L'air semble plus doux. Tu en avais besoin. Ta maladie est déjà assez dure au quotidien. C'est aussi pour ça que tu n'en parles pas, que tu tentes de l'oublier. Ça fait aussi parti des raisons qui te poussent à parfois ne plus prendre tes médicaments. Pas uniquement celle-ci évidemment, mais elle appuie sur cette irrésistible envie de tout arrête. Pour vivre, pour profiter, pour ne pas être totalement conscient que ça finira par être un désastre.

Mais c'est un précieux répit bien trop court. Tu fermes les yeux quand tu entends sa réponse. Tu déglutis difficilement et tu tentes de contenir tes émotions. Encore une fois, ce n'est pas juste de le faire changer d'avis juste parce qu'il aurait peur que tu fasses une connerie après ça. Tu vas devoir faire attention à ça maintenant et pas seulement te laisser porter. Tu prends de grandes inspirations. Ce n'est pas grave Jeff. Que tu te répètes dans ta tête. Tu sais que quand tu commences à te répéter les choses, c'est que tu commences à perdre pied. Mais tu es sous médicaments, alors ça devrait aller. Il veut te poser une question. Encore une. Tu n'es plus à ça près. Il parle d'être égoïste et tu t'en fiches, tu ne penses qu'à son refus, en réalité. Tu penses aussi qu'il est passé à autre chose, il t'a répondu, c'était délicat mais très clair comme réponse. Alonso ne s'attarde pas ainsi, il est pragmatique, une fois un problème résolu, une réponse apportée, il passe à autre chose. Toi, tu es plutôt à imaginer comment les choses auraient pu se faire autrement, à revenir en arrière aussi, à changer tes plans sans autre raison qu'une intuition à la con. Tu tentes un sourire un peu forcé, un peu maladroit -maintenant que tes yeux sont de nouveaux ouverts- pour lui montrer que tu es prêt à l'écouter tout de même. Il va sans doute te questionner sur ta maladie, peut être revenir sur tes phases dépressives. Tu te dis qu'il aimerait en connaître les signes avant-coureur afin de t'aider au mieux.

L'incompréhension encore. Tu le regardes perplexe. Tu le sens gêné et cette fois, ton sourire revient, le beau, le sincère. Il va te faire avoir une crise cardiaque avant même que quoi que ce soit se passe entre vous le bougre. Je n'ai jamais cessé d'avoir de la place pour toi, pour nous. Tu lui avais dit, qu'il avait été l'amour de ta vie. Pour toi, ces choses là ne changent pas, elles restent, s'adaptent, parfois se mettent en pause pour ne jamais revenir. Ne l'avait-il pas compris ? Bien sûr, tu n'es pas en état pour le moment, d'être complètement dans une relation. Mais tu peux aisément accepter sa tendresse, celle d'un amant qui ne le serait pas totalement. Je sais que ça prendra du temps mais je l'ai toujours profondément espéré. Peut être l'espoir le plus lumineux que tu gardais précieusement. Peut être qu'inconsciemment, tu n'as pas totalement sombré parce qu'il y avait cette infime chance que tu le retrouves un jour et que cette infime chance en valait la peine. Tu as envie de lui offrir un Jeffrey plus stable et tu as aussi envie que Coco soit là pour le voir. Est ce que ça veut dire que tu peux lui demander de le prendre dans tes bras maintenant ? Tu hésites. Pas un nouvel échec, un nouveau refus. Tu es penaud. Tu cherches à capter la réponse dans son regard mais tu n'y parviens pas. Alors tu lui implores avec les tiens de faire ce pas, si c'est possible pour lui.

Lorsque le regard de Jeff s’illumine, Alonso prend une inspiration de soulagement devant ce sourire, même s’il attend la confirmation orale. Il avait bien vu que son hésitation avait inquiété Jeff, que son refus lui avait fait mal, mais il ne se serait pas permis. Non, il ne pouvait plus faire semblant de l’accueillir dans ses bras sans avouer que pour lui, cette étreinte était bien plus qu’un simple échange de tendresse, craindre d’aller trop loin, sans savoir ce que Jeff voulait vraiment. Il l’a espéré. Vraiment ? Il n’ose y croire, il n'ose comprendre. Alonso avait été perdu dans tant de signes contradictoires, il avait eu tellement peur de lui faire mal, de le blesser. Il aurait sans doute toujours cette peur, n’est-ce pas normal quand on aime d’avoir peur de blesser l’autre ? Alonso n’a pas besoin de croiser le regard de Jeff pour avoir cette envie irrépressible de le prendre contre lui, pourtant leurs yeux se croisent et le pharmacien voit dans ce regard une envie mutuelle de sceller un peu plus cette confession. Merci... dit-il simplement. Il s’approche de lui, prend ses mains dans les siennes et le fait descendre du tabouret de bar.

Il l’observe, sans savoir vraiment s’il a besoin de plus de mots. Il sent sa poitrine s’emplir d’une fébrilité nouvelle. Sa main se lève pour remettre en place une mèche des cheveux de Jeff puis caresse sa joue barbue. S’autoriser à caresser son visage, toucher sa peau, il l’avait déjà fait, mais jamais sans être retenu par la peur. Il ignore jusqu’où il peut aller. Peut-être qu’il pourrait poser ses lèvres sur les siennes. Oui, peut-être, mais pas maintenant, pas tout de suite. Ce que Jeff a demandé c’est d’être contre lui. Alors, Alonso se rapproche doucement, son cœur continue de battre plus fort, il ne demande pas la permission avec des mots, après tout, Jeff a déjà demandé. Il pose sa main sur sa nuque de cet ami, qui n’est plus seulement ça et vient simplement déposer sa tête dans son cou. Son bras vient s’enrouler dans son dos. Une étreinte douce, sincère, un câlin, comme ils l’avaient déjà fait certes, mais la signification n’était plus tout à fait la même. Il ne sait pas de quoi demain sera fait. Il ne sait pas combien de fois Jeff chutera. Combien de mois ils devront attendre avant d’être vraiment ensemble. Mais Jeff parlait tout à l’heure de le voir heureux. S’il ne l’était pas encore tout à fait Alonso savait que cela viendrait. Il dépose juste un baiser à la racine de son cou et ferme les yeux. Sa main dans son dos descend doucement au bas de ses reins, sans arrière-pensées, juste pour le sentir contre lui, avant de s’arrêter. Dis-moi Jeff… Serais-tu nu sous ce peignoir ? demande Alonso amusé. Il relâche doucement son étreinte, le regarde et sourit en secouant doucement la tête.

Tu ne vas pas lui dire que tout ira bien, que vous êtes en couple et que vous allez vivre une seconde relation. Tu ne sais pas si ça peut se produire. Peut être que vous avez trop changé, chacun de son côté. Peut être que ce à quoi tu t'accroches depuis des années va te décevoir. Bien sûr, ce n'est pas ce que tu espères. Mais c'est une possibilité. Une possibilité que tu ne veux pas voir à vrai dire. Tu n'aurais pas pu aimer quelqu'un aussi longtemps sans être certain que ça soit pour toujours et malgré son évolution.

Par contre, tu veux y aller progressivement. La passion n'est pas faite pour toi, du moins, pas pour tes problèmes. Si tu provoques tes travers, tu as plus de chances de replonger et ça passe aussi par les comportements que tu adoptes. Tu hoches une fois la tête quand il te demande si c'est vraiment le cas. Tu as envie de le sermonner et de lui demander pourquoi tu inventerais un tel mensonge alors que tu n'as aucune raison de le faire. Mais peut être qu'Alonso doute parfois autant que toi. Tu as tendance à le voir comme un rock inébranlable, mais il a aussi ses failles et il ne faudrait pas que tu l’oublies. A lui aussi de te les montrer, d'accepter de ne pas être simplement là pour toi pour que le contraire soit possible aussi. Tu sais que ça peut être compliqué pour lui, ça l'était déjà dans votre précédente relation. Ça le sera surement davantage maintenant qu'il te sait si fragile.

Une sorte de danse presque immobile s'installe entre vous deux. Tu ne dis plus un mot, tu profites de ses gestes, de sa main qui parcoure ton visage et ta mâchoire. Que tu aimes la sentir juste à cet endroit. Bien plus que lorsque tu n'avais pas de barbe, d'ailleurs. Tu fermes les yeux, tu t'attends presque à un baiser même si tu sais qu'il n'arrivera pas. C'est tout de même mieux, vous avez le temps pour ça. Sa main qui s'aventure sur ton corps, ce corps qu'elle connait déjà mais qui a du changer, te suffit amplement. Tu sens un frisson te parcourir, tu le laisses faire. Tu t'en fiches qu'il te touche les fesses, ça ne serait que des retrouvailles après tout. Mais il s'arrête et te lâche, tout en te demandant si tu es nu. Tu ne t'en rends pas compte mais peut être que tu es la seule personne sur terre à savoir que tu allais avoir une des conversations les plus importante de ta vie et tout de même rester nu sous un simple peignoir. Ce genre de détails ne parvient pas à toucher ton esprit. Tu as toujours été ainsi. Oui ? Tu l'interroges du regard, il sait d'où tu viens non ? J'ai pris un bain, je pensais que tu avais compris ? Bon, la plupart des gens mettraient au moins un sous vêtement mais tu n'avais pas trouvé ça nécessaire. Tu souris à ton tour. Tu viens de m'imaginer sans le peignoir, je connais ce secouement de tête. Tu t'en amuses. Tu aimerais le voir rougir mais tu ne penses pas que ça se produira parce qu'Alonso peut parler de ses désirs sans s'en trouver gêné. Tu n'as qu'à ramener cette quiche, je vais aller me rendre présentable. Tu prends sa main, juste une seconde, tu la serres entre tes doigts. Ça te fait un bien fou de savoir qu'il existe un vous à conjuguer au futur.

Jeff lui fit lever les yeux au ciel. Mais il allait finir par avoir froid comme ça. Bien sûr, la situation est plus incongrue pour Alonso que gênante. S’il était gêné par la nudité, il n’aurait jamais demandé à Jeff de venir habiter avec lui. Néanmoins entre son corps actuel et le souvenir qu’il en a, il doit y avoir des différences. Jeff lui demande s’il vient d’imaginer nu. Tu me connais si bien. répond tout naturellement Alonso en souriant malicieusement. Jeff va se changer, mais avant il prend sa main et la serre, il comprend, lui aussi est heureux de le retrouver, d'avoir l'impression que les planètes s'alignent un peu. Son côté espiègle étonne toujours Alonso. Il a cette fraîcheur qu’il n’a retrouvé chez personne d’autre, ce naturel que lui-même ne pourra jamais se permettre d'avoir. Son Jeff. Son Jeff… Il le regarde disparaître dans la chambre.

Alonso contrôle la quiche, elle est très belle, un peu tiède mais ce ne sera pas gênant. Elle aurait même pu avoir un poil plus de cuisson supplémentaire, c’est de sa faute, il avait tellement peur de la faire brûler, mais elle est parfaite, la glisse dans un plat à tarte qu’il porte jusqu’à la table. Il pose y aussi le saladier. Le repas que Jeff a préparé pour lui… Il regarde la table avec un drôle de sentiment. La discussion lui a permis de mettre en lumière plusieurs choses. Il lui manquait des infos sur le futur, le traitement à proprement parler et Al savait qu'il allait falloir y être particulièrement vigilant. Il a du mal conjuguer tous les sentiments qui l'envahissent. Il faudra qu’ils en discutent mais peut-être que ça suffisait pour ce soir. Jeff était sorti aujourd'hui de l'hôpital, il n'allait pas faire de rechute ce soir. A lui de faire en sorte que la bonne humeur persiste.

Ils avaient, tous les deux, surtout besoin d’un petit coup de normalité estimait-il. Il sourit dans le vide de nouveau et retourne à la cuisine faire un peu de rangement, passer un coup d’éponge sur le plan de travail, jeter ce qui va dans le compost dans le bon bac. Il termine sa bière et pose son verre dans l’évier. Il se refait le fil de la discussion naturellement, d'abord sur les moments les plus durs puis inconsciemment il repense à cette étreinte. Il se surprend à toujours sentir ce sourire flotter sur son visage. Un sourire qui n'a pas l'habitude d'être là, Alonso étant un être plutôt d'humeur égale dans le quotidien. Chanel passe dans ses jambes pour réclamer des câlins et saute sur le comptoir. Il pioche dans les tomates cerises restées là en même temps qu'il caresse son chat. J’ai tellement faim. Et toi mon grand ? Jeff t'a donné des croquettes tout à l'heure ? Il est gentil ce nouvel humain hein ? Toi aussi, il faudra être gentil avec lui le chat tape sa tête contre sa main. Mais oui, je sais que toi aussi tu es gentil, je disais juste ça comme ça. il parle à haute voix avec Chanel comme il a l'habitude de le faire. Il reprend une autre tomate cerise, puis un gâteau apéro. Forcément à force de sauter les repas, il faut bien se nourrir à un moment ou un autre.

Même si Coco n'est pas là, tu aimes être bien apprêté. Ça a toujours été important pour toi. Déjà petit, tu n'étais pas content quand il fallait jouer et se salir et tu préférais rester propre que d'avoir de la boue sur toi, même si ça pouvait être amusant.

Tu choisis une tenue simple et confortable et bien sûr un boxer. Ça ne t'aurait pas dérangé d'être nu devant lui, mais ton corps n'est plus aussi vaillant et en ce moment, il est assez maigre, pas très beau à voir. Alors qu'Alonso semble en forme, tu as senti ses muscles le temps de vos courtes étreintes, tu as pu voir que ses bras étaient encore épais et qu'il avait une certaine stature. Il a pris soin de lui, de son corps, pas comme tu l'as négligé. Peut être même qu'il applique tes conseils pour sa peau, tu aimerais bien qu'ils les aient gardé, ça te rendrait un peu plus heureux encore. Mais pour le moment, tu vas dans la salle de bain pour te regarder. Tu ne te trouves pas beau. Tu as dormi mais tu portes sur les traits de ton visage une fatigue plus ancrée. Ton teint est terne et tes joues légèrement creusées. Tu en es au début de la prise de tes médicaments alors tu sais que tu vas avoir un peu de mal, des nausées, qu'il va falloir demander à l'ajuster si tu as des vertiges. Et tu sais aussi que tu perds un peu de poids au début, parce que ça te coupe l’appétit. Mais tout cela est temporaire, ça, tu le sais aussi. Tu auras de nouveau un meilleur teint parce que tu vas pouvoir bien dormir et tu vas retrouver le gout de manger rapidement. Être avec Alonso cette fois devrait t'aider. Quand tu as fini de te changer, tu te regardes dans le miroir encore une fois. Tu t'approches et tu approches ta main, pour caresser ton propre visage sur le reflet. J'espère que tu arriveras à me pardonner pour que tu puisses profiter de lui toi aussi. Je sais comme il t'a manqué. Même si elle ne s'en est jamais plaint. Coco, où qu'elle soit, doit être ravie de la tournure des évènements.

Tu reviens dans la pièce principale, la table est finalement prête pour le repas avec la quiche que tu as préparé. Tu n'es pas fin cordon bleu donc elle ne doit pas être extraordinaire. Mais si elle fait plaisir à Alonso, alors ça te va. Tu te sers un peu en salade et tu laisses Alonso te servir une part. Pour le reste, tu resteras à l'eau, c'est mieux avec tes médicaments. D'ailleurs, c'est le meilleur moment pour les prendre alors tu te relèves. Je vais chercher mes médicaments. Tu reviens avec et tu les poses sur la table. Tu veux les garder ? Peut être que ça pourrait le rassurer, au début, d'en faire le contrôle. Tu ne considères pas que ça t'infantilise si c'est Alonso parce qu'il ne le fera pas en pensant que tu n'es qu'un enfant irresponsable. Tu commences par manger un peu de salade. Tu aimes songer que c'est là ta nouvelle routine, simple, mais tellement douce et agréable.