En se présentant à la présidence de l’association LGBT de la ville, Oliver n’avait pas imaginé quelle masse de travail cela représenterait - ni même qu’il serait élu, à vrai dire. Et pourtant, le voilà, après trois mois de travail et de préparatifs acharnés, se tenant seul sur la scène, prêt à donner le coup d'envoi de sa journée des fiertés. Tout le monde a travaillé dur pour monter cet événement, au point qu’à vrai dire, il est excité plus qu’il n’a peur, quand il allume le micro dans sa main et se racle la gorge pour attirer l’attention des visiteurs. “Hmm hmm… Bonjour à toutes et à tous, bienvenue à notre journée des fiertés 2023 !” Peut-être qu’il a un peu le trac, aussi. “Dans quelques instants, les festivités commenceront. N’hésitez pas à vous servir au buffet ou à monter sur scène pour partager vos talents musicaux avec tout le monde, ni à passer aux différents stands pour discuter avec nos membres ! Sachez que nous acceptons les dons et que si vous souhaitez en faire un, vous pourrez me trouver au stand photo juste là.” Il pointe le stand le plus proche de la scène de sa main libre et reprend. “En attendant, amusez-vous, profitez de cette belle journée, et joyeuse Pride à tous !”

Dès son petit discours terminé, Oli sort de la scène, heureux d’en avoir terminé avec ce moment le moins amusant pour lui - avant celui où il devra y remonter pour chanter, sa toute première fois devant un vrai public ! - et file prendre place sur son stand photo, juste à côté du maquillage et de Wilson, qui doit se charger de refaire une beauté aux volontaires. “Ça va ?” lui demande-t-il en lui adressant un grand sourire. “Tu crois qu’on aura du monde ? J’suis super nerveux !”

@Wilson Montgomery

Tout ceci était très nouveau pour moi : à quarante ans, il s’agissait de ma première Pride en tant que lesbienne assumée. Non pas que j’aie passé plusieurs années cachées, loin de là. J’avais longtemps été parfaitement à l’aise avec mon hétérosexualité avant de me rendre compte qu’au fond, rien de bon n’était jamais ressorti de mes relations avec les hommes. Quoi que, il s’agissait peut-être d’un mensonge : Shéra, mon bébé, était la seule chose profondément bonne qui était ressortie d’une de mes relations avec un homme. En dehors de ce petit miracle, il était néanmoins très clair dans mon esprit que moins je m’approcherais d’eux et mieux je me porterais. Je n’avais sans doute d’ailleurs jamais été aussi épanouie que depuis que j’avais accepté de m’ouvrir à d’autres formes de relations.

Comme tout le monde, j’applaudis chaleureusement le discours d’ouverture d’Oliver, puis retournai vers le secteur des ateliers de sensibilisation où j’avais accepté de tenir un stand. Parce que j’avais vécu et vivais toujours le sujet, j’avais choisi de m’investir dans la préparation d’un stand axé sur les relations familiales : comment faire de la sexualité un thème ouvert au sein de la famille, comment accepter qu’un enfant soit différent, quelles aides et quelles ressources chercher dans le cas d’une rupture familiale… Ce dernier point demeurait brûlant dans mon cœur, le souvenir de Yasmine et de son mariage forcé lorsque son frère avait découvert qu’elle était homosexuelle demeurant très vif dans mon esprit. Plus que pour moi, je faisais finalement tout ceci pour Yasmine.

Evidemment, j’étais venue avec Shéra qui me tenait compagnie, confortablement installée dans son porte bébé près de moi, à l’ombre. Profitant que personne ne soit encore arrivé sur mon stand, je me penchai vers elle et la récupérai pour la serrer dans mes bras. « Tu vas m’aider à convaincre les gens qu’on peut être une famille LGBT très heureuse ? » lui demandai-je avec tendresse avant de frotter mon nez contre le sien.

Il n’aurait pas pu ne pas être là, O’. Il le devait à Arthur, à Birdie et d’une certaine façon à lui-même, pour tout le chemin parcouru. Il était heureux de partager ça avec sa fille et sa soeur, que ce soit important pour elles aussi. B’ était bien plus militante qu’il ne l’avait jamais été. Si elle était plus à l’aise que lui avec ses amours, en revanche, il n’en était pas certain, mais il l’espérait. Elle n’évoluait pas dans le même contexte que lui, Birdie, elle n’avait pas à se cacher, il l'espérait tout autant. Sans elle, sans cette idée de monter sur scène qui l’avait touché, il ne serait peut-être pas venu, le souvenir d’Arthur n’aurait peut-être pas suffi, la cause n’aurait peut-être pas suffi. Triste, mais c’était comme ça. La motivation souvent difficile à trouver depuis son retour de l’armée, pas d’appétence pour grand chose. Il se l'était promis, O', depuis qu'elle était revenue, il s'était promis d'essayer. Avec elles, B et Hailee, c’était différent. C’était plus facile, de faire semblant, encore parfois, et puis il y avait les moments comme celui-ci où il ne prétendait pas. B dans les parages, il pouvait se concentrer sur elle et ne plus penser à lui, au passé, au futur, à l’existence. Il vivait le moment présent. Simplement.
C’était ce qu’il faisait en la cherchant dans la foule qui se formait près de la scène. Ça lui rappelait la foire, le premier -le seul ? évènement de la ville auquel il avait participé. Là où tout avait commencé. Le regard vigilant, il prenait garde à ne pas s’approcher trop près d’un.e éventuel.le ami.e à elle, ne pas interrompre quelque chose. O’ aimait faire le con, avec B’, proférait beaucoup de menaces en l’air, mais respectait son intimité. Ce furent ses yeux à elle qui le surprirent. Oh il était attendu, Owen, de pied ferme. Aurait-elle eu peur de quelque chose, B’ ? Ça le fit sourire. « Tu m’attendais ? » Comme s’il y avait quelque chose d’étonnant à ça, alors qu’il arrivait à son niveau. Non, évidemment que non, juste le plaisir de le faire remarquer. « Quelqu’un est déjà passé ? » Est-ce qu’ils sont bons ? Sans y prêter attention, il avait raté le discours d’ouverture. Il n’allait pas rater les performances suivantes, en attendant, il posait un regard curieux et bienveillant sur Josephine. Comment se sentait-elle, his little bluebird, elle qui ne chantait que dans son salon ? @Josephine Burrows