Il y avait bien longtemps que Robin n’avait pas profité d’un moment rien que pour elle, pour faire une activité qui lui plaisait vraiment et ce, en solo. Ainsi, elle n’avait pas réfléchi bien longtemps avant de décider de se joindre à l’expédition pour remonter la piste de la mystérieuse créature au pelage doré. Son énorme sac de randonnée sur le dos, qui lui donnait l’air d’une tortue, elle s’était élancée sur le chemin avec rien d’autre qu’une carte et sa boussole pour éviter de se perdre. Autrefois, elle adorait ça, les randonnées, les courses d’orientation et autres réjouissances du genre, mais le temps ensuite lui avait cruellement manqué. Il était grand temps qu’elle renoue avec ses premières passions, d’autant plus que Leo était entre de bonnes mains pour tout le week-end, elle l’avait confié à ses parents – pour le plus grand bonheur de sa mère qui allait pouponner en paix. Robin ne s’entendait pas souvent très bien avec sa mère, elles étaient en conflit sur absolument tout, mais elle était bien contente de pouvoir compter sur elle en temps voulu. Seule pendant le début de la randonnée, elle ne le resta finalement pas longtemps en tombant complètement par hasard sur un autre habitant de Redwood Hills qu’elle reconnut immédiatement en la personne de Wilson Montgomery, un type d’un âge similaire qu’elle avait déjà croisé à plusieurs reprises en ville et qu’elle connaissait un peu. Passée la surprise de tomber sur un visage connu, elle avait bien dû reconnaître que ce n’était pas étonnant ; c’était le week-end où les volontaires se réunissaient justement dans ce coin bien spécifique des Montagnes Vertes pour tenter d’élucider le mystère de l’animal qui apparaît seulement tous les dix ans. Robin n’y croyait pas beaucoup, mais elle espérait au moins apercevoir les lucioles au milieu de la nuit. Et c’était une excuse parfaite pour s’éclipser de son quotidien et de Redwood pendant deux jours entiers, que demander de plus ?

Après un bref moment de flottement, elle avait proposé à Wilson de se joindre à elle pour qu’ils continuent l’expédition ensemble. La solitude avait du bon, mais partager l’histoire des lucioles avec quelqu’un pouvait aussi avoir des avantages. Et Robin avait toujours bien aimé Wilson, du peu qu’elle connaissait. Peut-être pour le boulot qu’il faisait et qu’elle trouvait original, ou alors par l’aura qu’il semblait dégager, elle n’en savait rien, mais ils poursuivirent le chemin à deux, jusqu’à ce que le jour décline. « On pourrait installer notre bivouac quelque part dans les parages ? » proposa-t-elle à son coéquipier d’un jour, tout en jetant un coup d’œil vers le ciel qui noircissait à vue d’œil. « A la base, j’avais prévu de dormir quelques heures et de me relever ensuite chercher les lucioles, c’était le plan » un plan qui n’était pas infaillible, mais Robin tenait à se reposer au moins un petit moment avant de reprendre sa route au coeur des ténèbres. C’était la nuit des lucioles… ou des loups-garous au milieu des bois, au choix. Elle avait l’habitude, ça lui rappellerait ses années à l’armée, quand il fallait se relever au beau milieu de la nuit pour partir en entraînement ou lors d’une mission. Peut-être qu’elle avait besoin de ça, Robin, de se rappeler cette époque révolue… qui ne lui manquait pas tant que ça, sauf sur certains aspects. Mais Wilson ne l’entendait peut-être pas de cette oreille. Ils n’avaient pas beaucoup parlé durant la première partie de leur expédition, trop occupés à se concentrer sur les efforts à fournir.  

Le plaisir de la forêt ! J’adorai mon laboratoire, mon bureau et les scènes de crime, mais les paysages verts, ça avait bien plus de charme. Bon, il était vrai que si je pouvais accumuler les trois, j’étais aux anges, mais cela sous entendait la présence d’un cadavre en extrême décomposition dans les bois… Et la dernière fois que c’était arrivé, l’affaire n’était pas des plus facile. Pour ne pas dire quasi impossible. Un simple morceau de tissus sous le seul doigt restant.  Une affaire sordide comme je les aimais ! Mais pour ce week-end, j’étais bien loin de toutes ses affaires policières. Là, j’avais envie de prendre l’air et de mener ma petite investigation concernant cette créature… Au pelage doré, si je ne me trompais pas ? Peu importe, cette pseudo-enquête sur un cryptide, je n’y croyais pas pour un sou, mais la fantaisie derrière, elle me fascinait. Les gens qui venaient dans cette forêt, aussi. C’était mon côté anthropologue, mais sans l’aspect criminelle. Darren m’avait même encouragé dans ce sens. Un défi, comme il aimait si bien me les proposer.


Mon expédition était préparée dans les moindres détails. Mon sac, mes affaires et ma nourriture n’avaient pas été choisi au hasard tant je voulais m’assurer en voyage correct et sans encombre. Ce n’était pas bien compliqué tant j’étais un habitué à ce genre d’évènement —dans des circonstances plus professionnelles, certes. Ce n’était guère étonnant de croiser des promeneurs à cette période-ci. Ce qui était appréciable, c’était cette solidarité entre passionnés. Que l’un ou l’autre soit ici comme toutes les semaines ou des enquêteurs en herbe pour ce mystère, tout le monde donnait de sa personne pour faire un bout de chemin ensemble ou bien se donner quelques conseils. Alors forcément, je n’étais guère surpris de me retrouver aux côtés de Claire. Son invitation était dès plus appréciable tout comme sa présence, alors pourquoi refuser ? Je ne savais pas grand-chose de cette femme mais son visage m’était familier, suffisamment pour accepter.


Nous avions bien marché quand l’ancienne militaire proposait de s’installer ici. Jusque-là, je n’avais pas été très bavard, tant mes pensées se retrouvaient plus dans mon carnet de poche que dans ses oreilles. Pour autant, je lui adressais tout de même un sourire avant d’accepter.


—C’est une idée judicieuse. Dormir un peu nous fera du bien. Un bon repas aussi, après tout, soufflais-je en fermant mon carnet. Je pense qu’il faudra se lever tôt pour les lucioles, alors il ne faudrait pas trainer. Je vais chercher de quoi allumer un feu.


Et sans en dire plus, mon sac était aux côtés de Robin, et moi, dans les alentours à chercher du bois bien sec. Le temps d’après, j’avais suffisamment de quoi faire. Et avec un allume-feu, rien n’était bien compliqué. Quand les premières flammes arrivaient, je regardais mon acolyte d’un air victorieux.


—Une bonne chose de faite. Tu crois que des gens vont nous rejoindre ? J’imagine que ces histoires de lucioles et de créature dorée doivent amener pas mal de touriste, même si nous n’avions aucunes preuves scientifiques de cette dernière.

Plus fort que moi de ramener la science dans tout ça !

La nuit tombait peu à peu, mais Robin ne comptait pas partir tout de suite à la chasse aux lucioles, elle savait qu’ils avaient encore de longues heures devant eux avant qu’elles n’apparaissent, si elles apparaissaient. Il y avait toujours un peu plus de chance de les apercevoir que de croiser la créature au pelage doré qui relevait davantage de la fable pour enfants qu’autre chose, de son avis très terre-à-terre, mais passons. Ils installèrent leur bivouac à un endroit stratégique, pas très loin de là où ils comptaient observer les lucioles par la suite, même s’il leur faudrait malgré tout marcher un peu avant d’espérer les découvrir. Wilson proposa d’allumer un feu et de manger un morceau avant la nuit et elle accepta d’un hochement de la tête. « Tu as emporté une tente ? » la sienne était dans son sac à dos, elle était minuscule mais avait l’avantage de pouvoir être dressée en quelques instants, ce qui était un avantage non négligeable. Elle aurait pu tout aussi bien dormir à la belle étoile comme cela lui était déjà arrivé, mais dans ce lieu inconnu, au milieu d’une forêt dense et malgré tout son courage qui frisait presque l’inconscience, elle préférait avoir un toit au-dessus de sa tête. Même si c’était un toit précaire. Pendant que Wilson s’occupait de ramasser un peu de bois, elle se chargea donc de monter sa propre tente avant de préparer un coin pour accueillir le feu. Peut-être même s’endormirait-elle là, près des flammes réconfortantes qui danseraient allègrement devant ses yeux sombres, et sa tente ne servirait à rien… mais mieux valait prévenir que guérir.

Elle observa les gestes experts de Wilson pour que le bois s’embrase et esquissa un sourire. « T’as souvent fait ça avant ? » elle connaissait assez peu l’homme finalement, c’était l’occasion ou jamais d’en apprendre un peu plus sur lui. Peut-être découvrirait-elle qu’il était un passionné de stages survie nature et allumait des feux tous les week-ends – même si, avec un allume-feu comme celui dont il s’était servi, c’était tout de suite beaucoup plus facile. « Aucune idée, mais j’imagine qu’on croisera sûrement d’autres randonneurs qui veulent apercevoir les lucioles. Mais je crois qu’on peut les voir dans plusieurs coins de la forêt, donc il y a aussi de fortes chances qu’on soit seuls au monde » et ça ne dérangeait pas tant que ça Robin, qui pouvait se montrer très solitaire par moments. « Ça, c’est sûr. Et sûrement quelques illuminés en prime aussi » elle avait lâché ces mots sans réfléchir, avant de se souvenir qu’elle ne savait vraiment rien de Wilson. « Enfin, j’ai rien contre les illuminés, évidemment… » précisa-t-elle dans une maigre tentative de rattrapage. Mais Wilson était un scientifique, un esprit certainement encore plus cartésien que celui de Robin qui rajouta « Donc, tu ne crois pas à ces légendes de créature au pelage doré qui apparaît tous les dix ans, toi ? » au moins partageraient-ils la même vision des choses et c’était déjà pas mal. Elle fouilla dans son sac pour en retirer quelque chose à grignoter, elle avait prévu le coup en apportant uniquement de la nourriture qui n’avait pas besoin d’être réchauffée, toujours dans l’optique de gagner du temps. Le crépitement des flammes l’attirait inexorablement et elle se perdit dans sa contemplation pendant quelques instants. Il les réchauffait autant qu’il les éclairait, et masquait en partie les mille petits bruits de la forêt à la nuit tombée. Elle n’avait pas peur, Robin, mais elle restait malgré tout sur ses gardes. On ne savait jamais vraiment sur quoi on pouvait tomber.

C’était bien rare de ma part que de m’éloigner de la vie citadine, même pour le temps d’une nuit. J’avais une tente démodée, mais qui avait le plaisir de s’ouvrir en un clin d’œil. Je couchais si rarement dehors que cela devait se voir à l’aspect neuf de cette dernière. A dire vrai, je crois que la dernière fois devait remonter à une enquête en 2017, lorsque la police du Nebraska avait trouvé une fosse commune prêt de Blaire. Les corps étaient dans un état qui avait de quoi être préoccupant mais l’affaire derrière tout ça n’avait rien de bien palpitant. Tout le monde avait beau songer à un tueur en série, ou les conséquences d’une tuerie de masse, mais il n’en était rien : il s’agissait là d’un campement de sans abri qui avait prit feu et, avec les pluies ardents de l’hiver précédent, toute trace d’eux avait disparu… Avant que la neige ne fonde, et les corps ne reviennent à la surface. Dans tout ça, nous étions restés une nuit entière pour retrouver chaque os, chaque dent, chaque morceau de tissus, de métal qui pouvaient nous aider à reconstituer la vérité derrière ce tragique accident. Il allait sans dire que, en allumant ce feu, une certaine ironie me piquait le nez, songeant aux flammes et à cette désolante histoire.


La présence de Robin était dès plus agréable et je devais l’admettre : elle était particulièrement bien préparée. Rien d’étonnant, en soit, pour le que j’en savais à son sujet. Quand elle me posait la question sur ma fréquence de création de flamme, je me contentais d’un sourire vers sa direction, une main mimant l’hésitation dans l’air. J’avais quelques notions, plus part utilité pour le boulot que part réel plaisir de m’aventurer dans une forêt.


Vint notre petite conversation qui brûlait toutes les lèvres des randonneurs du moment : les lucioles, et cette bête au pelage d’or. Son rattrapage quant au mot illuminé me fit sourire, voyant bien là une certaine maladresse attendrissante. Avait-elle peur de moi ? Où peut-être de l’inconnu que j’étais ? en étant un homme, dans une forêt, la nuit… Oui, je pouvais comprendre que cette émotion soit dans un coin de son esprit.

—Non, pas vraiment, soufflais-je en admirant le crépitement des flammes. Je suis convaincu que nous n’avons pas découvert toutes les espèces du règne animal, mais… On en fait une représentation bien au-dessus de la réalité. 80% du règne animal sont des arthropodes, donc vulgairement, des insectes. Les vertébrés sont aux alentours de 18% et dans ce domaine-là, les mammifères et les Hommes, 96%. C’est peu, très peu… Le dernier mammifère découvert scientifiquement est le Bassaricyon neblina, communément appelé l’Olinguito en 2013. C’est très mignon, mais rien qui ne pourrait coller à des légendes, même dans son habitat naturel en Colombie et Equateur… Il y a bien des insectes qui entrent dans une sorte de coma pendant plusieurs années et reviennent à la vie le temps de la reproduction, mais ce comportement n'est pas, à ma connaissance, connu chez les vertébrées. Et à moins que cette créature au pelage dorée soit un arthropodes géant... Ce que je veux dire par là, c’est que des créatures s’approchant plus des légendes et des cryptide ne peuvent pas exister : dans le cas contraire nous aurions déjà des éléments scientifiques avérés à ce sujet, et depuis longtemps. Rien que le fait que des personnes cherchent ses créatures sans relâches mais n’ont jamais de preuve concrètes en est une qu’il s’agit bien là de conte et de légendes… Et c’est très bien ainsi. Les gens ont besoin de fantaisie et d’originalité dans leurs vies. Même si cette créature n’existe pas, elle fait sortir les gens, ils vont passer une nuit en forêt, s’amuser, peut-être prendront-ils du plaisir à faire cette randonnée, ou à vivre un moment un peu magique grâce aux lucioles et chercheront à renouveler l’expérience une autre fois ? Je pense que la vraie beauté de ce genre d’affabulation est ici. Mais…

J’eus un rire nerveux avant de prendre mon sac, tout en posant mon regard sur Robin.

—Navré, je parle beaucoup, encore plus quand il s’agit de sciences, d’anthropologie, judicaire ou non. C’est juste que… Je trouve qu’il y a de la beauté dans ces petites choses qu’on ne remarque pas, et je pense que c’est ça que je suis venu chercher. Comme une sorte d’observateur scientifique, ou un adulte voyant des enfants cherchant à attraper du regard le père noël dans le jardin. C’est un peu naïf, probablement candide, mais je pense que nous méritons tous un peu cette légèreté venant d’une simple légende urbaine aussi douce qu’un pelage doré.

De mon sac, je sortais un mon repas proprement emballé. Un sandwich, ainsi que des crudités ne nécessitant aucune cuis.

—Bon appétit, très chère !

Robin n’était pas une experte en bivouac, mais elle avait un minimum de connaissances en la matière et même pour partir un week-end, elle s’était bien préparée. Pas question de partir à l’assaut d’une forêt pareille sans préparation, sans connaître le terrain et sans équipement. Ainsi, à eux deux, avec Wilson qui s’occupait du feu, ils formaient un binôme pas si mal assorti finalement. Robin n’avait aucune idée de la manière dont allait tourner cette nuit, mais elle avait un bon pressentiment ; les choses ne pouvaient que bien se passer. Ainsi, regroupés tous les deux autour des flammes qui crépitaient allègrement, faisant briller leurs yeux, ils entamèrent la discussion. Robin était d’humeur plutôt bavarde, peut-être était-ce la perspective d’un week-end peu ordinaire ou simplement la présence réconfortante de Wilson, elle n’en savait rien, mais elle parla bien plus que d’habitude… et ce n’était rien en comparaison de Wilson qui se lança dans un discours enflammé sur les mammifères. Elle aurait dû s’en douter, elle savait que c’était un scientifique, mais elle n’imaginait pas à quel point. « Un simple non je n’y crois pas m’aurait suffi » répondit-elle, sourcil arqué, avant de laisser échapper un léger rire. Wilson s’excusa d’être trop bavard, ce à quoi elle répondit « Je n’avais pas remarqué » railleuse Robin, comme toujours – on ne la changerait pas. Mais la pique n’était pas mesquine, en fait, elle trouvait même ça plutôt cool. « J’aime bien les gens passionnés, je trouve que c’est important, dans notre foutu monde. Un peu de folie et de passion » elle-même n’était pas certaine d’être très saine d’esprit, et passionnée, elle l’était tout autant. Sans doute était-elle très différente de Wilson, elle n’avait pas cette naïveté dont il parlait, cette capacité à s’émerveiller de tout, au contraire. Elle était assez pessimiste, l’esprit trop terre-à-terre, mais ça ne l’empêchait pas de trouver de l’intérêt dans des sujets très variés.

Ils sortirent tous deux leurs victuailles et elle constata que Wilson avait prévu le coup, comme elle, avec un repas qui ne nécessitait ni préparation ni cuisson. Le feu aurait pu servir, mais ça n’avait pas grande importance. Elle ouvrit sa boîte hermétique et planta sa fourchette dans sa salade de pâtes. « Bon app’ ! » conclut-elle avant d’avaler une importante bouchée. Elle réalisait qu’elle était affamée. « Alors comme ça, tu es anthropologue ? » poursuivit-elle, curieuse. Autant meubler le silence, même si elle l’aimait en temps normal. Ici, au milieu de la nuit, elle préférait entendre d’autres voix humaines. Ils auraient tout le temps d’écouter les bruits de la forêt plus tard, au moment de s’endormir. Elle s’apprêtait à rajouter quelque chose quand soudain, un hurlement fendit l’air, résonnant dans leurs oreilles comme un écho. De surprise, elle lâcha sa fourchette qui s’écrasa à ses pieds. Le hurlement s’interrompit brusquement. Son sang se glaça. « Qu’est-ce… Qu’est-ce que c’était ? » balbutia-t-elle. Elle retrouverait vite son sang-froid, Robin. Mais pour le moment, elle ne pouvait masquer sa franche inquiétude.