiblement fait grande impression sur la jolie blonde à ses côtés. Patinant toujours aux côtés de celle-ci, Cléo porta un regard autour d'elle, observant les autres habitants venus tester leur habilité sur la glace. La jeune femme eut un sourire en voyant  Avalon et la petite Lexie, ses voisines, qui semblaient se diriger vers...Aaron ? Décidément, la journée de la brunette ne faisait que s'améliorer. Attendant toujours l'explication de Brooklyn, la demoiselle continuait son exploration visuelle, avant de s'arrêter subitement sur le visage d'Arthur, ce gamin sans nom, qui semblait occupé avec une jeune demoiselle. Attrapant le bras de la blonde à ses côtés, Cléo bifurqua totalement de direction, les dirigeant vers Avalon qui semblait courir après sa fille. Passant devant la mère, la jeune secrétaire rattrapa Lexie, qu'elle captura doucement entre ses bras, avant de lui faire un bisou sur la joue, tandis que toutes deux arrivaient en bordure du lac gelé, à quelques pas d'Aaron. Reposant la gamine au sol, Cléo lui ébouriffa les cheveux, avant d'adresser un petit signe de main à la maman.

« -Bon alors, elle a raison la petite. T'attends quoi pour mettre tes patins ? »

Demanda-t-elle dans un sourire à Aaron, qui semblait toujours attendre bien sagement au bord de la patinoire elle ne savait quoi.

Il haussait les épaules en lui souriant, signe qu'il se foutait pas mal qu'elle l'emmène dans sa chute ou non. Il n'avait pas peur de tomber et avait déjà bien basculé en arrière sans l'aide de personne quelques temps auparavant alors autant s'amuser et tomber à deux, plutôt que patiner seul et tomber tout de même. La jeune femme n'avait pas hésité longtemps avant de prendre le bras qu'Arthur lui tendait amicalement. Il n'y avait rien de mieux qu'une patinoire pour briser la glace. Elle lui révéla à son tour son prénom et Arthur la détailla rapidement. Elle avait un joli visage, encore un peu poupon mais aucun doute qu'elle deviendrait ou plutôt était déjà une très belle femme. Sa remarque le fit rire, son questionnement était légitime car il n'avait rien d'un professeur de patinage ni d'un danseur sur glace mais il n'y avait aucune honte à se ridiculiser devant les gens présents si c'était pour s'amuser. Et Arthur avait bien l'intention de s'amuser, c'était l'une des raisons de sa présence ici. « Et pourquoi pas ?! », répondit-il en l'entraînant lentement sur la glace, patinant à l'envers en imitant le fameux pas de Michael Jackson, manquant de tomber à la fin, avant de rire. C'était certain, il n'avait rien d'un danseur. « T'es prête, on y va. Laisse-toi glisser. ». Sans attendre, il se mit à patiner lentement d'abord, puis enchaînant les pas de plus en plus vite, en traînant Annora par le bras. Il n'avait pas la moindre idée si celle-ci s'amusait ou non, mais ils n'étaient toujours pas tombés, c'était un bon signe pour qu'elle apprécie un minimum ce moment. C'était bien le cas d'Arthur qui s'amusait comme un enfant à patiner sur la glace, tournant autour de la piste, slalomant entre les habitants de Redwood Hills. « Tu veux aller saluer Mickey ?! », dit-il soudainement en voyant la mascotte géante à quelques mètres d'eux, patinant alors dans la direction de la célèbre souris. En voulant éviter un enfant qui venait d’apparaître dans sa trajectoire, Arthur bifurqua brusquement sur la gauche et perdit l'équilibre entraînant alors Annora dans sa chute.