Un vent arctique passe comme une bourrasque qui le glace jusqu’à l’os. Adam claque des dents. Quelle idée de merde, vraiment ! Ses jambes lui semblent deux frêles morceaux de bois incapables de supporter le poids de son corps. Des heures qu’il tourne en rond, tombant et retombant sur les mêmes foutus conifères. Il se refuse à reconnaître l’évidence, trop buté pour ce faire. Perdu. Il est perdu... Un froid hiémal fige la rosée sur les plantes alentour. Adam détaille le paysage, passablement agacé. La neige crisse sous la semelle de ses bottes rembourrées. Elle est omniprésente, pure, rude. Adam se sent con, vraiment con. C’est à croire qu’il lui a porté la guigne à parler de malheur. Lui ! Le vieux ! « Je pourrais toujours te ramener à bon port si tu te paumes en forêt. » qu’il se souvient. Voilà, c’est arrivé. Adam McAllister s’est paumé au fin fond d’un bois, au lendemain de Noël. Bien sûr, il n’a prévenu personne. Ça l’a pris comme ça, d’un coup. Partir en forêt au petit matin. À présent, l’adulescent remue ses poches en quête de son téléphone, quelque peu réticent. A-t-il vraiment le choix ? Ne risque-t-il pas de se payer sa tête ? L’air algide lui glace l’épiderme. Adam ne veut pas clamser ici comme un con. Il va sans doute le déranger. Le bougre sirote probablement un vin chaud en famille… Trop tard, le numéro est composé. Premier bip. Second bip. Siouplaît, décrochez pas…. Une voix s’élève. Et merde… « Allô ? » Sans blague. « Euh… Jamie ? »

@Jamie Whelan

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@Adam McAllister

Jamie admire l’étendue blanche devant lui, l’impression d’être seul au monde. En ce lendemain de Noël, le retour au travail est plus doux ainsi. La neige a recouvert beaucoup de sentiers de randonnée -fermés, pas beaucoup de courageux s’aventurent dans les bois en cette saison, d’autant plus en période de fêtes. Les sapins peuvent dormir tranquilles, jusqu’à décembre prochain. Jamie n’a d’autre mission pour la journée que pister les traces de la faune locale, avant que le vent d'hiver ou de nouvelles chutes ne les recouvrent. Mais les seuls pas sont les siens, lourds il s’enfoncent. Y aurait peut-être de quoi s’inquiéter. Lui semble que l’année dernière à cette époque il en voyait, précisément à cet endroit. Le jeune cerf n’a pas honoré le rendez-vous cette année. Le garde-forestier rebrousse chemin, dans l'idée de rentrer au QG se réchauffer d’un café. Peut-être qu'un ou deux collègue aura eu plus de chance. Devant lui, le soleil qui lui taperait sur le crâne s’il ne faisait pas si froid fait scintiller le manteau blanc de mille petits diamants. Le rouge de la grange la plus proche, point à l'horizon, n’a jamais été aussi vif. Un des repères de Jamie qui connaît la campagne et les bois environnants à la petite ville comme sa poche, mieux que son centre-ville peut-être. Il n’est plus très loin du cabanon quand son téléphone vibre. Il décroche immédiatement, non sans mal avec le givre au bout de ses gants en cuir et finit par tirer sur l'un avec les dents. Le père de famille a trop peur que ce soit Grace ou un des enfants qui ait un souci, ou juste besoin de lui. Qui sait combien de sonneries sont passées avant qu’il ressente les vibrations dans sa poche raidie par le froid.
Allô ? Ce n’est pas Grace. « MacGyver ? Tu m'entends ? » Le grand sourire qui lui pousse, lui, doit s’entendre à l’autre bout du fil. Ça alors, le p'tit McAllister ! La nouvelle année approche et Jamie se serait targué d'un message pour l'occasion, mais il n'attendait pas d'appel, non, et s'il espérait le revoir, dans son esprit il ne faisait aucun doute que ce serait de nouveau dû à un heureux hasard. L'hésitation de son interlocuteur l'amuse un brin. Il est trop surpris d'entendre la voix d'Adam pour se fendre d’un lui-même. « Qu’est-ce que j’peux faire pour toi ? » Son intuition lui dit qu’il y a forcément quelque chose là-dessous. Il pense : dans quoi le gamin est allé se fourrer ?

Adam trouve appui contre le tronc d’un arbre, grattant l’écorce du bout de ses doigts gelés. Il reconnaît sitôt le timbre jovial, le sourire qui perce par-delà les ramifications du réseau mobile. Il l’entend dans sa voix. Le vieux vient sûrement de rire d’une blague absurde ou douteuse, celle du vieil oncle célibataire que l’on reçoit pour Noël. Il apprécie la chaleur palpable, venue dégivrer cette matinée immaculée. Ça le rassérène un peu, malgré lui.  Il sourirait presque par mimétisme, s’il ne se trouvait pas dans de beaux draps.  MacGyver… Il n’en faut pas plus pour que la trogne de Richard Dean Anderson gagne sa pensée. Il identifie la blague familière, résonance de cette lointaine discussion de café. « Ouep, je vous entends. Contrairement à vous, je n’ai pas besoin d’un sonotone. » qu’il souffle, toujours moqueur. Une vieille private joke, rayer sa semi-vieillesse, lors même Jamie n’est pas vieux… Il neige à pierre fendre. La poudreuse recouvre ses empreintes.  Pourrait-il même remonter sa piste ? Naturellement, le quadra s’interroge. Que lui vaut ce plaisir ? Plus précisément… Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? « Vous sous-entendez que j’appelle par intérêt ? Je viens peut-être aux nouvelles… » Flaire du vieux flic ? S’il ne s’agit pas de son intuition. Adam a l’art de s’attirer des ennuis. Jamie le connaît assez pour le savoir. Qui plus est, l’adulescent ne s’est jamais fendu d’un appel. De quoi lui mettre la puce à l’oreille... « Je ne dérange pas, j’espère ? » D’ordinaire, Adam ne s’en soucierait guère. La circonstance est particulière.  Fête de famille, tout le tralala… Une part de lui espère sûrement que Jamie réponde à l’affirmative. Ça le gêne de demander… D’avouer… Il claque des dents. Décembre resserre son étreinte de givre. « C’est votre faute. » qu’il grince soudain, mauvais joueur. « Vous m’avez porté la poisse. Je suis paumé dans la forêt. Je tourne en rond depuis des heures. Il y a trop d’arbres et j’ai envie de tous les tronçonner. »

@Jamie Whelan

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@Adam McAllister

Pas de blague, rien que l’effet McAllister. La raison du sourire de Jamie : anticiper la répartie du gamin ; que va-t-il encore lui sortir ? Un sonotone. C'est de pire en pire. « hein ? un quoi ? allô ? » À peine exagéré, c'est de bonne guerre. Le rire, bien que silencieux, se fait surement entendre plus fort encore que le sourire. Le vieux ne se formalise pas pour si peu. Bien dans ses pompes, Jamie, l’oreille fine. Adam est à l’extérieur, au grand air. Rien d’alarmant à priori. Quoi alors ? Il doute, oui, que le garçon veuille simplement lui souhaiter un Joyeux Noël. « Ah oui ? » Le sourire devient mutin, froissement léger contre le téléphone. Tu m’en diras tant. « Comme c’est gentil. » Venir aux nouvelles, d’un vieux comme lui. Pas le temps d’en ajouter une couche, une nouvelle question survient, le prenant par surprise. « Jamais voyons. » La réponse ne se fait pas attendre. Sur le coup, Jamie ne fait même pas le rapprochement avec la date du jour. « J’étais en patrouille. » S’il veut savoir, ça ne l’avancera peut-être pas à grand chose. Il y a un silence -une hésitation ? et un claquement... de dents ? Nervosité ou froid, Jamie se posera la question en silence. Il ne veut pas le brusquer. Adam qui a peur de déranger, c'est inattendu. Plus que le coup de fil ne l'est déjà. Va-t-il cracher la pastille ?
Sa faute. Ah ? De quoi l’intriguer davantage. La poisse, carrément. Le garde forestier ne prend pas la mouche, garde son calme. Pas simple, ne pas rire, quand Adam exprime son envie de tronçonner tous les arbres. « On va éviter ça, tu risquerais de te blesser. » En prime. « Dis-moi plutôt si tes données gps sont activées sur ton portable, pour que je puisse te localiser. Donne-moi juste cinq minutes. » Avec les jeunes comme lui, facile de partir du principe que oui. Géolocalisation, partage de données cellulaires et tout le tralala sont souvent activées d’office ; mais avec lui, Jamie s’attend à tout. Dans son oreille, il doit entendre une succession de bruits, le tout donnant un brouhaha partiellement audible : bottes qui tapent, porte qui s’ouvre, barda jeté sur le bureau, téléphone plusieurs fois éloigné puis repris, le temps d’enlever ses gants et d'activer ce qu'il faut sur le central. « Une chance que ma boussole fonctionne mieux que mon sonotone. » Il faut bien qu’il lui donne de quoi patienter. Serait-il un peu rancunier, le Whelan, ou juste du genre à fanfaronner ? Plutôt à s’en vouloir de lui avoir donné une pareille idée -se perdre en pleine forêt, c’est bien ce qu’il a fait ?

Il lève les yeux au ciel, pour ce qu’il l’imagine parfaitement ricaner au creux de son cellulaire. Le sourire glisse aux coins de ses lèvres, sans y être convié. Le semi-vieux est parvenu à le dérider. Jamie prend plaisir à renchérir, là où d’autres s’offusqueraient de ses remarques imagées. Un aspect de sa personnalité qu’Adam a tout de suite apprécié. Insolent, il l’a pourtant été. Face à lui, le quadra ne s’est jamais pris au sérieux. Le bouclé s’est toujours pris d’affection pour les êtres capables de dérision. Des nouvelles, qu’il avance… La conversation s’écrit au second degré, sans ironie méchante. Toutefois, Adam se sent piqué. Parce que Jamie n’y croit pas une seule seconde. Le ton incrédule tranche par sa véracité. Le vingtenaire ne prend jamais de nouvelles. Il pratique le silence radio... Avec tout le monde. S’il l’appelle aujourd’hui, c’est bien par pur intérêt. « Karma's  a bich. » aime-t-il à dire. Son karma, à lui, a fini par le rattraper. Il s’est perdu, parce qu’il l’a mérité. « Cachez votre joie. » qu’il marmonne, grincheux.  Il pourrait, dans un entre-deux, lui souhaiter un joyeux Noël. Mais non… Les vœux de fin d'année, c’est bon pour les téléfilms au mielleux vomitif, dans lesquels finissent les acteurs jadis en vogue du petit écran, sur le All I want for Chrismas de Mariah Carey. Adam a consciencieusement boycotté le réveillon, célébration familiale oblige. Il aime à se retrancher derrière l’excuse d’une fête pervertie par le capitalisme triomphant. Tout ça pour dire qu’il n’avait personne avec qui s’attabler. Il culpabilise d’autant plus, songeant aux gosses du flicard, sans doute pendus à ses jambes. Jamie, pourtant, ne semble pas pressé de raccrocher. « Jamais, voyons. » qu’il lance, comme si c’était une évidence. Cependant, Adam doutait. C’est trop gentil, voire immérité. Le bougre n’est pas en famille, mais au grand air. Il patrouille ! Adam s’en trouve étonné. « Votre femme vous a foutu dehors ? » dit-il, mi-taquin, mi-sérieux. Ça le surprend qu’il puisse vadrouiller au lendemain de Noël, mais son job implique peut-être des obligations qu’il méconnaît. Toutefois, la dispute conjugale n’est pas à écarter. C’est peut-être Madame la Maire qui porte la culotte au sein du couple. Adam ne peut s’empêcher de tisser des histoires autour d’un rien. Après tout, c’est son boulot d’en raconter. Ça lui arrive d’inventer une vie aux passants qui croisent sa route, la tête pleine d’une imagination excessive.

Adam se montre d’une criante mauvaise foi. S’il s’est perdu, la faute lui incombe. Jamie n’y est pour rien. On ne porte pas le mauvais œil par quelques mots jetés avec légèreté. Si quelqu’un l’avait accusé de la sorte, il l’aurait envoyé paître avec superbe, mais Jamie reste à l’écoute, pragmatique, calme et compréhensif. « Vous n’avez jamais lu 1984 ? Big Brother is watching you ! » invoque-t-il pour argument. « Alors, non, mes données ne sont pas activées. Je ne veux pas qu’on puisse me pister. » Moins encore dans cette ville de dingos… « Putain, je ne sais plus comment on fait… » qu’il grogne, ses doigts ouvrant les différents menus de son smartphone. « Mais crétin, je ne t’ai pas dit de baisser la luminosité de l’écran ! » Voilà qu’il apostrophe le malheureux portable, navigant avec maladresse, irrité de ne pas trouver.  « C’est fait. » Sa voix se fait plus petite, conscient qu’il est de se donner en spectacle. Bruissements parasites à son oreille… La quadra s’active, remuant tout son barda. Il le visualise dans sa cabane de garde forestier, qu’il imagine pleine de cartes topographiques et de matériel en tout genre. « Et moi qui croyais que vous étiez un vrai, le genre à pouvoir se passer de l’assistance d’une boussole. Tout à l’orientation du vent et la position du soleil ! » qu’il taquine en retour, pour meubler le silence. Adam n’en pense rien, bien sûr. Il le sait compétent. Qui plus est, bien gentil d’accepter de le tirer de ce mauvais pas. Une seconde suspensive, souffle hésitant, puis… « Ils ont de la chance, vos gosses… » D’avoir un daron comme lui. Le bouclé se sent gêner de balancer un truc pareil, pensée pourtant sincère. « Je devais… Je devais juste retourner voir cette bicoque abandonnée, dans la forêt… » lance-t-il soudain, pour changer de sujet. « Je suis tombé dessus lors d’une excursion avec ma collègue. On suppose un lien avec la Rose Lunaire… »

@Jamie Whelan Sorry, j'ai débordé.

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@Adam McAllister

Jamie ne s’offusque pas. C'est Adam, il est comme ça. Un brave gamin. Est-ce qu’il cache sa joie ? Les lèvres se pincent, ne plus sourire. Jamie doit tenir quelques secondes pour ne pas se faire enguirlander par le vingtenaire. Bientôt, il l’accusera que tout est de sa faute et Jamie n’est pas prêt. Il en a oublié Noël. Peu de chance qu’Adam le fête, la pensée a tout juste le temps de le traverser qu’on s’inquiète de son sort, de l’autre côté du combiné. Les rires reprennent. Si Grace l’a foutu dehors ? « Qu’est-ce que j’aurais pu faire de si terrible ? » Adam ne doit pas manquer d’idées ; en fin de compte le quadra n’est pas sûr de vouloir savoir. Il y a bien une hypothèse qui lui vient : « Mais j’avoue tout, j’ai déballé les cadeaux avant tout le monde. Impardonnable. » Noël est réapparu dans son esprit, le pincement au cœur d’avoir dû s’éclipser juste après l'ouverture des paquets. « Manque d’effectifs. » Constat du plus banal. Comme partout. Adam aurait-il pu compter sur lui autrement ? S’il avait décroché du salon, la voix de Grace s’enquérant de qui ça peut bien être, les rires des enfants et l’exaspération de Melody sur un des garçons en fond sonore ? Jamie aurait-il entendu l’appel, pour commencer ? « Une chance finalement. » La réflexion résumée dans ces quelques mots. Ils sont tombés l'un sur l'autre.

De la chance, c'est presque ironique. L'explorateur semble en manquer cruellement. 1984 maintenant. Le flicard ne va pas se vanter de l’avoir vu venir, mais il l’a vu venir. À des kilomètres. « C'est moi big brother ? » S’il suit la logique. « Tu m’impressionnes. » Ce n'est pas si ridicule, pas pour Jamie ; en fait, ses réticences le rassurent. « La deuxième étape va te plaire. » Il lui apprend ainsi qu’il y en a une. « Je devrais t’envoyer un sms pour que tu puisses m’autoriser l’accès. » Il n’invente pas, curieux d’entendre ce qu’en pensera l'inpistable. Et il attend, il attend qu’Adam lui dise s’il doit le faire. C'est une preuve de confiance qui est en suspend, inconsciente de sa part. Adam n'est pas un promeneur égaré comme un autre. Mais Jamie, qu'est-il vraiment ? Pour l'heure, un homme qui doit régulièrement se remémorer de ne pas rire. Le moment où les insultes pleuvent sur son maudit appareil en est un. Vous pourriez m’aider -il l’entend déjà. « Activer les données mobiles suffira. » Il y a souvent un raccourci pour ça, mais il ne s’y risque pas trop, ne connaissant pas l’interface de son cellulaire. Il ne ferait pas bon l’agacer davantage. Le garde-forestier répond simplement de sa voix calme, pour garder le contact. Quand le jeune homme lui confirme que c’est fait, il se réjouit -un peu trop vite. Il reste des balles perdues dans le chargeur d'Adam. « Tu me vois désolé de casser le mythe. » petit. Il n’a pas tort, se repérer aux soleil et aux étoiles dans le ciel, Jamie en est capable. Est-ce que ça l’intéresserait d’apprendre ? La question au bord de ses lèvres se fait ravaler, remplacée par le silence. Les compliments le surprennent toujours, ont la fâcheuse tendance à exposer sa sensibilité, et ceux d’Adam le touchent d’une façon toute particulière. Trop, pour un gosse qu’il ne connait pas tant. Toujours trop quand ça touche aux siens, de gosses. « …J’espère. » Comme si le sourire ne caressait pas déjà le téléphone, il ajoute : « Moi j’en ai. » Il le pense, convaincu que ça marche plutôt dans ce sens-là. Alors les plis sous ses grands yeux doux se font entendre aussi.

Ce qui l'étonne, c'est qu’Adam explique de lui-même les raisons qui l’ont amenées à se perdre. Peut-être même que ça lui coupe le sifflet, au vieux flicard. « Ah. » Pas une surprise, mais l’absence de surprise. Pas vraiment de la lassitude non plus. C’est l’habitude. La rose, bien sûr, comment cette histoire de cabane abandonnée aurait-elle pu se finir autrement ? Il y a toujours une histoire de cabane abandonnée. Jamie parie que celle-ci ne va pas franchement lui plaire. Au même moment, alors qu'Adam parle encore, un petit point rouge s’affiche sur le moniteur. Les sourcils qui s’écarquillent font-il également du bruit ? « Dans la clairière aux papillons ? » Maintenant qu’il a un périmètre. « Bon tu bouges pas, je viens te chercher -c'est non négociable. » Il anticipe. Se faisant, il rejoint son pick-up. La portière claque. « Tu pourras me parler de votre excursion, comme ça. » Ça non plus, ce n’est pas négociable. « J'te mets sur hauts-parleurs. » Et le moteur démarre.

« Je n’en sais rien. » qu’il rétorque. « Je ne suis pas dans votre couple. » En vérité, il l’imagine difficilement commettre une incartade. Jamie semble trop épris pour ce faire. Assez fou pour lui passer la bague au doigt, hissant la charpente de sa propre potence... Il ne sait pas grand-chose de son histoire avec la mairesse, sinon qu’elle paraît longue. Famille recomposée, qu’un enfant commun est venu sceller.  Fin heureuse... Ça lui donnerait presque des hauts-le-cœur, lui qui n’a jamais donné dans le sentimentalisme. Toutefois, dans son cas, il trouve presque cela touchant. « D’après les stats, 60 % des hommes sont des cocufieurs. Vous pourriez bien en être. » Il taquine pour la forme. Jamie est droit dans ses bottes. Ça ne lui viendrait jamais à l’esprit, qu’il pense. Au demeurant, il fera une parfaite "première dame" pour Redwood Hills. Foncièrement, il l’idéalise peut-être encore, conservant le prisme de ses onze ans. S’il est bien une chose qu’Adam sait, c’est que nul n’est irréprochable. « Père indigne. » renchérit-il, jouant le jeu. Jamie raconte probablement des craques. Toute de même, pas de chance pour lui… Malheureusement, le ciel n’attend pas.  Les catastrophes ne prennent pas de congé. Chance pour Adam, plus sûrement. Grelottant, il trouve encore la force de se dire qu’il dérange. N’aurait-il pas fini par retrouver son chemin par ses propres moyens ?  Il n’aime pas solliciter les gens. Impression constante de leur faire perdre leur temps…

Un rire franc traverse ses lèvres. « Sans vouloir vous froisser, non. Ce n’est pas vous. » Adam songeait plutôt aux malandrins du cyber, malwares et autres espions qui collectent vos données… Sans oublier le nouveau venu en ville, ce corbeau qui semble déjà tout avoir du stalkeur de grande envergure. Encore un qui doit vraiment s’emmerder… Pour n’avoir rien de mieux à faire.  Il pourrait aussi évoquer la Rose Lunaire. Mouais, Selene ferait une bonne Big Sister. « Plutôt la Rose Lunaire… » souffle-t-il contre le froid hivernal. Responsable, Adam… Enfin, au moins sur ce plan. Le bouclé ravale son agacement et écoute docilement les consignes de son aîné. Forcément, il sait mieux que lui, puisque c’est un vieux… « J’espère bien que vous avez besoin de ma permission. » grommelle-t-il. « Vous me ferez le plaisir de désactiver ce truc, une fois que vous m’aurez trouvé. » Adam a une façon bien à lui de manifester sa reconnaissance. Avec tout le respect qu’il lui doit, il ne tient pas à ce que la quadra puisse le pister après cette journée. Adam manque de patience, invectivant son cellulaire. Il l’utilise essentiellement pour filmer, capable d’exploiter tout le potentiel vidéo de l’appareil, jusqu’aux paramètres les plus complexes. Toutefois, la partie communication n’est pas son fort, à l’instar de son quotidien. Données mobiles… Voilà qui lui parle. Un simple passage dans le menu déroulant suffit. Pas très fier, Adam, de passer pour un illustre ignorant face au quadragénaire... En général, c’est plutôt l’inverse.  Les jeunes qui prodiguent des conseils tech aux vieux qui galèrent. « Ne faite pas genre… Je suis sûr que vous en êtes parfaitement capable. » Se repérer à la position du soleil. Après tout, ça fait partie de son job.  Adam ne devrait pas la ramener, partant du principe qu’il s’est perdu. Une première… Gamin, il retrouvait toujours son chemin, porteur d’une boussole interne. Il fallait bien, avec ses habitudes de petit fugueur. Comment a-t-il pu s’égarer, avec son sens de l’orientation ? L’esprit ailleurs, sans doute…

Silence gêné… Commentaire un rien trop personnel. Il n’aurait pas dû, ça ne fait pas un pli. Jamie, le connaît-il vraiment ? Seulement par intuition… Certitude immédiate, quand il l’a rencontré. Lui, il n'est pas comme les autres. Il a marqué son esprit de gosse. Et dans le fond, Adam n’a qu’une peur, qu’il déçoive un jour le gamin qu’il a été. Injuste, bien sûr. C’est trop à exiger. Quelque chose pique dans sa réponse. L’ordre inversé. Parce que si ça marche dans ce sens, alors peut-être que c’est sa mère qui n’a pas eu de chance... Adam ne répond pas, se contente de former des bulles de condensation par chaque expiration. Il balance la cabane. Pour ce qu’il n’a aucune raison de s’en cacher. Jamie ne paraît pas très emballé. C’est vrai qu’il ne la porte pas dans son cœur, la Rose Lunaire. Sans doute vaut-il mieux ne pas mentionner le portait photo qu’il est parvenu à tirer de cette aventure nocturne. « Ouais, c’est ça ! » qu’il répond d’une voix rauque. « C’est combien pour la course ? » demande-t-il encore, histoire d’en rajouter une couche. Sourire qui fend une nouvelle fois ses lèvres gercées par le froid. Lui parler de son excursion ? Il faut croire qu’il s’est trompé. Jamie ne semble pas contre l’idée d’en savoir plus. Jamie qui annonce le basculer en haut-parleur « Vous savez… La radio, c’est gratuit. » Nouvelle plaisanterie. Adam ne peut s’en empêcher.  Le moteur résonne, lointain vrombissement. Il l’imagine déjà dans une sorte de vieux quatre-quatre de baroudeur. Se trompe-t-il ? D’ailleurs, qu’est-il censé dire pour ambiancer ce brave Jamie ? « Dites, vous en pensez quoi du dernier venu ? Ce corbeau… » Ça lui vient comme ça. Il s’avère qu’Adam est curieux de connaître son opinion sur la question.


@Jamie Whelan Je t'ai battue.

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@Adam McAllister

Le gamin prétend ne pas savoir, il n’est pas dans son couple. Irréfutable, pourtant. Il a bien une petite idée qui traîne, qu’il ne pourra pas garder pour lui. Ça fuse dans le cerveau de l’aspirant scénariste -ou réalisateur ? et comme prévu Jamie regrette vite d’avoir demandé. Pas dans son couple certes, mais les statistiques parlent. « 60 tu dis ? » C'est beaucoup, oui, un peu choqué Jamie ; fidèle, romantique. Comment le gamin sait ça ? D’où il sort ces chiffres ? Plus rien ne l'étonne. « Qu’est-ce que tu fais des 40% restants ? » Sa catégorie, à priori. Il ne le prend pas pour lui et à la fois... Le rire à peine formé s’étrangle. C’est un peu pour lui. Instinctivement, ses yeux s’attardent sur son annulaire, une alliance l'a déjà étreint par le passé. Père indigne. Le rire cette fois s’échappe, les yeux roulent et la main passe sur son front, ne trouve aucune sueur à essuyer. Adam ne croit probablement pas un mot de ce qu’il raconte. Les cadeaux de Noël, sur l’instant, ça lui a semblé la pire faute à commettre au vu de la date du jour. Il se trompait. « Je cumule on dirait. » Père et (futur) mari indigne.

S’il ne connaissait pas son travail, plus largement la nature et l'hiver redwoodien, il resterait au téléphone à plaisanter, renvoyer la balle. Mais derrière le rire Jamie entend, le souffle saccadé, les inspirations froides : le gamin se les caille. Big Brother s’active. Pas difficile de deviner à qui il pense, où se trouve la vraie menace. Jamie ne s’endort jamais, toujours vigilant. La Rose Lunaire. Le nom tombe. « Ah, elle. » Sous-entendu, encore. Cette bonne vieille Rose. « Je te savais pas si prudent. » L’ironie n’est pas recherchée, elle s’impose, alors qu’il se retrouve paumé dieu sait où -Jamie ne va pas tarder à le savoir. Ça gronde, ça gronde, de l’autre côté du combiné. Le trait de caractère est nouveau pour Jamie. « Mince, moi qui voulais en profiter pour te surveiller. Plus qu’à trouver un moyen de t’implanter une puce électronique j’imagine. » Existe-t-il plus gros cliché de science-fiction, une théorie du complot plus répandue ? Il n’empêche que ça fonctionne, après un petit effort. Plus fiable que le soleil et les étoiles ? Plus rapide. Pas très à l’aise avec les nouvelles technologies, Jamie ne s’est toujours pas mis à Tik-Truc. Adam n’est pas le premier promeneur égaré qu’il repêche par ce biais. Adam s’adoucît, le croit même capable de lire la position des étoiles. Ça ressemble à s’y méprendre à un compliment. « Peut-être, mais pas très pratique par téléphone. » Son imagination n’est pas la plus fertile, elle serait terriblement pauvre face à celle d’Adam, facile pourtant d’imaginer le guider via facetime, guettant la position du soleil à l’écran. Lève un peu pour voir, et par là ? Le téléphone aurait probablement fini dans la poudreuse. « Je peux t’apprendre si tu veux. » Des petites choses -pas si anodines, qu’ils connaissent l’un sur l’autre, sait-il que Jamie ne se décourage pas facilement ? Il pense saisir l’embarras dans lequel il se trouve à demander son aide, probablement qu’il a dû se débrouiller seul, que ne compter que sur soi-même n’était pas une adage pour se protéger, se donner une leçon, mais bel et bien la réalité de sa vie.

Il y a un silence que Jamie n’attribue pas au compliment -vrai, celui-ci, entier, qu’il vient de lui faire. Jamie estime ne pas avoir eu beaucoup de chance dans la vie, ses enfants en sont une. La chance d'une vie. À demi éveillé, inconscient de ce qu’il représente pour Adam, de l’image qu’il a gravée dans sa mémoire de gosse. Accidentelle. C'est sûrement rien. Il l’aime bien, ce gamin. Alors il dit : « C'est pas évident tu sais, avec toute cette neige. » Pensant que c’est cela qui le tracasse, la source de son mutisme soudain : s’être fait avoir par la neige. Elle recouvre tout, jusqu'à l'identité des arbres. Les repères d'hier sont des cadavres enfouis sous ses couches. Dans son imagination qui fertilise, le garde-forestier le voit pester contre elle et contre lui-même, plus véhément, comme il a enguirlandé son cellulaire. Et dans le silence, bref et pudique, Big Brother a répondu à l’appel. Adam est un petit bout rouge sur un petit bout de carte. Jamie reconnaît le coin de la serre aux papillons, ne connaît pas de cabane dans le coin. Reste à démêler le fil, décidé à garder l’explorateur en ligne -têtu, le Whelan, au cas où il l’ai oublié. La RL ne lui dit jamais rien qui vaille, de toute façon. La voix qui lui répond est un ton plus grave, la bonne humeur revient la seconde d’après. « C’est à la tête du client. » A-t-il une bonne tête, le petit McAllister ? Jamie ne la cache pas, sa joie, préfère l’entendre sourire que ruminer. En attendant de le retrouver, il constate l’ampleur des dégâts, se contentant de ce qu’Adam veut bien lui dire. Il semble assez bien disposé malgré les réserves d’usage. « Oui, mais c’est moins divertissant. » Et ça capte mal au milieu des arbres, accessoirement. Piqure de rappel quant à la communication en cours, pourvu que ça ne coupe pas. « Ce sera pas long. » Alors qu’il démarre, au cas où, qu’il n’aille pas croire qu’il le planterait. Qu’il ne s’inquiète pas, l’hypothèse est audacieuse. Les élans du cœur le sont généralement.

Le corbeau. Après la Rose, ne manquait plus que lui. Plus de cabane alors, ni de papillons. Jamie s’en accommode, se grattant mentalement le crâne alors que ses mains tiennent le volant. Sa voix encaisse quelques légères secousses sous ses roues. « Qu’on avait franchement pas besoin de ça. » La réponse la plus prévisible de sa part. Il ne prétend pas être un type surprenant. Bien souvent, malgré l’historique qui le lie à la secte, malgré sa carrière au sein de la police, malgré tout, il a l’impression de ne rien comprendre à tout ça, à cette ville qui ne connait pas le repos. La paix. Celle que tous ces groupuscules érigent en étendard, elle n’y a pas droit. « J'crois que c’est juste un maître chanteur de plus. » Là-dessus, pour lui, le corbeau, la Rose, du pareil au même. « Et que les secrets qu’il prétend détenir finiront par être étalés aux yeux de tous quoi qu’il arrive. » Adam le trouvera peut-être résigné. Il a la jeunesse pour lui, sa fougue. « Et toi ça t’intéresse ? » Ces petits secrets... C’est impudique. Quelque part, ça le désole. Condamné à regarder par dessus son épaule, à désactiver les données de son téléphone -c'est trop tard. Jamie soupire, il devient grave. Si le bouclé était curieux de connaitre son avis, le sien l’intéresse tout autant, parce que son petit doigt lui dit qu’il ira y fourrer son nez. Lui et Dahlia, s’il a bien suivi, la jeune femme lui a parlé de leur chaîne. La pensée le fait sourire -allez savoir, une intuition ça aussi, alors qu’il arrive dans la zone qu’indiquait le gps. L’occasion de s’en enquérir en personne. Déjà les billes guettent sa silhouette à l’horizon, paupières plissées en se rapprochant de la vitre du pick-up -au demeurant, ça n’a jamais aidé personne à mieux voir, sans doute un réflexe de daron.

Spoiler:

Jamie paraît surpris. Soixante, il a vu la stat passer sur la toile. Prof d’université catégorique… Encore un. Adam n’y attache pas plus de crédit. Les chiffres fluctuent toujours. Un autre sondage indiquera la tendance inverse. Mais… Triste pronostic pour les âmes romanesques… Adam n’est pas un tendre. Il croit tout de même aux exceptions nombreuses. Il y a de l’espoir. « J’en déduis que vous revendiquez votre place au sein des 40%. » C’est bien ce qu’il pensait. Adam ne comptait pas le ranger ailleurs. « Les chiffres, vous savez, on leur fait dire ce qu'on veut. » souffle-t-il pour rasséréner le grand sentimental.  

Prudent, quand il le veut. En d’autres termes, quand ça l’arrange. Quatre-vingt-quinze pour cent du temps, Adam fonce tête baissée. Il a le goût du risque. Sa vie, il veut la vivre pleinement, lors même qu'on lui déconseille les émotions fortes. Il faut bien mourir de quelque chose. On l’a déjà "rebooté" une première fois. Alors, il lui reste peut-être quelques tickets. À l’instar des chats, Adam aime à croire qu’il a plusieurs vies. « C’est mal me connaître. » ironise-t-il. Jamie en sait trop pour gober pareil mensonge. Au jour de leur rencontre, toutes ses cartouches étaient grillées. Un gamin de onze ans, multirécidiviste, qui s’enfuit à travers bois... C'est acquis, il n’a peur de rien. Adam se montre hargneux. Impatience et fatigue ont raison de lui. Voilà plusieurs heures qu’il poireaute dans ce froid polaire. Ses membres sont gourds, son humeur, exécrable. Présentement, il rêve d’un bon feu dans l’âtre. Image mentale qui ne parvient plus à le rasséréner. Au reste, il faudrait déjà qu’il ait une cheminée. « Vous vous prenez pour mon daron? » moque-t-il gentiment. Le genre de blague qu’il se permet sans le moindre scrupule. « Vous ne pucez pas vos gosses, au moins ? » Il ne peut s’en empêcher.  Rire lui tient presque chaud. Jamie est désormais en mesure de le géolocaliser, non par la poésie du soleil, mais par la magie du réseau mobile. « M'apprendre à me repérer en pleine nature ? » Malgré lui, une pointe d’engouement perce dans sa voix. Adam reste un grand enfant. L’invitation le prend au dépourvu. Il demeure silencieux, étudiant la question. Par habitude, il sait qu’une offre se veut rarement charitable. Il se demande donc ce que Jamie pourrait attendre en retour. Le vingtenaire modère son enthousiasme et reprend d’une voix égale : « C’est désintéressé ou… ? » Autant demander. On n’a rien sans rien... La vie lui a beaucoup appris. Il connaît les schémas transactionnels qui régissent les rapports humains, alors il se méfie. Même avec lui…

La neige… Jamie offre une parfaite excuse à son silence. Vérité que celle-ci, il se serait sans doute plus aisément retrouvé sans toute cette poudrière. Adam affectionne peu la neige, souvenir des longues marches écolières. La maison était loin et l’humidité s’insinuait dans ses bottes d’enfant. Ses courtes jambes peinaient à soulever tant de poids. C’est froid, la neige. C’est lourd. Immanquablement, son blanc immaculé finit par se corrompre. Il a toujours préféré les chaudes journées d’été qui vous dorent la peau. Adam ne renchérit pas. Inutile… « Je vais payer plein tarif, alors. » Un sourire glisse sur ses lèvres. Des fois que sa tête ne lui reviendrait pas… Ce n’est pas l’impression qu’il a semblé donner jusque-là. Moins divertissant… Adam craint pourtant de tomber en panne sèche, en dépit de son habituelle incontinence verbale. Usé par le froid, il montre peu d’inspiration, jouant sur des plaisanteries de bas étage.  « J’ai toute la journée, vous savez. » blague-t-il. Il ne risque pas d’aller très loin.  

Le corbeau donne matière à converser. Adam s’assoit sur la souche d’un résineux, piqué de curiosité. Jugement éclairé, le quadra est un homme fiable. La réponse est attendue… Parangon de la constance, Jamie respecte sa ligne éditoriale… Il apprécie.  Qui plus est, Adam ne lui donne pas tort. Cette obscure figure ne lui dit rien qui vaille. S’il se sait à l’abri des balles, le principe le débecte. Jamie va plus loin encore, affirmant que chaque secret sera inévitablement révélé au grand jour.  Le corbeau les a laissés dans l’attente de ses consignes. « Dans ce cas, ça ne sert à rien. » observe-t-il. Pourquoi tenter de contrer l’inévitable ? Il sera pourtant parmi les premiers à se jeter dans l’arène... Jamie pourrait être taxé de vieux pessimiste. Il sonne presque comme l’Épilogue d’Aragon, prophète démoralisant d’une histoire maintes fois répétée. Adam lui voue pourtant une confiance aveugle. Il faut regarder le néant pour savoir en triompher. L’avenir lui donnera peut-être raison, pour le pire... « Ce n’est pas au vieux singe qu’on apprend à faire la grimace. » souffle-t-il, abondant ainsi dans son sens. « Ne le prenez pas pour vous, c’est l’expression qui veut ça. » Plus flambant vieux que vieux, Jamie ! À peine le temps de cligner les yeux qu’il se voit lui-même interrogé. Ça l’intéresse, le corbeau ? « Je ne vous aurais pas posé la question, si je m’en fichais. » dit-il, provocateur. Un rire le secoue. « Je ne sais pas… On pense peut-être se mettre sur le coup, ma collègue et moi. Mais ça me questionne… Est-ce que ce n’est pas un genre de voyeurisme ? » S’il se pose la question, c’est bien qu’il connaît la réponse. Les sursauts de sa conscience sont là pour une raison. Dahlia ne semble pourtant pas le voir sous le même jour. « Je ne sais pas d’où ce corbeau sort, mais pour moi, c’est une histoire de comptes à régler. » C’est toujours une histoire de compte à régler ! « Mais comme vous, je n’aime pas trop ça. » Nouveau silence… Une brise glacée s’infiltre sous sa veste.  Souffle effiloché, Adam vient frictionner ses bras. « Cela dit, si vous avez un secret à balancer – puisque nous sommes tous condamnés – je suis tout ouïe. » qu’il lance sans grand sérieux, ignorant encore qu’il y repensera plus tard.  Lui parvient le lointain craquement des pneus d’une voiture. Boîte de vitesse qui passe en rapports courts... Il aperçoit un utilitaire. Les roues mordent la neige au blanc pur, chaque grain crissant sous le poids du véhicule. « C’est vous le pick-up que j'entrevois ? » Adam se relève légèrement, forçant quelques pas engourdis.


@Jamie Whelan

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@Adam McAllister

Jamie ne cherche pas à s’expliquer d’où sortent ces chiffres, comment, même, il est possible de savoir ça. Les gens mentent, voilà ce qu’il en dirait. Et Jamie, ment-il ? Il n’irait pas jusque revendiquer sa place, tout d’un coup ça le met presque mal à l’aise. Pas la faute d’Adam, la faute à la formulation, au doute qui subsiste -pas toujours été un époux exemplaire, sage- sans aller jusque demander son avis au jeune homme. « C’est exactement ce que je me disais. » Cela explique peut-être le silence au bout du fil ; réflexion ou gêne, Adam trouvera une interprétation. « Je suis étonné que 60% l’avoue. » Être infidèle. Ces choses sont anonymes de toute façon, ça il le sait. Concept désuet dans les petites villes, l’anonymat, d’autant plus celles qui s’appellent Redwood Hills. Enfin bref.

Il lui découvre de la sagesse, au grand bouclé, de la prudence. Pour certaines affaires. Toujours l’esprit relativise ; partir seul en forêt, en plein hiver, ce n’est pas ce que le garde forestier qualifierait de prudent. Fouiller une cabane abandonnée -il croit encore qu’elle l’était- non plus. Pas plus que fuguer -ce n’était qu’un gamin. Il aime se rappeler ce souvenir, ne voit pas l’étrange à cela. Oui, ce serait mal le connaître. Toujours est-il qu'Adam l’a appelé. Imprudent, loin d’être bête. Le garçon le surprend une nouvelle fois. Le sourire silencieux la seule réponse qu’il entendra et oui, elle est entendue. Il se moque maintenant, autre habitude, autre sentiment agréable. C’est un reproche que d’aucuns lui font constamment, daron, Jamie en a l’attitude. « Tu veux que je te prive de sorties ? » Qu’il répond, du tac au tac, des fois qu’il voudrait vérifier. « Non… Jamais réussi à les tenir en place assez longtemps. » Pour leur coller une puce. Il y avait forcément une chute à cette phrase. Lui non plus, ne peut s’en empêcher. Les rires réchauffent, le cœur sans doute, car ce n’est pas Jamie qui a froid. Tout en lui faisant la causette, il se hâte, s’inquiète, une statue de glace bras levé téléphone encore en main n'est pas ce qu'il a commandé au père Noël. « Oui, entre autres. » Il ignore quoi, sur l'instant ça lui a semblé maigre, désuet, ridicule. Se repérer en pleine nature, les arbres, le soleil, les étoiles -pas son point fort, toutes ces choses-là ; celles qui font qu’on ne se sent jamais perdu même dans la nature sauvage et jamais vraiment seul. C’est drôle, le garde forestier n’a jamais trouvé de technique semblable applicable à la vie, mais il sait se reposer sur les autres. Désintéressé ? Qui est perdu maintenant ? Quelques pensées l’ont égaré, quelques doutes aussi -ils reviennent souvent, si bien qu'il n’est plus sûr de suivre. « Ou ? » Quoi ? Va-t-il le laisser jouer les hiboux ? « Eh bah rien. » Non, il ne sait pas quoi dire. « Le plaisir de ta compagnie. » C’est une redite, à laquelle il ne parvient pas à donner de ton ironique. Parce que ce n’est pas une blague.

La neige est une excuse, aussi bonne qu'elle est fausse. L'hypothèse s'avère pragmatique et, quelque part, irréfutable, même pour l’esprit malin d’Adam. Se repérer sous toute cette couche est une tannée, c’est un fait. « À ce point-là ? » Oui, est-elle si terrible, sa tête ? Jamie n’oublie pas que c’est lui qui a sous-entendu pareille chose le premier, tendu la perche. McAllister se croit-il pour autant si désagréable ? « Ça tombe bien, moi aussi. » Le commentaire est attendu autant qu’il est entendu. Jamie est là après tout, c’est son job. Il ne comptait pas déserter. Trop tard, il songe au peu de temps qu’il reste à Adam, en réalité, à se les geler sur place.

Il invite le corbeau dans la conversation, un sujet (presque) comme un autre ; tout est bon pour maintenir le dialogue, réfléchir, parler, s’activer. Jamie n’a pas de grande révélation à faire, pas de scoop, ni d’avis controversé. Mais Adam sait à quoi s’attendre venant du vieux flicard ; s’il lui demande son avis, c’est parce qu’il a besoin de l’entendre de vive voix, non ? « Mais on ne peut pas en être certain sans avoir essayé. » Quelque chose de las s’est logé, une fatalité inconnue, de lui-même sans doute, parce qu’il a couru trop de fois, Jamie, et chaque fois il a été déçu. Et chaque fois il a marché. Parce que peut-être aurait-il pu, une fois, rien qu’une fois, contrer l’inévitable ; parce que, si cette fois-là avait été la bonne ? Est-ce qu’il ne l’encourage pas, alors ? Ce qu’il veut dire c’est ne t’inflige pas ça, mais il craint d’avoir dit on ne sait jamais. Le vieux singe, lui ça le fait rire. « C’est moi ou t’essaies de dire que je suis pas vieux ? » Il ne poussera pas sa chance jusque employer le mot jeune. Le vieux singe, tout ça tout ça. La répartie du jeune homme ne manque pas. « Ce que je voulais dire c’est pourquoi. » Jamie ne lâche pas, sait que la réponse -qu’il ne s’attendait pas forcément à recevoir- lui fera serrer les dents. Une autre enquête, allons bon. « Si tu me poses la question c’est que t’as déjà la réponse. » Pas vrai ? Loin de lui l’idée de jouer les pères la morale, pas à l'aise avec le rôle, mais il sent bien… si, il veut l’entendre de sa bouche. L’avis de l'égaré le pousse à réfléchir, avec une certaine prudence et paradoxalement une grande liberté. « Avec les habitants ou… » Faut-il seulement la nommer ? « ...la secte ? » C’est lui à présent qui se montre curieux d’avoir son opinion, une théorie peut-être ; le corbeau pourrait-il être lié à la Rose ? Comme vous. Jamie trouve une forme de sérénité. Les yeux sur la route, les sentiers rétrécissent. Comme vous, c’est suffisant, la formule qui suit le rassure un peu. Ils n'aiment pas ça.

Adam brise les silences, réchauffe le froid qui lui prend le corps, glace le téléphone et les mots -que pourrait-il bien dire, que pourrait-il trouver, pendant qu’il meurt de froid et que les pneus avalent la neige ? Un secret, peut-être ? « Qui me dit que tu n’iras pas le répéter ? » C’est comme ça que ça marche, non ? Le corbeau en ligne de mire, bien sûr. « J'suis pas sûr qu’il m’en reste, c’est pas facile dans cette ville. » De lui, tout s’est su, les commérages sont allés bon train. Si Adam en a eu vent, Jamie n’a pas envie de le découvrir, au téléphone ou ailleurs. Le gamin a semble-t-il une bonne image de lui. D'éventuels secrets de son côté, Jamie n’ose lui retourner la question. Par ailleurs il l’aperçoit, silhouette longiligne au loin, identifiable seulement parce que ce ne saurait être quelqu’un d’autre. « S’il te fait des appels de phares ouais, c’est moi. » Manquerait plus qu’il se soit fait devancer par un tueur au pick-up écumant les sentiers. Un bon scénario de film d’horreur, Jamie connaît ses classiques. Mais trêve de plaisanterie. La silhouette bouge, Jamie pousse le vieux Ford à grappiller quelques mètres, de quoi éviter quelques pas douloureux. La portière passager s'ouvre le véhicule encore en marche. « J’ai toujours des couvertures à l’arrière, attends » Une main toujours sur le volant, son bras libre s’étire. « Et y’a du café dans le Thermos. » Qui tombe déjà sur ses genoux, avec la couverture. « Alors, cette cabane ? » Pour la première fois depuis qu’Adam a pris place, Jamie le regarde -il a comme rétréci. La tête tournée vers lui, moteur à l’arrêt, le conducteur attend les instructions, pieds sur les pédales, prêt à enclencher la marche arrière.