Le stand auquel j’étais postée était calme. Très calme. Trop calme ? Non, sans doute pas. Au final, il s’agissait plutôt d’une bonne nouvelle si peu de gens ressentaient le besoin de venir discuter de leurs difficultés familiales avec nous. Si moi je profitais tranquillement du soleil et de l’ambiance, observant les gens avec un sourire, certaines tenues relevant presque de l’art, je sentais bien que Shéra à côté de moi s’impatientait. Elle commençait à gesticuler dans sa poussette, manifestant une certaine forme d'ennui. « Et si on allait faire un petit tour, ma toute belle ? » lui murmurai-je tout en me penchant vers sa poussette pour la prendre dans mes bras. Je lui rendis sa tétine qui était tombée contre sa cuisse et caressai tendrement sa joue. « Ça t’ennuie si j'emmène Shéra se promener ? Elle a besoin d’un peu de mouvement » demandai-je à la personne qui m’assistait sur ce stand. Après quelques échanges amicaux, ma poussette et moi quittèrent le secteur « éducation » du festival pour s’aventurer vers d’autres parties sans doute plus rigolotes.

Nous passâmes devant la grande scène sur laquelle se produisaient quelques jeunes, artistes confirmés ou simples débutants plein de courage. De nouveau, je les observai avec bienveillance. A un moment donné, un type avec une robe osa se jeter dans l’arène et je l’applaudis avec enthousiasme, espérant l’encourager. C’était chouette, vraiment, cette capacité à se jouer des codes de la masculinité pour oser simplement être… Soi. Je me retrouvais pas mal là-dedans, et me sentis immédiatement une sympathie particulière pour ce Peter que je ne connaissais pas. Nouveau petit tour de poussette, bien que toujours éveillée et curieuse, Shéra semblait s’être détendue. C’est qu’il y avait quand même bien plus de choses amusantes à observer, dans ce coin de l’évènement ! Nous passâmes devant la buvette et mon regard se posa de nouveau sur l’homme en robe qui buvait une bière avec un autre type que je ne connaissais pas. Si je me méfiais habituellement des hommes, pour le coup mon radar anti mec toxique demeurait silencieux. Je m’avançai donc sans hésitation. « Salut ! » lançai-je avec un mouvement amical de la main et mon plus beau sourire. « Désolée d’interrompre votre conversation. Je voulais juste te dire que j’adore ta robe ! » déclarai-je avec enthousiasme à l’adresse de Peter. « Et l’arc-en-ciel est très cool aussi » ajoutai-je en observant l’homme qui l’accompagnait avec toujours autant d’enthousiasme.

Mon sourire s’élargit tandis que Peter m’expliquait l’histoire de sa robe, pour terminer en un véritable rire lorsqu’il me demanda comment les femmes pouvaient supporter les talons à longueur de temps. J’étais clairement d’accord avec lui pour les qualifier « d’horreurs ». « J’essaie personnellement d’éviter autant que possible ! » Ce qui, compte tenu de mon métier, revenait à dire que je n’en mettais quasiment jamais en dehors des grandes occasions. Mes pieds me remerciaient. « Mais qu’est-ce qui t’a donné envie de tester ce style, du coup ? » demandai-je avec une réelle curiosité. S’agissait-il d’une question trop personnelle ? Je ne l’espérais pas et fut soulagée que le deuxième homme surenchérisse et me donne l’occasion de souligner également son joli maquillage. Sans doute que cela était plus confortable, effectivement. « Un stand de maquillage ? Oh, j’ai raté ça. » Peut-être que cela pourrait amuser Shéranour de se faire maquiller ? Même si elle était encore petite, ses goûts commençaient déjà à se dessiner et, en l’occurrence, elle aimait tout ce qui était très coloré.

"Sinon, on vous offre quoi à boire les filles ? Un jus de fruit pour la petite princesse et... Que veux boire sa jolie maman ?" J’esquissai un sourire mais hésitai un instant à répondre, n’osant pas accepter l’invitation. Disons que même si ces deux hommes avaient l’air gentils et que la conversation s’était vite mise en place, je n’avais pas trop envie de les déranger. « Oh, je… » ne veux pas interrompe votre conversation, commençai-je sans pouvoir terminer ma phrase. Le deuxième homme avait de nouveau surenchérit, s’adressant même directement à Shéra avec un air doux qui me rassura. « Bon… Okay » acceptai-je finalement. Pas que ce soit dans mes habitudes d’être timide, mais j’étais surprise de la facilité avec laquelle ces deux-là m’avaient invitée à me joindre à eux. Ils devaient vraiment être gentils, me dis-je. « Je pense que deux jus de pomme seraient parfaits » continuai-je dans un sourire à l’adresse de Peter. Je les aurais bien accompagnés à la bière, mais il faudrait sans doute que je retourne sur le stand dans peu de temps et je n’avais pas envie que mon co-équipier pense que j’étais partie me la couler douce en l’abandonnant sur place… Même si c’était un peu ce qui finissait par se passer. « Billie et Shéra » répondis-je à Bailey en me désignant d’un geste puis en reportant mon regard sur Shéranour qui, dans sa poussette, observait le blond avec de grands yeux curieux. « Je pense qu’elle est assez fan de ton arc-en-ciel aussi » soufflai-je dans un nouveau sourire.

La star. C’était elle qu’il venait de rejoindre, oui, la star, qu’il arrachait à ses ami.es ? Il eut à peine le temps de les remarquer. Josephine ne lui laissa pas le temps de prêter attention à quelqu’un d’autre qu’à la star, donc. Je croirais entendre Sarah. Blague qu’il ne fit pas. Pas sûr que ça en soit une, de blague, pas pour B. Owen ne savait pas trop où elles en étaient, elles deux, ce que pensait Birdie de tout ça, de la voir aujourd’hui. À lui, ça lui faisait bizarre, l’imaginer se pavaner avec sa sœur, se dire qu’ils allaient se retrouver tous là, presque en famille. Pas sûr que ça lui plaisait, mais peu importait, parce que c’était une journée pour B, une journée qu’il partageait avec elle avant n’importe qui d’autre et ça, ça éclipsait tout le reste, tous les doutes et tous les risques.
« À ton service. » Le pianiste chercha des yeux le fameux Bailey dont elle parlait, le premier à passer, un employé du cinéma s’il se rappelait bien, ce qui le rendit doublement curieux. Il sentit une certaine nervosité dans sa voix, un sous-entendu que ce Bailey n’était pas n’importe qui, pas juste parce qu’elle le connaissait et son affirmation suivante ne laissa plus la place au doute. « Fais confiance à ces doigts-là. » Il exhiba ses mains, jouant quelques notes dans les airs du bout des doigts avant qu'elles retournent dans le fond de ses poches. Pas du genre à se la raconter, Owen, il espérait la détendre un peu. « Tu vas tous les faire fondre de toute façon. » Tous et toutes, une évidence, O’ n’aurait pu voir les choses autrement. Toute son attention sur elle, il vit la malice -le vice !- illuminer son regard. La proposition avait pourtant tout de l’innocence. « Je vais finir avec un drapeau sur chaque joue, c’est ça ? » À la manière d’un supporter de foot. Mais il savait que Birdie pouvait avoir pire en tête. « On mange avant, alors, je voudrais pas foutre en l’air mon superbe maquillage. » Qu’il n’avait pas encore mais qu’il finirait par avoir, même pas la peine de penser y échapper. Ça ne l’empêcherait pas de râler par pur plaisir, O’. Ils abandonnaient alors la concurrence en direction du buffet quand il réagit à son argument supplémentaire -déjà inutile. « Hm hm. Et ce serait con qu’elle manque ça. » Sa tronche, well, leurs tronches, avec ce qu’il y aurait de peinturluré dessus, il ne parlait pas du show. Aucun doute qu’il voyait où elle voulait en venir avec cette proposition. « Ça te gêne pas trop d’ailleurs, qu’elle soit avec Sarah ? Je comprendrai. » Ou il aurait compris, plutôt, quand il l’avait laissé décider. Toujours la crainte qu’elle se fasse violence pour lui, ou pour Hailee. O' voulait que ce moment soit parfait pour elle, précisément parce qu’il savait qu’il ne pouvait pas l’être, pas vraiment. Pas quand aucune pride, aucune fête d’ici ou d’ailleurs ne pouvait l’être sans celui qui manquait toujours à l’appel. « Du gras ou du sucre, pour la star ? » Seul choix digne de tout rassemblement de ce genre.

@Josephine Burrows

Enfin – un choix de mot qui avait tout à la fois de quoi surprendre et inquiéter, un peu. Difficile de ne pas me montrer déstabilisé au moment de serrer la main tendue, curieux aussi. « Oh. Oui, bien sûr, nous ne sommes pas dans des circonstances formelles. » Un interrogatoire par exemple. « William, c’est très bien. » Il y avait quelque chose d’absolument fascinant à cette façon dont l’homme d’affaires avait pris cette conversation complètement imprévue en mains, comme s’il s’y était préparé d’avance. Sans doute aurait-il fait un bon flic lui-même. L’adage voulait d’ailleurs que les bons policiers auraient fait de bons criminels et l’inverse était peut-être aussi vrai ? Une explication tombait néanmoins lorsqu’il était question de la capitaine Forbes et j’acquiesçais d’un signe de tête plus confiant. Forbes faisait décidément les choses différemment de ses prédécesseurs en se liant personnellement, semblait-il, stratégiquement à certaines personnes. « Je… Non, ce n’est pas pour le travail. » Hésitation au bout de la langue. Je me passais une main dans les cheveux, signe d’une subtile nervosité. Mon rapport à ce genre d'événement était un peu trouble, j’avais un sentiment d’imposteur. « L’organisateur est un très bon ami. » Oliver. Comme j’aurais aimé que ce dernier soit à mes côtés à cet instant, ce qui m’aurait assurément permis de me tirer de cette étrange conversation plus rapidement. Quelques excuses et deux ou trois phrases teintées de politesse, voilà qui aurait été ce à quoi on pouvait s’attendre de pareille rencontre. Pourtant, Castiel semblait bien décidé à engager une conversation dont je ne connaissais pas la direction. « Et vous ? » DeWitt n’avait jamais été dans ma mire, pas personnellement à tout le moins. « Castiel. » Je ne demandais pas la permission, voguant alors sur une très légère audace, qu’il ne retiendrait pas contre moi, j’en étais presque certain à ce stade. « J’ignorais que vous connaissiez bien notre nouvelle capitaine. Une amie à vous ? » Je ne pouvais supposer que ce n’était pas le cas, mais pourquoi ne pas jouer de questions tout à fait innocentes - elles l’étaient vraiment. Il fallait savoir tirer parti de ce qui se présentait à nous et je ne pouvais pas nier qu’il y avait tout un aura entourant cet homme, sans compter cette allusion à ma supérieure qui me laissait de nouveau croire qu’elle aimait prendre certains risques dans sa façon d’opérer.
« Êtes-vous d’avis que la ville aurait dû déployer des agents sur place ? » La question m’était venue sans y penser bien longtemps. Inutile de faire semblant que Castiel DeWitt n’était pas dans la mire des médias locaux, notamment, qui publiaient régulièrement des papiers tentant si bien que mal de l’incriminer pour différents maux. Tout aussi inutile était de faire semblant que cette ville n’était pas, parfois, le théâtre d’évènements fâcheux. Il n’en était pas moins que l’ambiance était à la fête que rien ne laissait présager le besoin d’une présence policière en plein air, dans ce parc aux couleurs festives.

« Oh, d’accord » répondis-je doucement lorsque Peter m’expliqua la raison de sa tenue. « Félicitations, alors » ajoutai-je dans un sourire. Après tout, ce ne devait pas être simple de monter sur scène et encore moins habillé de cette manière. Son courage m’impressionna et mon sourire se fit plus large, du moins jusqu’à ce qu’il ne mentionne son père qui visiblement n’approuvait pas. « Si jamais, n’hésite pas à m’envoyer ton papa. Je suis sur le stand de facilitation pour les relations familiales, là-bas ». Je tendis le bras pour indiquer la bonne direction, un air davantage amusé que sérieux au visage. Sans ferais-je mieux d’y retourner, d’ailleurs, mais finalement les deux jeunes hommes m’accueillent avec tellement de gentillesse que je finis par accepter de boire un verre avec eux. Quelques minutes, seulement, le temps que Shéranour se soit suffisamment amusée pour pouvoir se rendormir.

Mon attention se reporta sur Bailey tandis que Peter était parti. Je l’observai avec un sourire faire la court à Shéranour qui lui répondait avec son plus beau sourire de bébé en sucre. « On dirait que tu aimes bien les enfants, Bailey. » Ma voix est douce, tout comme mon sourire. « Tu projettes d’éventuellement en avoir un jour ? » Et pourquoi pas, après tout ? Les façons d’avoir des enfants étaient si variées, et puis peut-être que Bailey aimait aussi les femmes, je n’en savais rien. Peter revint sur ses entrefaites. Je le remerciai pour les boissons qu’il me tendait, les posai sur la première surface que je trouvai et me penchai pour sortir Shéranour de sa poussette tandis qu’il m’expliquait qu’il trouvait chouette que les mentalités aient évoluées et que beaucoup de parents soient présents aujourd’hui. « C’est sûr » acquiesçai-je tout en calant Shéra contre ma hanche, sentant déjà ses petites mains s’agripper à mes cheveux détachés. Mon sourire devint plus timide face aux paroles de Bailey et je tentai de relâcher l’emprise de mon bébé autour de la mèche blonde qu’elle avait attrapé, la faisant rire, tout en réfléchissant. « En fait j’ai beau être maman, je suis aussi lesbienne » précisai-je avec une pointe d’embarra car j’avais la sensation que les deux hommes me remerciaient d’un soutien qui en fait n’en était pas vraiment un. Enfin, si, bien sûr… Mais la façon dont ils semblaient considérer que je ne faisais pas partie de la communauté LGBT+ simplement parce que j’avais un bébé me sembla étrange. « C’est la première année que je viens en tant que lesbienne, ceci dit. C’est vrai. Je me suis obstinée un peu trop longtemps à fréquenter des hommes cis et hétéros » répondis-je avec un petit clin d’œil avant d’attraper le petit verre de jus de pomme destiné à Shéra qui semblait enfin avoir accepté d’arrêter de me tirer les cheveux pour boire.