La situation est absurde autant qu'elle est drôle. Tu regardes par deux fois parce qu'il insiste mais tu sais à quoi ressemble une râpe à fromage et elle n'est pas dans ce fichu placard. Forcément, il a besoin de vérifier. Tu croises les bras et tu roules des yeux quand il se rend compte que tu as raison. Ce n'est pas négatif, tu es amusé de la situation et dans un sens bien content d'avoir raison. Tu secoues la tête en expirant de l'air bruyamment quand il la retrouve dans le lave vaisselle et qu'il doit, de fait, la nettoyer. Il te la tend ensuite et tu la prends, non sans le juger du regard, petit sourire en coin pour lui montrer que tu te moques de lui, au moins un peu. Fais donc, je suis sûr que ton four est trop sophistiqué pour moi. Avec pleins de boutons partout, trop de programmes différents pour cuire une simple quiche. De ton côté, tu t'attèles enfin à la tâche que tu tentes d'effectuer depuis de longues minutes, râper ce fichu fromage.

Tu sors ensuite un saladier -tu n'as pas trop de peine à mettre la main dessus heureusement- et tu y mets la crème, les oeufs ainsi que le sel et le poivre. Maintenant, il te faut le fouet et tu te souviens pas de l'avoir vu. Laisse moi deviner, si je te demande après le fouet, tu vas me dire qu'il est dans l'entrée avec les chaussures ? Cette fois, tu te fous complètement de lui et un large sourire vient se poser sur ton visage. Tu l'étires tellement qu'il te fait mal aux zygomatiques, mais il te fait tant de bien à côté que ce n'est rien. Quand tu as tout mélangé, tu peux faire revenir les lardons avec quelques oignons et des champignons que tu as rapidement coupés en lamelles, tu mélanges le tout, l'appareil est prêt. Tu sors la pâte de son emballage et tu l'étales sur le plat à quiches, tu peux ensuite venir y mettre ton appareil et le mélange lardons, oignons, champignons. Tu rajoutes le fromage râpé par dessus et elle est prête. Fier de toi, tu soulève ta quiche et tu lui montres, avant de la mettre au four. [color=#cc3300]Je vais prendre juste un peu d'eau fraiche.[/colore] Ça t'arrange, car tu n'aimes pas ranger quand tu cuisines, pas du tout. Tu prépares donc la salade, tu y mets de l’échalote dedans car tu aimes ça. Tu peux la laisser se reposer et venir s'assoir avec lui. Ton verre t'attend alors tu en bois une gorgée, puis tu te prends une tomate cerise. Tu es bien. Tu te sens bien malgré les dernières semaines et l'absence de Coco, d'ailleurs, ça doit faire bien une demie heure que tu n'as pas songé à elle et tu n'en as pas conscience mais ça te fait du bien d'être juste toi. On devait discuter, je crois ? Tu n'as pas oublié, tu sais que ces moments sont importants pour Alonso, ils ont l'air de l'être comme il y a plus de vingt ans, comme quoi, on ne change jamais totalement.

En entendant la remarque de Jeff, Alonso lève les yeux au ciel. Mais ! Le fouet est suspendu au-dessus du comptoir, pour le coup, il est juste devant tes yeux ! répond-t-il en prenant un air faussement exaspéré. Il soupire. Il sent les oignons, les champignons, lardons, Jeff fait ça bien. Ce genre d’attention est précieuse pour Alonso qui se nourrit habituellement de ce qu’il trouve en passant par la supérette. C’est une petite révolution dans sa cuisine. C’était sensé être juste un repas classique, il se retrouve avec la plus belle quiche qu’il a vu depuis longtemps. Sublime ! exprime-t-il lorsque Jeff lui présente. Et le fromage dessus est vraiment parfaitement bien râpé. Il se moque aussi. S’il avait su la veille qu’il serait là avec Jeff à prendre l’apéro pendant que la luminosité diminuait doucement dehors, il ne l'aurait pas cru. Il allume quelques lampes pour ne pas avoir à le faire lorsque le soleil tombera. Le salon prenait une autre atmosphère en fin de soirée. Il sert un verre d’eau fraiche du frigo et le pose à côté de lui.

On devait discuter oui, confirme Alonso. La discussion… C’était Jeff qui l’avait proposée, c’était Jeff qui l’amenait, mais c’était surtout lui qui voulait des réponses. Alonso est précautionneux, parce qu'il veut bien faire. J’ai des questions, tu imagines bien… J'imagine que tu as des choses à me demander aussi... Le préambule est posé. Alonso ne s'attend pas à ce que Jeff lui dise tout, chacun à le droit à son jardin mais il avait besoin d'éléments concrets, pas seulement des images floues. Je commence, donc ? Je voulais savoir sur tout ce que je t’ai dit à l’hôpital ce matin-là, quelle est la réalité derrière tout ça ? Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux ? Alonso commençait par une question dure, il le savait, mais il avait peur de ne pas comprendre toutes les nuances de leur échange s'il n'avait pas le passif de ce que la maladie avait provoqué ces dernières années. A quoi devait-il s'attendre ? Quels en étaient les impacts sur sa vie aujourd'hui ? Ou à défaut d'un historique, simplement, pouvoir se baser sur des faits et non pas sur des hypothèses : ne pas croire quelque chose qui n'était pas réel, ne pas considérer quelque chose comme acquis alors que ça ne l'était pas ou tout simplement arrêter de marcher sur des œufs dès qu'il lui parlait... Ce n'était pas possible de cocher un 100 % comme ça en lançant des hypothèses à la volée, il le savait, il n'avait décrit que ce qu'il imaginait basé sur ses connaissances sur Jeff et sur les patients similaires dont il avait entendu parler au cours de ses études ou rencontrés au cours de sa carrière, sa vérité, mais sa vérité n'était pas celle de Jeff. Al avait besoin de mots, des mots de Jeff sur la maladie, sur ce qu’il avait vécu ces dernières années. Cette question l'avait empêché souvent de dormir ces deux dernières semaines, se réveillant la nuit pour y penser parfois, imaginant le pire, entraînant de la peur, de la culpabilité et surtout de la compassion. Oui, il sait que la question est dure, mais il voulait qu'elle soit évoquée ce soir, qu'elle ne soit pas oubliée, elle était trop importante pour être reléguée au second plan. Alonso ne supportait pas le flou autour de tout ça, il n'avait pas forcément besoin d'une longue réponse, juste de faits sur lesquels il pouvait s'appuyer. Il a posé une de ses mains sur le comptoir,  l'autre sur sa cuisse, il est calme, peut-être un peu trop. La soirée est belle. Il ne veut pas la gâcher. Si Jeff ne peut pas lui répondre, il n'instera pas.

Les cheveux de Jeff étaient presque secs maintenant, il aurait pu avoir envie de passer une main dedans si les éléments de la discussion n'occupait pas autant ses pensées. Rien de ce qu'il ne pouvait dire ne pourrait le ternir aux yeux d'Alonso. Le pharmacien en était certain. Jeff le savait-il aussi ? Puis seconde question, forcément, comment vont s’organiser les prochaines semaines ? Comment je peux t’aider ? Ce n’est pas évident de poser ces questions quand on ignore les réponses qui peuvent être données. Il imagine facilement que c’est encore plus difficile d’y répondre. Il aurait préféré que la discussion soit naturelle que tout ça vienne dans un fil de conversation, mais ce n'est pas possible, il le sait aussi. Mais si ces deux questions n'avaient pas pu être posées ce soir, il aurait eu une sensation d'échec. Deux faces d'une même pièce : comprendre pour mieux agir. Peut-être que le fait de baigner dans le milieu médical ne facilite pas non plus une approche douce de la situation pour le méthodique et organisé Alonso. Bien sûr qu'à l'intérieur, son ventre est noué de peur, mais il fait en sorte de l'ignorer, son regard est calme et son visage ne reflète que de l'intérêt pour son interlocuteur.

Tu sais que ça sera bientôt plus difficile, que l'atmosphère va s'alourdir, que le silence sera plus pesant. Mais ça va devoir arriver et de toute façon, tu l'amènes toi même pour lui montrer que tu as écouté, que tu es d'accord avec lui d'une certaine façon. Parce que tu restes la personne que tu es et tu as foutrement la trouille de lui parler de tout ça. Si tu as accepté et si tu lui montres que tu as bien compris l'importance d'une telle discussion, ça ne signifie en rien que tu es totalement à l'aise avec. Rien que le fait d'énoncer cette partie de la soirée te provoque une boule d'angoisse au fond de ton ventre. C'est pour cela qu'Alonso est spécial, parce que tu ne l'aurais jamais accepté venant de quelqu'un d'autre. tu n'aurais rien dit et avant le moment fatidique, tu serais parti, comme tu l'as déjà fait tant de fois dès que tu sentais que la situation commençait à t'échapper. Elle est sans doute là, ta déclaration d'amour pour Alonso, pas des mots que l'on emploie normalement, pas de longs et tendres baisers. Mais toi qui accepte de t'ouvrir à lui, sans détour.

Le repas passe au second plan. Tu apprécies ce petit répit fort amusant et léger au possible. Tu repenseras pendant des semaines à ton échange de sourd avec Alonso quand tu verras la râpe à fromage, même si tu ne l'utilises pas. Les souvenirs comme celui-ci sont précieux, il laisse toujours comme une pointe de joie sur un cœur parfois bien lourd de culpabilité.

Tu viens t'assoir et tu entends ton cœur, tu sens ton cœur battre dans ta poitrine. Tu te sens légèrement fébrile, on lit souvent tout en toi alors dans ton regard, on lit facilement ton inquiétude. Tu es prêt pour accepter d'en parler, mais peut être pas encore tout à fait pour le faire. Sa question arrive, tu t'étais imaginé quelque chose de la sorte. Tu as tenté de ne pas y penser, surtout pour éviter de te donner envie de fuir, mais forcément, tu as eu le temps de retourner dans ta tête tout ce qu'il allait pouvoir te dire et comment il allait te le dire. Heureusement, tu t'es reposé avant que ça ne commence à t'envahir. Le bain t'a aussi détendu. Mais les interrogations ont été présentes. Tu laisses le silence planer à nouveau. Yeux baissés sur la table, tu regardes tes mains, tes doigts qui ne tiennent pas en place et montrent bien que tu n'es pas à l'aise. Alonso n'est pas dupe, il se doute bien que tout ça n'est pas simple, tu sais qu'il ne va pas te crier un ALORS qui te ferait sursauter, juste parce que tu prends le temps de répondre. Souvent, c'est ce qui arrive, quand tu tentes de faire des efforts mais que ce n'est pas assez, pas assez clair, pas assez rapide. Et ça te braque forcément. Mais tu as le temps avec ton bien aimé. La seconde question arrive et tu en es toujours à te donner du courage à répondre à la première, peut être que tu vas l'oublier sur le passage, d'ailleurs. Tu n'organises pas ce que tu vas dire, ce serait impossible pour toi, les mots sortiront comme ça. Mais tu prends vraiment ce temps pour te convaincre que tu dois te lancer, que pour une fois, tu dois te livrer sur qui tu es. Tes doigts arrêtent de bouger, tu fermes les yeux, ta tête est toujours baissée mais tu prends une grande inspiration, tu la relèves et tu le regardes cette fois. Tes yeux fuient d'abord les siens, quand ils viennent de les trouver. Peut être que c'est trop pour toi d'en plus le regarder ainsi. Tu préfères alors poser ton regard juste derrière lui. Je vais essayer de me souvenir de tout ce que tu avais dit. Il faudra que tu reviennes sur certains points si j'en oublie. Parce que tu vas en oublier, même si la discussion est encore fraiche dans ton esprit. Elle a été tellement marquante et tu l'as retournée tant de fois dans ta tête depuis qu'il eut été impossible de l'oublier, pas dans les grandes lignes en tout cas. On m'a bien diagnostiqué un trouble de la personnalité borderline il y a quelques années. Ça s'est produit après un épisode catastrophique, mais je n'ai pas envie de le détailler pour le moment. J'ai été pris en charge et ça a pris du temps, beaucoup de temps pour que je sorte d'un état dépressif très fort. Un professionnel m'a expliqué qu'avec mon mode de vie, qu'avec le milieu drag que je fréquentais, et tout ce qui en rapproche, ça n'avait pas aidé. Ce n'était pas un reproche de sa part, il m'indiquait juste qu'on a longtemps trouvé des excuses à mes comportements, en quelque sorte, à cause de ça. J'étais Jeffrey le mec qui pète des plombs, Jeffrey le mec désespéré d'être aimé, Jeffrey celui qui disparait à la moindre difficulté émotionnelle mais dans mon entourage, bien qu'il soit instable, c'était du à mon personnage, à Coco, au travestissement. Pourtant Coco est si sage et posée, c'est pour ça que je l'ai toujours laissée prendre le relais. Elle m'a sauvée tellement de fois. Tu parlais des tentatives de suicides aussi, si je me souviens bien. Je n'en ai fait qu'une seule. C'est aussi grâce à Coco que c'est arrivé qu'une seule fois, je crois. Parce que j'avais cette chance de l'avoir comme refuge. Et elle est presque toujours intervenue au bon moment. J'ai eu une grosse dépendance au sexe, oui. Tu te tais. Le sexe fait encore parti de ta vie, tant que tu le prends comme quelque chose de sain, mais ce n'est pas évident pour toi et tout de suite, tu te dis que peut être, Alonso aura du mal avec cette partie. Tu sais qu'il va songer aux IST, au Sida sans doute. Il est pragmatique, ces choses là lui viendront à l'esprit. Et puis il est pharmacien, alors tout ce côté là lui est familier. J'évite l'alcool à cause de mes traitements, aussi parce que ça n'arrange en rien mon état, en général. Coco se permet un verre, de temps en temps. Mais là-dessus, tu n'as pas été dépendant, tu ne penses pas. En tout cas, tu parviens à t'en passer. Tu fronces les sourcils, tu repasses ce qu'il te reste de sa conversation dans ta tête, tu as l'impression d'oublier quelque chose, plusieurs choses même. C'est difficile. Tu dois en même temps songer à ce que tu vas dire et te souvenir et aussi, tu as ton foutu cœur qui tambourine. Tu avais aussi parlé de ma prise en charge ? Tu l'interroges du regard. Tu n'es plus certain mais il te semble qu'il avait énoncé les traitements, la difficulté de le maintenir. Mais tu n'es pas sûr, tu préfères lui demander.

Tu baisses les yeux à nouveau. Tu as peur. Même s'il t'a dit qu'il ne te laisserait pas, même s'il a appelé sa maison, la votre. Même si les mots sont importants pour Alonso, que tu le sais. Tu es fébriles, tu as peur qu'il te demande de partir finalement. Parce que ta maladie est cruelle pour ça aussi. Toi qui cherche toujours désespérément le contact et l'attachement, tu sais aussi que c'est à cause de cela qu'on t'abandonne. Et l'abandon est la pire chose qu'il puisse t'arriver, toujours.

La détresse de Jeff est si évidente qu’Alonso imagine pouvoir la toucher. Il le voit aussi le courage de son ancien amant. Il a ces yeux baissés, ces yeux qui cachent sans doute de la honte même si cela ne dépend pas de lui. Personne n’aime parler de ses faiblesses, encore moins quand cela inclus des tentatives de suicide. Il ne le dit pas, mais c’est ce qui fait le plus peur à Alonso, c’est ce qui le terrifie le plus. A 48 ans, le pharmacien n’a jamais subi de décès dans son entourage proche, il sait que c’est rare, il sait qu’il est privilégié, mais il sait aussi que ça finira par arriver dans l’ordre des choses, ses grands-parents, ses parents... Mais imaginer la mort de Jeff lui paraît inconcevable. Son regard se pose sur ses doigts qui s’agitent, il aimerait le toucher mais le souvenir des gestes de reculs de Jeff à l’hôpital sont encore présents dans sa mémoire. Il lui laisse alors sa bulle, laissant les secondes s’égrainer sans le brusquer. Alonso pose sa seconde question, il se dit que si Jeff a trop de mal avec la première, il pourra passer à celle qui suit. Ce n’est peut-être pas la meilleure stratégie de communication mais c’est tout ce qu’il peut faire.

La danse de ses doigts s’arrête, Alonso est toujours immobile. Derrière les animaux font des petits bruits et semblent s'être réveillés, il lui semble entendre le bruit de Chanel qui fait sa toilette, de Cha-Cha qui va boire de l’eau. Il entend ces sons, mais ils sont filtrés par l’instant car Jeff a redressé la tête. Alonso hoche la tête, il ne sait pas si Jeff le regarde ou s’il regarde à côté, ça n’a pas grande importance, il pourrait lui parler les yeux fermés que le pharmacien l’écouterait de la même façon. D’ailleurs, au bout d’un moment, Alonso lui tourne aussi le regard pendant son écoute, attentif à la voix de Jeff. Il entendait, la justification des agissements de Jeff par le milieu qu’il fréquentait. C’était vrai, Alonso aurait pu rajouter le fait que beaucoup de personnes de leur milieu avaient aussi des histoires compliquées, Jeff passait inaperçu dans cette masse parfois instable. Il évoque Coco, Alonso ne peut que valider ce point parce qu'il l'a vu ces derniers mois, Coco est bien plus rationnelle que Jeff. Il arrive sur les tentatives de suicide, la tentative, et le cœur d’Alonso manque un battement. Il pince un peu les lèvres, il s’était promis d’écouter sans réagir et pourtant il se sent un peu partir dans cette révélation. Mais Jeff ne s'attarde pas et évoque ensuite une dépendance au sexe, Al note qu’il en parle au passé. Jeff se tait. Alonso est légèrement surpris que Jeff semble plus gêné par cette déclaration que par tout ce qu’il a dit avant. Bien sûr, il pense à tout ce qui est lié à ces déviances, le risque sanitaire, IST, Sida, mais aussi la violence et les blessures tant physiques que psychologiques qui peuvent en découler. Il a fait de l’humanitaire, il a travaillé dans le domaine de la santé toute sa vie, il sait comme les êtres humains peuvent exploiter les failles des autres à leur avantage.

Alonso lève les yeux enfin vers Jeff lorsqu’il lui pose la question de la prise en charge, se rendant compte que dans sa réflexion, il les avait gardés baissés sur le plan de travail. Son esprit avait choisi un visuel neutre pour une écoute plus attentive des inflexions de la voix de Jeff, sans être pollué par le reste. Maintenir longtemps le contact visuel n’est pas toujours aisé pour Alonso. Il voit la peur dans le regard de Jeff, la même peur qui l'avait fait reculer devant lui à l'hôpital, alors Alonso lui reste dans la réflexion, sans chercher à dévoiler le fond de sa pensée, parce que tout simplement Jeff ne lui a pas demandé. Oui, je voudrais savoir pourquoi tu n’as pas réussi à suivre tes traitements avant. Pas les généralités : les oublis passagers, l’emploi du temps qui ne correspond pas aux séances que tu as fixé, ça je visualise bien. Ce que je voudrais c’est - si tu arrives à me dire – si tu as identifié une raison récurrente te faisait tout abandonner ? Il creuse, il ne sait pas si Jeff a la réponse à cette question. Il a pourtant dû la chercher à un moment ou un autre en thérapie. Parce que s’il peut avoir cette clé, même si ce n’est jamais aussi simple, même si c’est toujours multifactoriel, Alonso pourra, peut-être, parfois réussir à désamorcer Jeff ou au moins éviter les situations à risque.

Il y a comme un poids qui pèse sur tes épaules, un poids qui s'étend jusqu'à ton dos et qui t'affaisses légèrement. Celui de la culpabilité, de la honte, de la peur. Un poids qui n'est pas réel mais qui pèse tout autant. Un chien aurait les oreilles baissés, la queue entre les jambes et cet air d'avoir tout gâché. Toi, tu restes juste immobile. Tu sais qu'Alonso ne va pas te dire de partir, tu penses savoir du moins qu'il ne sera pas aussi abrupt avec toi. Il aurait cette gentillesse de te ménager et tu partirais, mais sans cris et sans rires de sa part. Tu le sais, au fond de toi, là où ton cœur a compris depuis longtemps qu'il n'a jamais cessé de t'aimer mais que toi, tu as tant de mal à le voir, ou juste à l'entrevoir. Mais ce que tu ne sais pas, c'est s'il est prêt à s'engouffrer dans un tel chaos. Parce qu'il n'y a pas d'autre mot. Les répits sont courts, parfois inexistants pendant de longues périodes. Tu n'es pas responsable, il te l'a dit mais les agissement viennent de toi alors il t'es souvent difficile de l'accepter. Tu es déjà résigné, à cause de ton passé, à cause de l'histoire qui se répète toujours. Tu as appris à accepter qu'on ne puisse pas vouloir te sauver, parce qu'en plus de cela, il est impossible d'y parvenir, on peut juste t'empêcher de sombrer trop rapidement.

Tu essaies de repasser ce que tu viens de dire. Il te manque des éléments, c'est certain, ils te viendront plus tard surement. Alonso te répond, comme tu le pensais, il ne te met pas dehors, pas tout de suite. S'il doit le faire, ce sera avec tendresse et tact. Ce point n'est pas encore certain pour toi. On pourra t'en vouloir de ne pas lui faire confiance, mais pour toi, c'est davantage une question de bon sens que de confiance. C'est ton fardeau et tu ne peux l'imposer aux autres.

Tu hausses une fois les épaules. Sa question est difficile, en effet. Un jour, en thérapie on m'a dit que j'étais trop faible, que je rechuterai toujours. On m'a aussi dit que les gens comme moi ne font qu'échouer et qu'il était fatigant pour tout le monde de toujours devoir tout rattraper. On t'a traité comme un enfant, souvent. On t'a pris de haut, on t'a parlé comme si tu ne comprenais pas l'importance de suivre ton traitement. On t'a dit que tu étais égoïste, que tu faisais souffrir tout le monde. Ceux qui étaient censé t'aider ont parfois précipité les crises, les chutes, les phases de dépression. Tu l'as cru, bien sûr que tu l'as cru parce que tu rechutais, que ça se passait comme il l'avait dit. Mais il ne t'a pas aussi dit que ce n'était pas de ta faute, il n'y a eu que des reproches dans ses mots et dans sa voix. On t'a aussi affirmé le contraire, mais il était plus difficile pour toi de l'entendre. Peut être aussi que tu te contentais des mots de cet homme pour justifier le fait de ne pas réussir, d'arrêter tes traitements. A quoi bon, vu que tu ne ferais qu'échouer ? Juste une question de temps. J'ai n'ai pas de réponse exacte. Tu as beau la retourner dans tous les sens, c'est compliqué pour toi d'y mettre une cause, une seule. Sans doute l'abandon. Je pense. C'est revenu des tas de fois et mes crises les plus violentes venaient toujours après un abandon. Ça te fait penser à celle que tu as eu quand tu as cru qu'il ne voulait pas de toi ici. La facilité, aussi. Parce que je ne me sens jamais mieux que lorsque je ne prends plus rien. C'est con de dire ça parce que c'est aussi quand je ne suis plus mes traitements que je me sens le plus mal. Mais je n'arrive pas à me contenter du milieu. Je peux vivre dans la dépression pendant des mois si à côté, j'ai juste une heure où je me sens comme exalté. C'est comme si ça en valait le coup. Sauf que ce n'est pas le cas. C'est ce que tu crois. Ton corps, ton cerveau a besoin de ce trop plein de bonheur, qui t'envahit parfois. Un comportement addictif en somme, pour quelques instants de pur bonheur, tu es près à vivre des jours entiers de désarroi. Ton regard se baisse. Tu as déjà parlé de tout ça, bien sûr, mais jamais à quelqu'un qui compte autant. Tu aimerais disparaitre, là maintenant, n'être plus rien du tout. Si tu as tenté de contenir tes larmes, cette fois, elles coulent le long de tes joues, gagnent ta mâchoire. Tu as trop peur de lever le bras pour les essuyer d'un revers de manche, parce que ça voudrait dire que tu acceptes ta faiblesse et tu n'y arrives pas.

La réponse intéresse vraiment Alonso, mais il fronce les sourcils lorsqu’il entend qu’on a osé lui dire qu’il était trop faible. Cette première réponse n’est pas vraiment ce qu’Alonso attend. Il n’est pas du genre à penser qu’il y a des gens forts ou faibles. Il ne conçoit pas le monde ainsi. Chacun n’a pas la même sensibilité, c’est certain, mais être sensible ne veut pas dire que l’on est plus faible, il aurait parfois même tendance à penser le contraire. Dans le cas de Jeff, bien sûr que tout est lié son hypersensibilité est un symptôme de son trouble. Mais il n'oublie pas que sa condition est pathologique parce qu’il se fait d’abord du mal à lui-même avant d’en faire aux autres. Parce qu’il n'oublie pas qu’au final, ceux qui veulent abandonner abandonnent, mais que lui se retrouvera toujours avec sa maladie, bloqué avec elle. L’abandon. Noté. Alonso ferait plus attention à ça. Il pense à la crise de deux semaines plus tôt provoquée du coup certainement par le fait qu’Alonso n’était pas descendu assez vite. Il avait un doute mais l’explication se tient. Il ne le juge pas. Qui était-il pour juger les émotions de qui que ce soit ?

La dernière explication est celle qui brise les derniers remparts de Jeff. Alonso ne voulait pas le faire pleurer. Il se lève, va dans la salle de bain la plus proche pour lui ramener un paquet de mouchoirs. Tiens… Lui dit-il doucement en le posant à côté de lui. Il ne peut pas ne pas rester à côté de lui en train de pleurer sans qu’il ne puisse le toucher, même s'il s'était promis de ne pas le faire, alors doucement il passe une main dans son dos et le caresse du haut vers le bas. Il comprend - sans comprendre totalement, parce qu’il ne l’a jamais vécu - mais disons qu'il saisit la théorie de ce que Jeff lui dit, des mois de malheur pour une heure de bonheur. C’est une forme d’addiction aussi dans un sens. Il sent l’odeur de la quiche qui commence à se rependre dans tout le salon. Il se demande pourquoi cette odeur le distrait alors que Jeff est en train de se liquéfier.

Il ne sait pas quoi dire. La dernière fois qu’il avait essayé d’être doux, Jeff l’avait renvoyé dans ses cordes en disant qu’il n’y connaissait rien. Alors, il ne dit rien, restant juste à ses côtés, caressant son dos. D’accord… Merci... est le seul mot qui lui vient au bout d’un moment. Merci de te confier, merci de me faire confiance, merci de me donner une chance, pense-t-il tout bas sans l'exprimer. Il attend qu’il se calme un peu. Il y avait sa seconde question, mais ils auraient tout le temps d’y revenir ce soir ou plus tard. Cette odeur de quiche continue de l’inquiéter, alors il va quand même voir le four. Si ça continuait la belle réussite de Jeff finirait en charbon, il ne sait pas combien de temps s’est déroulé et si la quiche est cuite mais dans le doute, il éteint et ouvre le four. On n’était jamais trop prudent. Il vient se réinstaller en face de son ami. Et toi, est-ce que tu as des choses à me demander, Jeff ? l’interroge-t-il avec douceur. Parce qu’il n’y avait pas de raison que ce soit dans un seul sens. Que ce soit seulement Jeff qui donne et Alonso qui reçoive.

Tu aurais aimé ne verser aucune larme. Parce que tu n'aimes pas te sentir si faible face aux autres et aussi parce que tu as l'impression que ce n'est pas juste pour Alonso. Pas juste parce que forcément, ça le forcera peut être à se trouver plus indulgent avec toi et ce n'est pas ce que tu veux. S'il l'est juste parce qu'il a bon cœur, alors ça ne marchera pas entre vous. Avoir bon cœur ne suffit pas avec toi, à vrai dire, il n'y a pas grand chose qui suffise.

Tu aimerais dire à Jeffrey que maintenant, tu voudrais qu'il te prenne dans ses bras. Peut être que la démonstration d'un peu plus tôt n'a pas suffit à lui faire comprendre que tu étais prêt. Tu devrais dire les choses plutôt que de les suggérer, mais tu as aussi peur que lui t'indique qu'il n'est pas prêt. Tu serais déçu, tu comprendrais, mais il y aurait tout de même cette pointe de déception. Sans doute que tu te blâmerais aussi, ce serait forcément de sa faute. Alors tu as tenté autrement, en faisant un pas de ton côté mais parfois ça ne suffit pas. Tu vas devoir travailler sur toi même pour le lui demander, arriver à te convaincre que ça ne sera pas grave s'il n'est pas sur la même longueur d'ondes. Ses mots sont rassurants. Tu n'as pas besoin de plus. Le fait qu'il ne te rejette pas est déjà énorme, bien plus que tu ne l'espérais. Tu arrives à souffler un peu, les larmes ne coulent plus, ton cœur se calme. Il y aussi le fait que tu vieillis, toutes ces émotions, toutes les fois où tu ne contrôles plus rien, toutes les dérives que ça t'apporte. Ton corps réagit moins bien, forcément. Tu aimerais juste du répit maintenant, te battre commence à être trop fatigant.

Mais ton cœur s'emporte à nouveau. Pas de la même manière. C'est quand Alonso pose la main sur ton dos et te le caresse qu'il bat plus fort. Mais tu n'es en rien oppressé cette fois. Alonso devrait savoir que te faire passer par tant d'émotions n'est pas ce qu'il y a de mieux pour toi, mais tu as ton traitement, alors ça va. Tu ravales ta salive. Tu as des choses à lui demander. Certaines plus tristes que d'autres, certaines t'apportes plus d'angoisses aussi. Je sais déjà que tu connais des choses. Mais. Est ce que tu es réellement prêt à me voir échouer ? Je sais qu'on en a parlé mais tu as pu y réfléchir depuis. Je peux pas t'en vouloir de me dire non. Mais je dois en être certain. Je me retiendrai toujours face à toi si tu as le moindre doute Alonso. Tu te dis qu'il a du retourner la question dans tous les sens lui aussi. Tu te répètes peut être mais tu en as besoin. Ce n'est pas une décision que l'on prend comme ça, au contraire. Et tu préférerais qu'il te dise que finalement, ça sera trop dur. Comme si c'était aussi plus simple pour toi de te dire que tu n'auras pas à détruire la vie de celui qui a toujours compté le plus. J'ai envie de te voir heureux, Alonso. Si je dois bien tout sacrifier pour que quelque chose se produise, c'est bien ça. Alors si tu doutes, c'est que tu ne seras pas heureux. Si tu le fais parce que tu te dis que tu dois le faire, tu ne seras pas heureux. Je vivrai, sans toi Alonso. La dernière phrase peut paraître dure. Tu espères qu'il comprendra qu'il n'a pas à sacrifier autant, juste par peur que toi tu ne saches plus vivre après. Oh, ta vie sera un enchainement de chaos, tu le sais, mais tu vivras, comme tu l'as dit.

Tu aurais tellement aimé lui dire que tu étais d'accord sur tout, cette maison comme la tienne, son retour dans ta vie comme quelque chose d'absolument merveilleux. Mais pour une fois, il faut que tu sois pragmatique. Peut être seulement cette fois, tu dois penser avec ta tête et ne pas laisser tes émotions l'emporter.

Alonso pose son coude sur le comptoir et pose sa tête contre sa main. Il réfléchit puisque c’est ce que Jeff attend de lui. Une réflexion, pas une réponse à la va-vite. Je vivrai sans toi Alonso, cette phrase lui serre les tripes. Oui, lui aussi, dans le fond il pourrait vivre sans Jeff. Il pourrait, il l’avait fait, tous les deux, ils l’avaient fait. Il pourrait retourner à son train-train quotidien, ses boulots, ses amants, ses histoires sans attaches… Cette vie tranquille et sans complexité. Il pourrait, mais il ne veut pas. Oui, je suis prêt à être là dans les mauvais moments Jeff. Quand tu tomberas, j’amortirais la chute si je le peux et je t’aiderai à recommencer le processus du début s'il le faut. Tout le monde avait des moments de doute, Jeff savait qu’il allait échouer. C’était pour lui une certitude. Une certitude tellement ancrée en lui qu’Alonso savait qu’elle deviendrait réalité. C’était obligé. Il allait falloir du temps, beaucoup de temps et de patience pour que cette image qu’il avait de lui-même s’améliore.

Quel était le nom du psy qui avait osé lui mettre en tête qu’il n’était pas assez bien pour être aidé qu’Alonso aille lui retirer tout de suite son diplôme de médecin ou de psychologue ? Je sais que c’est dur pour toi de me croire, j’imagine que tu as été souvent déçu, blessé. Les mots que tu m’as dit à l’hôpital… ceux que tu pensais que j'allais te dire... je ne les oublierai jamais. Il repense à ce moment où Jeff lui a dit qu'il avait l'habitude qu'on le trouve fou, répugnant, qu'on se moque de lui, qu'on le frappe même, ce dernier point n'avait pas été dit mais Al l'avait vu de lui-même... Jamais Alonso ne pourrait imaginer ce que ça a été pour Jeff d'être Jeff, combien ces moments ont détruit sa confiance en lui et en l'autre. Je ne te promets pas d’être parfait, je ne peux pas l'être, mais j’espère que je finirai par gagner ta confiance, Jeff. Il ne sait pas combien de temps cela prendra, toute une vie peut-être, toute la leur en tout cas. Bien sûr, Alonso sait qu’il finira aussi par décevoir Jeff parfois. Il n’est pas infaillible. Il ne peut pas tout comprendre, il ne peut pas tout voir.

C'est bien le plus beau cadeau que tu puisses lui faire, être honnête avec lui. A 100%. Peut être même le pousser à choisir la résignation et à abandonner son projet d'être avec toi, quoi qu'il advienne. Parce que si tu ne le fais pas, tu gâcheras sa vie et si tu gâches sa vie, tu n'as pas de raison de vivre la tienne.

Alonso est un homme rempli de qualités. Il a ses mauvais côtés, bien entendu, mais tu le connais tellement doux et attentionné qu'il ne pourrait pas finir sa vie seul, si ce n'est pas ce qu'il veut. Tu n'as pas vraiment le choix, de ton côté. Alonso l'a et c'est pour ça que tu dois l'amener à se demander s'il veut choisir celui d'être avec toi. Il sait au moins que ça ne sera jamais simple, que les moments de répit ne présageront qu'une tempête à venir. Tu es rassuré quand il te dit de lui même que tu vas échouer. Il en est conscient. Il ne va pas essayer de minimiser ta maladie, ni de te donner plus de capacités que tu ne possèdes. Ce point là est rassurant pour toi, tu avais besoin de l'entendre. Ces mots te font fermer les yeux. Même si le moment est dur, émotionnellement dur, tu as l'impression de te sentir bien. Tu te dis que les médicaments te donnent cette impression mais ça pourrait être Alonso qui t'accepte comme tu es. Tu ne le vois juste pas. Je ne te demande pas d'être parfait. Être Alonso est ma forme de perfection. Tu réécoutes ta phrase dans ta tête, tu ouvres les yeux et tu grimaces. Oh mon Dieu, que c'était niais... tu te permets un petit rire, qui te fait un bien fou. Tu as encore des interrogations, mais peut être que ce n'est pas le bon moment. Il te veut près de lui, sans doute pour une bonne partie de sa propre vie maintenant mais... Comme un ami ? Vous vous aimez, et vous le savez au fond. Mais peut être que ça ne fonctionnera pas si vous reprenez une vie de couple. Tu ne sais pas si tu dois demander. Tu as envie de l'embrasser. C'est maintenant la seule chose qui traverse ton esprit. Tu pourrais non ? Tu avais peur de le faire avant de lui parler et c'est fait. Maintenant une nouvelle peur prend place. Tu n'arrives pas à la définir. Je-... Je peux t'avoir contre moi un instant ? Tu trouves que tu dois encore demandé, rien n'est clair à ce sujet pour toi. Mais tu en as déjà demandé beaucoup à Alonso, tout ça a du le fatiguer.

Alonso rit aussi. Il ne sait pas si c’est la réflexion de Jeff qui le fait rire ou tout simplement de le voir heureux. Je crois que je vais inscrire cette maxime dans un cadre et l’afficher dans ma chambre. ajoute-t-il en se moquant gentiment. Il y a les choses que l’on dit, et il y a celles que l’on ressent. Le moment est à l’humour mais son cœur lui se serre en entendant ces mots, ces mots trop niais selon Jeff. Parce qu'il y a une dernière question qu’il a envie de poser. Celle qui se cache derrière leurs échanges depuis un moment, celle qui s’est dévoilé pourtant plusieurs fois pour aussitôt se cacher. Il cherche son courage alors que Jeff lui demande une étreinte. Al lève les yeux vers lui. Jeff… Ce n'est pas que je ne veux pas. commence Alonso un peu perdu en se levant de sa chaise, il est debout, à côté de son ex-amant. Il ne sait pas bien pourquoi il s'est levé. Leurs émotions sont à fleur de peau. Tout se repasse dans la tête d’Alonso en quelques secondes, l’étreinte ce midi dans la voiture, celle avec Coco, celle du retour de Jeff et aussi les mots contradictoires de Jeff depuis qu’ils se sont retrouvés : tu as été l’amour de ma vie, je suis parti parce que j’ai pris peur, ces gestes de recul à l’hôpital.

Il a eu le ventre noué ce soir mais cette émotion est encore différente. Rien que de penser à ce qu’il va dire, penser à ce qu’il va demander à Jeff, il a peur, pourtant cette fois c’est peut-être à lui d’être courageux. Mais, juste avant, je voulais savoir... une chose encore. Tu vas me trouver bien égoïste alors si ma question te gêne, tu n’es pas obligé d'y répondre et ça ne remettra rien en cause, promis. Il a le ventre qui se serre. Il n’a pas pris autant de précautions tout à l’heure alors qu’il devait lui demander plus. Bien sûr, il aurait envie de l’enlacer tout de suite c’est tout ce qu’il désire, mais il hésite parce ça aussi, il a besoin de savoir, parce que la question tourne dans sa tête depuis des jours, elle est peut-être même née au moment où Jeff a posé le premier pied chez lui, un mois et demi auparavant, elle a maturé doucement, évolué en même temps que le chaos de leur relation. Il prend son courage à deux mains, le regarde et demande doucement : Est-ce que tu crois que dans tout ça, tu auras un jour de la place de la place pour... nous ? … Je veux dire... Est-ce que j’ai le droit d’espérer… plus qu'une amitié entre nous ? Sa voix est comme un souffle et son cœur frappe dans sa poitrine comme s'il voulait en sortir. Ça y est, il l’a dit. Comme prévu, il se sent immédiatement coupable et égocentrique, parce que Jeff est dans une phase de reconstruction, qu’il est encore fragile et qu’il ne veut pas lui imposer ses désirs. Alonso a peur que son ami le perçoive comme une pression supplémentaire, une obligation pour rester avec lui et il regretterait vraiment s'il le prenait ainsi. Il a envie de ravaler ses mots, de se maudire de demander ça maintenant alors que Jeff ne demande rien de plus qu'un peu d'affection.