Ces vacances se déroulaient pour le mieux. Aucune dispute à l’horizon, seulement de l’amusement à l’état pur partout où nous allions. Même ma douleur dans le dos après m’être confronté aux boules de billard s’était évanouie dans la nuit ! Là, notre périple dans la ville s’était interrompu dans une chocolaterie dont les produits vendaient du rêve. Même Willy Wonka n’aurait pu se montrer complètement indifférent ! J’avais envie de tout goûter ou presque mais, pour ça, je devais prévenir mon acolyte des conséquences « dramatiques » que cela pourrait avoir. Adieu abdos, bonjour bidoche ! Ok, c’était à peine exagéré. Par contre, Wilson s’enlisa profondément en tentant de me rassurer, ce qui fit naître un large sourire sur ma face jubilante. Était-ce mon côté tyran qui me faisait tant apprécier de le voir nager dans la semoule ? C’était aussi drôle que touchant, en passant par la case « adorable AF ». Ses doigts ne purent pas s’empêcher s’établir un contact léger avec mon ventre, indifférent au fait que nous pouvions être vus. Il fallait dire que nous ne prêtions aucune attention à quiconque depuis notre arrivée la veille ! Afin d’enfoncer le clou, je lâchai en le fixant droit dans les yeux :

- Tu sais ce qui me ferait énormément plaisir et qui ne serait que justice pour t’avoir offert les meilleures vacances de ta vie ? Que tu rédiges une liste de tout ce qui me rend incroyable. Ou une dissert’, proposai-je. Pas un poème par contre ! Je déteste ça.

Je grimaçai tout en faisant un geste de ma main libre. J’avais toujours été un cancre lors de l’analyse de ces œuvres littéraires et mon intuition me susurrait que ça n’avait pas changé depuis le lycée ! En tous les cas, étais-je sérieux quant à ma requête ? Oui. Et non. À vrai dire, j’aimais autant l’ennuyer que j’étais très intrigué par ce qu’il indiquerait sur ce fichu papier ! Bref, une fois que j’eus payé pas moins de cinq tablettes de chocolat différentes, nous sortîmes de la boutique et tombâmes nez-à-nez avec notre moyen de locomotion. Beaucoup de touristes étaient déjà remontés à bord et attendaient avec différents degrés de patience le retour de l’intégralité du groupe.  

- Après vous ma belle dame, susurrai-je dans une révérence.

Pendant un instant, je nous visualisais dans l’univers de Titanic. Il ne pouvait qu’être Rose et moi Jack, pas vrai ? D’accord, en proclamant cette attribution, je faisais l’impasse sur mon souhait d’émancipation qui remontait à l’adolescence et que j’avais plus ou moins accompli mais… chut ! Puis nous voilâmes repartis. Tandis que les paysages et bâtiments défilaient autour de nous, je jetais des coups d’œil discrets à l’anthropologue qui semblait en admiration incessante. Dingue comme je me sentais heureux et épanoui en sa compagnie. Cela ne m’était pas arrivé depuis… Oh. Depuis bien trop longtemps pour que je puisse dater cet événement !

- J’espère que le musée des pirates sera intéressant. Je suis prêt à me déguiser en Sparrow si ça manque d’animation.

Car oui, c’était bien connu que ce type d’endroit était réputé pour être dynamique ! J’étais désespérant. Au moins, celui-ci devrait être moins pompeux que les musées auxquels m’emmenaient mes parents autrefois. Tout pour oublier leur froideur qui avait pourtant tant déteint sur moi… Que Wilson parvienne aisément à faire fondre la glace relevait du miracle.

- D’ailleurs, tu as toujours envie de visiter la morgue ? demandais-je, plus bas, pour ne pas passer pour un cinglé.

Pourquoi posais-je cette question dont la réponse était on ne peut plus évidente ? De mon côté, quand bien même je respectais ses passions (même lugubres), je n’étais pas du tout emballé à l’idée de voir des cadavres. En particulier s’ils étaient amochés ! Encore fallait-il mieux compter les grains de sables qui constituaient Nassau ! Pensait-il qu’ils possédaient une technologie alien ici ?  

- Car si c’est le cas, il va falloir réviser ton look.

Ce chapeau lui ôtait toute crédibilité mais je n’en regrettais pas l’achat une seule seconde !

La comparaison entre la taille de la dissertation et… l’autre chose manqua de me faire éclater de rire mais je réussis à me reprendre au dernier moment. À la place de quoi, je levais un sourcil en le dévisageant d’un air de dire « Tu prends tes rêves pour une réalité, mec. » sauf que cela faisait de moi le pire menteur de notre duo. Nous étions intenables – comme toujours – mais pourquoi se retenir ? Nous étions à des kilomètres de Redwood Hills et des personnes de notre connaissance. Libres, décontractés et… affreusement romantique comme le prouva la main qui vint se glisser dans la mienne lorsque nous eûmes rejoins le véhicule bondé de touristes. Je peinais encore à réaliser que je me laissais aller à ce petit jeu. Comment est-ce que je m’étais laissé entraîner dans ce qui partageait bien des similitudes avec un couple ? Quand exactement ? Nous avions toujours été clairs l’un envers l’autre en appuyant sur le fait que nous ne recherchions rien de sérieux ni d’exclusif. Et pourtant nous étions là, à vivre ce qui passerait aisément comme le voyage parfait entre amoureux. Avais-je perdu la tête ? Oui. Apparemment. Exclusivement de par sa faute par contre. Bref, je détournais la conversation dès que mon attention revint au programme de la journée. Le musée des pirates donc… La réplique de Wilson lorsque je mentionnais l’endroit me fit l’examiner des pieds à la tête avant de lâcher :

- Non. Tu es indiscutablement Elizabeth Swann. Indépendant, déterminé, sexy et… féminin.

Je donnais une pichenette à son chapeau très peu adapté à son look habituel (en-dehors de ses sessions de drag) puis lâchai un rire lorsque mes yeux clairs se plantèrent dans les siens. Sa façon de me fixer était indescriptible. À tort peut-être, je croyais y lire de l’admiration, de l’appétit et… des sentiments ? Après tout, je ne devais pas être le seul à avoir le béguin. Ce ne pouvait qu’être réciproque avec toutes ses belles paroles et flatteries.

- Ils ont déjà couché ensemble ? Ça fait un bail que je n’ai pas regardé.

Nul doute que cela me vaudrait de folles remontrances et une soirée pyjama obligatoire devant la saga dès que nous aurions trop de temps libre devant nous ! Cette projection pouvait paraître ringarde pour certains mais, de mon côté, j’avais terriblement hâte d’y être. Plus en tous cas que passer une éternité à faire les cent pas au sein d’une morgue ! Et autant dire que la description que me fournit mon interlocuteur ne nourrit pas ma motivation davantage. Je grimaçai avant de lui répondre.

- Yep je les ai contactés. Ils ont directement accepté puisque ta réputation te précède dans ce milieu, lui annonçai-je avec fierté. Mais tu as raison. Je préfère me poser à l’extérieur en t’attendant. Je jouerai à Candy Crush, à moins que je me trouve un beau mec – ou une belle demoiselle – pour m’occuper.

Mes billes posées sur le paysage face à nous, je fis semblant de l’ignorer après cette provocation. Non, je ne comptais pas faire ça. Mais le torturer était bien trop amusant pour passer à côté ! Si seulement mon pouce ne s’était pas mis à lui caresser l’index sans que je m’en rende compte… Adieu la crédibilité !

Keira Knightley était une femme splendide. Aucun doute là-dessus. Mais si je devais la comparer à mon interlocuteur alors… Par où commencer ? Les deux n’avaient rien en commun – forcément - alors sur quelle base devais-je m’appuyer ? J’abandonnais toute tentative très rapidement pour en arriver à la simple et pure conclusion que Wilson était parfait comme il était, de son charme British à sa tronche de clown sur certains clichés. J’aimais la dichotomie parfaite entre sa désinvolture hilarante et ses passions morbides. Tout n’était que surprise chez ce type et j’en raffolais. Je me contentai de remettre son chapeau de « cowboy » correctement après qu’il se soit cru dans un western, souriant toutes dents dehors. Il était à croquer. Ceux assistant à la scène devaient se croire plonger dans une comédie à l’eau de rose, cherchant les caméras et l’équipe technique du coin de l’œil. Je n’en avais rien à foutre. Aucun mal n’était fait. Par contre, je m’amusai fortement du pédalage tumultueux de mon compagnon lorsqu’il tenta de justifier son envie de marathon sous la couette avec du chocolat pour seul délice gustatif.

- Je vais y réfléchir. Peser le pour et le contre. Je n’aimerais pas que tu prennes trop tes aises en ma charmante compagnie, répondis-je d’un air faussement sérieux. Un chenapan comme ça qui aime mentir… Je m’en méfie !

Oui, nous aurions définitivement pu nous trouver face aux caméras à voir comment nous endossions des rôles aléatoires à chaque instant. Toutefois, le Wilson tactile et rougissant ne relevait pas de la comédie. Je le savais. Tandis que je plongeai mes yeux dans les siens après qu’il m’ait pincé la joue, j’aperçus un éclair d’embarras ou Dieu ne sait quoi. Intriguant… Que se tramait-il dans son crâne d’intellectuel ? Il n’empêche que je ne pus retenir un rire face à tant d’assurance de sa part. Je me penchai vers lui puis lui murmurai à l’oreille :

- Je ne suis pas contre un descriptif de la manière dont tu comptes t’y prendre…

Comment ça je savais comment le faire démarrer au quart de tour ? J’étais déjà un expert avant-même de connaître son prénom ! Comme s’il ne faisait pas déjà suffisamment chaud ici… En attendant, ses petites marques d’affection me faisaient chavirer. Ce petit bisou sur le lobe mine de rien, en public, à sa main renforçant son étreinte avec la mienne. Il n’aurait jamais osé faire cela peu de temps auparavant ! Bon, surtout à cause de moi sûrement… Cela prouvait que notre relation avait évolué naturellement même si j’en ignorais toujours la destination finale. Je fus distrait par sa remarque concernant les paparazzis. Je vérifiai autour de nous, instinctivement. Pas de flash à l’horizon en effet !

- Je ne l’avais même pas réalisé… Tu dois vraiment être très pénible pour me faire oublier leur existence. Tu monopolises toute mon attention ! répliquai-je pour l’embêter. En même temps, peut-on les blâmer de vouloir immortaliser une beauté comme celle-ci ?

Pour bien le faire enrager, je me pointais moi-même du doigt et non lui. Diable que j’étais terrible quand je m’y mettais ! En revanche, un détail dans ses paroles me fit froncer les sourcils. Mon ton changea du tout en tout, se faisant plus sombre alors que la crainte prenait le dessus sur mes âneries.

- Qu’est-ce qui s’est passé ? Ils ne t’ont pas fait de mal rassure-moi ?