Quelle meilleure manière de passer la soirée que d’être avec son meilleur ami, savourant une bière rafraîchissante après une dure journée de travail ? Judson appréciait ces soirées, car elles n’avaient pas lieu assez souvent. Tous deux étaient pères de famille, en couple, ils avaient désormais d’autres obligations et d’autres préoccupations, mais ils parvenaient malgré tout à se retrouver de temps en temps au Garnet. Ce bar dans lequel Judson avait passé un sacré paquet de soirées quand il était plus jeune et que, désormais, il voyait sous un autre angle. Un jour, cet endroit serait à lui. Il n’en avait pas parlé à grand monde pour le moment de peur que ça ne marche pas, que ça ne soit qu’un rêve illusoire, mais les rares personnes qui étaient au courant l’avaient soutenu et encouragé, ce qui lui avait réchauffé le cœur. Quoiqu’il en soit, il essayerait et ce ne serait pas une erreur. Pour le coup, il refusait d’avoir des regrets, ces derniers s’accumulaient déjà suffisamment dans son sac à dos imaginaire pour qu’il en rajoute une couche, et probablement qu’il voulait s’éloigner un peu de la caserne. Il n’y était pas malheureux, mais depuis son accident, depuis qu’il avait frôlé la mort, il voyait les choses différemment. Il ne la quittait pas définitivement, il adorait ça, être pompier. Il avait ça dans le sang. Enfin, il s’en ouvrirait à Liam quand celui-ci arriverait. Judson était un peu en avance, il était venu directement après avoir terminé son service à la caserne et il avait fait le chemin à pied, laissant son véhicule là-bas. Le trajet avait été rapide.

A cette heure, l’endroit n’était pas très animé, il apercevait quelques clients habituels et des têtes connues, rien d’extraordinaire et personne ne faisait attention à lui, coincé entre le mur du fond et la table. De son poste d’observation, il possédait une vue imprenable sur la porte. Après avoir jeté un coup d’œil au barman, il reporta son attention sur la bière qu’il avait commandée en attendant l’arrivée de Liam. La haute silhouette de ce dernier ne tarda d’ailleurs pas à apparaître dans l’embrasure de la porte et Judd lui adressa un signe pour attirer son attention. « Salut ! » lança-t-il quand le brun s’approcha. Il fit glisser le deuxième verre rempli à ras bord vers lui. « Je t’ai commandé la même chose que moi, c’est ma tournée » il y en aurait sûrement une deuxième, Judson ne se contentait pas souvent d’une seule bière. Naturellement, il ne comptait pas rentrer trop tard, même si Julia était au courant de sa présence ici, il ne voulait pas qu’elle s’inquiète. Peut-être fuyait-il un peu la maison d’ailleurs, avec l’installation temporaire du petit frère de Julia qui était particulièrement bruyant, et c’était d’ailleurs un sujet de tension entre eux. Au moins, Jem était chez sa mère cette semaine, préservé du climat tendu sous leur toit. « Tu as réussi à t’extirper du boulot ? » ou peut-être avait-il fini un peu plus tôt, Judson n’en savait rien.

Juin. Imminence de l’été. Le compte à rebours était lancé. Liam rassemblait sous son aile une paire de chemises plastifiées, enfonçant machinalement chaque dossier dans son logement. Journée interminable… Boulot assommant. Il n’avait qu’une hâte, filer loin de toute cette charge mentale. La fin du tunnel se profilait à l’horizon, soirée en prévision. Migration pendulaire, il aurait d’ordinaire regagné le confort de son foyer, jonglant entre tâches domestiques et pouponnage. Toutefois, il était aujourd’hui question d’une bière. La naissance de sa fille avait pour un temps suspendu sa vie sociale. Allier obligations professionnelles et parentalité nécessitait un juste rééquilibrage, plus encore pour l’entrepreneur qu’il était. La paternité ne l’avait pas empêché de se lancer dans un nouveau projet, arrachant plus de temps au temps. Des mois passés à tâtonner... Enfin, Liam trouvait ses marques. Clef en main, l’expert-comptable fermait boutique, jetant sur sa montre un regard préoccupé. Il était dans les temps… L’escogriffe avait devant lui un brin de marche. Le printemps offrait un ensoleillement prolongé, qui n’était pas déplaisant. Il rentrerait probablement entre chien et loup, si la soirée ne se prolongeait pas au-delà.

Le Garnet… Institution locale… Liam y avait ses habitudes de longue date, comme nombre de redwoodiens. N’était-ce pas entre ces murs qu’il avait consommé sa première bière ? Ce n’était pas pour le rajeunir. Désormais, il était fréquent d’y retrouver ses collègues, le temps d’une tournée. Beaucoup de souvenirs étaient attachés à ce lieu, certains plus marquants que d’autres. Liam y avait vécu quelques moments charnières, remémoration d’une lointaine nuit de juin. Le temps courait bien trop vite, plus encore depuis l’arrivée de Lydia. Impossible de freiner sa marche… Paradoxalement, ça ne l’avait pas empêché de trouver la journée longue. Débarrassé d’une veste par trop étouffante, Liam rejoignait les abords du bar. Quelques fumeurs se trouvaient attroupés devant l’entrée. Une odeur de tabac flottait dans l’air, proche de raviver un vieux travers. Il avait arrêté de fumer lors de la grossesse de June, non sans difficulté. La tentation était toujours là. Du reste, un autre genre de vice l’attendait par-delà ces portes, une pinte de bière fraîche. Liam prit un court instant pour observer la devanture du bar, songeant au projet que Judson avait effleuré lors d’une précédente conversation. Le Garnet… Était-il sérieux ? Comptait-il vraiment le faire sien ? Nouvelle surprenante… Laquelle éveillait en lui une réelle curiosité. Quel avait pu être le terreau d’une telle idée ? Quand avait-elle germé ? Bien sûr, Liam avait déjà connu semblable sursaut. Le cabinet et l’atelier en étaient les résultantes directes. Il avait ressenti le besoin de bâtir quelque chose, de le posséder en propre.  Son soutien inconditionnel lui était acquis. Liam ne pouvait que l’encourager à suivre ses ambitions. Il avait toutefois quelques questions à son endroit. Il profita de ce qu’un client gagnait l’extérieur, pour se frayer un passage dans l’embrasure. Regard circulaire jeté sur la salle… Liam avançait dans le brouhaha des conversations particulières, trop peu nombreuses pour couvrir la musique d’ambiance. Le bar était encore calme, loin de son heure d’affluence. Un mouvement fugitif attira son attention. Judson qui lui adressait un signe de la main, depuis sa table. Il s’était enterré au fond du bar, place de choix. Liam fut prompt à le rejoindre. « Salut. » Veste glissée sur le dossier de sa chaise, il s’installa face à son meilleur ami, notant la bière commandée à son attention. « Je paierai la prochaine. » dit-il, engageant déjà un second round. « Merci. » Liam le gratifia d’un sourire entier, ravi de retrouver une figure amicale.  Il était rare qu’il s’offre une soirée en extérieur et réalisait, sur l’instant, combien cela pouvait lui manquer.  Une part de ses pensées était déroutée, orientée vers sa fille. Mary s’occupant du bébé, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. Il gardait pourtant la tête lourde de pensées, préoccupations diverses, réflexions variées. Liam avait vraiment besoin de souffler. « Oui. Pour tes beaux yeux, toujours. » plaisanta-t-il. Période chargée… Il était tout de même parvenu à s’extirper du boulot et des couches. Main portée sur sa bière, Liam s’autorisait une première gorgée désaltérante. Reposant sa pinte, il survola le décor du regard. « Ça doit te faire bizarre de venir ici... » observa-t-il, l'air de rien. Il ne pouvait éviter le clin d’œil, amenant doucement le sujet sur la table. Toutefois, il y avait plus pressant.  « Alors, c'est comment la quarantaine ? » demanda-t-il. Un mois plus tôt, Judson fêtait son anniversaire. Il était le premier à passer le cap des 40 ans. Un seuil dont il se rapprochait lui-même dangereusement. Son regard dérivait sur sa bière, porté sur les quelques bulles qui gagnaient la surface pour y mourir. Il réalisa alors sa bévue. Il avait d'ores et déjà attaqué sa pinte, tel un assoiffé. « Au fait... À quoi est-ce qu’on trinque ? »

L’arrivée de Liam tombait à pic, alors que Judd commençait à se perdre dans ses pensées. Il était ravi de passer du temps avec lui alors que ça ne se produisait pas souvent et quand Liam assura qu’il paierait la prochaine tournée, il approuva d’un hochement de la tête. « J’y compte bien ! » pourquoi se contenter d’un verre quand on pouvait en cumuler plusieurs ? Mais Judson n’était pas inquiet, ce ne serait clairement pas avec une ou deux bières qu’il finirait dans le caniveau, pas comme quand il avait vingt ans et le monde entier à sa portée. Cette fois, il savait se montrer beaucoup plus raisonnable – la plupart du temps. « Tu sais comment me parler » répondit-il sur le même ton, une lueur amusée dans le regard. Et sa réflexion ne passa pas inaperçue. Judson lui avait glissé la possibilité de devenir bientôt propriétaire du Garnet, mais sans que ça ne soit très précis, un projet très avancé. C’était un souhait de sa part auquel il réfléchissait depuis un petit moment, mais plus les semaines passaient, plus les choses devenaient concrètes. Et si ça l’effrayait beaucoup, c’était aussi une formidable opportunité et un moyen d’aller de l’avant. Non pas qu’il stagnait ou restait vivre dans le passé, au contraire, il avait sacrément avancé depuis quelques années, mais… mais il avait besoin de plus. « Un enfer à vivre, franchement je te le souhaite pas » lança-t-il quand son meilleur ami lui demanda comment il vivait la quarantaine. Son anniversaire était encore récent, il ne réalisait pas très bien. Et puis Judson n’avait jamais été du genre à accorder vraiment du crédit à ces histoires de dates, d’années. Pas le temps pour ça.

« Qui te dit qu’on trinque à quelque chose ? Ça pourrait être l’inverse, genre je noie mon chagrin dans l’alcool… et franchement, je pourrais. Je t’ai dit qu’on hébergeait le petit frère de Julia depuis un petit moment ? Je suis tombé dans un piège, je ne vois que ça. J’veux dire, c’est un adulte, enfin en apparence, mais il se comporte comme un ado attardé et ça me rend dingue » il soupira. Il avait clairement besoin de déverser sa frustration à quelqu’un qui ne soit pas sa copine, et la grande sœur de l’énergumène en question. « Julia dit que ça nous prépare à Jem quand il sera lui-même ado » grommela-t-il en buvant une longue gorgée de bière. Elle arrivait à en rire, mais lui, beaucoup moins. Ses lèvres finirent par s’étirer en un sourire en coin avant qu’il ne rajoute « Mais ouais, t’as raison, on doit quand même trinquer… ça se concrétise vraiment, cette fois. Je vais bientôt signer les papiers » les traits de son visage se détendirent considérablement, alors que ces mots étaient prononcés à voix haute. L’impatience grandissait, il avait hâte. Et il savait que son ami se réjouirait pour lui, qu’il le soutiendrait envers et contre tout. Julia aussi s’était montrée emballée par le projet, même s’il n’était pas encore sûr qu’elle réalise concrètement ce que cela signifiait. Lui non plus, d’ailleurs. Moins de temps à la caserne, peut-être moins de temps à la maison. Il n’était pas certain d’être prêt pour ça, mais… bref, il verrait bien. Alors, même s’il avait déjà bu sa bière, il leva malgré tout son verre pour trinquer officiellement.        

Le décor chaleureux du Garnet le mettait de bonne humeur. Liam trouvait ses aises, laissant derrière lui ses pensées parasites. Épaules dénouées, l’escogriffe s’imprégnait de l’atmosphère familière qui régnait entre ces murs. Une seconde tournée s’inscrivait au programme, pas de quoi brouiller les contours. Ils resteraient raisonnables. À quand remontait sa dernière cuite ? Liam n’aurait su le dire.  Il obtenait, par-là, le début d’une réponse. Longtemps ! Assez pour qu’il ait pu en perdre toute souvenance. Difficile de se laisser aller au sein d’un quotidien millimétré, fait de mille et une responsabilités, il n’avait plus le temps pour ça. L’un dans l’autre, les bitures ne lui manquaient pas. Il regrettait davantage le sentiment conjoint, l’insouciance, le lâcher-prise de ses jeunes années. Lèvres retroussées, Liam affichait un air rieur. « Et c’est pourtant Julia que tu as choisie. » renchérit-il, empruntant un ton chagrin. Les plaisanteries s’invitaient déjà à leur table, pour ne rien changer à leurs vieilles habitudes. Regagnant plus de sérieux, Liam effleurait le plat de résistance, échappant une remarque toute volontaire sur le Garnet. Il comptait prendre son mal en patience, jusqu’à voir le sujet se présenter de lui-même. La soirée ne faisait que commencer, autant ne rien brusquer. Il piochait quelques cacahuètes dans le bol déposé à cet effet, Judson répondant à sa question. La quarantaine ! « Ce n’est pas comme si on pouvait vraiment l’éviter. » Air goguenard, Liam lui lança un prompt regard. Le seuil s’imposerait à lui, qu’il le veuille ou non. Il n’en ferait pas une maladie. Liam craignait simplement de se sentir vieilli. Factuellement, il aurait seulement quelques mois de plus. Le nombre affiché au compteur commençait tout de même à piquer. Toutefois, ce n’était pas comme s’il y songeait vraiment, considération reléguée au second plan. « Je guette juste les prémices de ta future crise de la quarantaine. » dit-il. « J’espère quelques folies de ta part. » Liam se riait du poncif, taquinant Judson. Il ne pensait pas vraiment le voir jeter son argent par les fenêtres, acheter un cabriolet rouge ou changer radicalement de vie, pour reprendre les codes du cliché. Quoique… Un changement de vie, il s’en préparait toute de même un.

Judson lui brossait une toile, contant le traquenard dans lequel il était tombé. Le petit frère de Julia résidait actuellement sous son toit, chose qui ne ravissait manifestement pas son ami. Ledit petit frère semblait une charge, prototype de l’ado attardé. Telle qu’il la narrait, l’histoire prêtait à rire. Liam couvrait judicieusement sa bouche, peinant à contenir son amusement. Il ne voulait pas donner l’impression de se moquer. Raclement de gorge. Le trentenaire retrouvait son aplomb, affichant plus de sérieux. « Je l’ignorais… Il a quel âge, ce petit frère ? » demanda-t-il. Détail qui avait son importance. On pardonnerait plus facilement la puérilité d’un jeune de vingt ans. S’il avait dépassé le quart de siècle, les choses se gâtaient. « Et qu’est-ce qu’il fait en ville ? Il rend visite à sa sœur ou il compte rester de façon durable ? » Question de savoir si Judson venait d’en prendre pour perpète, pour parler familièrement. La frustration de son meilleur ami était manifeste. Le frère de Julia abusait de son hospitalité et il comprenait la délicatesse de cette situation. Mettre le frangin à la porte risquait de créer des tensions au sein de son couple. D’un autre côté, si Judson atteignait son point de rupture, l’état de crise serait également déclaré. Venue d’Angleterre, il supposait que Julia recevait rarement la visite des siens et, s’agissant du petit frère, elle témoignait certainement plus de clémence. « Tu es dans une belle galère. » conclut-il, après avoir achevé son état des lieux. « Tu pourrais peut-être lui demander une participation financière, histoire de le remuer un brin. » Sa compagne serait sûrement contre. On ne touche pas à la famille. Toutefois, il arrive parfois que la famille abuse de son statut. « Tu le vendrais à Julia comme une responsabilisation de son frangin. » Il haussa les épaules. « Je ne vois que ça ou lui rendre la vie impossible, au point qu’il veuille partir de lui-même. Il va de soi que c’est une très mauvaise idée. » Un sourire empathique le gagna. Liam n’enviait en aucun cas sa position. « Je t’aurais bien proposé de venir te réfugier chez moi, quand tu satures, mais c’est déjà plein à craquer. » Entre les trois chats de June et le bébé, la maison de la jeune femme était bien occupée. Liam se laissait aller contre le dossier de sa chaise, portant sa bière à ses lèvres. Deux gorgées plus tard, il en revenait à son ami. « Et comment ça va, Julia et toi ? »

Judson aborda de lui-même son nouveau projet, son expression changeant du tout au tout. Liam vit son regard s’éclairer, toute tension disparue. La signature était proche. Son enthousiasme faisait plaisir à voir. Les choses étaient bien plus avancées qu’il le pensait. Dans un même élan, Liam leva son verre, trinquant à cette nouvelle page qui se dessinait pour Judson. Une fois de plus, son regard détailla le décor qui les entourait, puis en revint à son ami. « Ce n’est pas rien. Félicitations, l’ami. » souffla-t-il, large sourire aux lèvres. C’était quelque chose de voir une personne se réaliser, un ami qu’il connaissait de si longue date. L’ado avec lequel il avait signé de belles conneries, puis grandi. Tout un soudain, Liam trouvait qu’il y avait quelque avantage à prendre de l’âge. Ne fut-ce que pour vivre ces instants. « Tu me feras payer le prix fort, que j’apporte mon soutien. » Il était ravi, Liam, sincèrement. Il voyait aussi tout ce qui l’attendait de tracas et d’angoisses. Les débuts promettent toujours un soleil radieux. On vogue sur l’euphorie du changement, puis la vie reprend ses droits. La lune de miel se termine. Le soufflé retombe un peu et on apprend à composer. Judson avait les épaules pour mener son affaire, il en était persuadé. « D’ailleurs, j’aimerais savoir… D’où t’est venue cette idée ? »

« C’est peut-être elle qui a choisi » répondit-il, sur le même ton de plaisanterie qu’il adoptait bien souvent. Les relations humaines, tout un programme, et Judson se rappelait ses jeunes années et l’insouciance qui l’accompagnait partout où allait. Sans doute avait-il commis des erreurs, un peu trop, mais il s’en était sorti honorablement. Et aujourd’hui, lancé dans une vie à toute allure, il s’efforçait de ne rien regretter. « Tout dépend ce que tu appelles par quelques folies. Est-ce que je dois teindre mes cheveux en bleu ? Acheter un yacht ? Plaquer femme et enfant pour partir sous les tropiques ? Tellement de possibilités… j’espère être à la hauteur » mais Judson était un homme rationnel, peut-être un peu impulsif parfois, mais pas du genre à prendre des décisions à la légère ou des risques inconsidérés. Pas depuis son accident, du moins, là où il était devenu beaucoup plus prudent. Pas de décisions irréfléchies mais, malgré tout, un changement qui s’imposait, puisqu’il était à l’aube d’un revirement professionnel. Pas total, naturellement. Judson ne se voyait pas raccrocher le casque tout de suite, il avait trop besoin de son boulot, besoin de se sentir utile, de cette adrénaline qui ne le quittait jamais vraiment. Mais il avait besoin de plus. Et cette opportunité tombait à pic. Mais en attendant, il avoua à Liam que la situation était un peu tendue à la maison, puisqu’ils hébergeaient ce fameux frère de Julia qui le rendait fou, à se comporter comme un adolescent en crise alors qu’il avait dépassé depuis longtemps l’âge de l’être. « Je ne saurais même pas te dire exactement » il réalisait avec horreur qu’il ne connaissait pas si bien que ça la famille de Julia. « La trentaine, c’est tout ce que je peux dire, il n’est pas beaucoup plus jeune que nous. C’est là que je réalise qu’un fossé nous sépare… » un soupir lui échappa. Tout le monde n’avait pas grandi de la même manière, assurément. « En fait, il est déjà du coin, mais son appart a quelques problèmes, une histoire de dégâts des eaux, quelque chose comme ça… comme il n’avait nulle part où aller, il est venu chez nous. Mais je ne suis pas allé vérifier, peut-être que c’était juste un piège pour squatter et je l’aurai sur la conscience jusqu’à ce que mort s’ensuive » il préférait en rire, même si dans le fond, il était sérieusement excédé par cette intrusion dans son intimité. Il comprenait le point de vue de Julia, il voulait aider, lui aussi. Mais il détestait que ça se retourne contre lui.

« Julia est tellement adorable avec moi qu’elle serait capable d’accepter » il but une longue gorgée de bière avant de hausser les épaules. « C’est peut-être ce que je finirai par proposer, même si l’idée ne me plaît pas franchement. J’préférerais qu’on fasse de ça manière désintéressée, mais… » mais parfois, ça ne suffisait pas et il s’en rendait bien compte. Une grimace se peignit sur ses lèvres quand Liam fit remarquer qu’il se retrouvait dans une sacrée galère. « On a déjà coupé internet en prétextant un problème, mais c’est qu’il s’accroche » rajouta-t-il sur le ton de la confidence, amusé. Preuve qu’il avait déjà réfléchi à comment virer l’intrus de la maison, de manière lente et insidieuse pour ne pas attirer l’attention. Il se sentait coupable de se montrer si médisant envers le petit frère de Julia, elle n’approuverait pas, mais ça lui faisait un bien fou de déverser son ressentiment. Et son meilleur ami serait toujours de son côté, quoiqu’il dise, c’était rassurant. Il sourit devant sa proposition. « T’en fais pas, j’avais pas l’intention de débarquer avec mes valises, sinon, c’est moi qu’il faudrait que tu réussisses à mettre dehors et le cercle vicieux continuera » Liam avait sa propre vie, sa propre famille, ses propres problèmes. Difficile, dans ces conditions, de s’incruster comme si de rien n’était ! « Mmh, ça va. Enfin, c’est parfois tendu, en ce moment… à cause de son frère, mais pas seulement. L’histoire du bar et tout le reste, je crois. Les changements, ça effraie souvent » mais en cet instant, il ne savait pas s’il parlait de lui ou de Julia. Leur relation était forte, c’était son impression, mais c’était aussi parfois compliqué.

Ses lèvres s’étirèrent en un sourire ravi, tandis que Liam le félicitait sincèrement pour le projet futur. « Merci » le soutien de son entourage était vital à ses yeux et jusque-là, il n’avait pas dû se heurter à des refus ou des regards désapprobateurs. Julia le soutenait, elle aussi, même si elle semblait redouter qu’ils se voient encore moins. Jusque-là, ils se côtoyaient à la caserne, mais maintenant, qu’en serait-il ? Il n’avait pas la réponse à cette question, préférait d’ailleurs ne pas se la poser. « Tu plaisantes ? Si on peut pas payer gratos des verres à ses amis, à quoi ça sert vraiment ? » répliqua-t-il avant de partir en un éclat de rire. Ça avait toute son importance ! Et Liam voulait savoir d’où lui venait cette idée. Son regard balaya à nouveau les lieux. Le Garnet n’avait pas subi de profondes transformations depuis qu’il le connaissait, il était fidèle à lui-même. Endroit iconique de Redwood Hills, témoin silencieux et immuable de l’Histoire. « Je ne saurais pas trop dire, ou au contraire, il y a tellement de raisons… J’ai toujours connu le Garnet. Ça fait sûrement bizarre de dire ça, mais ça a longtemps été comme un refuge » petite tendance alcoolique qu’il ne nomma pas. Mais il avait raison, Judson, cet endroit l’avait accompagné dans ses pires comme dans ses meilleurs moments. Sans doute idéalisait-il un peu trop les choses, alors qu’idéaliser n’était pas son genre, mais il y croyait fermement. « Alors, quand l’occasion s’est présentée, je me suis dit que je pourrais faire plus, à mon tour. Pour faire en sorte que le Garnet reste le Garnet » un refuge, pour lui et pour les autres. « Mais je pourrais te poser la même question, avec ton atelier… alors peut-être que tu m’as influencé sans que je m’en rende compte » précisa-t-il. Liam avait de multiples talents, et de multiples activités, puisqu’il était aussi propriétaire d’un atelier de restauration de véhicules. Judson avait admiré le projet de loin, sans y prendre sérieusement part, car sans doute ne s’estimait-il pas en avoir les compétences. Il ignorait si la reprise du bar fonctionnerait mieux, mais il verrait bien. Il devait essayer, pour ne rien regretter.            

Liam arque un sourcil. « Elle a bon dos, cette pauvre Julia. » rétorque-t-il, sourire à l’appui. Se lève, d’un lointain passé, la brise automnale du marché des producteurs. Lorsque, pour la première fois, Judson avait évoqué le nom de Julia. Un échange qui semble issu d’une autre vie, tant la sienne a changé. Dans quel imbroglio se trouvait son ami, face à cette jeune femme qui tourmentait ses pensées ! Yatch et teinture fantaisiste… Liam pince légèrement ses lèvres, dubitatif. « Beaucoup trop prévisible. J’attends plus d’originalité. » Le ton employé trahit le second degré. « En revanche… Si tu plaquais ta famille, je me verrais dans l’obligation te ramener manu militari. » Le sourire persiste, en dépit d’un regard raffermi. Il n’y a aucune gloire dans un tel mouvement de vie. Le coup du sort l’a doté d’un père démissionnaire. Geste dont Liam connaît tous les revers. Quoi qu’il en soit, Judson est d’un autre bois. À cet égard, Liam l’a choisi pour parrain de sa fille. L’escogriffe discerne en lui une personne de confiance. Il est son plus vieil ami, certes. Néanmoins, Judson est avant tout cette figure intègre et solide, qu’il tient en haute estime. Le récit actuel témoigne d’une autre qualité de son vis-à-vis. La patience. Une patience qui atteint toutefois ses limites, compte tenu des abus du cadet de sa compagne. Un squatteur de grande envergure ! Liam questionne le jeune quadragénaire, de sorte à cerner l’antagoniste qui sévit sous son toit.  Judson ne semble pas en savoir long, hésitant quant à son âge.  La trentaine… Liam contient difficilement sa surprise, sourcils froncés. « Il est grand, le petit frère… » constate-t-il. Qu’il ait pu se trouver dans le besoin, pressant, d’un toit se conçoit aisément. Cependant, le frangin semble prendre bien du temps pour se retourner.  Judson gîte dans le flou, proche de douter de son beau-frère. Si l’intéressé se montrait de meilleure compagnie, sa présence ne poserait sans doute pas tant de problèmes. « C’est bizarre... Sans nécessairement vous avoir menti, il a pu omettre quelques détails sur sa situation. » Peut-être plus délicate qu’il ne l’a laissé entendre, dans un premier temps. « Quand on s’engage auprès de quelqu’un, on signe avec tout le cortège... » réalise-t-il. La famille. « Je crains que tu n’aies pas le choix. Il faut que tu composes avec le petit frère. » Dans le cas contraire, la situation risquerait de se retourner contre lui en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Julia réviserait peut-être son jugement. Dans l’intervalle, Judson ne peut exiger d’elle le départ de son frère. Elle se sentirait coupable et, par prolongement, finirait par lui en vouloir. Il est à souhaiter qu’il puisse le supporter le temps nécessaire. Un temps qui risque de lui paraître long, auprès de cet adolescent attardé.

Couper internet… « Julia a peut-être raison. Ça vous prépare pour l’adolescence de Jeremy. » dit-il, pince-sans-rire. La fraîcheur de sa bière provoque une forte condensation sur les flancs alvéolés de sa pinte. Son doigt glisse conte le verre humide, dessinant quelques arabesques inapparentes. « Tu devrais peut-être vous offrir une coupure. » suggère-t-il. « Je sais que tu es sûrement très occupé, mais… L’été arrivant, tu pourrais essayer de partir avec Julia. Histoire de t’éloigner du frangin, l’espace de quelques jours... » Au moins pourrait-il changer d’air, recharger les batteries… En sus, Judson passerait un temps privilégié auprès de sa belle, loin de toute cette tension. « Je peux te garder le petit, au besoin. » va-t-il jusqu’à proposer. De ces services que l’on se rend entre amis. Un franc sourire arque ses lèvres, entendant sa réponse quant au fait de trouver asile sous son toit. L’accueillir chez lui serait compliqué. D’autre part, il n’est pas certain que June lui donnerait son accord. Liam ne vit plus seul, désormais. Il n’est plus libre de ses décisions, à tout le moins, pas sans consultation préalable. « Ouais… Je t’aime beaucoup, mais pas au point de sacrifier mon couple pour toi. » plaisante-t-il. Bien entendu, si la situation le nécessitait vraiment, Liam lui ouvrirait sa porte sans hésiter. L’escogriffe vient aux nouvelles de son ménage. Ménage qui couve manifestement un soupçon de tension… Nombre de changements se profilent à l’horizon. Nouveauté et appréhension vont toujours de pair, le frangin n’arrangeant rien. Sans doute leur faut-il un temps d’adaptation. Une fois leur équilibre retrouvé, les cœurs devraient s’apaiser.  « Et qui est le plus effrayé ? Julia ou toi ? » demande-t-il, lui prêtant un regard. Traverser les éthers impalpables du doute. Par nature, toute nouvelle page occasionne sa brumaille, ses vacillations. Liam a vu son existence transmutée au cours des derniers mois. Variations successives qui n’ont pas été sans l’angoisser. Une paternité inattendue a engagé les premiers jours d’une vie commune. À cela s’est ajoutée la création d’une nouvelle affaire. Le fait est qu’il ne regrette rien.  Liam a choisi de grandir à chaque nouveau défi. Il se préfère ici, à cette place qu’il occupe désormais. Le trentenaire n’en changerait pour rien au monde. Les appréhensions de son ami ne lui sont pas étrangères. Il les a souvent partagées. « Tu as surmonté plus grand défi. » souffle-t-il.

Les félicitations sont de rigueur. Liam mire le sourire entier, lèvres au bord de sa bière. La porte du bar s’ouvre sur une nouvelle brassée de clients. La rumeur ambiante enfle. Voix qui se mêlent, jusqu’à produire un brouhaha indifférencié. Pierre à pierre, la salle se remplit. Ne se sont-ils pas donné le mot, rassemblés dans la chaleur anonyme du Garnet, vers un même projet, commander le saint Graal pour y noyer leurs tracas. Fin de journée, heure de pointe, il n’en faut pas plus pour expliquer l’affluence naissante du Garnet. Regard circulaire jeté sur les tablées, lequel s’arrête sur le comptoir. L’image lui vient sans effort, Judson adossé près d’une tireuse à bière, chiffon sur l’épaule. Le tableau relève presque de l’image d’Épinal. Étrange de le figurer à cette place qui sera bientôt la sienne. « Le comptable te dirait que ce n’est pas comme ça que tu vas faire ton chiffre. » taquine-t-il, reposant sa bière sur le sous-verre frappé du logo d’une obscure marque de Whisky. « Je grossirai les pourboires. » rajoute-t-il encore, un rien têtu. Judson vient à lui exposer les raisons qui ont motivé son choix. Trop nombreuses pour qu’il puisse vraiment les rassembler. Un refuge. Le Garnet tient une place bien particulière dans le cœur de chacun. La plupart des habitants y ont des souvenirs, bons ou mauvais. Judson est de ceux-là. Le Garnet était là longtemps avant eux. Aujourd’hui, le bar local s’apprête à entamer un nouveau chapitre de son existence. Considérant l’importance qu’il revêt aux yeux des redwoodiens, il gage que sa succession n’est pas sans exercer une certaine contrainte sur ses épaules. Judson en sera le nouveau gardien, responsable d’assurer sa continuité. « Pas trop de pression ? » demande-t-il justement.  Nouvelle poignée de cacahuètes... Intimement, Liam s’est interrogé… Survenu deux ans auparavant, l’accident n’a-t-il pas initié une part de remise en question chez Judson ? Celle qui l’amène au renouveau. Ses lèvres se séparent, échappant un souffle surpris. Lui ? Source d’influence ? La remarque le prend au dépourvu, si bien qu’aucune réponse pertinente ne lui vient. « Moi ? » En vérité, l’atelier n’est qu’un pur caprice. À l’instar de Judson, Liam pourrait également parler d’un refuge. « En fait, l’atelier est juste la concrétisation d’un rêve de gosse. En quelque sorte… » Là où le cabinet se voulait un choix plus pragmatique, à l’époque de sa création. Autrefois, Liam évoluait dans le confort du salariat. Depuis quelques années, il développe une appétence pour l’entrepreneuriat. Dans son cas, un ami l’a bel et bien inspiré, dans l’ignorance la plus totale. « J’avais besoin de conduire un projet qui ait du sens, qui me tienne à cœur. Quelque chose qui ait une réelle identité. Je ne cherche même pas à rentrer dans mes frais, à faire du chiffre, c’est vraiment par pure passion. » dit-il, dans un haussement d’épaules. Figure discrète, Liam parle peu de ses hobbies. L’automobile en a toujours fait partie. Lui qui se construit en silence, a placé tout son monde devant le fait accompli. « Accessoirement, j’en avais marre de voir les voitures pourrir dans les cours et les champs, quand on pourrait les remettre à neuf. » plaisante-t-il. Il pourrait presque en faire un argument de vente... Court silence. Liam se redresse légèrement, sa chaise émettant une plainte. « Je te l'avoue, je me suis demandé si ce changement de vie n'avait pas aussi été impulsé par ton accident. » souffle-t-il plus bas. Souvenir pénible d'une période noire...

Judson riait, et cela lui faisait un bien fou. Plus d’originalité pour la crise de la quarantaine, Liam avait raison. Claquer toutes ses économies pour un yacht – et ça ne suffirait même pas, évidemment – c’était trop surfait, beaucoup trop cliché pour un homme comme Judson. Non, il fallait plus. « Aucune chance que ça arrive » non, lui n’abandonnerait jamais sa famille. Il ne ferait pas la même erreur que sa mère. Il ne quitterait pas le pays pour se réfugier ailleurs, là où le renouveau l’appellerait. Pas même après un drame ? Il n’avait jamais réussi à se mettre à la place de sa mère, même à la naissance de Jem. Ne pouvait imaginer abandonner qui que ce soit, malgré le visage de Louise qu’il savait avoir abandonné. Comme les autres frangins d’ailleurs, une pensée partagée par tous alors qu’ils n’auraient rien pu faire. Aucun d’eux. Tu ne peux changer ce qui est arrivé. Tu dois simplement apprendre à faire avec. Et cette immobilité l’avait tuée à petit feu, exactement comme les autres Howell plutôt épargnés par la vie, jusqu’alors. Une vie tranquille, presque idyllique, dans une famille imparfaite mais aimante. « A qui le dis-tu » soupira-t-il quand Liam fit remarquer que le petit frère était déjà grand. Un adulte même, en apparence en tout cas. Mentalement, c’était autre chose. « Oui, j’en ai bien conscience. La belle-famille, quelle idée… » et Liam n’était pas beaucoup mieux loti de son côté, avec ses histoires sentimentales et rocambolesques. Alors, il ne pouvait que comprendre que composer avec la belle-famille n’était pas toujours facile. C’était même un sacré fardeau, parfois, même s’il faisait un effort. Julia avait rejoint le cercle des Howell, il devait bien faire autant de l’autre côté. « Arrête, me dis pas ça, pas toi » protesta-t-il en secouant la tête avant d’éclater de rire. « J’préfère t’entendre dire que Jem sera un ado parfait, toujours poli, qui débarrassera la table sans qu’on lui demande et qui parlera vraiment plutôt que de grogner continuellement » rêve pas trop, Howell. Il essayait de se rappeler quel type d’ado il avait été, lui, mais les dés étaient truqués dès le départ. C’était la période de la disparition de Louise, le départ de la mère et l’absence des deux aînés, ça avait été le drame de toute une vie. On ne pouvait comparer l’incomparable et de fait, il avait été infernal, puisque plus personne n’était là pour lui mettre des limites. Son adolescence n’avait pas été une période très heureuse.

« Et laisser au frangin les clés de la maison, au risque qu’il la fasse exploser ? Non, très mauvaise idée » à nouveau, un rire franc franchit le seuil de ses lèvres avant qu’il retrouve son sérieux et réponde « Je vais y penser » cela leur arrivait parfois, à lui et Julia. S’organiser un petit week-end entre deux et personne d’autre, une bulle d’éternité. Mais pas depuis un certain temps. La vie, les obligations, le manque d’argent, n’importe. Mais Liam avait raison, bien sûr. Pour que la flamme subsiste, pour que la relation soit saine, ils en avaient besoin – surtout en période de turbulence comme celle-ci. « C’est très blessant ce que tu me dis là » répliqua-t-il du tac-au-tac, une lueur malicieuse dans le regard, alors que Liam assurait l’aimer beaucoup, mais pas au point de sacrifier son couple pour lui. Il but une longue gorgée de bière et constata que son verre descendait dangereusement. « Les deux, j’imagine. Mais pas pour les mêmes raisons. Ce n’est pas un sujet qu’on a abordé frontalement, même si Julia… on travaille ensemble à la caserne, on se voit souvent. Elle m’a dit qu’elle avait un peu peur qu’on ait plus le temps, comme avant » parce qu’il y aurait le bar et qu’il comptait bien être présent, tant pour les employés que pour les clients. Et pour lui. Mais elle avait peur qu’il ne soit plus là, et c’était légitime. Il hocha lentement la tête. Traversé plus grand défi. Il avait raison, une fois de plus. Et ce ne serait pas ses sempiternels doutes qui auraient raison de lui, pas cette fois. Il irait jusqu’au bout du projet, comme pour se convaincre que tout n’était pas terminé. Qu’il pouvait se réinventer autrement, en passant moins de temps à la caserne. Il espérait se convaincre qu’il était bon à autre chose que ce boulot-là. Cette vocation ?

« On trouvera bien comment s’arranger » promit-il d’un sourire, alors qu’ils se disputaient déjà pour savoir s’il était bon ou non d’offrir des verres gratuits à ses amis. « Oh, si. Mais la pression ne m’a jamais fait peur, jusque-là, alors… » haussement d’épaules. Au contraire, un challenge de plus… même s’il aurait la lourde charge de reprendre les rênes d’une véritable institution locale, de perpétuer une histoire ancestrale. Rien que ça. Il préférait le voir autrement ; et tant que la bonne ambiance subsistait, tant que l’alcool continuait de couler à flots, il supposait que les clients ne seraient pas (trop) exigeants. « Je trouve ça vraiment génial. Cette idée de passion, je veux dire » c’est ce qu’il recherchait aussi, en partie, avec le Garnet. Un délire de passionné, un délire de fou, sûrement un peu. Ce n’était peut-être pas non plus raisonnable, lui qui essayait de l’être depuis la naissance de son fils, et racheter cet endroit était sans doute ce qu’il avait fait de plus fou depuis des années ; il ne regrettait rien, Judd. On ne devrait jamais regretter certaines folies, avait-il lu un jour, et rien n’était plus vrai. « Je te ferai de la pub au bar, tu peux compter là-dessus ! » un échange de bons procédés, en somme, n’est-ce pas ainsi que ça fonctionne dans le milieu ? Mais ni Judson ni Liam n’étaient de parfaits inconnus dans le coin, au contraire. Ils étaient tous les deux parfaitement implantés, des enfants du pays. Les gens d’ici les avaient vu grandir, devenir des hommes. Ils inspiraient plus facilement la confiance que des citadins inconnus débarqués de nulle part – du moins était-ce ainsi qu’il percevait les choses. « Ouais, c’est une excellente raison » en plus de toutes les autres, naturellement. Le projet de Liam était inspirant, réfléchi, ce que son meilleur ami admirait. A bien des égards et malgré leurs différences, les deux hommes se ressemblaient beaucoup. Il ne put dissimuler la grimace qui étira ses lèvres devant la remarque pour le moins directe de Liam. Il s’y attendait un peu. Ne savait guère comment répondre. Pas la période de sa vie la plus heureuse à l’instar de son adolescence, et elle était encore fraîche dans sa mémoire, il se rappelait trop bien les journées qui s’étiraient, longues et brumeuses pour ne former qu’un tout indistinct, flottant. Sa chambre d’hôpital austère. La crainte de ce que tout cela allait coûter, dès qu’il fut certain d’être tiré d’affaire. Cette crainte terrible, celle qui vous clouait sur place et vous comprimait la poitrine à vous empêcher de respirer, de ne plus réussir à revenir sur le terrain, cette peur glaçante que son corps ne suive plus. Il était revenu, oui. Mais à quel prix ? « Peut-être » admit-il du bout des lèvres. « Ça va mieux qu’avant, à la caserne, quand je venais tout juste de reprendre, mais… ce n’est plus vraiment comme avant » plus jamais comme avant. « Les départs en intervention ne sont plus aussi sereins » il tâcha de sourire pour que le moment ne devienne pas mélancolique. Pas là pour ça. Et ce n’était pas son genre de s’épancher sur ses ressentis, même si en présence de Liam, il le faisait beaucoup plus facilement qu’avec d’autres. Il le connaissait, il avait toute confiance en lui, et Liam avait été présent à chaque instant suite à l’accident, il l’avait vu à des moments bien moins glorieux que celui-là. Liam savait, voilà ce que Judson se disait. « Mais c’est surtout pour les verres gratos » préféra-t-il rajouter en guise de conclusion. Toujours le mot pour rire, détendre l’atmosphère quand il sentait que la suite de la conversation risquait de ne pas lui plaire.           

Il oubliait la racine commune. Judson avait éprouvé l’absence d’une mère. Elle avait largué les amarres, pour un lointain pays. Cette compréhension, inhérente à leur amitié, puisait-elle sa source dans le lit de cette rivière ? Souvenirs connexes de gosses esseulés. La sienne, Liam ne la connaissait guère. Le gamin avait déploré l’absence d’une présence maternelle. De la personne, en tant que telle, il ne savait rien. Elle restait l’inconnue que l’imagination infantile façonnait à souhait. Il soupçonnait quelque inévitable ressemblance, porteur de son patrimoine génétique. Liam ignorait simplement dans quelle mesure il était le fils de sa mère. Le fils de son père. Il s’était construit dans ce flou identitaire, ébauche plus ou moins réussite. Laisser sa fille derrière lui paraissait inconcevable. S’il appréhendait le geste parental dans les limites prédéfinies de l’acceptable, Liam refusait de comprendre. Il ne le pouvait. Peut-être parce qu’il en savait si peu sur eux. « J’oublie parfois que, toi aussi, ta mère a fichu le camp. » Parce que Judson était Judson. Il l’avait toujours vu pour ce qu’il était, indépendamment de son bagage. Dans le cas de Liam, le départ avait un caractère plus définitif. À tous égards, la famille n’est pas toujours un cadeau. Qu’elle soit directe ou prolongée… Le beau-frère de Judson en était la parfaite illustration, lui qui tirait présentement sur la corde, adolescent attardé. Le quadragénaire se trouvait dans de beaux draps, coincé entre sa compagne et le frangin de cette dernière. « Avec moi, la question ne se pose pas. » souffla-t-il ironique. Fils unique, Liam n’avait pas de famille à imposer. À supposer que son père ait mené une vie monacale, après son départ. Il n’avait jamais cherché à le savoir. Belle-famille… En la matière, il ne déparait pas. Le clan Austen était imposant, riche de ses brouilles intestines. Le fils Hartman n’avait pas exactement arrangé les choses, culpabilité qui pesait encore sur ses épaules. Un rire le secoua, Judson dépeignant l’adolescent exemplaire que Jeremy pourrait devenir. « En tant qu’ami, je suis là pour te faire voir la vérité en face. » taquina-t-il. Un instant, il resongea à l’adolescent que Judson avait été. Liam en conservait un net souvenir. Leur amitié était née en ces temps chancelants. Judson n’était pas un gamin irréprochable, mais qui pouvait décemment l’en blâmer ?  Gosse en colère, il l’avait accompagné dans ses bêtises, exorcisant ses propres démons. Ses traits s’adoucirent. « Je ne me fais pas de souci pour Jeremy. Il t’en fera probablement un peu voir, comme la plupart des adolescents… Mais c’est un chouette gamin. Il est bien entouré. » Il comprendrait sûrement l’allusion implicite. Les choses sont totalement différentes. « Évite juste de lui raconter nos exploits passés, histoire de ne pas lui donner des idées. »

Haussement d’épaules. « Paie des vacances au frangin, alors. Je ne sais plus quoi te dire. » plaisanta-t-il. La situation finirait probablement par se régulariser. C’était sans doute une question de semaines. Quoique… Tout à son confort, le benjamin pourrait s’éterniser encore longtemps. Il connaissait les spécimens de ce genre, communément appelés profiteurs ou pique-assiette. Il lui souhaitait des temps plus apaisés, loin de cette charge imposée. « Les potes avant les femmes, c’est ça ? » demanda-t-il, Judson s’indignant de l’entendre clamer qu’il ne sacrifierait pas son couple pour ses beaux yeux. « Tu sais bien que tu seras toujours le premier dans mon cœur. » Un sourire en coin ponctua le réemploi de cette vieille plaisanterie. Attentif, Liam méditait les confidences de son meilleur ami. Julia redoutait que le temps vienne à lui manquer, à l’aune des changements qui se profilaient. La caserne, le bar… Ses responsabilités devenaient nombreuses. Routière, June était souvent amenée à s’absenter pour des tournées de quelques jours. Alors, Liam s’occupait seul du foyer. Lui-même ne manquait pas d’occupations, accaparé par le cabinet et l’atelier. Il avait l’avantage de pouvoir travailler à domicile, là où Judson œuvrait en présentiel. Il comprenait les appréhensions de Julia. Il n’était pas toujours aisé de se retrouver au cœur d’un quotidien asphyxié. « Au moins, tu en as conscience. » Aussi pourrait-il prendre les mesures nécessaires pour la tranquilliser. Plus facile à dire qu’à faire…  La reprise du bar risquait d’occuper ses pensées, requérant tout son temps et son énergie. Les premiers mois étaient toujours prenants, il en savait quelque chose. « Tu penses déléguer un peu ? » demanda-t-il. Judson n’était peut-être pas obligé d’assumer l’entière charge du bar. « Et Julia, elle compte prendre part à l’aventure ? » S’investir d’une quelconque façon, au-delà d’un appui moral déjà non négligeable… Restait un point à mettre en lumière. Judson avait exposé les craintes de sa compagne. Qu’en était-il des siennes ? « Et toi, qu’est-ce qui te fait peur ? »

En tout cas, semblait-il résister à la pression. L’aveu ne l’étonnait pas outre mesure. Judson pliait difficilement devant l’adversité. Il l’avait maintes fois prouvé. Se lancer dans l’inconnu d’une aventure nouvelle avait quelque chose de grisant. En cela, son ami ne manquerait pas de défis à relever. Liam était curieux de voir le tournant qu’emprunterait le Garnet, auprès de son nouveau gestionnaire. Il acquiesçait en silence. Passion. Le comptable s’était peu livré aux siennes, être constant, engoncé dans le sérieux d’une existence. Il avait vogué au plus logique, au plus sûr. Il gérait sa vie, comme on gérerait un portefeuille d’actions, cherchant les placements pérennes et lucratifs. Jamais aucune prise de risque, toujours là où le bon sens l’exigeait.  Goutte à goutte, il tendait à changer. La paternité ? Il se disait parfois qu’il se devait de montrer la voie à cette petite fille, qu’il souhaitait un jour voir se réaliser sans toutes barrières qu’il s’était imposées. L’atelier était le premier projet qui lui tenait vraiment à cœur. Il ne cherchait pas la rentabilité, désirait juste en faire un repaire de passionnés. « Content que tu aies trouvé la tienne, de passion. »  Un sourire glissa sur ses lèvres. « J’en ferai de même. Bien que le Garnet ait déjà une réputation tout acquise. » Judson n’en aurait pas vraiment besoin. Judson le tenancier de bar… L’idée s’ancrait dans son esprit.  Que de chemin parcouru pour les deux garnements du fond de classe, finalité sur laquelle certains de leurs professeurs n’auraient sans doute pas misé. « Dans dix ou quinze ans, il faudra qu’on monte un truc ensemble. » dit-il, sourire espiègle aux lèvres. Liam le jetait sur la table comme une boutade, sans grand sérieux. Où seraient-ils, alors ?

Liam releva la grimace, malaise évident. Question délicate... Il avait hésité à la poser. Elle était la manifestation, maladroite, d’une inquiétude vieille de deux ans. Il se souvenait encore de cette chambre stérile. Lui revenait l’épaisseur peinte, cette croûte accrochée au mur. Celle qu’il avait fixée durant de si nombreuses heures, redoutant le regard meurtri de son ami. Résonnaient encore les conversations douloureuses, promesse formulée, veiller sur son fils s’il devait lui arriver malheur. Pas le genre de conversation qu’il affectionnait, glaçante, éprouvante.  Il avait craint pour lui, pour l’après. Soulagé de voir qu’il s’était remis. Au-dehors… Au-dedans, Liam n’avait aucune certitude. Aussi, préférait-il s’en assurer, gauche et un peu trop direct, à l’image du gamin malhabile qu’il demeurait encore, après toutes ces années.  Il était peu de gens qui comptaient vraiment pour lui. Mais Judson était de ceux-là. « À l’époque, tu avais parlé d’élever des chèvres dans ta ferme. » souffla-t-il, regard dans le vague, faisant mine d’en rire.  « Tu n'as jamais pensé à raccrocher ? » Comme avant… Il comprenait, Liam. Il comprenait, sans comprendre. Car on ne peut jamais tout à fait appréhender le ressenti de quelqu’un, domaine propre à chacun. Judson n’était plus exactement le même. Une part de son insouciance s’en était allée, conscient – plus que jamais – des risques qu’il prenait au quotidien. « Vieil alcoolique ! » souffla-t-il, sans en penser grand mot, sourire absolu. Une étrange pesanteur gagnait ses épaules. Voulant s’en extraire, il se redressa sur son siège. « Un billard, ça te dit ? Si tu n’as pas trop peur de prendre une raclée… » Provocation patente, il ne cherchait pas même à s’en cacher. Son regard pointait déjà en direction des tables à feutrine. Il était résolu à rompre la mélancolie qui s'était abattue sur eux, gardant toutefois quelques questions dans son escarcelle.

Judson ignorait ce que sa vie aurait été si Louise n’avait pas disparu et si sa mère n’était pas partie. Si sa famille n’avait pas implosé sur l’autel d’une implacable réalité. Ses parents seraient-ils toujours ensemble, à l’heure d’aujourd’hui ? Qu’en serait-il de l’esprit de famille ? Il ne pouvait le dire. ce qu’il savait en revanche, c’est que Liam comprenait sans doute son ressenti, il avait expérimenté l’absence, la disparition, le manque de l’amour maternel. A ceci près que pour Liam, ça avait été définitif quand Judson avait eu une seconde chance de recoller les morceaux – et quels morceaux ! Il n’était pas sûr d’y être parvenu, encore aujourd’hui. Trop de temps s’était écoulé depuis. Le pardon ne pouvait être complet, à hauteur de la rancœur. « Ouais. Quelle histoire, hein ? » la gorge qui se serre, les mots qui manquent. La mère était revenue, quelques années plus tôt. Et la mère de Liam, dans tout ça ? « Et toi ? L’intégration au clan Austen, ça s’est bien passé ? » il rit malgré lui. Le clan Austen, voilà comment il voyait cette famille. De tous ses membres, c’était de Serena dont il avait été proche à l’époque, longtemps auparavant, Serena qu’il ne voyait plus aujourd’hui. Chacun avait sa vie à mener, il semblerait. « Oui, un chouette gamin. J’avais peur que ma séparation avec sa mère l’impacte un peu trop, mais… ça n’est pas si mal, finalement » pas si mal. Judson avait la chance de s’entendre bien avec Olivia, la mère de Jeremy qui vivait à Burlington. Mais à cause de son travail de reporter, elle était souvent appelée en mission, elle ne pouvait prendre le garçonnet au quotidien. Jem passait malgré tout beaucoup de temps avec elle quand elle était dans les parages et Judson en était satisfait. Il n’avait jamais rien eu contre elle, bien au contraire. Elle était partie pendant un temps, il aurait pu la suivre, il était resté. « Les vacances, ça c’est une bonne idée, je la soumettrai à Julia » approuva-t-il. Tout pour que le petit frère leur fiche la paix.

Les potes avant les femmes. « Mon mot d’ordre depuis le début » confirma Judd en levant bien haut sa bière. Bien sûr, ce n’était plus pareil aujourd’hui. Pas quand on avait une famille. Mais Judson avait toujours été un garçon loyal, fidèle en amitié. Il avait toujours eu besoin d’un groupe d’amis qui gravite autour de lui, même si les amitiés s’étaient raréfiées à l’âge adulte. Quand il était au lycée, il aimait bien davantage être entouré, adulé. Populaire, diraient certains. « Tu te rattrapes bien » sourit-il. Fatalement, la conversation dévia sur le projet de reprise du bar. C’était ce que Judson voulait surtout dire à son meilleur ami ce soir-là, rien d’étonnant donc. L’une des raisons pour lesquelles ils se retrouvaient, surtout ici, au Garnet. « Sans doute, je n’arriverai pas à tout gérer tout seul, de toute façon. Mais Julia… je ne sais pas. Ce n’est pas prévu pour le moment, mais qui sait, peut-être plus tard » elle le soutenait, l’encourageait dans ses démarches, ne semblait jamais douter de lui quand il n’était plus sûr de rien. Elle était son plus beau soutien et jamais il ne la remercierait assez pour ça. Ce qu’elle redoutait, c’était ses absences, le manque de temps pour eux, leur vie de couple. Il comprenait ce qu’elle voulait dire, naturellement. Liam parut lire dans ses pensées puisqu’il lui demanda ce qui lui faisait peur, à lui. Bref moment de flottement, il se perdit dans le liquide ambré au fond de son verre. La question à mille dollars. « J’en sais rien. Que ça ne marche pas aussi bien que prévu, que je vois encore moins mon fils grandir, que je regrette d’être moins à la caserne… » une moue désabusée étira ses lèvres. La crainte aussi, plus nuancée, inconsciente, que ce qu’il cherchait de la vie depuis son accident ne soit pas là-bas non plus, la peur de courir après une chimère. Il n’était pas sûr de découvrir un jour la réponse.

Il hocha la tête, légèrement rasséréné par les paroles de Liam. Par l’encouragement qu’il lisait dans son regard. A l’instar de Julia, Liam avait l’air de penser que les choses fonctionneraient, d’une manière ou d’une autre, à Judson de les croire. Et de chasser ce pessimisme ambiant qui l’envahissait quand il avait trop de temps pour penser. « C’est vrai, ce n’est pas comme si je lançais quelque chose de nouveau, que je devais développer un nouveau concept. Le concept, le Garnet l’a déjà » un lieu familier à l’ambiance chaleureuse, un lieu dans lequel on pouvait se retrouver en toute quiétude simplement pour passer un moment ensemble. C’était ce qu’il venait chercher là, Judson, beaucoup plus qu’une bière de qualité. A son tour, il sourit à ce souvenir. L’accident l’avait changé, il avait pensé tout arrêter, faire complètement autre chose. Cette histoire d’élevage n’était qu’une demi-plaisanterie, il en avait caressé l’idée pendant un temps, avant de réaliser que ce travail n’était peut-être pas non plus ce dont il avait besoin. La solitude, le travail de la terre, ce n’était pas pour lui. « On a qu’à se lancer ensemble dans l’élevage de chèvres et faire du fromage » répondit-il, amusé, en réaction à sa remarque précédente. Ils auraient pu monter une affaire ensemble, Liam avait raison. Ça ne s’était pas fait pour tout un tas de raisons, mais l’idée n’était pas désagréable. Et qui sait ce qui se passerait, des années plus tard ? Seraient-ils encore ici, à Redwood Hills ? Serait-il encore propriétaire du Garnet ? « On verra » conclut-il. S’il raccrochait ou non. Ce qu’il deviendrait. Tous, autant qu’ils étaient, Liam y compris. Quand ce dernier proposa un billard pour détendre l’atmosphère après ces révélations teintées d’une émotion sincère, Judson partit cette fois dans un rire plus franc. « Me prendre une raclée ? Eh, t’as déjà oublié cette fois où je t’ai mis la misère en quelques coups ? Le roi du billard, c’est moi. Et j’aurai encore plus de temps pour m’exercer maintenant que j’aurai accès vingt-quatre heures sur vingt-quatre à cet endroit » il étendit les bras pour donner plus de force à ses propos. Le poids sur ses épaules s’était un peu envolé, il se sentit submergé par une vague de confiance qui ne lui ressemblait qu’assez peu. Tout irait bien. « Mais j’suis partant, évidemment. On recommande quelque chose ? » son verre n’était pas encore tout à fait vide, mais presque. Et c’était un crime.