Elle avait de l’audace, Emmy.  « Alors, c’est bien ça... Tu es venu reluquer. » Edward lui jeta un regard appuyé, presque moqueur. Le souvenir palpitait encore. Un instant, rejouait le film technicolor aux tons passés, celui de l’adolescente inhibée qu’il côtoyait au lycée. C’était à peine si elle pouvait décrocher plus de quelques mots, sans que son visage vire au rouge églantine. Toute timidité semblait oubliée. Son air malicieux faisait plaisir à voir. Les Apollon ne manquaient pas. Aussi, pourrait-elle s’en donner à cœur joie.  L’appréhension cédait du terrain, Emmy offrant une parfaite diversion. Il pensait moins à sa course, plus à sa prochaine répartie. Sa remarque le prit d’autant plus au dépourvu, sous-entendu osé. Edward en demeura pantois, réduit au silence.  Il soutint son regard sans ciller, l’esprit soudain engourdi. L’image prenait consistance. Dans un raclement de gorge, il reportait son attention sur le sol enneigé. Drôle d’idée… Il ne lui serait jamais venu à l’esprit de… Ce n’était jamais qu’une taquinerie parmi d’autres. Il préféra pourtant ne pas renchérir. L’apparition subséquente cristallisa davantage l’embarras qu’il éprouvait désormais. Samantha s’éclipsa promptement, laissant derrière elle un silence lourd de sens. Edward vint évoquer son fils, guettant la réaction de son vis-à-vis. Emmy reflétait une parfaite neutralité, regard porté sur l’adolescent. « Non. » Bien sûr. « Il préfère agir comme s’il ne me connaissait pas. » Des fois que le daron lui collerait la honte… Il comprenait, Edward. Adolescent, lui-même répugnait l’idée de paraître aux côtés de ses parents. Sa mère trouvait toujours le moyen de l’embarrasser, fourrant une main dans ses cheveux pour le repeigner ou distillant quelques remarques gênantes. Adrian avait besoin d’autonomie et d’individualité.

Mieux au naturel. Il darda un regard dans sa direction, sourcil haussé. Moquait-elle son manque d’audace ? Non, sa remarque paraissait sincère.  « Pourtant, la plupart des gens ont joué le jeu. » souffla-t-il pour lui-même. Quoi qu’il fasse, Edward nageait toujours à contre-courant. Il n’était pas de nature à se faire remarquer. Plus ou moins. La réponse était élusive. Il n’en apprendrait pas davantage. Devinant les questionnements d’Emmy, l’ours décidait d’aborder le suivi pédopsychiatrique de son fils. S’il ne s’en faisait pas l’écho, d’autres s’en chargeaient pour lui. Edward préférait donc en parler de lui-même. Emmy l’écouta en silence, sans jugement, se gardant de toute question supplétive. L’air longanime inspirait confiance, mais… Son intériorité dévissait de quelques mètres. De toute évidence, Edward n'était pas assez endurci, car s’écorchait une vieille plaie à la simple pensée de son fils. Emmy était absente au moment des faits. Il lui suffirait toutefois de jeter un œil dans les archives de la presse locale ou de taper son nom sur un moteur de recherche, pour le découvrir. Edward n’avait rien à cacher. La dérive de son aîné n’était pas son sujet de prédilection, voilà tout. Humeur assombrie, il ne pouvait plus se fuir. Le speaker vola à son secours, annonçant le départ prochain de la course. Pris au dépourvu, Edward se délesta de ses affaires. L’esquive était cavalière. Il entendit ses encouragements, fourrant grossièrement ses habits dans son sac. « Merci. » dit-il dans un souffle, prêt à courir vers la ligne de départ. Une invitation fut lancée. Il la dévisagea un court instant, rabattant une mèche sauvage. L’hésitation le gagna, regard perdu dans le vide. Son esprit tournait à mille à l’heure, sous le coup de l’adrénaline. Il était déjà ailleurs. « Okay. » Sur un dernier mouvement de tête, Edward disparut parmi les nageurs, peu conscient de l’engagement contracté. Arrivé à hauteur du lac, il éclaboussa son visage, sa combinaison. Les plantes lacustres lui léchaient la plante des pieds, tandis que les vagues le frappaient à la taille. Il observa les eaux sombres, profondes, inhospitalières. Edward inspira une dernière bouffée d’air calme avant de plonger. L’eau froide contracta ses pores, comprima ses tympans. Il sentit son corps lutter pour s’adapter. Pour une fois, il nageait dans le sens du courant. Son enveloppe se réchauffait à chaque brasse. Il se sentait robuste et vivant. Ses mouvements chaviraient les couleurs du ciel, mélangées aux eaux turquoise du lac. Les contours de son monde se distordaient. Calmer son souffle, conserver une respiration nasale et circulaire… Il se laissait porter par l’oscillation fluide des vagues venues gifler sa peau. Le long couloir s’achevait, et il dépassait la dernière bouée au jaune criard pour enfin trouver pied. Le soleil opérait une infime trouée parmi les nuages. Un soleil d’hiver qui éclaire sans réchauffer. Edward se drapa d’un large peignoir avant d’attraper une serviette microfibre, essuyant son visage. L’univers tanguait, son sang battant à ses tempes. Un parfum de lessive parvint à ses narines, étrangement réconfortant. Revenant à plus de conscience, il survola le lac, réalisa alors compter parmi les premiers arrivés. L’honneur était sauf. Ses cheveux gouttaient encore le long de sa nuque, lorsqu’il entreprit de remonter la piste. Edward la cherchait du regard, incertain. La foule le chahutait. Il n’aimait pas les masses. Les gens exaspéraient ses sens. Enfin, il l’aperçut. « Tu as promis un chocolat. », qu'il souffla, arrivant à sa hauteur. Lui revint, comme un éclair, son étrange taquinerie. Planait autour d'Emmy quelque chose d'étrange, sans qu'il ne parvienne à mettre le doigt de dessus. La soudaine audace de la demoiselle le questionnait quelque peu.

Résumé: