Et Joe, est-ce qu'elle lui a déjà demandé ce qu'elle avait contre elle au juste ? Peut-être, sûrement, mais jamais vraiment sérieusement. Plutôt au détour d'une dispute, avec le ton qui monte et cette furieuse envie d'avoir le dernier mot. Mais c'est vrai, qu'est-ce que Ted a contre elle au juste ? Contre sa famille. Mais contre elle surtout. Parce que Noam a bien réussi à l'amadouer après tout... et ça la rend jalouse. Qu'est-ce que c'est sa recette magique ? Alors qu'elle, elle semble faire tout ce qu'il ne faut pas. La relation des deux sœurs continue de monopoliser la conversation, et face à Levi, elle finit par hausser les épaules.
- Je crois que j'devrais arrêter de chercher à la comprendre... Tout ce qu'elle y trouve, c'est des maux au cœur. Mais elle ne marche pas comme ça, Joe, et comme d'autres, elle s'acharne à vouloir ce qui n'est pas bon pour elle. Est-ce qu'elle fait autant de mal à son aînée ? Elle en doute. Ça serait pourtant si tentant de croire en une impression, de croire à l'éventualité que le blond soulève... C'est p'tête pas vrai. Peut-être, peut-être qu'elle fait semblant. Peut-être... mais la rêverie prend fin quand il met en avant une autre possibilité. Une autre qui lui plaît bien moins, et ça se voit sur sa mine renfrognée. Non, ça, c'est pas possible. Quel merdier d'abord ? La vie chez les O'Hara n'avait vraiment rien d'un merdier, pas aux yeux de la petite dernière. Non, Levi ne sait pas de quoi il parle. Elle décide de ne pas le lui reprocher, mais quand même, mieux vaut changer de sujet : elle se laisse entrainer ailleurs, sans oser aborder ce dont elle veut parler. Elle va repartir d'ici sans en avoir pipé un mot, c'est ça ? Pourtant, quand l'occasion se présente, elle ne la loupe pas. Elle croit... Il comprend ce qu'elle veut dire au moins ? Ou comment dire les choses sans vraiment les dire. Clairement. Les dire clairement. Et pourtant, le sens de ses mots semblent trouver leur chemin, elle croit le deviner, le lire sur son visage. Elle ne peut s'empêcher de détourner le regard, mais dès l'instant où un semblant de rire parvient à ses oreilles, ses deux yeux reviennent vriller les siens – elle le défie, oui, elle le défie de se moquer d'elle.
- Qu'est-ce que t'en sais ! Si ça se construit comme ça ou pas. Il suffit de le vouloir, non ? Et elle veut très très fort que cette famille soit une réalité. Elle va l'aimer si fort, cet enfant, et il le lui rendra avec autant de force. Comment Levi ne peut pas le savoir ça ? Il ne comprend pas, pas de la façon dont elle voudrait qu'il comprenne. Et elle, se fait violence pour ne pas se braquer complètement. Respire.
- J'y pense peut-être pas depuis longtemps, mais maintenant que si, c'est tellement évident en fait. C'est tout ce que je veux. Avoir une famille. Pas celle qu'on voit une fois l'an pour les fêtes. Une vraie famille, tous les jours. Et je veux pas attendre. Si ça se trouve, personne voudra faire sa vie avec moi alors... Et c'est pas une raison. J'en ai marre d'être... D'être comme ça. Malheureuse. Un enfant, une famille, c'est sa raison d'être, elle en est persuadée. Bref, tout ça pour dire.
- Je te demande rien. Enfin si, mais pas pour après. Si tu veux pas d'un gosse, c'est pas grave. Je saurais l'aimer pour deux. Pour dix même ! Et elle parle très sérieusement. Face à Levi, elle se montre même conquérante d'un pas en avant.
- Je vais avoir cet enfant, que ça soit avec toi ou un autre. Tout ce que je veux savoir, c'est si tu vas m'aider ou non.

C'est tout ? Non c'est pas tout, elle n'est pas d'accord. Pas si c'est pour remettre en cause son projet d'avoir un enfant, non, elle refuse. Et puis la suite n'arrange rien... enfin, la suite, elle ne la saisit pas tout de suite, elle ne comprend pas aussitôt où il veut en venir, mais lorsque c'est finalement le cas, son visage se ferme définitivement. Bancal ? C'est elle qu'il qualifie de bancal ? Elle ne s'y attendait pas, pas maintenant, et elle le prend d'autant plus mal pour sa conclusion : elle ferait une mauvaise mère. C'est ça qu'il veut dire ? Elle ne tient pas la route, elle est bancale, alors comment pourrait-elle espérer donner l'équilibre à son enfant ? Dans sa tête, ça turbine, ça chauffe dur, et dans sa bouche, ça avale ce goût amer,  ça sert les dents. Oh là, elle l'a vraiment mauvaise, et ce ne sont pas quelques bons mots qui vont y changer quelque chose.
- J'suis bancal ou quelqu'un de bien ? Faut savoir. Comme si les deux étaient contraires. Les poings serrés, plus tendue que le fil sur lequel il a accroché ses vêtements, elle le regarde durement. Elle avait bien conscience que c'était un sujet sensible pour elle, mais elle craignait davantage qu'il rit du début à la fin, plutôt qu'il lui fasse la leçon, qu'il la juge de la tête aux pieds. Face à lui, c'est comme ça qu'elle se sent. Jugée incompétente, incapable, inapte, et tous les autres synonymes qui peuvent faire l'affaire – mais seulement s'ils commencent par un i. Face à lui, elle se sent soudain comme face à Ted. Mais il a raison (pour ça au moins), ils s'en foutent de sa sœur, elle n'est pas là, elle n'a rien à faire là, c'est entre lui et elle cette histoire. Toute seule ? Il a beau faire un pas vers elle, semble-t-il, l'heure n'est plus aux confidences, ses deux lèvres restent fermement serrées l'une contre l'autre. Elle s'est laissée emporter sur le coup de l'émotion, mais elle n'ira pas plus loin. Hors de question d'avouer sa vulnérabilité, lorsqu'elle se sent d'ores et déjà vulnérable face à lui. Vulnérable, et donc sur la défensive. Un autre jour, une autre vie, elle aurait pu aussi faire un pas pour le rejoindre, ils auraient partagé leurs peines pour peut-être mieux se comprendre. Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, elle garde le silence – un temps seulement.
- Pour cent. Elle insiste, l'idiote. Parce qu'elle n'a pas envie de lui donner raison, mais aussi parce qu'elle en est convaincue, gonflée par ce trop-plein d'amour qu'elle a à donner. Pourquoi ça ne suffirait pas ? Pourquoi faudrait qu'ils soient forcément deux à l'aimer sans conditions ?
- Moi, je serais là. Moi, je suffirais. Et elle n'est pas prête à entendre le contraire. Elle veut suffire pour quelqu'un. Elle veut croire en ce meilleur lendemain. C'est cette idée qui l'a sorti du brouillard, ce projet qui promet d'éloigner les nuages. Cette idée, cet espoir. Et il voudrait le lui enlever ? Qu'elle y renonce. Et bah non, elle refuse. S'il recule, elle campe sur ses positions.
- Et s'il le faut, ce sera lui et moi contre le monde. Lui et elle contre ce connard, ce père qui craint. Non, elle ne sait pas ce que ça fait d'en avoir un, tout ce dont elle a conscience, c'est ce qu'elle serait prête à faire pour le protéger – protéger son bonheur et le sien avec. Il ne la croit pas ? Ce n'est pas ça qu'elle lui demande. Face à lui, elle se tient droite et lève la tête.
- J'prends ça pour un non alors ? Tout y fait penser, mais elle ne peut pas s'empêcher de demander. D'être sûr. Malgré la tension, les mots échangés, les sentiments heurtés. Elle sait que ça ne va pas être facile, d'avoir cet enfant, alors elle doit être sûre.