Elle ne comprenait pas bien comment tout cela était arrivé. Elle n’avait même pas cherché à poser des questions sur les circonstances de cette fusillade. Elle savait simplement qu’elle devait venir, qu’elle n’en avait pas la moindre envie mais sa conscience professionnelle la forçait à s’y rendre. De plus, même si elle le cachait bien au fond d’elle, ce genre d’évènements avait tendance à rapprocher les gens, à développer le soutien qu’ils pouvaient s’apporter les uns aux autres. Elle était dégoutée par ce genre de commémoration mais cela venait surtout du fait qu’elle était en colère de penser que des personnes puissent être à ce point égoïste et chercher à faire du mal aux autres pour asseoir leur folie. D’ailleurs, elle était là. Sa colère. Elle regardait le bras de Robin en le désinfectant et en refaisant son pansement et sa colère la rongeait de l’intérieur. Elle n’était pas sûre de bien entendre ce qu’il se passait autour d’elle tant elle martelait à ses oreilles. Une jeune femme (Mady) lui répondit, elle avait cru comprendre que pas mal de gens étaient blessés… certains étaient même morts. Elle ne pouvait rien faire pour ceux-là. Il fallait qu’elle arrive à se sortir de ses pensées, qu’elle aille les aider. Elle était en train de terminer le pansement pour éviter à Robin de se vider de son sang lorsqu’elle se sentait happer par quelqu’un. Son réflexe aurait dû être de se débattre, mais au contraire elle renforça l’étreinte parce qu’elle savait que c’était Ulysse, elle avait entendu sa voix même si elle n’était pas des plus présentes. Il était en vie, c’était l’important. Elle se décolla de lui et le regarda de haut en bas. « Ca va, tu as rien toi ? » Nathan semblait particulièrement perturbé en l’instant et si elle avait vu son frère dans cet état, elle aurait sûrement eu la même réaction. Si même elle réussissait à se mettre dans des états d’énervement face à la blessure de sa belle sœur, elle n’imaginait pas les sentiments de ses frères. « Ca va aller Nathan, il faut juste la sortir de là, mon pansement tiendra pas le coup longtemps, si vous pouviez l’amener à l’extérieur, il y a plus de secours qui sont arrivés. » elle regarda les quelques personnes autour d’elle pour observer leur état. « Ca va vous ? vous n’avez pas été blessés ? » elle ne pouvait pas rester longtemps à regarder ce qu’il se passait s’ils n’avaient rien mais elle ne pouvait pas partir sans être sûre que les personnes auxquelles elle tenait tant étaient hors de danger.

C’était la folie. Les gens criaient, paniquaient. Le tireur avait pris la fuite, pris en chasse par Oxburry, mais il avait laissé derrière lui des cadavres et des blessés. En temps normal, Mike aurait sans doute tenté de donner un coup de main, pour transporter les blessés, ou donner les premiers soins, mais pas cette fois. Parce que cette fois il avait des personnes à protéger avant tout. Adele allait bien, à première vue elle n’était pas blessée, juste choquée. Par contre Elise avait perdue connaissance et il la soupçonnait de s’être cogné la tête en tombant. Presque immédiatement il prit les choses en main. Il tenta de calmer sa sœur, en lui disant que tout irait bien, puis il souleva la pâtissière dans ses bras avant de demander à Adele de lui ouvrir la marche. Elle s’exécuta, et malgré sa petite taille, fendit la foule d’un pas ferme. Elle bouscula même quelques personnes, mais si l’une ou l’autre chercha à rouspéter, la vue du regard sombre de Mike et de la blessée qu’il portait dans les bras leur coupait toute envie de râler.

Contre lui, il sentit qu’Elise luttait pour reprendre conscience. A un moment, elle prononça même son nom, et il baissa les yeux sur elle. « Oui c’est moi. T’en fait pas, on va te sortir de là. » Il la vit lutter, tenter de garder les yeux ouverts, mais bien vite elle sombra à nouveau dans l’inconscience. Son état l’inquiétait. Et si elle avait une commotion ? Il fallait qu’elle voit un médecin le plus tôt possible. Bien vite ils se retrouvèrent à l’extérieur, et il entendit sa sœur pester sur les secours qui n’étaient pas encore là. « Ils ne vont sans doute pas tarder. » Mike lui fit signe de le suivre et il s’éloigna un peu du lieu de passage de tous ces personnes qui tentaient de fuir ou - paradoxalement - d’entrer. Il se baissa pour déposer Elise au sol, calant sa tête sur son genou. « Ca m’inquiète qu’elle ait perdu connaissance. » Il releva finalement les yeux vers sa sœur. « Si les secours n’arrivent pas dans les cinq minutes, on l’emmène nous même au centre médical. » Ca lui semblait la solution la plus adaptée vu la situation. « J’ai dit à Gram’s de rentrer et de se mettre à l’abri. J’espère qu’elle m’a écouté… »

Il était arrivé en retard à la commémoration, Priam. Un appel soudain, voilà à quoi tenait la vie. C'était étrange parfois de constater qu'une seule seconde pouvait avoir des répercussions énormes. Un appel, des secondes qui défilent et une arrivée tardive sur les lieux. Il ne pouvait plus que constater le massacre, appareil photo sophistiqué autour du cou. Il n'arrivait pas à y croire. La folie des hommes avait encore frappé. Avec violence, fureur, frénésie. C'était poignant d'être sur les lieux, de voir ces visages, affectés par la mort. Priam n'osait pas avancer. « L'enfer des Malaimés », murmura-t-il en repensant au nom que Joy avait donné à ce monde. C'était bel et bien le cas lorsqu'il voyait le massacre. Et il pensait soudainement à sa famille. Et si son frère était là ? Et si ses sœurs ? Et si sa nièce ? Il ne les voyait pas. Aucun d'entre eux. Il hésitait entre le soulagement et la peur. Soulagement à l'idée de penser qu'il n'était peut-être pas venu. Peur à l'idée qu'il pouvait tout aussi bien être là, parmi les morts, parmi les victimes, seulement figé dans un mutisme dans un coin ou accablé par la terreur des hommes. Des murmures s'élevaient, le tueur avait été à son tour tué par le capitaine de la police de Redwood. C'était une consolation comme une autre pour certains. Au lieu de partir dans une folie incontrôlable, Priam sortit son portable pour envoyer un message à sa famille, les informer qu'il allait bien, attendant qu'il en soit de même pour eux. Il n'était pas médecin, il n'était pas infirmier, il n'était pas non plus policier, il était seulement photographe. Il ne pouvait guère aider. Il était venu pour photographier la commémoration sur demande de la ville, il n'y avait pas eu de commémoration, seulement la mort qui s’immisçait de nouveau dans le village de façon massive, émouvante et pesante. Alors à sa façon, il immortalisa l'instant, les survivants, les héros. Trente ans après, il y avait cette même démence. Et Priam avait du mal à croire que tout cela venait de la Rose Lunaire, lui qui avait trouvé un certain charme à ses préceptes.

A nos fantômes. Commémoration des 30 ans du suicide collectif. Pourquoi je suis à ce point sensible. Même pas capable de rester debout, de faire face, d'aller aider, alors que Desmond est déjà à la poursuite du salopard à l'origine de tout ça. Adossé à un mur, je fais la seule chose à peu près en mon pouvoir. Et encore, je le fais mal. Incapable de retrouver dans ma mémoire le numéro des urgences, j'appelle directement à la source. Je suis tellement heureux d'avoir le numéro de John, et puis d'entendre sa voix. Par chance il est de garde aujourd'hui, et travaille à l'hôpital, ainsi il préviendra directement les urgences, qui auront de quoi s'occuper d'autant de personnes. Je le sens déjà en mouvement à l'autre bout du fil, alors que je m’apprête à raccrocher. Comme mon père adoptif juste avant, John me demande de rester à l'abri, de "ne pas jouer au héro". Je réponds positivement. Dans mon état je ne suis même pas capable de garder mon équilibre sans l'aide du mur. Franchement. Baissant mon portable, je suis un peu rassuré grâce au médecin. Un peu. Je me force à reprendre mon souffle, concentré sur un brin d'herbe non loin devant moi. Autour de moi, c'est un peu le flou. J'en oublie ma blessure. Je me renferme dans une bulle, repoussant la panique qui s'était emparée de moi. Cela met des images sur l'accident de mes parents. C'est horrible. Une voix me sort brusquement de mon cocon. Un homme (Raphaël) que je n'ai jamais vu – enfin si, peut-être, croisé, mais là maintenant je m'en fiche – me demande ce qu'est est arrivé ici. — La Rose Lunaire, ces connards, murmurais-je avec venin, en me redressant. Puis je jette un coup d’œil autour de moi et de reprends plus fort. Le révérend s'est buté, et p't'être une autre personne. Et un type a débarqué dans la grange, il a commencé à tirer dans le tas, et... Je dégluti, et balaie la scène d'un geste de la main. Voilà... J'crois que... L'chef de la police l'a sûrement eue... supposais-je en tendant un peu l'oreille. Il m'a semblé entendre de nouveaux coups de feu, un cri, je ne sais plus. J'espère que Desmond a arrêté le tueur, c'est tout. J’oublie un peu le jeune homme, je n'arrive pas à accrocher mon esprit à quelque chose. Un peu comme dans un rêve, un cauchemar ce coup-ci. Trop de carnage. Du sang, des morts, des blessés, des pleurs. Et puis les ambulances finissent par arriver. Mais je ne bouge pas, restant contre mon mur, à l'écart. Ce que j'ai n'est pas grave. Un bandage, une petite dose, et ça sera fini. D'autres ont certainement plus besoin de soins que moi.

A Raphaël :

Le bordel. Voilà ce à quoi je pense lorsque j'arrive sur place devant la grange. Les gens hurlent, courent dans tous les sens et sont visiblement paniqué. Compréhensible. Totalement compréhensible. Je crois qu'à leur place je n'aurais pas réagis autrement. Enfin, je suis médecin, on nous entraine à rester calme et à garder notre sang froid même lorsque tout le monde panique. Je garde aussi encore un peu d'entrainement de ma courte carrière en tant que médecin de guerre. Ainsi donc, je parviens à réfléchir. Je suis les ordres de mon supérieur qui nous demande de nous disperser à travers les gens et choisir qui voir en premier.

Faire un choix. Voilà ce qui est juste horrible. Malheureusement, nous ne sommes pas assez de secouristes par rapport au nombre conséquent de blessé. Il faut donc voir en priorité les grands blessés, ceux qui perdent beaucoup de sang et qu'il faut éventuellement transporter à l'hôpital. Mon choix à moi se porte sur un petit groupe. Deux filles, un garçons. Une des filles est blessé à l'épaule. La plaie saigne abondement. Ma priorité c'est de stopper l’hémorragie. Ainsi donc, pendant que j'attrape quelques compresses stériles, je cherche à en savoir un peu plus sur ce qui s'est passé ainsi que de connaître le prénom de ma patiente.

 « Enchanté Harper » lui souriais-je calmement tout en écoutant Jon me conter rapidement les faits passés. Le maire qui fait un discours, un homme qui se tire une balle dans la tête, une autre femme qui se jette du toit de la grange et finalement un dernier mec qui a tiré dans le tas. J'hoche la tête  «Ok, je vois. Merci » intérieurement, je bouillonne de rage.

Mais je ne m'autorise pas à me laisser consumer par la colère et me concentre à nouveau sur Harper. J'abaisse le col de son haut afin d'examiner la plaie d'un peu plus près. Je reste neutre, alors qu'intérieurement je grimace. D'après ce que je peux voir là, la clavicule est touché. Et comme il n'y a pas de troue au niveau de l'omoplate je pars du principe que la balle est encore logée à l’intérieur de l'épaule. Je me redresse et applique les compresses sur blessure.  «Harper ? Reste avec moi, ok ? Écoute moi » lui disais-je. J'attrape doucement la main de son bras valide et la pose sur les compresses  « Je veux que tu appuie dessus. Le plus fort possible, ok ? Oui je sais ça fait mal, mais ça va s'arranger, je te le promet » lui assurais-je avant de me tourner vers le sac à dos.

En même temps je fais un signe aux brancardiers qui attendent au niveau d'une des ambulances. Il réagissent rapidement et je les observe sortir un brancards avant de se diriger rapidement vers nous.  « La balle est encore à l'intérieur, dans l'épaule » expliquais-je en ajoutant quelques compresses sur celles-déjà présentent sur l'épaule de la jeune femme, les fixant fortement avec du scotch  « Il va falloir la retirer le plus vite possible  » je pose une main sur le bras d'Harper  «Ne t'inquiète pas, ça va aller  » je me redresse lorsque les branquardiers arrivent.  « je passerais te voir demain à l'hôpital, tu as ma parole » je lui adresse un dernier sourire avant de me tourner vers les brancardiers, leur expliquant rapidement la situation. Je me tourne ensuite vers Jay et Jon  « ça va, vous, sinon ?»

Spoiler:

Du monde, tellement de monde tout autour d'elle. Tandis qu'elle luttait pour rester consciente malgré la douleur qui l'étouffait, elle entendit d'abord la voix de Maïa penchée au-dessus d'elle et elle se contenta de hocher la tête, ne trouvant pas la force de répondre. Où était ce salaud qui tirait sur les gens ? Avait-il été abattu par les flics ? Courait-il toujours ? Pour le coup, la question lui traversa l'esprit mais très vite, la douleur revint, elle avait beau être forte, elle souffrait tellement. Elle voulut appeler sa famille, en vain, puis la voix de Mady flotta dans son esprit, une voix paniquée, qui parlait vite, si vite que Robin ne comprit pas tout ce dont il était question, elle entendit juste la fin et un maigre sourire éclaira son visage blême et couvert de sueur « Fais pas des promesses comme ça, Mad... j'vais te prendre au mot... » Mady lui promit qu'elle n'aurait plus à payer un seul verre de sa vie au Garnet. Après un instant qui lui parut être une éternité, les secours surgirent de partout et Robin entendit Mady les appeler et le reste, elle l'oublia un peu. Si l'on se pencha vers elle pour l'aider, elle ne s'en souvint pas et la seule chose qui l'importait, c'était la présence de ses frères à ses côtés. « Ulysse » souffla-t-elle en l'entendant. Son grand frère était là ! Et à première vue, il ne semblait pas blessé. Elle voulait lui dire qu'elle était désolée pour tout, désolée de s'être comportée ainsi ces derniers temps, désolée d'être elle, mais elle ne réussit pas à prononcer autre chose que le prénom de son frère. Il l'informa que Nate se trouvait dans les parages aussi et effectivement, elle entendit son petit frère, toujours délicat quand il s'agissait de dire les choses. « Nate ! T'es pas blessé ? » s'étrangla-t-elle, parce que ce qui l'intéressait plus que sa propre survie, c'était celle des membres de sa famille. Tant qu'ils allaient bien, alors le reste n'était pas important.

Le reste était encore plus flou. Elle sentit qu'on la soulevait pour l'emmener vers l'extérieur et les secours prirent rapidement le relais pour la déposer sur un brancard. Elle ne voulait pas partir seule, Robin la solitaire avait besoin d'être entourée pour cette fois, elle espérait que Nathan ou Ulysse l'accompagnerait. Une fois à l'intérieur de l'habitacle, les cris et l'agitation de l'extérieur diminuèrent, elle se retrouva au calme. L'ambulance était sur le point de démarrer, prête à emporter Robin en direction de l'hôpital.

Spoiler:

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