Danny & Louise

Soufflant sur sa frange pour dégager un peu plus son champ de vision, Louise reposa son téléphone portable sur le comptoir de la boutique, les lèvres plissées. C’était bien sa veine, vraiment, qu’une fuite se déclare le seul jour où elle se retrouvait seule à gérer le magasin. Monty était à Burlington, et pour rien au monde Louise ne le dérangerait, et pour cause. Il rendait visite à sa femme hospitalisée pour de lourds problèmes de santé.

Toujours était-il qu’elle était seule avec une fuite d’eau sur les bras, et qu’elle devait agir d’elle-même puisque personne dans son entourage ne daignait répondre au téléphone. Heureusement, c’était un jour calme. Retournant à l’arrière boutique, Louise marqua une courte pause en fermant les yeux très fort. Peut-être que si elle espérait de tout son être, tout ça ne serait qu’un mauvais rêve…?

Le constat accablant quand elle ouvrit enfin les yeux lui arracha un soupir. Très bien, elle allait donc devoir réellement affronter le problème avec ses petits bras. Et par affronter le problème, comprenez faire en sorte de perdre le moins d’eau possible, car elle était bien incapable de réparer la tuyauterie. Là où elle avait grandi, les femmes ne s’occupaient pas de ça. Et le bricolage n’avait pas vraiment fait partie de ses sessions de rattrapage. C’était toujours une bonne excuse pour demander à ses frères de venir à la maison, après tout.

Elle avait relevé ses cheveux, troqué ses tennis en toile contre des bottes en caoutchouc, et était occupée à tenter tant bien que mal de caler un seau sous la source de la fuite pour en récupérer le plus possible, quand quelqu’un poussa la porte. Elle n'avait même pas entendu la porte principale, trop concentrée sur sa tâche. Louise leva les yeux sur un Danny surpris de la scène qui se déroulait sous ses yeux. Toutes les fuites d’eau du monde n’auraient pu empêcher son petit cœur de papillonner dans sa poitrine à la vue du jeune homme, ou sa bouche de s'assécher. « Oh Danny, c’est une catastrophe… » répondit-elle à sa remarque, se redressant dans un petit rire nerveux. Qu’elle était heureuse de le voir ! Surprise, mais heureuse. « Ne va pas te mouiller… les pieds. » termina-t-elle dans un murmure, n’ayant pas le temps d’achever sa phrase avant qu’il ne s’approche dans la mare en formation. Elle n’était pas d’accord : il tombait toujours au bon moment. Même si, l’espace d’un instant, elle se demanda bien ce qu’il faisait là. Avait-il besoin de quelque chose? Ben oui Louise, parce qu’il ne peut pas simplement venir te voir, toi. Elle pouvait déjà entendre la voix de sa sœur râler, dans un recoin de son esprit. Prenant son courage à deux mains comme si son aînée l'avait poussée, elle s’aventura à franchir la distance qui les séparait. Ses joues traîtresses se revêtaient déjà de rose, mais Louise ne s’autorisa pas à réfléchir davantage avant de se hisser sur la pointe des pieds pour poser ses lèvres sur les siennes. Un baiser timide, chaste et un peu maladroit. Les lèvres de Danny étaient chaudes et douces. Il sentait le bonheur, celui qu'elle aspirait à goûter. Au fond, elle savait bien qu’elle devait cesser de penser qu’il allait la rejeter, lui dire que tout ça n’était qu’une vaste plaisanterie, depuis le début. Qu’elle devait commencer à y croire. Comme si les mots et les gestes qu’ils avaient échangés jusque-là n'étaient pas des preuves suffisantes. Mais parfois, c’était plus fort qu’elle. Comme si le moindre geste pouvait le faire fuir. La rêveuse s’efforça de ne pas laisser son visage porter les traces de ses élucubrations, et laissa un sourire timide naître sur ses lèvres quand elle recula légèrement. « Ta présence égaye toujours mes journées, alors je dirais que tu tombes à pic. » Osa-t-elle en retombant sur ses talons. Elle avait tant à lui dire, mais l'urgence de la situation primait. Louise se mordilla légèrement la lèvre, puis reprit, le front plissé : « As-tu un semblant de connaissances en plomberie, par hasard…? » Elle n’avait pas osé le déranger en l’appelant, mais on ne sait jamais.