« Vous ne croyez pas que c’est un peu tard pour ça. » qu’il répond du tac au tac. La permission de minuit, Adam se l’est octroyée de bonne heure, gosse émancipé. Émancipé dans la mesure où ses parents ne pointaient pas. Abandon de poste, Adam a pris sur lui de s’éduquer. Il était dans son droit d’escalader les claires-voies fleuries pour gagner le grand air. À sept ans, il en avait déjà 35. Il se demande à quoi ressemble une enfance passée aux côtés du quadra. Aura paternelle. Il était taillé pour le rôle, Jamie. Ridicule, l’admiration et la sympathie qu’il voue à cet homme. Les rencontres se comptent sur les doigts d’une main. Familiarité facile, troublante, à tout point de vue. Pourtant, il n’a jamais cessé de le vouvoyer. Marque de respect. Un tel privilège se mérite. « Oh, je vois… Alors, vous êtes l’un de ces darons. » observe-t-il, moue moqueuse. « Sans autorité, le genre qui se fait piétiner. » Il plaisante, Adam. Fort heureusement, Jamie connaît la nuance. Il ne s’offusquera donc pas d’une taquinerie. Adam tacle souvent. Il doit en avoir l’habitude. L’offre est alléchante, transmettre les ficelles du métier, apprendre à se repérer. La plupart du temps, Adam use de sa mémoire. Une mémoire excellente, certes, mais qui lui joue parfois des tours. Le sens de l’orientation ne suffit pas toujours. Il en veut pour preuve le contexte actuel. Intéressé, Adam… Vraiment. Néanmoins… Il ne peut taire ses réserves. Tout marché comprend une clause de réciprocité. Non ? Adam souhaite connaître les conditions contractuelles, avant de signer. Objectivement, Jamie n’aurait rien à gagner par pure charité. Jamie qui paraît pourtant s’étonner de sa sortie. « Ou… Vous allez exiger une contrepartie ? » Voilà qui est dit. Et quand le quadra vient à invoquer le plaisir de sa compagnie, un rire dissonant jaillit de ses lèvres, tant l’idée lui semble absurde.  Elle est bien bonne. « Parfois, je me demande si vous n’êtes pas une arnaque. » dit-il. D’une gentillesse débonnaire, Jamie…

« À vous de me le dire. » Ce n’est pas à lui d’en juger. Comme le disait Wilde, la beauté est dans les yeux de celui qui regarde. À deux doigts de citer l’écrivain irlandais, Adam passe toutefois son tour. Physionomie atypique, il ne s’est jamais trouvé d'abord agréable, plus proche du dealer – s’il en croit les dires de Levi.  Jamie, lui aussi, a toute sa journée devant lui. Demeure qu’il pourrait se présenter cas plus pressant. D’autres imbéciles ont peut-être eu la même idée que lui.

Étrange. Les mots de Jamie sonneraient presque comme un encouragement. Le connaissant, il doit cependant exister une subtilité.  Adam ne s’inquiète guère d’éventuelles répercussions. Des secrets, il en est dépourvu. Une existence aussi limpide dans son courant qu’elle l’a été dans sa source. Non, vraiment, il n’a rien à taire ou cacher. Rien que l’on pourrait utiliser contre lui. Dès lors, ne peut-il se jeter dans la fosse aux lions ? Personne toute désignée, puisque rien ne pourrait l’entamer. Mais… N’est-ce pas l’aura du mystère qui l’en soucie ? N’est-il pas guidé par une forme de curiosité déplacée ? « Vous m’encouragez à le faire ou vous formulez une sorte de morale ? » Un sourire inaudible plisse ses lèvres, entendant sa prochaine remarque. « Objectivement, vous n’êtes pas vieux. La quarantaine, ça passe encore. » Il taquine pour le jeu. « La jeunesse, on dit souvent que c’est dans la tête. Ne soyez pas trop las et résigné, sinon vous sonnerez définitivement comme un vieux. » Jamie reformule sa précédente question. Pourquoi... Nous y voilà. Ses sourcils se froncent, Adam crache un silence. Pourquoi ça l’intéresse ? La réponse tarde quelque peu. « Parce que c’est un chantage parfaitement abject. Et que je veux comprendre ce qu’il y a derrière. Qui et pourquoi. » Il veut des réponses, Adam, comme bien d’autres sans doute. « Je ne sais pas. Je suis humain et il se peut qu’il y ait une part de curiosité qui n'aurait pas lieu d'être. » Il émiette les aspects les moins reluisants de sa démarche, conscient que Jamie pourrait le juger. S’il ne juge pas déjà. « Vous ne jouez pas équitablement, Jamie. Je ne vous demande pas de me faire cracher le fond de ma pensée. Je vous demande votre point de vue... brut. » Il soupire, survolant la poudrière du regard.  Le fait est que l’on pourrait l’accuser d’opportunisme. Le mystère qui entoure le corbeau est un concept tout trouvé pour la chaîne de Dahlia. Il tient une histoire en or, un parfait filon… Sujet suffisamment énigmatique pour attirer les clics des viewers en quête de sensationnel, guerre perpétuelle des stats et du référencement Youtube, c’est un drôle de monde dans lequel il a accepté de mettre les pieds. Est-il un vautour ? Un rapace de plus ? Son subconscient tire la sonnette d’alarme. La question première venait de ses propres lèvres. Ainsi, Adam soupçonne le caractère malsain de cette quête aux réponses. Conscient du risque, ne peut-il s’en prémunir et éviter l’écueil du voyeurisme ? « Ce qui compte, c’est la manière de faire. Si le sujet est traité avec respect et mesure, je ne vois pas où est le mal. Rester inactif, ce serait laisser au corbeau le seul droit de s’exprimer. » Bien sûr, on peut toujours trouver à redire. Adam en est plus que conscient. Les médias sociaux traitent les sujets que le public consomme le plus avidement. Adam se demande donc qui est le véritable rapace. L’émetteur ou le consommateur ? Dans le fond, la chaîne de Dahlia n’est pour lui qu’un prétexte. Il s’y serait intéressé avec ou sans elle, comme il s’intéressait à la Rose avant même de connaître la jeune femme. « Moi, je veux juste la vérité. » Depuis le commencement. « Et pourquoi? » que Jamie pourrait encore demander, cercle sans fin. « Pourquoi tu veux la vérité ? » Seulement, il n’est pas là pour se faire psychanalyser. « La secte, assurément. À Redwood Hills, tout est toujours lié à la secte. Quant aux habitants, peut-être… Sauf s’ils ne sont pour lui qu’un dommage collatéral, un moyen et non une fin. » Il hausse les épaules, ce que Jamie ne peut distinguer. Dans tout cet embrouillamini, un fait persiste. Jamie, Adam. L’un comme l'autre réprouvent ce qui s'en vient.

« Je vois que la confiance règne. Ça fait plaisir. » Demandeur de secrets, Adam… Adam qui sollicite la confidence sans grand sérieux. Il s’agit surtout de plaisanter pour passer le temps et tuer le froid. Jamie n’a rien à partager. Il esquive beaucoup le quadra, depuis le début de cet échange. Comme une impression qui lui colle à la peau. Ce qu’il souffle, cependant, sous-entend autre chose. Des secrets sur lui, il en circule peut-être en ville. Vérités ou commérages ? « Ça veut dire que si je creusais, je trouverais des choses ? » Pas qu’il ait l’intention de le faire, au contraire. Image du brave policier bien trop sacralisée dans son esprit, pour qu’il puisse se risquer à l’écorner. Un autre s’en chargera bientôt pour lui, ironie d’une histoire finalement commune. Un pick-up fait approche, trop distant pour distinguer le visage du semi-vieux. Jamie, toutefois, le salue par quelques appels de phares. Une vague de soulagement le submerge, suivie d’une once de gaieté. Des heures passées dans cette forêt sans voir âme qui vive. Adam n’est que trop heureux de retrouver un faciès familier. Poussée d’adrénaline qui l’aide à fournir quelques pas engourdis. La portière s’ouvre, véhicule en marche. Le vingtenaire rejoint le siège passager, jetant un prompt regard au quadra tout affairé. Couverture et thermos atterrissent sur ses genoux. Efficacité incomparable, il n’a pas même eu le temps de claquer la portière. V’là qu’il le questionne déjà sur la cabane. « Une minute, vous êtes bien pressé… » Chaleur appréciable que renvoie le thermos sous ses doigts.  Il prend un instant pour découvrir son nouvel environnement, s’attardant vaguement sur le quadra. Le froid s’accroche à ses os. Il lui faudra un peu de temps.  La cabane… Adam remarque le téléphone accroché au tableau de bord, carte pour fond. Il se permet de tendre un bras, glissant deux doigts sur l’écran tactile. Le temps de reconnaître la géographie, puis il change de position. Un zoom rapide… « Là. » dit-il, indiquant un point sur la carte. Elle s’est imprimée dans son esprit, tant il l’a étudiée. Adam croit comprendre que Jamie veut s’y rendre. « C’est quand vous voulez. » Le pied survole la pédale, déjà prêt à repartir, le Whelan. « Merci, au fait. » qu’il dit, pendant que le semi-vieux lui en laisse le temps. Pour le café, la couverture, la navette... Tout en fait... Il s'enfonce dans son siège, fixant la cime des arbres. « Il faut aussi que je vous plante le décor, j'imagine ? » La cabane, c'est bien joli. Manque la contextualisation, le folklore du rosier qui s'en revient chaque année. À moins que Jamie n'ait déjà entendu parler de cette histoire.


@Jamie Whelan