Son sac sur le dos, bien réglé, Tehaunui claque la portière de sa voiture. La carte dans une main, il vérifie encore une fois le chemin qu’il doit emprunter pour trouver cette clairière où se trouverait la fameuse créature mystérieuse. Il n’y croit pas trop, l’hawaïen, mais tout de même, il n’est pas fermé à l’idée de tomber nez à nez avec un renard au pelage doré, ou encore un cerf aux bois d’or ! Avant tout, c’est une bonne occasion de randonnée. Moïra, enceinte de six mois désormais, avait préféré rester à la maison, avec Elio. Elle savait le besoin de l’homme d’avoir des moments pour lui, en pleine nature. Ils se donnaient chacun l’espace dont ils avaient besoin. Ainsi, Tehau avait fait son sac, emportant avec lui surtout de quoi manger, dormir et quelques objets utiles tel son couteau suisse ou une lampe de poche par exemple. Il n’avait pas non plus oublié une carte et une boussole, lui qui n’est pas adepte des nouvelles technologies. Il avait déjà crapahuté dans le coin, mais pour autant, il ne connaissait pas très bien l’endroit. Dans sa poche, il avait aussi son téléphone portable, au cas où pour lui, mais surtout pour Moïra, si jamais elle avait besoin qu’il revienne en urgence.

Il vérifie une dernière fois que sa voiture est verrouillée - même s’il n’y a rien à voler - et le voilà sur le départ. Il n’est pas le seul à partir en quête de la mystérieuse bestiole. Certains y voyaient certainement une grande aventure dans la forêt des Montagnes Vertes ! Aucun itinéraire n’étant prévu, chacun y allait à l’instinct. Certains semblaient surtout compter sur la chance et les lucioles pour toucher au but… De son côté, Tehaunui semblait plutôt sûr de lui et du chemin qu’il voulait suivre. Bien sûr, il n’était pas à l’abri de se perdre, mais il maîtrisait plutôt bien la carte et la boussole, alors… Il avale les premiers kilomètres sans problème, suivant le chemin tracé, qui bientôt, sera surtout à deviner. Avant de s’enfoncer un peu plus dans la forêt, l’hawaïen décide de faire une pause. Cela fait un moment qu’il n’a pas vu d’autres randonneurs alors il est plutôt surpris quand il voit une jeune femme suivre le même chemin que lui… Il l’observe s’approcher petit à petit et se demande s’il va l’interpeller ou la laisser continuer sa route sans la déranger…

Pendant un moment, Tehaunui marche seul, sans trace d’un autre être humain dans les parages. Il n’y a que la forêt autour de lui. Les arbres, les animaux invisibles à ceux qui n’y prêtent pas attention. Le vent remue les feuilles, fait craquer les branches. L’homme profite de ces bruits, faisant fi des sons de sa respiration et de ses pas. Les rayons du soleil transpercent la cime des arbres et illuminent avec parcimonie le sol de la forêt. A chaque sortie, les yeux de l’hawaïen se délectent de ce paysage. On pourrait croire qu’il n’y a rien à voir que des arbres, et pourtant, il y trouve son compte. Parfois, il pense à son île natale et aux panoramas qu’elle offre. Ça lui manque. Mais quand vient l’automne au Vermont, il découvre des couleurs resplendissantes et Hawaï ne peut rivaliser.

L’été est encore bien présent pour l’instant, et l’avantage de la randonnée dans les bois, c’est qu’il y fait plus frais. Cela fait maintenant un petit moment qu’il marche, et il décide tout de même de s’arrêter pour boire un peu d’eau, mais aussi pour vérifier sa carte. Il trouve ça étrange d’être aussi seul, même si ça ne lui déplait pas tant que ça ! Peut-être a-t-il penser trop vite tandis qu’une jeune femme pointe le bout de son nez sur le chemin. Il l’observe approcher, se demandant s’il doit l’interpeller. Elle est plus rapide, lui demandant s’il est perdu. « Non. » Il répond rapidement, malgré les doutes qui commencent à venir. « Vous ? » Il note son regard vers son portable. Une adepte du GPS donc. Il n’a rien contre ça, Tehaunui, mais il se demande tout de même si ces trucs sont fiables. A-t-elle au moins du réseau ? Elle décide de faire une pause, elle aussi, au même endroit que l’hawaïen. Il détourne son regard d’elle. Elle reprend la conversation. « Celle de la bestiole là… » A vrai dire, il n’est pas vraiment sur sa piste. Il ne fait que suivre un chemin qui mène à… Mène-t-il vraiment à cette légende locale ? « Vous aussi ? » Il l’observe un instant, se demandant si elle était vraiment une adepte de la rando ou si elle avait pris cette occasion pour s’y mettre. Il se lève, s’étirant. « J’ai un doute sur le chemin. J’ai pas croisé grand-monde depuis mon départ. A part vous. » Il y a quelque temps de ça, Tehaunui aurait sans doute continué son chemin sans vraiment échanger avec la blonde. Mais le voilà désormais plus sociable ! Et puis, peut-être qu’ils sont dans la même galère…

Il ne le montre pas, Tehaunui, mais il est plutôt content de croiser quelqu’un. Pour une fois. Dans ses balades, l’hawaïen est plutôt du genre solitaire. Il les partage volontiers avec son chien, et parfois avec Moïra, mais bien souvent, il marche seul. Aujourd’hui, la rencontre de la jeune femme est une bonne nouvelle car il commençait à se demander s’il n’était pas un peu perdu, même s’il affirme le contraire à la jeune femme. Il se ravise rapidement, exprimant quelques doutes sur le chemin qu’il a emprunté. Et comme elle dit être sur la même randonnée que lui… Il y a quelque chose d’étrange à ne pas croiser d’autres personnes. La blonde se rapproche de lui, son GPS à la main. Il y jette un oeil, un peu sceptique, préférant se fier à sa carte. D’ailleurs, elle demande à la voir, alors il la lui tend. Il note qu’elle cherche quelque chose, dans le ciel. Probablement le soleil afin de se repérer. Il plonge sa main dans sa poche et en sort une boussole qu’il lui montre. « Besoin de ça ? » Tehaunui ne l’avait pas beaucoup sortie jusque là. Il avait suivi le chemin, sûr de lui. Il avait probablement eu tort et aurait dû vérifier plus tôt qu’il ne se trompait pas de route. Il hausse un sourcil alors qu’elle lui propose de faire un bout de chemin ensemble. En même temps, ils semblaient suivre la même direction… il ne se voyait pas refuser cette proposition. Il hoche alors la tête à l’affirmative. Ainsi, ils se remettent à marcher, ensemble. « C’est quoi ton nom ? »

Cela ne fait pas si longtemps qu’ils marchent ensemble. Ils n’ont vu personne d’autre, croisé aucun autre marcheur. Tehaunui est prêt à annoncer à Eli qu’ils n’ont certainement pas pris le bon chemin. Après à voir ce qu’ils feront. L’hawaïen trouve son bonheur à marcher, peu importe s’il tombe sur un animal légendaire, ou pas. La blonde voudra peut-être faire demi-tour et reprendre le bon chemin. Alors qu’il est sur le point de faire une pause, le duo voit s’approcher une vieille bâtisse à l’abandon. « Qu’est-ce que… » L’hawaïen s’approche, curieux.

Si Tehaunui n’est pas vraiment du genre à engager la conversation, d’habitude, le voilà qui demande à la jeune femme comment elle s’appelle. Il y a de ça quelques années, il aurait peut-être continué son chemin, aux côtés de la blonde, mais sans même avoir idée, ni même être dérangé par le fait qu’il ne connaissait pas son prénom. Elle se présente alors. Eli. Un diminutif peut-être ? Peu importe. Forcément, elle lui retourne la question. « Tehaunui. » Il lui jette un regard en coin. Il ne lui avait pourtant posé qu’une seule question. Apparemment, il avait ouvert une brèche et la jeune femme s’y était engouffrée ! « Redwood Hills. Toi ? » Étant du genre, bien souvent, à pas trop faire gaffe aux gens autour de lui, il avait peut-être pû la croiser déjà avant, il ne s’en souviendrait pas. En même temps, l’événement devait rameuter pas mal de monde, et pas seulement du coin. Peut-être que c’était une touriste…

Ils marchent, ils marchent, ils marchent. A un certain moment, Tehaunui doute sérieusement du chemin emprunté, mais tout cela est relégué à un second plan quand il distingue une vieille bâtisse au milieu des arbres. Il s’avance mais sent rapidement la main de sa compagne d’aventure sur son bras. Il se retourne vers elle. Elle ne semble pas rassurée… « Ce n’est qu’une vieille baraque… quelques ruines. » Certainement un ancien refuge de chasseur laissé à l’abandon. Selon lui, il n’y avait rien à craindre. Eli insiste pour qu’ils continuent leur chemin. « On peut faire une pause. Cinq minutes. Tu peux rester là si tu ne veux pas t’approcher… » Il ne va pas se moquer, mais il trouve cette attitude un peu ridicule. Elle avait certainement vu trop de films d’horreur, la blonde… Cela ne l’empêche pas de continuer de s’approcher.

Pour certains, ça pourrait paraître peu prudent que la jeune femme l’accompagne. Qu’elle continue son chemin avec un inconnu. Au milieu des bois. Tehaunui, lui, il s’en fout. Peu importe. Il ne se méfie absolument pas. De quoi de toute façon ? Il pourrait la prendre sous son bras, comme si elle ne pesait rien. Comme des gens normaux feraient, la conversation s’enclenche en même temps que leur chemin ensemble. Il lui indique venir de Redwood Hills. Elle ne cache pas sa surprise. L’hawaïen lui jette un coup d’œil en coin. Elle aussi, elle vient de là-bas. Comme quoi, le monde est petit. « J’suis prof. Au lycée. » Il lui aurait bien dit qu’elle avait pas besoin de s’excuser. Mais il compte ses mots comme s’il avait un quota par jour. « Et toi ? » Elle est partie pour parler, Tehaunui lui retourne la question. Après tout…

C’est flippant. Il tourne de nouveau le regard vers les ruines. C’est sûr, s’ils étaient dans un film d’horreur, la plus mauvaise des idées serait de s’approcher de ce reste de baraque. Sauf qu’ils ne sont pas dans un film d’horreur. Tehaunui a envie d’aller y jeter un œil. Peut-être son côté historien qui ressort… Eli n’a qu’à rester sur le chemin. Refaire ses lacets ou ce qu’elle veut. Mais elle ne veut pas rester seule. Ses lèvres s’étirent, un rire s’en échappe. « T’es plus inquiète pour moi ? Ou pour toi ? » Il l’observe attentivement, une seconde. Il voit dans son regard qu’elle prend son courage à deux mains. Elle va l’accompagner. « Glauque selon mes critères ? Ou les tiens ? » Non, parce qu’à l’écouter, c’est déjà glauque… De nouveau, il fait quelques pas vers la bâtisse abandonnée. « T’inquiètes, je leur ferai peur aux fantômes. T’arrivera rien. » Il pourrait dire la même à son fils. Qu’il fera peur au monstre sous le lit. Enfin, non. Il lui dira surtout qu’il n’y a pas de monstre, sous le lit. Il franchit alors le pas de la porte de la cabane.