Rien ne plaît davantage à Danny que le retour des beaux jours après une longue période hivernale. Non pas qu’il n’aime pas l’hiver non plus, en réalité, toutes les saisons trouvent grâce à ses yeux ; mais la venue du printemps, avec le dégel et l’éclosion des bourgeons, lui plaît énormément. Même si pour cela, il doit affronter les nombreuses averses et le ciel grisâtre, il a conscience que c’est un passage obligé pour aller vers la promesse de lendemains meilleurs. Ainsi, profitant d’une éclaircie, et comme à chaque fois que les rares rayons du soleil percent la voûte nuageuse, il est dehors, dans son cimetière. A parcourir les allées pour passer en revue ce qui doit être réparé, arrosé, les fleurs changées. La plupart du temps, les proches des défunts s’en occupent très bien mais, parfois, plus aucune famille ne vient, les stèles sont trop anciennes, les noms sur la pierre sombrent dans l’oubli ; Danny, lui, n’oublie personne. Alors qu’il se livre à ses traditionnels menus travaux, il entend une voix claironner derrière lui et se retourne aussitôt. Salut, Danny. La voix est familière, ses lèvres s’entrouvrent en un sourire surpris. « Gabriela ? » il est ravi de la revoir, naturellement, sa partenaire d’expédition surnaturelle, mais il est étonné de la voir ici. C’est qu’il n’en a pas l’habitude, Danny, surtout depuis la dernière fois. « Tu as trouvé une autre maison hantée à explorer ? » lance-t-il en souvenir du bon vieux temps. Il regrette parfois ces expéditions, ils n’en ont plus fait ensemble et parfois, il se surprend à vouloir vivre de nouvelles sensations fortes.

Il pose son arrosoir en plastique à ses pieds et pose les yeux sur les bières qu’elle lui agite sous le nez. Ça non plus, il n’a pas l’habitude – pas qu’on l’invite à boire une bière, plutôt, qu’on l’invite à boire une bière dans son cimetière. « L’article… » répète-t-il, sceptique. Et puis, il se souvient. Nouveau sourire, un peu gêné cette fois. Se livrer à un tel exercice n’a pas été facile pour Danny, mais ça lui a semblé important sur le moment. « J’espère qu’il t’a appris des choses intéressantes » les réactions ont, globalement, été positives. Du moins en face de lui. L’article dans le Redwood Echo n’a jamais eu pour vocation de changer quoi que ce soit à sa vie, simplement montrer à certains habitants un peu moins tolérants qu’il n’est pas le type qu’ils croient. Mais Gabriela, elle sait déjà tout ça, sinon, elle n’aurait jamais accepté de partager cette aventure dans la maison abandonnée, avec sa planche de ouija commandée sur Amazon. « J’ai pas prévu d’aller au Paradis, de toute façon… viens » il l’entraîne à travers les allées, vers la lisière du cimetière où l’on trouve quelques bancs – en temps normal, ces bancs permettent surtout aux personnes qui en ont besoin de faire une pause, se recueillir paisiblement, mais cette fois, ils pourront bien les accueillir tous les deux. « On sera sûrement plus tranquilles ici qu’en plein milieu, les gens vont s'poser des questions sinon » il réalise qu’il a oublié son arrosoir et ses outils, tant pis, il ira les récupérer plus tard. Rien d’urgent. En fait, il est surtout curieux de savoir ce qui amène Gabriela ici et il l’interroge du regard, un sourcil levé.