Quelques longues semaines étaient passées depuis son retour d’Australie. Elle était rentrée dans son appartement en traînant les pieds, s'apprêtant à apercevoir son meilleur ami dans sa cuisine enfourner une pizza surgelée qu’il aurait trouvée dans son congélateur. Pourtant, ce fut la déception d'un douloureux rappel de ce qu’il s’était passé en Australie, de toutes ces confidences qui lui avaient brisé le cœur. Le soir seule, quand elle n’était pas sortie, elle écumait les quelques photos qu’elle avait emportées avec elle en quittant l’Australie, plissant parfois les yeux comme à la recherche du moindre signe qui aurait pu trahir les sentiments qu’Oliver avait toujours ressentis à l’égard de son meilleur ami.

Ella savait qu’Alex attendait de ses nouvelles. Elle avait fait la morte avant son départ, ne trouvant pas la force d’aller à sa rencontre avant qu’il ne regagne l’aéroport. Elle s’était sentie terriblement seule, blessée, trahie, par les deux seules personnes qu’elle avait toujours les plus estimées dans sa vie. A son retour, elle s’était longuement demandé ce qu’il adviendrait de leur relation, se demandant comment elle pourrait affronter son regard quand une autre part d’elle ne pouvait imaginer sa vie sans lui. Ils avaient toujours été tous les deux. Toujours. Jamais elle n’avait envisagé les choses autrement. Jamais. Comment pouvait-elle apprendre à vivre sans lui ? Elle s’en voulait de se sentir presque dépendante de lui, sentimentalement parlant. Elle qui était pourtant si forte, qui clamait son indépendance, sa force d’esprit. Elle était tout sauf ça.

Son coeur avait manqué de faire un bond dans sa poitrine quand elle avait vu le nom de son meilleur ami s’afficher sur son téléphone. Elle avait fait mine de ne pas répondre tout de suite, mais elle se languissait déjà de le faire. Il acceptait de la rejoindre à Burlington, ce qui était bon signe. Au moins, elle n’aurait pas à s’inquiéter de croiser quelqu’un qu’ils connaissaient. Ils seraient à l’abri des regards même si une partie de RH venait travailler dans la ville voisine. Et puis, il y avait aussi une question de logistique. Ella enchaînait les heures, ce qui lui permettait de ne pas rentrer et d’éviter d’avoir à trop penser. Pourtant, son premier réflexe quand elle rentrait, était de prendre son téléphone et de vouloir appeler son meilleur ami, comme elle le faisait auparavant, pour lui raconter sa journée, ce qui l’avait fait rire ou ce qui l’avait chagrinée. Désormais, elle n’avait plus personne à qui raconter les événements de sa journée, ou tout du moins personne qui y porterait autant d’intérêt qu’Alex.

Elle se demandait également ce qu’il allait advenir de leur relation. Ils ne pouvaient pas faire comme si de rien n’était alors que leur adolescebce avait été bouleversée par cette lettre. Alors, après avoir pris ube profonde inspiration, l’Australienne avait fini par rejoindre un des quelques pubs qui longeaient l’une des rues principales de Burlington, non loiin de l’hôpital. Ils s’étaient donné rendez-vous devant, et la brune patienta, son téléphone dans ses mains tremblantes. Elle était en avance de cinq minutes. Allait-il venir ? Après tout, il avait toutes les raisons pour décliner, c’était elle qui avait mis cette distance entre eux, qui l’avait sciemment ignoré ces dernières semaines.

Enfin, elle avait accepté de le voir. Alex se sentait presque soulagé mais stressé comme pas possible. Cela faisait des jours qu’il attendait cette réponse positive et maintenant qu’il était rendu au jour J, il se sentait limite fiévreux. Qu’allait-il se passer ? Alexander n’était vraiment pas dans son assiette. Mais il devait gérer, il n’avait pas le choix, vivre sans Ella devenait compliqué. C’était son repère depuis de nombreuses années et sans l’avoir à ses côtés, il se sentait nul, démuni et avait l’impression de ne servir à rien. Alors bien sûr, le blond avait su trouver du réconfort (non sexuel !) auprès d’Eilin. Ensemble ils avaient discuté, ça lui avait permis de se sentir mieux, il se sentait moins coupable de la situation. Mais ça ne faisait pas tout. Chaque soir, chaque début de journée, l’australien se repassait leur dernière discussion en mémoire et il serrait les poings. Ce n’était pas de sa faute, il le savait pertinemment mais voir le regard blessé de la jeune femme lui faisait penser le contraire. Oui, il avait tardé à lui montrer cette lettre mais pour la protéger, pas pour rendre la situation encore plus difficile ! Partir d’Australie sans Ella avait été compliqué, son retour à RH aussi. Il avait mis quelques jours avant de se montrer puis ensuite ça avait été le chaos pendant deux semaines : soirées, alcool, bagarres, poste de police… Bref, la totale. Lui qui s’était calmé pour Ella, voilà qu’il retombait dans ses travers. Ce fut grâce à Eilin qu’il arrêta, leur discussion lui avait fait du bien, l’avait calmé, l’avait rendu moins dur. Alors il s’était repris. Retourner au boulot, servir les gens, se retenir de frapper ceux qui le méritaient, revoir ses amis : Victor et Caeden. Expliquer la situation à Caeden aussi. Bref, Alexander avait repris du poil de la bête et tout ça pour sa Belle.
Il se regardait dans le miroir en grimaçant, sérieusement, ça ne lui ressemblait pas du tout ce genre d’habits. Non, il fallait qu’il reste lui-même. Pas question qu’Ella se foute de lui, ça serait trop dur à encaisser. Le blond choisit alors un jean brut, foncé, un t-shirt puis enfila sa veste en cuir. Parfait. Des baskets simples en guise de chaussure, le tour était joué. Quant à sa coiffure, il ne changea pas, un coup de gel et c’était bon. Pas la peine d’en faire des tonnes, il ne savait pas ce qu’allait devenir ce rendez-vous. Soupirant, il attrapa les clés de sa voiture puis partit pile à l’heure pour arriver au rendez-vous donné par la brune. Le trajet en voiture fut long, terriblement long. Ce qui lui permit de ressasser encore une fois. Ses mains serraient le volant aussi fort qu’il le pouvait mais à quoi bon ? Ses jointures devinrent blanches puis il relâcha la pression. Inspirant et expirant longuement, il arriva non loin du lieu où se trouvait normalement la jeune femme. Une fois garé, Alex sortit de sa voiture puis jeta un œil à sa montre. Un peu en avance. Parfait, pour une fois qu’il n’était pas en retard. Elle allait être impressionnée. Ou pas.
L’australien la vit, de loin et il sourit légèrement avant de se reprendre. Vu son visage, elle n’allait certainement pas lui sauter les bras. D’ailleurs, qu’était-il censé faire ? Ils étaient quoi maintenant ? C’était bien de ça qu’ils allaient discuter, non ? Alexander se pinça les lèvres puis avança droit sur la brune. Il fourra ses mains dans les poches de sa veste puis une fois à sa hauteur, planta son regard dans le sien. Mon dieu, ces yeux, il ne pouvait pas les oublier mais il avait oublié qu’il pouvait se perdre dedans à l’instant où il les regardait. « Salut Ella. » Commença-t-il en se sentant comme un ado de quatorze ans qui vient pour son premier rencard. Il avait chaud, terriblement chaud alors que le temps se faisait mitigé en ce jour. « Merci de m’accorder un peu de ton temps. » Ses yeux fixaient toujours les siens puis il se détourna pour lui faire un signe de tête pour se mettre en marche. Pas question de rester statique. « Comment tu vas ? » Il n’attendait que ça, lui poser cette question. Il espérait sincèrement qu’elle ne prendrait pas de pincette, il voulait vraiment savoir comment elle allait.

Les mains moites, elle attendait. Bientôt, elle ne tardait pas à voir la silhouette de son meilleur ami apparaître et elle sentit son coeur s’accélérer. Tant de questions la traversèrent et elles ne faisaient qu’ajouter un peu plus à son stress déjà bien présent. Comment allaient-ils se saluer ? Qu’étaient-ils devenus l’un pour l’autre ? Comment allaient-ils démarrer cette conversation ? De quoi allaient-ils parler ? Soudainement, elle regrettait presque le temps où tout était plus simple, où elle passait le plus clair de son temps à espérer qu’ils finissent un jour ensemble, ou lorsqu’elle était énervée après lui car après une longue journée de travail, on l'appelait pour venir le chercher car il avait mis le bar à sac en se bagarrant avec un autre… Tant de choses qui avaient rythmé une partie de leur existence depuis qu’ils vivaient à RH et qui lui semblaient si lointaines désormais. Tant de choses si simples qu’elle regrettait. Pourquoi avait-elle choisi de tout compliquer en révélant ses sentiments ? Les choses auraient probablement été différentes aujourd’hui, peut-être moins difficiles à accepter, quoiqu’elle en doutait… Son regard suivait cette silhouette qui s’approchait tandis qu’elle n’arrivait pas à calmer le stress qui montait toujours un peu plus à chaque pas qui le rapprochait d’elle. Visiblement, il semblait tout aussi mal à l’aise qu’elle, fourrant ses mains dans ses poches. « Salut, Alex. » le salua-t-elle à son tour. C’était dur de n’oser à peine le regarder, de ne pas savoir comment se comporter avec lui, pas quand son coeur battait aussi vite, tandis qu’elle n’arrivait plus à déterminer s’il s’agissait seulement de stress ou parce qu’il s’était approché d’elle. Il lui manquait, c’était indéniable et le voir ainsi si près d’elle sans pouvoir le toucher était plus difficile qu’elle ne le pensait. Mais tant de questions se posaient : comment pouvaient-ils dépasser cela ? ELle n’était pas ^sure d’y arriver, pas quand elle avait l’impression que sa première histoire d’amour reposait sur un tissu de mensonges et qu’elle s’était fait leurrer depuis tout ce temps. Finalement, c’était idiot d’en vouloir à Alex, parce qu’il n’y était pour rien. Seulement, c’était de lui dont était amoureux Oliver, et c’était à cause de cela qu’il s’était servi d’elle sans vergogne pour cacher ses sentiments. Elle se sentait trahie, utilisée, naïve d’avoir cru en cette histoire d’amour et d’avoir pleuré quelqu’un qui finalement ne l’avait jamais vraiment considérée. Pas comme il avait considéré Alex. Et elle se rendait compte que face à Alex, tout cela remontait. Toute cette histoire continuait de la hanter.

Il la remerciait d’avoir accepté de le voir, mais c’était plutôt à elle de le remercier de faire tout ce chemin. « J’espère que tu as fait bonne route… Je préférais qu’on se voie ici plutôt qu’à RH. J’espère que tu comprends. » dit-elle simplement. Elle voulait qu’ils puissent se voir sans craindre d’être vus, qu’on s’arrête les saluer et qu’on interrompt leur conversation, pas quand c’était si sérieux, si déterminant pour leur relation. Et puis, en termes d’organisation, c’était aussi plus simple pour elle qu’ils se rencontrent ici, elle devait bien l’admettre. Sans plus attendre, Alex entra dans le vif du sujet, bien que de manière détournée, Ella avait bien compris le message. « On fait aller. Je suis un peu fatiguée, j’enchaîne les heures de travail. » Comme à chaque fois qu’elle n’allait pas bien et qu’elle voulait éviter de se retrouver seule dans son appartement, et cela Alex le comprendrait rapidement. Il la connaissait assez pour savoir que c’était la stratégie de la jeune femme : se perdre dans les heures de travail pour ne pas avoir à se retrouver seule et à trop penser. « Et toi ? Comment tu vas ? » Elle n’était pas sûre de vouloir entendre comment il allait, mais elle se demandait s’il allait jouer la carte de la sincérité ou celle de l’ego qui voulait toujours prétendre aux autres qu’il allait bien.

Son corps aurait pu le trahir mais Alex avait su le maîtriser au fil des ans. Il savait ne pas montrer ce qu’il pouvait ressentir même si ça lui faisait mal de le cacher. Il était comme ça l’Australien, pudique et surtout cœur de glace. Jusqu’à ce qu’Ella le touche en plein cœur, là… il s’était mis à fondre pour battre à chaque fois qu’il pensait à elle, la voyait, la touchait… Et maintenant, il se retrouvait là, devant elle sans pouvoir oser la toucher de peur qu’elle se recule et ça lui crevait le cœur. Alexander n’était pas fleur bleue mais là, si on lui ouvrait la poitrine, on pourrait observer son cœur saigner de ne pas pouvoir la tenir dans ses bras, cette brune au regard sombre. Ella. Il soupira légèrement, se redressant pour se donner un peu de contenance. Apparemment, elle non plus ne savait pas quoi faire de sa peau devant lui, ce qui le fit sourire légèrement. Juste un petit peu, il ne faudrait pas qu’Ella pense qu’il se fout de sa tronche. Un ange passa, il commençait à se sentir plus que mal à l’aise de cette situation… Alex se mit alors à marcher un petit peu, entraînant la brune avec. Pas question de rester planter là comme des fleurs en attendant que ça pousse. Le blond lui jeta un regard en coin et l’écouta, observant les traits de son visage. Il pouvait lire en elle comme un livre ouvert. « Je comprends. Et je n’aurais pas manqué ce rendez-vous ! » Dit-il en espérant qu’elle comprendrait qu’il attendait vraiment ce jour depuis un moment maintenant. « Il y a un café un peu plus loin, on peut y aller si tu le souhaites. » Ca sera toujours mieux que dehors et au moins, ils pourraient commander des boissons chaudes qui seraient les bienvenues vu le temps couvert.
Une question banale franchit ses lèvres, banale pour d’autres mais pas pour eux, pas aujourd’hui. Ella et Alex avaient des choses à se dire et en posant cette question, le blond espérait en savoir plus sur l’état d’esprit de la jeune femme. Il espérait qu’elle serait sincère avec lui, qu’elle ne se cacherait pas. De toute façon, il le saurait si jamais elle lui mentait. Mais non, ses mots confirmèrent sa crainte. Ella se renfermait dans le travail, elle avait déjà fait ça par le passé notamment quand ça n’allait pas avec ses parents. Il pinça les lèvres et la regarda attentivement avant de répondre à son tour. « On fait aller. J’ai failli emprunter du fond de teint à Victor pour enlever mes cernes. » Il sourit, essaya de rire un petit peu avant de reprendre, plus sérieux. « Disons que ce n’est pas la joie. J’ai fait quelques petits dérapages. » Il haussa les épaules sans lui mentir. De toute façon, elle aurait fini par tout savoir alors autant jouer franc jeu. Il redressa la tête pour regarder devant lui et sortit les mains de ses poches pour ouvrir la porte du café qu’il avait proposé tout à l’heure. Il emboîta le pas d’Ella et ils se dirigèrent vers une petite table près de la fenêtre. Assit en face d’elle, Alexander posa les coudes sur la table et joignit ses mains pour y déposer son menton dessus. « Ne t’enferme pas trop dans le travail, Ella. Ce n’est jamais bon. » Il voulait la protéger, lui éviter de tirer trop sur la corde. Mais ça ne le regardait pas tellement à vrai dire, en fait, il ne savait plus ce qu’il était pour la brune. Alexander commanda un grand café ainsi que des petits gâteaux puis attendit qu’Ella commande avant de poser ses mains sur la table et de parler enfin du sujet de leur rendez-vous. « Tu es revenue quand d’Australie ? » Voilà un bon début…

Quand il lui dit qu’il n’aurait pas manqué ce rendez-vous, elle comprit comme leur relation avait changé. Non pas qu’il avait l’habitude de manquer leurs rendez-vous, mais il lui était déjà arrivé de s’excuser ou d’avoir atterri à un endroit où elle n’avait d’autre choix que de venir le chercher après une soirée bien agitée. Ainsi, toute la complexité de leur relation reposait désormais sur des années de secret, d’ignorance pour l’un comme pour l’autre. Elle ne doutait pas de lui car elle savait que malgré tous ses défauts, elle comptait pour lui et elle savait qu’au vu de leur situation, il aurait probablement traversé le monde pour la rejoindre, tout comme elle l’aurait fait pour lui. Ils l’avaient fait d’ailleurs quand ils avaient fait le choix de partir d’Australie et de laisser Oliver derrière eux. Seulement, malgré les années, malgré la distance, il les avait rattrapés, comme un fantôme du passé revenu pour les hanter. Pourtant, ils étaient déjà bien hantés par leurs souvenirs communs. Et il les avait rattrapés avec une simple lettre qui avait ébranlé l’existence de ses deux meilleurs amis. Oliver avait toujours su se faire remarquer. Même après sa mort. Alors, comment avancer après une telle révélation ? Ella ne savait plus ce qu’elle voulait ; elle qui pendant longtemps avait espéré que les bras protecteurs du beau blond l’entourent enfin amoureusement et qu’il lui avoue partager les mêmes sentiments qu’elle. Tout était devenu trop compliqué.


L’Australienne hocha la tête vers Alex qui venait de lui proposer d’aller dans un café à proximité. « Bonne idée. » approuva-t-elle en marchant à ses côtés. Le chemin jusqu’au café lui parut étonnement long. Il lui posa une question à laquelle elle répondit vaguement mais assez pour qu’il comprenne cette simple indication qui en disait long sur son état d’esprit du moment. C’était pourtant une question qui paraissait simple : lui demander comment elle allait. En cet instant, elle se rendit compte que cette question appelait bien plus qu’une simple réponse par oui ou non. C’était plus complexe que cela. Devait-elle lui dire comment elle se sentait réellement ? Attendait-il une réponse franche ? Mais elle oubliait presque que c’était son meilleur ami qui marchait à côté d’elle, qui connaissait la moindre expression de son visage, le moindre message subtil qu’elle laisserait passer à travers ses mois. Elle lui lança un regard de biais, contente malgré tout de le voir.
Quant à lui, il choisissait l’humour pour ne pas avoir à répondre réellement, mais quand il évoqua le nom de Victor, Ella rougit légèrement et se contenta de sourire pour masquer sa gêne. Les cernes sous ses yeux trahissaient effectivement toutes ces nuits qu’il avait probablement passées à se torturer l’esprit, à reprendre sans doute ce qu’il faisait avant, comme il le lui confirma par la suite. Elle se demandait qui venait le chercher lors de ces dérapages, qui l’avait remplacée… « Ah bon ? » lança-t-elle d’un ton mi-taquin mi-neutre suite à la mention de ces dérapages.


Elle savait que son conseil partait d’une bonne intention, qu’il était bienveillant mais elle répondit : « J’en ai besoin. », tandis qu’ils étaient installés à la table de ce café qu’il avait désigné un peu plus tôt. Et puis, il savait comme elle détestait être seule chez elle, alors qu’elle s’isolait pourtant du reste du monde depuis son retour d’Australie. Elle ne sortait plus que pour son travail ou pour traîner au Garnet les soirs où il ne travaillait pas, même si une petite part d’elle espérait toujours le croiser à chaque fois. Alex savait qu’elle n’aimait pas être seule, et c’était d’ailleurs pour cela qu’elle traînait toujours chez lui, ou lui chez elle ; enfin, avant leur départ pour l’Australie. Un si joli pays qui pour eux était synonyme de bien de mauvais souvenirs. Elle commanda un café à son tour quand il lui demanda depuis combien de semaines elle était revenue. Elle se pinça les lèvres. « Je ne suis pas rentrée bien longtemps après toi… Je suis restée une semaine de plus. » dit-elle en évitant son regard. « Je suis désolée de ne pas t’avoir prévenu, mais j’avais besoin de temps. » admit-elle. « Et toi ? En dehors des cernes et des petits dérapages, comment vas-tu, réellement ? »

S’il avait pu, il l’aurait serré dans ses bras. S’il avait pu, il l’aurait embrassé avec tout l’amour qu’il porte à son égard. S’il avait pu, Alexander l’aurait couvert de caresses. Bref… s’il avait pu. Mais ce n’était pas le cas, il la regardait, fixement. Elle était toujours aussi belle, son regard en disait long sur la suite de leur rencontre. Ella ne savait pas lui mentir, ne savait pas cacher ses émotions, Alex avait toujours su lire en elle bien que ça lui déplaise fortement. Alors pour ne pas rester les bras ballants et résister à l’envie de franchir ses quelques pas pour la toucher, il propose de marcher en direction d’un café pour discuter. Ce qu’elle accepte pour son plus grand plaisir. Mais maintenant ? Alexander lui jetait des regards en coin, l’observant, se demandant ce qu’elle pouvait penser à ce moment précis. L’australien ne s’était jamais senti ainsi, si éloigné de celle qu’il avait toujours voulu protéger, de celle qu’il avait toujours aimé au fond. Son cœur pleurait mais saignait aussi de cette distance qu’il n’avait jamais connu entre eux. Alors il joua la carte de la décontraction, de l’humour évoquant Victor. Il vit alors les joues de sa meilleure amie devenir un peu plus rouge qu’à l’accoutumer. Il arqua un sourcil et secoua la tête, impossible qu’il se soit passé quelque chose entre eux… Enfin, après tout, elle pouvait faire ce qu’elle souhaitait… Etaient-ils encore ensemble ? Il ne savait même plus. « Les bancs ne sont pas très confortables pour dormir. Ca pue l’urine. Les lits des urgences sont bien plus moelleux. » Il avait décidé d’arrêter d’appeler untel ou untel pour venir le sortir sa merde, il assumait. Assez de se servir des autres. En faisant cela, il s’était rendu compte de la vie infecte qu’il avait fait passer à la belle qui se trouvait à ses côtés. Alexander s’était comporté comme un vrai enfoiré et il ne s’en rendait compte que maintenant. « Quelques égratignures, rien de grave. » Précisa-t-il en lui jetant un regard, sachant très bien qu’elle allait poser la question. Ils se connaissaient par cœur.
Entrant dans le café, il apprécia la chaleur qui en émanait et suivit Ella pour s’installer à une table. Impossible de faire les cent pas à présent, il devait affronter le regard de la brune, arrêter de se défiler en fait. Alex commanda un café puis plongea son regard dans le sien pour s’y perdre juste quelques instants. Mon Dieu, qu’est-ce qu’elle lui manquait. Son corps, son cœur, son esprit n’avaient d’yeux que pour elle et il avait joué au con, il avait menti pour la protéger, pour se protéger et le résultat avait été pire que ce qu’il avait pensé. Il la sermonna un petit peu, lui faisant comprendre que s’enfermer dans le travail n’était pas bon. Alex la connaissait assez pour savoir qu’elle se donnait à fond pour peu de retour et il avait raison apparemment. « Peut être que tu en as besoin mais il faut aussi te reposer. » Bon, le blond ne voulait pas dire qu’elle avait une mauvaise mine mais tout de même ! Elle avait des cernes, était pâle et elle semblait au bout de sa vie. Ce qui l’emmerdait plus, c’était le fait que ce soit en partit de sa faute. Totalement sa faute en fait. Lui demandant quand elle était revenue, sa réponse lui serra le cœur, Ella l’avait évité tout simplement. Ses appels, ses sms… Il ne pouvait pas la blâmer, il le méritait. Il remercia la serveuse quand leurs cafés furent déposés sur la table et il enserra la tasse entre ses mains pour s’occuper. « D’accord. » S’entendit-t-il dire sans grande conviction. Il était blessé l’Australien mais c’était comme ça. « Tu n’as pas à t’excuser, je comprends. » Mais qu’est-ce que ça lui faisait mal de le savoir. Il porta la tasse à ses lèvres, bu une gorgée et haussa les épaules à la question d’Ella. « Sincèrement ? Mal. » Lâcha-t-il en se passa une main sur le visage avant de reprendre. « Tu me manques terriblement. J’ai merdé. Je le sais. Mais ne plus te voir, ne plus pouvoir te toucher, t’appeler, te sentir ou bien être avec toi me manque. » Il jouait la carte de la sincérité, il n’avait plus le choix à présent. « Et je pense qu’il faut qu’on parle de tout ça pour la suite, pour nous… » Il le fallait pour eux, pour savoir ce qu’ils allaient devenir, allaient-ils repartir chacun de leur côté pour toujours ou bien allaient-ils réussir à recoller encore une fois les morceaux ? Son cœur battait la chamade rien qu’à penser à cette première option. Il n’en était pas question, pas pour lui du moins.

Marchant côte à côte, il lui indiqua d’un air presque ironique que les bancs n’étaient pas très confortables pour dormir et qu’il semblait préférer les  lits des urgences. Elle releva aussitôt la tête vers lui, s’apprêtant à poser une question qu’il devança rapidement : il n’avait eu que quelques égratignures mais cela suffit à l’Australienne pour secouer légèrement la tête. Elle n’était plus là pour le rattraper, le sermonner, et même s’il disait qu’il ne s’agissait que de simples égratignures, elle savait qu’au fond c’était bien plus. Cela signifiait qu’en réalité, il allait mal. « Ce n’est pas mieux. » dit-elle d’un ton légèrement réprobateur, bien qu’elle n’était plus très sûre d’être la mieux placée pour le sermonner actuellement.

Assis l’un en face de l’autre, elle sentait que l’heure des vérités avait sonné. Elle avait retardé ce moment, elle ne savait pas très bien pourquoi d’ailleurs. Elle souffrait de ces révélations qu’il lui avait faites en Australie, d’Oliver qui encore une fois avait réussi à s’immiscer entre eux quand leur relation avait pourtant bien débuté. Elle était perdue, et ses parents en avaient profité également pour lui rappeler à quel point elle était différente d’Alex, d’Oliver, et qu’encore une fois ils n’avaient fait que lui apporter d’autres ennuis. Peut-être avaient-ils raison, au fond… Peut-être que si elle ne les avait jamais connus, sa vie serait différente. Mais non. On ne pouvait pas revenir en arrière, et Alex lui avait permis de grandir, d’être celle qu’elle était désormais. Elle avait adoré voyager avec lui après la mort d’Oliver. Il lui permettait d’être elle-même, cette âme libre qui ne se souciait pas de grand-chose en sa présence, et qui avait toujours voulu la protéger même s’il ne l’avait pas toujours fait de la meilleure des façons. Elle savait qu’il lui avait caché cette lettre pour ne pas la blesser mais c’était plus fort qu’elle : elle estimait être assez grande pour pouvoir prendre ses propres décisions, surtout quand il s’agissait d’une décision aussi importante qui remettait en question leur adolescence. Elle releva les yeux vers lui quand il lui énonça de façon bienveillante qu’il fallait qu’elle se repose. Il avait probablement raison, elle se sentait épuisée mais c’était sans doute le fait d'avoir commencé ce nouveau job au cabinet et de l’avoir concilié avec celui de l’hôpital. Les débuts n’étaient pas simples car elle devait trouver ses marques, mais elle était persuadée qu’avec un peu de temps, elle y arriverait. Après tout, le psychiatre du cabinet qui l’avait recrutée le faisait déjà, et elle n’avait pas l’impression qu’Andrea était dépassé… Alors, avec du temps, elle y arriverait. « Je me reposerai plus tard. » dit-elle en haussant les épaules. « J’aime ce que je fais. » Et c’était ce qui la tenait. Même si elle était fatiguée, pâle. Bientôt, ça irait mieux, quand elle aurait trouvé son rythme, elle en était persuadée.

Elle savait qu’il serait vexé d’apprendre qu’elle l’avait sciemment mis à distance après son retour d’Australie. Elle avait choisi de ne pas lui répondre, d’éviter ses appels et ses messages, mais elle avait eu besoin de mettre de la distance, de se retrouver seule. Pourquoi ? Elle n’en savait rien car elle n’avait pas l’impression que cela avait solutionné son problème. Bien au contraire, elle n’y voyait pas plus clair. Le seul qui aurait pu éclaircir la situation n’était plus de ce monde. Il s’était bien dédouané, se donnant la meilleure excuse au monde. Elle s’en voulut aussitôt d’ailleurs de penser cela. Elle remercia à son tour la serveuse qui venait de déposer les cafés sur leur table et elle prit également sa tasse entre ses mains. Ella lui demanda comment il allait réellement, car elle savait que lui aussi devait souffrir de cette situation. Seulement, lui, il avait eu le temps de digérer cette lettre depuis le temps qu’il l’avait chez lui… Ils auraient pu le faire ensemble mais il avait choisi de le lui cacher. Elle but une gorgée de son café tout en l’écoutant, grimaçant car il lui semblait amer. Elle qui ne mettait jamais de sucre, en attrapa un qu’elle ajouta dans sa boisson chaude espérant en faire passer l’amertume. Décidément, le café de cette ville aujourd’hui avait un drôle de goût. Elle se revoyait faire la grimace ce matin même devant son café pris à la cafétéria de l’hôpital. Elle reporta son attention vers son meilleur ami qui semblait aussi désespéré qu’elle face à cette situation. Il souffrait, elle pouvait le voir, et son cœur se serrait en entendant chacun de ses mots. Elle se pinça les lèvres. Il voulait qu’ils parlent de leur relation. « Je sais que tu dois trouver injuste le fait que je t’en ai voulu à ce point. J’ai peut-être réagi de manière excessive mais… Oliver a été mon premier amour, et j’ai toujours cru que s’il n’était pas… que s’il était toujours là, les choses auraient été différentes, qu’on aurait toujours été tous les trois mais qu’Oliver et moi, nous serions restés ensemble. C’est idiot, je sais, et tu dois me trouver fleur bleue. » Comme à chaque fois qu’elle avait eu des idées romantiques avec un autre, il s’était toujours amusé de ces dernières, sans doute parce que cela ne le concernait pas. « Je me suis souvent demandée ce que nous serions devenus, si nous aurions eu une famille, si notre vie aurait été si différente. » dit-elle en regardant sa tasse fumante. « Alors que je sais aujourd’hui que ça aurait été impossible. Mais ce n’est pas sur ça que je t’en ai voulu. Je t’en ai voulu parce que tu as eu le temps de digérer ce qu’il y avait écrit sur cette lettre, qu’on aurait pu le faire ensemble. Au lieu de ça, tu me l’as cachée et il a fallu un voyage en Australie pour que tu m’en parles… Qui sait combien de temps tu aurais continué à me le cacher ? » Elle soupira. « Des fois, je me surprends à regretter le temps où tout était plus simple… Moi continuant à espérer qu’un jour tu tombes amoureux de moi, à continuer à aller te chercher au commissariat, à toujours être là pour toi, et toi, continuant ta vie comme si de rien n’était, comme si je n’étais pas amoureuse de toi. » Et pourtant, qu’elle pouvait l’aimer cet idiot, depuis des années à s’en arracher le coeur. « Je ne sais plus ce qu’on est censé faire… ce qu’on est censé être. Mais... toi aussi, tu me manques. Tout est différent sans toi. »

Difficile de ne pas inquiéter Ella. Alexander avait bien merdé ces derniers temps, il avait fait plusieurs nuits au commissariat et plusieurs allers retours aux urgences, les quelques égratignures prouvaient qu’il avait dérapé. Donc non, il ne pouvait pas nier aller bien, Ella le savait bien que lorsqu’il faisait ça, c’était parce qu’il avait trop bu, qu’il déconnait ou qu’on l’avait fait chier tout bêtement. Il haussa les épaules à sa réponse. Après tout, devait-il encore lui rendre des comptes ? Il n’en était pas sûr. Et de l’autre, il culpabilisait déjà de la savoir inquiète pour lui… Tout comme il l’était pour elle, elle qui avait des cernes à n’en plus finir, elle qu’il trouvait trop mince, elle qu’il trouvait pale, pas en forme. Alexander l’observait, la détaillait. Où était passé cette femme forte qui les retenait tous les deux, qui les soulevait ? Le blond l’avait perdu en Australie, il le savait bien. Cependant, la voir ainsi l’inquiétait mais il était maladroit, terriblement gauche pour l’exprimer. L’Australien la regarda et arqua un sourcil en reprenant la parole. « Ca n’empêche qu’il faut te reposer. » C’était un reproche, un mini sermont, elle ne pouvait pas s’enfermer dans le travail, ce n’était jamais bon. « Si tu ne te reposes pas, tu ne pourras pas aider les autres. » Lâcha-t-il en étant un peu plus froid mais doux à la fois. Il voulait lui montrer qu’il était là, prêt à l’aider. D’un autre, il savait très bien qu’elle risquait de l’envoyer balader. Ce qu’il mériterait de toute façon. « Enfin, tu fais ce que tu veux, je n’ai rien à te dire. » Il serra les poings sous la table, déçu de ne pouvoir pas l’aider plus, de cette situation. En temps normal, il l’aurait sermonnée, serait venu la chercher de force au travail. Mais là, dans ce contexte, il ne se sentait pas légitime de lui faire la morale, lui qui venait de passer plusieurs semaines à faire n’importe quoi.
Le café entre ses mains, il l’observa et arqua un sourcil en la voyant mettre du sucre dans son café, d’ailleurs il le lui fit remarquer tellement ça lui semblait invraisemblable. « Du sucre ? Alors que le café est comme tu l’aimes. T’es malade ? » Dit-il en secouant la tête, souriant légèrement. Ce petit aparté lui fit du bien avant de revenir à ce qui les amenait à se revoir, à se parler enfin. Il attendit patiemment qu’elle lui réponde puis tendit l’oreille. Alex était tendu, son corps frissonnait des réponses de la brune et il soupira légèrement. Il la comprenait, l’entendre dire qu’Oliver avait été son premier amour lui fit mal au cœur mais il le savait. L’Australien ferma les yeux quelques instants en ne sachant pas trop quoi dire. Ella se voyait avec Oliver et lui alors ? Il aurait fini par faire quoi ? A vrai dire, il ne s’était jamais posé la question et ne se la poserait jamais puisque le trio n’était plus, que son meilleur ami était mort. Il touilla son café par mécanisme, pour s’occuper les mains. Il but une gorgée, reposa sa tasse et laissa la jolie brune s’exprimer. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle parle autant, qu’elle dise autant de chose. Il était confus. Ses sentiments étaient multiples, ses émotions aussi. Colère, tristesse, amusement, tendresse. Le blond posa son regard sur elle et attendit quelques instants avant de parler à nouveau, il devait digérer ce qu’il venait d’entendre, faire le tri, ne pas se braquer et ne pas lui faire de peine. Il pouvait être gauche l’Australien et il ne voulait pas la voir partir parce qu’il s’était mal exprimé. « Ella… Ca fait des années que je suis amoureux de toi. » Il grimaça en exprimant ces mots et sourit à l’intention de la brune en reprenant. « Regarde, je m’exprime comme un amoureux transit d’amour. » Dit-il en riant avant de reprendre, plus sérieux. « Je n’arrivais pas à te le dire parce qu’Olivier était là, présent, tout le temps, partout. Je n’arrivais pas à m’en détacher, à m’autoriser de te le dire par respect pour lui, pendant longtemps. Puis il y a eu cette lettre et ça a tout changé. » Il soupira, posa sa tasse et posa sa main sur celle de la brune. « J’ai mis du temps parce que j’étais sonné, je ne savais pas quoi faire. Je ne voulais pas perdre ce qu’on avait, c’était si précieux. Si je t’en parlais, soit on gardait notre amitié, soit on explosait notre amitié. Pour moi, je ne voyais pas d’issue et je n’avais pas prévu que tu me mettrais un ultimatum un soir me faisant comprendre que je voulais être avec toi et personne d’autre. » Il inspira profondément, faisant une petite pause. « Je sais que j’aurais dû te la montrer et la peur m’a paralysée voilà tout. J’ai merdé. » Il retira sa main pour faire un signe à la serveuse de leur en servir un autre. « Tout ce que je veux, c’est ton bonheur, ton bien-être. Alors si tu es plus heureuse sans moi dans les parages parce que je te cause trop de soucis, je comprendrais, j’accepterais ta décision. Mais je ne suis pas prêt à te laisser t’en aller si facilement. » Il lui sourit tendrement en approchant son visage du sien. « Je me battrais pour toi, Ella O’Brien. » Si ça ce n’était pas une déclaration d’amour… Enfin façon Alexander Campbell mais c’était déjà ça. Ca lui coûtait de lui dire ce genre de chose alors il espérait que la brune en prendrait note pour décider de la suite de leur relation.

Leur relation était devenue bien complexe, elle le réalisait en les voyant marcher sur des œufs, choisir avec précaution leurs mots pour ne pas blesser l’autre. Elle se sentait plus distante, comme pour se protéger, mécanisme de défense qu’elle s’était attribué depuis leur voyage en Australie. Elle n’arrivait toujours pas à définir vers qui sa colère était la plus grande, si c’était envers elle-même qui n’avait pas su lire les siennes et qui avait toujours été trop naïve en ce qui concernait Oliver. Ils discutaient donc avec précaution, essayant de faire passer des messages bienveillants quand d'ordinaire, ils n’auraient pas eu grand mal à se dire les choses. Elle voyait qu’il souffrait de la distance qu’elle avait mise entre eux depuis l’Australie, et elle doutait non sans mal qu’il était reparti dans ses travers, se réfugiant dans l’alcool et les bagarres comme il l’avait toujours fait. Elle pouvait lui dire ce qu’elle en pensait, alors qu’elle savait pourtant que c’était à cause d’elle qu’il avait recommencé. Tout comme c’était en partie à cause d’Oliver et de lui qu’elle s’était réfugiée dans le travail, avec une opportunité bienvenue qui lui permettait de donner un nouveau souffle à sa carrière. « Sans doute. » dit-elle en haussant les épaules ; cela lui évitait d’admettre qu’il avait raison, prendre soin des autres passait d’abord par prendre soin de soi. Cependant, cela lui fit presque mal de l’entendre dire qu’il n’avait rien à lui dire. D’ordinaire, il ne se serait pas repris, ne se serait pas empêché de la sermonner, de l’obliger à prendre un jour de repos pour partir quelque part avec lui. Qu’étaient-ils devenus ? Des étrangers, distants, qui ne savaient plus comment se comporter l’un avec l’autre.

Ils eut un moment de répit, retrouvant leur complicité l’espace de quelques secondes. Cela n’avait pas échappé à son œil aiguisé que le café, qui était pourtant à son goût, ne semblait pas assez sucré pour elle. « Non mais je sais pas, je trouve le café amer depuis ce matin. » dit-elle en grimaçant légèrement. Et puis, bien vite, toute la lourdeur de la situation retomba sur eux, les ramenant à ce qui les faisait se rencontrer dans ce café après avoir évité de se voir pendant plusieurs semaines. Elle se livrait comme elle aurait dû le faire en Australie, mais elle ne s’en sentait pas capable à ce moment-là, trop aveuglée par ce sentiment de trahison qu’avait laissé la lettre derrière elle. Elle en venait même à lui exposer ses dernières pensées, ce sentiment que les choses étaient plus simples avant, quand elle espérait le soir en rentrant chez elle qu’il finisse un jour par éprouver les mêmes sentiments, et que pourtant son coeur se pincer quand il lui envoyait un message pour lui dire qu’il ne la verrait pas ce soir, sans doute trop occupé par l’une de ses conquêtes de la soirée. La jeune femme regarda sa tasse, baissant les yeux quelques secondes après avoir fini sa tirade. Elle avait eu besoin de lui partager ses ressentis, son impression que leur relation s’était complexifiée. Elle regrettait parfois d’avoir posé cet ultimatum, de ne pas avoir laissé leur relation comme elle était. Ils étaient amis depuis si longtemps, ils se connaissaient par cœur. L’Australien devant elle prit finalement la parole, et elle releva la tête vers lui, surprise par cet aveu soudain. Ils se connaissaient par cœur et pourtant ils avaient été incapables de voir qu’ils éprouvaient les mêmes sentiments l’un pour l’autre. Elle émit un mince sourire, attendrie, elle devait bien l’admettre, car il n’était pas du genre à s’épancher autant, ce qui prouvait bien à quel point elle comptait pour lui et à quel point cette situation lui pesait. Il avait raison quand il disait qu’Oliver était partout avec eux, tout le temps. Elle baissa les yeux vers sa tasse, devenue tiède. Elle trempa ses lèvres dans cette dernière, et réprima une nouvelle grimace ; elle ne se voyait pas ajouter un nouveau sucre à son café.

Sa main sur la sienne, un simple contact qui réchauffait pourtant son coeur, son corps. Elle caressait du bout de son pouce cette main plus grande que la sienne. Ses mots lui redonnaient de l’espoir, sur eux, sur ses sentiments envers elle. Il reconnaissait avoir merdé. Elle émit d’ailleurs une légère moue, approuvant ainsi silencieusement cette excuse déguisée. « T’en auras mis de temps à te décider. » dit-elle avec un sourire en coin, avant de secouer légèrement la tête en direction de la serveuse afin qu’elle ne lui serve pas de café à elle. Elle avait déjà du mal à finir le premier. « Tu as raison… Oliver a toujours su monopoliser l’attention, encore aujourd’hui… » dit-elle tristement. « Tu ne me causes pas trop de soucis ; enfin, pas plus que d’habitude, mais… tu ne regrettes jamais notre relation d’avant ? J’ai l’impression que tout s’est compliqué. » dit-elle en se tenant la tête, comme si elle était soudainement victime d’un violent mal de tête. « Je ne sais pas quoi faire… J’ai peur de te perdre d’une façon ou d’une autre, Alex, alors que ça a toujours été nous deux. Etre sans toi ces dernières semaines, c’était… bizarre. J’essayais de traîner au Garnet, mais je ne t’y voyais pas. Je me suis imaginée tellement de choses. C’est idiot en y repensant. Tu me manquais, mais j’avais besoin de ce temps toute seule, pour me retrouver.  » Alors qu’elle détestait être seule.

Il aurait voulu que ce moment dur plus longtemps mais ce n’était pas possible. Alexander regarda le sucre et le café d’Ella, haussa les épaules sans épiloguer sur le sujet puis ils reprirent le fil de la discussion. La fameuse. Celle qu’ils auraient dû avoir depuis un moment. C’était pour Alex de la regarder sans pouvoir la toucher, humer son parfum, la sentir près de lui. Ella lui manquait, c’était indéniable et pourtant, elle avait mis du temps avant de le rappeler, de lui proposer qu’ils se voient. Le blond avait bien cru que ce jour n’arriverait jamais. Il reporta son attention sur la brune, la détaillant, l’observant, se remémorant chaque trait de son visage. Il les connaissait par cœur bien entendu mais il la trouvait changer, quelque chose avait changé et il était incapable de dire quoi. Mais il n’allait pas lui faire remarquer qu’elle avait des cernes affreux sous les yeux ni que son teint était terne. Même comme ça, elle était belle. Il se détestait d’avoir autant tardé à lui parler de cette lettre, à ne pas avoir su dire les choses avant. Maintenant, ils étaient en train de se regarder comme s’ils se connaissaient à peine, blessés l’un et l’autre de ce qu’ils s’étaient passés quelques années auparavant. Puis ce fut Ella qui parla, d’une traite et le blond ne chercha pas à la couper. C’était à son tour de s’exprimer, de dire ce qu’elle ressentait et ses aveux lui firent du mal et d’un autre côté, il se sentait de nouveau respirer normalement. Le poids qu’il ressentait au creux de son estomac s’échappa. Alexander avait l’impression d’être plus léger et c’était sûrement le cas. Et il s’autorisa enfin à dire ces mots qu’il s’était refusé de dire auparavant. Le fait qu’il soit fou amoureux d’Ella, depuis bien longtemps.
Ses mots le firent sourire et il haussa les épaules avant de lui répondre. « Tu m’intimidais. » Lui dit-il en riant un peu. C’était super de se sentir si léger, de pouvoir enfin dire ce qu’il avait sur le cœur. Puis il redevint sérieux car après tout, on parlait d’Oliver et il ne méritait pas qu’on rit de la situation. Il se demandait ce qu’il aurait pensé de tout ça. Leur trio aurait fini par exploser c’était sûr… Malgré ça, il lui manquait terriblement. Il remarqua par ailleurs que la brune refusait un autre café… Décidément. Il arqua un sourcil puis remercia la serveuse avant de la regarder partir pour porter de nouveau son regard sur la belle. Il l’écoutait, l’observait et grimaça en la voyant se tenir la tête. Alexander n’aimait pas trop la voir ainsi, comme si elle était à bout de force, fatiguée, las… il inspira profondément et réfléchit à la question de l’Australienne. S’il regrettait leur relation amicale ? Oui car c’était plus facile pour lui de fuir quand ça n’allait pas. Et de l’autre non, car il se souvint lui en avoir fait baver à la jeune femme et il ne voulait plus de ça pour elle. Il ne voulait plus qu’elle s’inquiète comme elle l’avait fait. C’était terminé, il se débrouillait seul maintenant si jamais il avait des soucis. Il sourit légèrement et repensa à ces dernières semaines qui avaient été dures, trop dures pour lui. Il remercia intérieurement Eilin d’avoir pu l’aider à tenir, à garder le cap. D’ailleurs, il ressentit un petit pincement au cœur en pensant à elle à ce moment précis. Son cœur ne se trompait pas, il battait fort pour la brune qui se trouvait devant lui. « Je boxais. » Dit-il en répondant à sa question qui n’était pas posée. Non, il n’était pas aller voir ailleurs. Comment aurait-il pu ? Il y avait pensé, bien entendu mais ne s’y était pas résolu. Ella était toujours dans sa tête. « Tu sais… ce que je regrette, c’est qu’on ait pas réussi à garder ce qu’on avait avant en plus de se mettre en couple. Après tout, pourquoi on doit mettre une étiquette sur notre relation ? On se refusait simplement de se dire ce qu’on était… Au fond, j’aimerais que ça ne change pas. » Il sourit et reprit sa main dans la sienne et la regarda en fronçant les sourcils, l’air inquiet. « Tu es sûr que tu vas bien ? Car tu m’as l’air un peu pale et pas dans ton assiette. » Alexander ne pouvait pas s’empêcher de s’inquiéter pour elle, de savoir ce qui se passait. Il espérait sincèrement qu’elle n’avait rien et qu’elle ne le lui cachait pas. « Tu m’as tellement manquée. » Lui souffla-t-il en caressant sa joue du bout des doigts, un regard attendri envers la jeune femme. Il respirait de nouveau, se sentait mieux, il était prêt à la reconquérir d’une manière ou d’une autre, il mettrait les petits plats dans les grands. « Je te prouverais à quel point je t’aime, Ella. » Voilà c’était dit, il ne pouvait pas être plus sincère qu’il ne l’était là, tout de suite.