Tu ne t'ai pas rendormi tout de suite, après les messages. Tu les as relus, un à un, les tiens avec, plusieurs fois. Toujours en commençant par le début et en ne sautant aucun mot. En faisant défiler ton téléphone, ton pouce a fait arrêter l'écran et tu t'es arrêté sur le petit coeur. Quel adolescent. Tu as alors pensé. Le petit coeur t'a fait sourire, dans l'obscurité de ta chambre d'hopital. Bien entendu, il était déjà prévu que tu sortes demain. Tu n'allais pas choisir et juste décider de partir.

Comme tu es resté deux semaines, tu as eu le temps d'y penser. De parler à des spécialistes, de t'en vouloir, de douter, de prendre une décision, d'y revenir, de changer. A un moment, tu pensais qu'il serait préférable pour lui que tu partes. Tu as toujours cette peur, quelque part en toi, que ça soit trop pour lui et qu'il ne s'en rende pas compte. Mais tu en as parlé avec la thérapeute le lendemain et elle t'a demandé d'imaginer un monde sans Alonso et un monde avec Alonso. Tu l'as fait, elle t'a ensuite demandé quel monde tu avais imaginé en premier. Celui avec Alonso, bien qu'elle l'ait annoncé en second. C'était voulu. Bien sûr, elle ne t'a pas dit que maintenant, tu étais fixé, juste, que ça pouvait commencer à te donner des pistes. Malheureusement, Coco ne s'est pas manifestée. Ni pour t'assurer qu'elle allait bien, quelque part dans ton esprit, ni pour te porter conseil. Coco aurait choisi Alonso, tu le sais. Tu as toujours senti qu'elle t'en avais voulu et qu'elle t'en voulait toujours un peu. C'est peut être pour ça qu'elle n'ait pas intervenue, elle a toujours était si fine pour savoir ce qu'il te fallait.

Ce n'est pas une sortie qui te réjouit totalement. Pas à cause de ta décision, puisque tu as attendu d'être certain, mais parce que tu sais que ça sera dur, que tu sais que tu ne seras pas parfait, qu'Alonso ne le sera pas non plus et que vous allez vous faire du mal, malgré tout l'amour que vous vous portez. Quand tu songes à tout cela, la même image te vient en tête. Tu ne sais pas d'où elle vient, ni pourquoi c'est celle ci, mais tu imagines une grande famille, des tas d'enfants, dont un est  Petit Alonso. Un jour, le père de cette grande famille dit à ses enfants qu'ils vont tous recevoir un chien, et qu'ils devront s'en occuper, quoi qu'il arrive. Tout le monde reçoit un chiot plus parfait les uns que les autres et il y a Petit Alonso, qui découvre que son compagnon est rempli de puces, qu'il sent mauvais, qu'il boite et qu'il ne voit que d'un oeil. Il appelle son chiot Jeffy. Petit Alonso aime son chiot, il se fout que ses frères et ses sœurs se moquent de sa puanteur, de sa laideur et de ses handicaps. Mais peut être qu'avec le temps qui passe, Petit Alonso remarquera les défauts de son chiot, qu'il aura moins de patience. Tu ne sais pas si Petit Alonso gardera Jeffy, mais pour le moment, il n'a d'yeux que pour lui. Tu as besoin de repères, de choses qui te rassurent. Cette histoire en fait partie maintenant. Quand tu sens que les angoissent te viennent, tu te la racontes, sans un mot, juste dans ta tête, toujours le même début et puis un épisode des deux comparses. Ça t'aide à te concentrer sur quelque chose, sans que ça soit néfaste. Ton traitement t'empêche de partir trop loin alors tu t'en contentes.

Tu as du mal à ouvrir l’œil quand l'infirmière amène le petit déjeuner et le traitement du matin. Elle est plus enthousiaste qu'à l'accoutumée, elle sait que tu pars et elle est juste contente pour toi. Toi, tu bougonnes au lit, elle vérifie ta cheville rapidement mais tu arrives à bien mieux marcher dessus maintenant. Tu ne manges pas, tu bois juste ton café car tu es barbouillé. Sans venir te voir, Alonso t'as apporté des vêtements. Ils sont chez lui, après tout avec le reste de tes affaires. Chez toi. Pour le moment, tu n'y arrives pas encore, tu dois te reprendre, que ça soit en pensée ou bien en en parlant au personnel soignant. Et quand tu le dis, ça sonne faux. Tu commences ta routine matinale, les habitudes sont bonnes pour toi car tes angoisses se nourrissent du chaos. Tu es juste, un peu absent. N'importe qui serait ravi mais tu ne l'es pas. Ton traitement est fort, tu le trouves fort et comme tu n'es pas encore tout à fait habitué, tu as l'impression d'être fade. Coco n'est pas revenue alors ça n'arrange rien et tu viens à penser qu'Alonso ne voudra peut être pas d'un Jeffrey sans ses couleurs vives. Forcément, il y a plus de doutes quand tu approches du changement que lorsque tu n'as qu'à l'imaginer, on te l'a dit également, en thérapie et on te l'avait déjà dit dans le passé, aussi. Tu es prêt vers dix heures du matin, bien avant qu'il n'arrive.  Ta forme ne va pas durer, les doses sont mal ajustées, tu le penses en tout cas, et tu te sens assommé et dépassé plutôt rapidement. Tu pourras te reposer cette après midi, quand il sera au travail. Tu prends le livre que tu as commencé, c'est aussi un livre qu'Alonso t'a ramené et fait passer au service. De la lecture légère, un poil niaise mais c'est ce qu'il te faut. Tu te rends dans la pièce commune, les fauteuils y sont plus confortables. Tout est prêt dans ta chambre. Il y a parfois un peu de bruits, avec les patients qui discutent et le personnel qui veille à ce que tout se passe bien alors tu as pris l'habitude de porter un casque anti-bruit, quand c'est pour lire. Sinon, tu discutes avec Sally, une ancienne infirmière à la retraite qui est ici pour des crises d'angoisses à répétition, depuis la perte de son mari. Elle ne se sent pas prête à sortir. Tu la comprends. Tes médicaments sont peut être mal dosés, trop forts. Tu voulais être présent dans ta chambre quand il viendrait mais tu t'assoupis dans ton fauteuil vers onze heures trente. Le livre posé contre ton torse. Sally vient mettre une couverture sur tes genoux et chasse la mèche qui cache ton beau visage, comme elle l'appelle. Tu as mal dormi cette nuit, tu as surtout très peu dormi. C'est la faute du fauteuil, il est moelleux et donne envie d'y faire une sieste.

La semaine de congé avait bénéfique pour l'état mental d'Alonso. Il y avait eu trop d'entrechocs en peu de temps et même pour quelqu'un de relativement stable comme lui. Il avait fait du sport, enfin surtout de la course et un peu d'entretien musculaire. Il avait posté des histoires sur son compte Instagram de dessin, ceux qu'il gardait en reserve pour les jours de carence. L'important sur les réseaux sociaux était la régularité des posts lui avaient dit ses enfants. Il avait mis quand même cinq jours avant d'arriver à tenir un crayon et faire des traits qui ne ressemblaient pas à ceux d'un enfant, pour retravailler certaines créations sur l'ordi ou commencer à griffoner sur papier. Il avait pris l'habitude de dessiner au matin, quand son poignet ne lui faisait pas encore mal, qu'il n'était pas glonflé du temps passé debout et remettait ensuite son atèle pour le reste de la journée. Il était allé voir sa grand-mère dès le lundi avec un peu de maquillage sur son oeil, c'était passé. Il était aussi passé voir la mère de Jeff et ils avaient longtemps parlé. Lors de sa semaine de reprise, il l'avait amenée à l'hôpital pour voir son fils, c'est en la déposant que Jeff en avait profité pour demander à un infirmier si tout allait bien.

Sa grand-mère avait eu un fort coup de fatigue au court de la deuxième semaine. Il l'avait emmené faire des examens, la prise de sang n'avait montré qu'une anémie qui pouvait se résoudre par la prise de compléments alimentaires. A voir si cela s'arrangeait. Alonso était allé voir sa petite soeur à Burlington après ses services à l'hôpital, discuter avec elle se confier sur son histoire, sa plus jeune sœur était toujours de bon conseil et était certainement l'oreille la plus attentive de la fraterie. Elle lui avait dit qu'elle connaissait un bon groupe de parole pour les proches de patients atteints de troubles mentaux, qu'il devrait s'y inscrire. Alonso était d'accord sur le principe, mais il ne savait pas si Jeff allait revenir vers lui alors il attendrait.

C'est le second week-end que l'attente avait commencé à se faire sentir. Il avait gardé son téléphone en mode sonnerie toute la semaine en dehors des heures de bureau mais n'avait pas reçu les messages escomptés. Seulement des pubs, quelques potes qui lui demandaient des nouvelles auxquels il répondait bien volontiers.

La nuit du lundi au mardi, jour où il travaillait à l'hôpital, le téléphone s'allume et bippe. Alonso ouvre les yeux difficilement, regarde l'heure, 2h38 du matin. Il repose le téléphone, ça devait être ses potes qui sortaient du bar qu'ils lui avaient proposé la veille, bar qu'il avait refusé. Qui fait une soirée un lundi soir franchement ? Il somnole un peu, sans parvenir à se rendormir totalement, au bout d'une dizaine de minutes à tourner, il rale sur son fameux pote - même si ce peut pas savoir qu'Al met son téléphone en sonnerie parce qu'il attend un message important - et déverouille quand même le téléphone pour voir le contenu du message. Jeff. Voilà de quoi le réveiller totalement. Il ne s'attendait pas à revevoir un message en pleine nuit de sa part. Il a attendu plus de deux semaines et c'est aujourd'hui qu'il envoie un message. Les yeux d'Alonso peinent à s'acclimater à la lumière du téléphone. Il a besoin de se réveiller pour répondre, Jeff peut bien attendre encore dix minutes. Il se lève, va à la salle de bain sans allumer la lumière, se tape le tibia dans le tabouret de la salle de bain, jure tout seul dans le noir, allume la lumière, ferme les yeux sous la lumière blanche puis se regarde dans le miroir. Il boit, passe de l'eau sur son visage, soupire, respire, serre les poings et les relache. Il est temps d'affronter la réalité.

Les deux semaines parcourues semblent comme un long tunnel, comme lorsque l'on attend ses résultats d'examens sur un site internet, qu'on refresh toutes les minutes, qu'on découvre que la page s'ouvre enfin et qu'on refuse finalement d'aller voir son nom immédiatement. Alonso était un peu dans cet état là. Il revient dans sa chambre, Chanel n'a pas bougé toujours sommeillant sur le lit. Alonso hésite, prend son téléphone et répond. Jeff lui demande comment il va, c'est bien la première fois depuis qu'il l'a vu au centre commercial que Jeff s'intéresse à sa santé. Lorsqu'il propose de venir le chercher, Alonso sent une vague d'émotions le traverser, dedans il y a la joie, la peur, le soulagement. Il répond au tac au tac mais à le relire, il trouve son message trop factuel alors il ose envoyer un petit cœur, pour signaler qu'il est content et adoucir le tout. Normalement Al termine à 12h30 et reprend à 13h30 mais il peut bien prendre une petite demi-heure de plus sur sa pause dej. Parce que l'aller-retour hôpital-Redwood prend bien une heure, le timing va être serré. C'est aussi pour cela qu'il propose de prendre son aprem, il sent qu'il va galérer mais Jeff refuse. Il le comprend. Le coeur d'Alonso est à la fois lourd et léger. Il pose son téléphone sur le côté. Dormir, il n'en a pas du tout envie là maintenant. Il se tourne et caresse Chanel qui s'étire et ronronne, content d'avoir des calins à n'importe quel heure du jour ou de la nuit.

Jeff va revenir, Alonso n'a rien préparé, il s'était obligé à ne rien préparer. À part les fameux cartons qu'il avait empilé proprement dans la chambre d'ami du rez-de-chaussée pour éviter qu'ils prennent de la place dans l'entrée ou ne prennent l'odeur du garage. Il n'avait rien fait. Ce n'était pas maintenant qu'il allait faire quoique ce soit. Il aurait bien installé Jeff dans la chambre de ses parents, c'était la plus grande et il n'aurait pas à monter l'escalier avec sa cheville, mais il veut en parler avec lui avant, ne pas prendre de décisions sans le consulter. Cela va être difficile pour Alonso qui est un homme d'organisation et de prévoyance. À partir de maintenant, il va falloir vivre au jour le jour. Il ne regrette rien mais sent monter l'appréhension, celle de mal faire, de trop faire ou pas assez. Il allait falloir trouver un rythme ou chacun de donnait de l'espace. Un peu comme ils avaient fait les trois premières semaines où Jeff avait vécu avec lui. Ou peut-être un peu différemment... Alonso sent le sommeil le regagner. Il se replonge sous la couette jusqu'au réveil de 7h.

Le matin, il a l'impression que la discussion de la nuit n'a jamais eu lieu, mais il relit les messages et s'assure que ce n'est pas un rêve. Lorsque arrive 11h50, Alonso retire sa blouse. Sa responsable n'a rien dit pour le fait qu'il augmente sa pause déjeuner, mais Alonso étant une machine de ponctualité, cela le gêne quand même. Pourtant, devoir ramener un proche hospitalisé est une raison plus que valable pour demander du temps supplémentaire. A midi pile, il est dans le hall mais il n'y a personne, à midi cinq, il se dit qu'ils se sont peut être mal compris et va jusqu'à la chambre de Jeff. Esperant qu'ils ne se croisent pas dans l'ascenseur. Ca lui fait bizarre d'y revenir, le souvenir de son futur colocataire attaché sur le lit lui revient douloureusement. La chambre a été faite, mais il y trouve que le sac avec quelques affaires qu'il lui avait transmises : vêtements, savon, rasoir électrique, brosse à dents, dentifrice, serviettes... Tout ce que l'hôpital ne fournit pas ou uniquement en versions jetables, mignatures ou payantes, parfois les trois à la fois, et que le pharmacien avait préparé pour Jeff dès le lendemain de leur échange et confié à une collègue qui avait bien voulu faire transiter le sac de Redwood à l'hôpital alors que Al était en congés.

Tout est prêt, mais Jeff s'est envolé, Alonso prend le tout et quitte la chambre. L'inquiétude remonte d'un cran. Il n'aurait pas pris un taxi pour rentrer tout seul quand même ? Alonso regarde sa montre 12h12. Le plus simple est d'aller demander au bureau des infirmiers, en passant par le couloir, il s'arrête devant la salle commune, trouvant un Jeff endormi avec un livre son torse, une couverture sur ses genoux et un casque sur les oreilles. Son cœur fait un bond puis s'apaise. Il s'accroupit, prend doucement le livre, fait glisser son casque autour de son cou et pose une main sur son genou, celui qui n'est pas lié à sa cheville blessée bien sûr et le secoue doucement. Jeffrey, réveille-toi, on est déjà en retard. Pas le temps pour de douces et délicates retrouvailles. Ce n'est peut-être pas plus mal de prendre un peu de distance au début. Rassurer Jeff, ne pas lui mettre de pression. Lorsqu'il voit qu'il se réveille, Alonso se redresse leur regard se croise, il fait un petit signe de tête, lui laisse une minute pour émerger. Allez viens. La voiture est au parking. Tout a été réglé, tu as bien ta feuille de décharge ? On a pas besoin de passer à l'accueil ? demande Alonso. Qu'il ne sorte pas illégalement Jeff des murs de l'hôpital quand même. Un coup d'oeil à la montre 12h17. Le temps de sortir du parking, il sera 12h25, voire peut-être 12h30 si Jeff est dans le gaz, aucune chance qu'il revienne à 13h30 cet après-midi. Enfin tant pis. Il enverra un message quand il quittera Redwood, après avoir déposé Jeff, c'est encore ce qu'il y aura de plus efficace.

Quand tu t'es senti partir, tu as essayé de te convaincre d'au moins retourner dans ta chambre. Mais si ta volonté était bien présente dans ton esprit, elle avait quitté tes jambes depuis de trop longues minutes. Le reste s'est passé juste comme ça, tu t'es endormi. Personne n'y a fait attention parce que tu es dans un service où les gens prennent des traitements lourds, qui peuvent les rendre somnolent, aussi parce que le personnel est déjà bien occupé et qu'ils ont l'habitude de voir ceux qu'ils soignent se reposer après une nuit agitée sans sommeil.

Tu émerges difficilement. Ton sommeil est lourd avec les médicaments. Tu grognes un peu, tournes ton visage d'un côté et plissant les traits de ton visage. Se réveiller alors qu'on est pas censé être en train de dormir peut déjà être difficile, alors dans ton état, c'est réellement compliqué. Tes paupières tremblotent avant de s'ouvrir lentement. Tu ne réalises pas tout de suite, ton cœur s'emporte un peu à cause de la surprise de se réveil que tu n'as pas demandé. Rien de grave. Tes yeux captent mieux ce qu'il se passe et les traits d'Alonso se dessinent plus net pour se rattacher à sa voix familière. Tu lui souris. Tu es comme déjà redevenu toi même avec ton traitement. Plus d'angoisses constantes, plus de perte de contrôle. Juste le bon vieux Jeffrey, le Jeffrey que tu n'aimes pas tant que ça puisqu'il est terne, selon toi. Certains t'ont déjà dit que tu pouvais devenir toi-même à nouveau, quand tu prenais bien ton traitement. C'est faux, tu es ce qui est acceptable pour tout le monde et ce qui est le plus sécurisant pour toi. Tu n'as jamais pensé que tu étais toi-même, mais le vrai toi est cassé, comme un jouet qui ne passe pas les tests de qualité et qui finit dans une broyeuse. On ne met pas les humains cassés dans des broyeuses, on les ajuste. Dire que tu es toi même est un mensonge, mais c'est aussi ce qu'il y a de mieux pour tout le monde, toi le premier. Parce qu'on oublie bien vite -à cause des agissements de la maladie- que tu es le premier à en souffrir. Ce n'est pas un état enviable. Pas le moins du monde. Encore ce matin, en préparant tes affaires avec une des infirmières pour t'aider, tu as du accepter cette remarque qui t'est familière. Alors vous êtes content d'être à nouveau vous-même et de pouvoir sortir, Monsieur Toone ? Aucune moquerie dans son ton, de l'enthousiasme, c'est certain, mais avec une bienveillance un peu naïve. Tu es content de sortir, oui, pour le reste, c'est compliqué. C'est pour cela que la lutte est constante, parce que si tout était simple, les gens comme toi prendraient juste leurs médicaments sans jamais oublier une prise, ou bien ne l'arrêteraient.

Mais tu pourras y songer plus tard. Quand les doutes referont surface, car ils le font toujours. Pour le moment, tu passes tes deux mains à plat sur ton visage pour le frotter et le réveiller. Tu cherches ensuite le livre que tu avais, pour le retrouver poser sur la petite table de lecture à côté de toi. Tu ne serais dire qui l'a posé ici. Tu soupires, tu sais que tu dois faire vite car tes idées se remettent en place et Alonso va devoir revenir travailler. Il aurait du te laisser repartir tout seul, ça aurait été bien plus pratique et moins fatigant pour lui mais tu n'as pas demandé ou insisté car tu connaissais sa réponse. Tout est réglé. Que tu répètes en baillant. Tu te lèves enfin, tu t'étires le dos mais avant de partir, tu prends tout de même le temps d'aller voir la douce et maternelle Sally, tu lui dis que tu viendras la voir et qu'elle est la bienvenue aussi. Peut être que tu devrais en toucher deux mots à Alonso mais tu y penseras plus tard, ou alors tu n'y penseras pas -ce qui est plus probable- et il trouvera la femme chez vous un jour, en train de boire dans une de ces tasses à café. Elle est assise alors tu as posé une main sur son épaule, puis après lui avoir dit au revoir, tu déposes un doux baiser sur son front. Tu es un animal sociable, même en milieu hospitalisé et psychiatrique.

Tu peux quitter les lieux en sa compagnie, tu le suis car d'ici, tu n'as pas vu grand chose à part ton service et de temps en temps, l'accueil. Tous les documents sont dans tes affaires, tu prends d'ailleurs le sac à Alonso et tu le portes jusqu'à la voiture, il semble pressé, tu sais pourquoi mais tu ne sais pas à quel point le timming est serré alors tu ne l'es pas autant que lui. Tu montes dans la voiture, mets ta ceinture et tu le regardes faire de même. Alonso est concentré sur ce qu'il fait, ce qu'il doit faire alors il ne prête pas trop attention à toi. Ce n'est pas ce que tu recherches, tu préfères même avoir ce temps pour l'observer sans l'être en retour. L'idée de le retrouver te fait sourire, puis quand la voiture démarre, tu regardes vers la vitre du devant du véhicule, pour la voir partir de l’hôpital. Tu bailles encore, tournant légèrement la tête du côté de ta vitre parce que ce serait impoli de ne pas le faire. Tu sais ce que tu feras quand tu seras arrivé, tu as cette chance de pouvoir te reposer. J'ai espéré que Coco se manifeste mais ça n'a pas été le cas. Tu voudras bien m'aider ? Elle ne peut pas t'en vouloir, j'ai juste besoin de savoir qu'elle est bien là, après je la laisse tranquille. Quelqu'un d'autre l'aurait pris pour un fou, mais Alonso connait l’importance de Coco pour toi, Alonso connait la complexité de votre relation et il sait aussi que tu fais la différence entre un être à part entière et le personnage qu'est Coco. C'est une subtilité que peu comprennent. Tu te dis que Coco aura envie de se confier à Alonso, peut être. Tu l'espères. Tu regardes par ton côté de la fenêtre en attendant sa réponse. Ça te fait déjà du bien de voir un paysage défilé et pas toujours la même vue, que ce soit de la fenêtre de ta chambre, de celle de la salle commune, de la salle des repas.

Le sourire de Jeff illumine le cœur d'Alonso lorsqu'il le voit malgré son air fatigué. Lui aussi ne peut s'empêcher de lui sourire en retour. Il le laisse dire au revoir à ce qui semble être une nouvelle amie sans faire de commentaire, de toute façon il est déjà en retard, il n'est pas à cinq minutes. Al fait un sourire et un salut de tête lorsqu'il croise le regard de la dame que Jeff embrasse. Il est distrait, en même temps il réfléchit à ce qu'il a à faire en rentrant au travail en début d'après-midi. Il dirige ses pensées sur ce qu'il peut anticiper : le travail, ses dessins, Chanel, ce sur quoi il sait qu'il a de la prise éloignant le reste de son esprit. Il se demande ce qu'il va faire à manger le soir, il n'y a pas pensé, il pensait juste se faire une salade de tomates, Al mange peu le soir, est-ce que Jeff va apprécier ? Ils partent tous les deux dans le couloir.

Jeff lui prend le sac des mains, Alonso le regarde du coin de l'oeil. Il a l'air en forme malgré la fatigue apparente. Plus apaisé, ça c'est sûr, moins nerveux. Ces deux semaines n'ont pas dû être évidentes. Dans le fond, Alonso lui aussi avait eu besoin de ces deux semaines, pour se poser. S'interroger sur Jeff, leur futur, son futur à lui. Ils allaient habiter ensemble aujourd'hui mais pour combien de temps ? Son avenir était incertain, il habitait chez ses parents qui apparemment n'avaient pas l'intention de revenir à Redwood. Il faudrait d'ailleurs qu'il leur en parle, fixer durablement ou non cette situation que Jeff ne soit pas dépendant de cet arrangement. Peut-être établir un contrat de location officiel à leur deux noms ? Il avait une connaissance dans le droit qui pourrait l'aider. Bloqué dans l'incertitude depuis deux semaines, Alonso ne réalise pas encore totalement que le futur a déjà commencé. Depuis que Jeff était rentré dans sa vie, son quotidien, ses perspectives et ses rêves avaient été entièrement chamboulés. Ce qu'ils avaient vécu depuis qu'il s'était caché pour ne pas le voir dans le centre commercial et depuis qu'il lui avait proposé d'emménager chez lui était le début chaotique d'une drôle d'histoire.

Ils arrivent à la voiture. Alonso s'attache, enlève son atèle pour conduire et la pose dans le vide poche. Sa voiture est une automatique donc il n'a pas beaucoup à solliciter sa main droite, néanmoins faut bien qu'il puisse tourner le volant. Les souvenirs de son agression sont maintenant derrière lui, les bleus se sont en grande partie résorbés, il n'y a que son entorse qui le fait parfois un peu souffrir en fin de journée. Il regarde Jeff avant de démarrer, il est bien attaché, il capte pas son regard mais Alonso voit un sourire sur son visage, tout va bien. Il est 12h31 quand ils démarrent. Jeff prend la parole pour évoquer Coco. Cela fait sourire Alonso, la dame se laissait désirer. Bien sûr, avec plaisir. Tu me diras ce que je dois faire. Elle me manque à moi aussi... répond-t-il avec sincérité. C'était vrai, le moment qu'il avait passé avec Coco avait été le meilleur de ces derniers mois, beau, fluide, évident. C'était son apparition qui avait redonné de l'espoir à Alonso, sans elle, Jeff ne serait pas dans la voiture aujourd'hui. C'était une certitude. Alonso n'aurait pas eu la force de garder Jeff près de lui s'il n'avait pas entrevu un peu de ce que pourrait être leur futur. Un jour, peut-être.

Il pense à beaucoup de choses et finit par dérouler le fil de sa pensée. Je te pose juste et je repars si ça te va, tu as bien tes clés ? Il jete un coup d'oeil à Jeff pour voir s'il hoche la tête dans le bon sens. Pour ce midi, je n'ai rien prévu, mais il y a un reste de boeuf sauté et du riz que j'avais acheté hier soir en rentrant, c'est au frigo, tu peux le finir. Alonso achetait beaucoup à emporter quand il était seul, il aimait cuisiner mais pas pour lui-même uniquement. J'ai changé tes draps à l'étage, mais si tu veux être en bas - je me suis dit que ça serait plus simple avec ta cheville -, j'ai fait aussi le lit dans la grande chambre du rez-de-chaussée. Tu t'installes où tu veux. Il avait fait ça le matin même à la va-vite. Incapable de ne pas prévoir un minimum le retour de Jeff. Alonso passe son index sur le bord de ses lèvres, signe de réflexion chez lui. Son regard est fixé sur la route, ils sont sortis sur la voie rapide qui les mène à Redwood, il est concentré sur ses pensées. Et j'ai mis tes cartons dans la petite chambre du rez-de-chaussée. Hum... Je crois que c'est tout. Tu connais la maison pour le reste. Il laisse ensuite s'intaller le silence entre eux, mais il n'est pas dérangeant pour Alonso, le ronron de la voiture et le bruit lointain de la musique classique qu'émet la radio sont des sons qu'il connaît par cœur et qui d'une certaine façon le rassurent.

Tu as peur qu'il refuse. Il pourrait. Tu sors tout juste d'un service psychiatrique et peut être qu'il ne vaudrait pas que tu repartes dans tes habitudes tout de même. Mais Coco n'est pas une simple habitude, c'est une partie de toi, et tu te sens comme vide sans savoir qu'elle est présente et qu'elle veille. Tes crainte s'envolent quand il te répond qu'il est prêt à t'aider.  Ton sourire se fixe sur ton visage, alors que tu regardes devant toi. Coco est si importante, parfois, tu t'es dit qu'elle méritait de vivre elle, et pas toi. C'est aussi elle qui t'a sauvée quand tu as eu des périodes de dépression profonde. Tu n'as jamais franchi le pas, tu trouvais que c'était injuste de cesser de faire vivre Coco, alors qu'elle n'y était pour rien et qu'elle avait toujours tout fait pour que tu te sentes mieux. Tu penses à elle, c'est plus fort que toi. Elle te manque tellement. Tu ne sais pas comment faire, pas comment agir pour la faire revenir.

Tu hoches doucement la tête pour répondre à son interrogation sur les clefs. Tu es encore un peu parti dans tes propres pensées, même si tu écoutes, ton oreille n'est pas tout à fait attentive. Par exemple, tu passes à travers de l'information sur ce qu'il reste à manger, parce que ça ne t'intéresse pas vraiment. Tu peux avoir des périodes de perte d'appétit et en ce moment, c'est le cas. Le reste aussi, tu l'entends mais tu n'assimiles pas tout, juste que tu auras de la place pour te reposer, c'est déjà une bonne chose. Il a fini de s'expliquer et tu laisses aussi le silence s'installer un temps. Vous allez bientôt arriver. Tu voudras que je prépare quelque chose pour ce soir ? Je peux aller faire quelques courses, après m'être un peu reposé. Tu as envie maintenant mais peut être que tu seras trop fatigué, ou que l'envie se sera envolée. Tu te dis que tu peux au moins faire ça, pour ton Alonso. Tu es une charge pour lui, tu en as conscience, ce n'est pas ce qui te ravie et pourtant, tu n'as tellement le choix. Une charge trop mal en point pour s'occuper d'elle même. Le calme se réinstalle, pour le temps de trajet qu'il reste, tu décides de fermer les yeux et de te laisser bercer par la musique en fond.

Tu sens la voiture ralentir alors tu rouvres les yeux, quand vous êtes à l'arrêt, tu te détaches. Tu ne sais pas s'il va t'accompagner, il doit retourner travailler et il n'a surement pas le temps de flâner. Tu le fixes quelques instants, ça prend un peu de temps parce que tu hésites. Tu finis par te pencher contre lui, tu entoures le haut de son corps de tes bras et tu poses ta tête sur son torse. Tu sais que tu n'as pas le luxe de rester contre lui des heures entières, même si l'envie est présente alors tu le libères. Je file. Ta main remonte pour se poser juste un instant sur sa joue barbue. Tu ouvres ensuite la portière, tu sors, tu ouvres la portière à l'arrière pour prendre tes affaires et il peut repartir de plus belle.

Il ne remarque pas vraiment que Jeff n'écoute pas, ce n’est pas important quoi qu’en pense Alonso. Ce dernier essaie de penser à tout, ne rien oublier de ce qui pourrait dérouter Jeff, mais ça ne lui demande pas tant d’efforts que cela. Le cerveau d'Alonso est compartimenté en système de boîtes. Quand il ouvre la boîte « maison », il y a tout ce qui concerne la maison : le linge, les stocks, les courses, les poubelles, la litière, etc. Cela lui permet de faire un état des lieux rapide de ce qu'il reste à faire. Cela fonctionne sur les choses, mais pas pour les êtres humains. Il n’a ni boîte nommée Jeff, ni même Chanel. Bien sûr il y avait des croisements. Il rentrait dans une boîte, ressortait dans une autre, créait son petit tunnel, une forme de carte mentale. Il n'était pas infaillible pour autant, mais il notait peu et gardait tout en tête. C'était parfois si dur pour lui de mettre son cerveau en pause et de juste profiter de l'instant présent. Difficile pourtant tellement nécessaire.

A la question de Jeff, il réfléchit une seconde. Il note que son ami s'implique, il voit ça comme quelque chose de positif, qu'il le fasse ou pas, il pose la question. Non, t'inquiète pas, sauf si tu y tiens, on se fera un truc sans prise de tête, genre apéro, si ça te va. La faim d'Alonso variait beaucoup en fonction de ses émotions et de son activité physique : aujourd'hui, il était stressé et il n'avait pas fait de sport, il y avait peu de chances qu'il ait faim le soir. Ça lui arrivait même de sauter des repas. Surtout qu'il allait sans doute grignoter sur son heure de pause à 16h vu qu'il n'aurait pas le temps de manger ce midi. La voiture retombe dans le silence et au bout de deux minutes il voit que son passager s’est endormi. Ça le fait sourire. Ça lui avait sauté les yeux tout à l’heure dans la salle de repos et la pensée remontait à lui, qu’est-ce qu’il était beau. Il ne pouvait pas le toucher parce qu’il a peur de le réveiller.

En arrivant dans les petites rues de Redwood Jeff rouvre les yeux. Alonso lui fait un sourire. Et voilà, Monsieur ! dit-il d’un air satisfait. Il regarde l’heure 13h03. Il aurait dix minutes de retard. Tant pis, ça ne lui semble plus tellement important arrivé devant chez lui. Jeff l’observe sans descendre de la voiture, Alonso se sent intimidé sous ce regard. Lorsque Jeff se penche contre lui, il n’ose pas bouger. Il l’enlace. Le cœur d’Alonso s’emballe, ce n’est pas la première fois, mais il ne savait pas sur quel pied danser avec Jeff. Si la discussion du soir y était propice, il lui demanderait directement. La main de Jeff s’attarde sur sa joue, il voudrait la saisir et y déposer un baiser, mais il n’en fait rien. Lorsque son ami sort, il sort son téléphone machinalement pour dire, « je serai là à 13h45 » à sa cheffe. La porte arrière claque à son tour. Les affaires sont récupérées. C’est le moment de repartir. Il lui fait un signe avant de redémarrer la voiture. L’étreinte de Jeff toujours dans ses pensées.

Tout se déroule comme ça doit se dérouler. A 13h45, il est à son poste, sa cheffe vient le voir en lui demandant si tout s’est bien passé, il confirme, elle lui fait un sourire. Les boulots d’Alonso forment une routine efficace et parfois il se rêve à faire autre chose, quelque chose de plus stimulant, plus engageant comme l’enseignement. Il n’aurait pas dit ça quelques mois auparavant, mais il était finalement satisfait de la stabilité intellectuelle que lui procurent ses boulots. Son ambiance de travail est bonne, la paie est intéressante et actuellement, il n’a pas besoin que sa vie professionnelle déborde sur sa vie personnelle. Rapidement le cas Jeff quitte ses pensées, même s’il reste là dans un coin de sa tête. Il y a les patients, les infirmiers, les internes, les préparations, la machine est bien rodée et le sourire revient sur ses lèvres parce que le temps passe vite et qu’il est bientôt l’heure de rentrer. Il n’a pas mangé en fin de compte. En partant, il fait un détour pour prendre quelques petites courses pour le soir, finalement. C’est dommage d’avoir le retour de son colocataire et de ne pas le fêter un peu. Il lui envoie un petit message quand il part de Burlington.

Il est 18h30 quand il insère les clés dans la porte. Il rentre sans faire de bruit ne sachant pas si Jeff dort encore. Il arrive dans le salon et trouve Chanel et Cha-Cha endormis dans le même panier comme il les avait déjà vu faire le week-end dernier. Ils ne se réveillent pas pour demander à manger, c'est donc qu'ils ont été nourris. Il pose ses courses sur l’îlot de la cuisine, range ses chaussures, son manteau. Il est bien chez lui. La maison est silencieuse alors il ouvre la terrasse pour s'assoir dehors malgré la fraicheur des températures pour respirer un peu l'air frais lui qui a été enfermé toute la journée. Habituellement, c'est l'heure de la promenade de Cha-Cha mais apparemment pas ce soir.

Tu es seul dans cette grande maison qui n'est pas la tienne et dans laquelle tu n'as jamais vécu. Tu es juste passé en tant qu'invité, ami, amant en de rares occasions. Mais jamais tu n'y avais été livré à toi même, parce qu'il n'y avait pas de raison que ça arrive. Ça t'impressionne un peu. Tout cet espace. Parce que c'est un espace que tu connais et qui te semble étranger en même temps. Tu visites comme si tu ne connaissais pas. Bien sûr, tu ne vas pas à l'étage, ce n'est pas de la curiosité malsaine qui t'habite mais juste comme une impression de ne pas être à ta place. Il va te falloir un peu de temps pour te faire à l'idée.

De toute façon, tu ne mets pas longtemps à regagner la chambre du rez-de-chaussée pour te déshabiller et te mettre dans le lit. Tu es nu car tu préfères dormir nu. Et puis tu sais que tu ne vas pas dormir longtemps alors Alonso ne risque pas de débarquer. Même si il le faisait, il n'aurait aucune raison de soulever la couverture et même s'il faisait cela, tu n'aurais aucune raison de lui cacher un corps qu'il a déjà vu nu des tas de fois, trop pour que tu puisses les compter. Donc en définitif, rien ne te retenait de dormir nu. Ce petit chemin de pensée te fait sourire, parce que tu imagines un Alonso qui débarque, s’époumone d'un AHAH avant de faire voler les couvertures pour te découvrir à poil. Rien que d'imaginer sa tête te pousse jusqu'au rire, que tu étouffes en écrasant un oreiller sur ton visage. Puis très vite, tu t’assoupis et tu t'endors, bien mieux installé qu'à l’hôpital. Pas de bruit constant, un lit bien plus confortable et spacieux et aussi, la quiétude de ne pas être dérangé.

Tu ne dors pas longtemps, un peu plus d'une heure et demie après ton endormissement tu sors des bras de Morphée, d'ailleurs, tu aimerais qu'il rentre chez lui et qu'il laisse sa place à Alonso, et tu te moues doucement vers le rebord. Tu te lèves, nu, et tu cherches dans les affaires qui sont les tiennes de quoi ne pas sortir ainsi. Tu enfiles un peignoir en soie rouge, tu adore celui-ci mais rien d'autre. Tu le fermes même si tu te sais seul et tu vas boire un verre d'eau dans la cuisine. Tu t'installes sur la terrasse avec ton verre d'eau. Cha-cha vient te voir, elle aussi était endormie. La chienne remue la queue, se met sur le ventre et couine un peu, elle est à la fois excitée et soulagée de te revoir. Tu te baisses pour la prendre et la mettre sur tes genoux, elle s'empresse de te laisser la joue en posant ses petites pattes de teckel sur ton torse. Mais oui ma fille. Toi aussi tu m'as manqué. Papa est de retour. Je te promets. Tu as toujours parlé à ta fille adorée, même devant d'autres personnes, tu t'en fiches si certains trouvent que c'est ridicule. Tu sais qu'elle ne comprend pas les mots, mais tu parles pour toi-même, dans ce cas là, Cha-cha est surtout contente de l'attention et de l'intonation que tu prends. Tu reste ainsi, avec Cha-cha sur toi, le verre posé sur l'accotoir que tu tiens de ta main droite, les jambes croisées. Tu ne penses à rien de particulier. Tu regardes les nuages qui bougent lentement, les oiseaux qui vont et viennent des arbres. Tu profites de la brise quand elle se lève.

Puis, après ce moment au calme avec ta chienne, tu la fais se lever et tu te lèves à ton tour. Tu vas poser ton verre dans la cuisine, sur le comptoir et tu nourris Cha-cha et Chanel, parce que les deux semblent avoir déjà faim. Chanel a bien compris que tu allais lui donner sa nourriture alors il se frotte contre toi en ronronnant. Peut être qu'il se dit qu'il aura un peu de rab avec le nouveau venu, s'il est sympa avec lui. Tu ranges le tout, puis tu vas dans la chambre qui t'as été attribuée, tu ouvres la porte de la salle de bain et tu y vois la belle baignoire. Tu n'as pris que des douches à l’hôpital et au début, sous surveillance. Tu as bien envie de te laisser aller dans une eau bien chaude, avec un peu de mousse en prime. Tu fais couler ton bain, tu y rajoutes de la mousse en y mettant un peu de gel douche au début et tu soupires d'aise en t'y plongeant. Tout de suite, tu sens tes muscles se détendre, ça te fait un bien fou. Tu dois bien y rester une demie heure avant de te lever, surtout parce que tu penses avoir entendu Alonso rentrer. Mais tu prends ton temps, tu te sèches, tu remets ton peignoir, toujours sans rien en dessous car il suffit à ton corps fin, et tu te regardes dans le miroir, grimaçant légèrement de ton teint très peu enviable, de tes traits fatigués aussi et de ton air encore un peu triste. Ton téléphone est restée sur la table de chevet, alors tu n'as pas vu le message d'Alonso et donc, tu n'y as pas répondu. Tu n'as pas ce réflexe qu'ont les plus jeunes de toujours prendre son téléphone. Le tien est toujours au même endroit, il attendra que tu y fasses attention un peu plus tard. Tu sors de la chambre, bien séché mais les cheveux encore humides. Tu doutes un instant de l'avoir bien entendu alors tu regardes dans le salon, la cuisine. Mais c'est sur la terrasse que tu le trouves, au même endroit où tu t'étais installé un peu plus tôt. Tu sors, tes pieds sur la terrasse sont un peu surpris du froid mais tu n'y prêtes pas attention. J'ai vu que tu as fait quelques courses. Repose toi, je vais prendre le relais. Il avait parlé d'un apéro non ? Pourtant tu as bien envie de cuisiner pour lui. La journée a été plus rude que prévue, avec sa pause qui n'en a pas été une, par ta faute. Tu veux quelque chose à boire ? Tu as envie de t'approcher, de lui masser doucement les épaules, de déposer un baiser dans son cou. Les images te viennent mais tu n'en fais rien.

Alonso regarde le jardin, les roses commencent à s’ouvrir, le printemps est là depuis un moment mais le soleil n’est pas de la partie tous les jours, la pluie et le redoux récent font pousser l’herbe de manière un peu folle. Il faudrait bientôt commencer à tondre toutes les semaines. Son esprit se repose. Il entend la voix de Jeff derrière lui et se retourne. Son nouveau colocataire est habillé d’une belle robe de chambre en soie et se présente devant lui pied nu sur la terrasse. Alonso ne peut réprimer un large sourire. Cheveux humides, traits tirés, mais moins que lorsqu’il l’a déposé le midi, comme il lui parait vulnérable, il a envie de le prendre dans ses bras, mais il reste immobile. Jeff propose de s’occuper du repas, Alonso hésite d'abord, il culpabilise un instant avant de se dire qu’il est peut-être temps de le considérer comme un membre de la maison et non juste comme un invité. Oui, j’ai pris quelques trucs sur la route, de quoi faire une quiche ou quelque chose comme ça, mais sens-toi libre de faire selon ton inspiration. Et j’ai pris un dessert. J’ai rien mis au frigo encore, mais faut que je le fasse. J’arrive. Il dit ça mais il reste assis encore un peu, un peu fatigué finalement, sans doute par le manque de nourriture plus que par une réelle fatigue. Il rajoute : Euh, je vais prendre une bière, si ça te va. Il a un second instant d’hésitation parce qu’il ne sait pas où Jeff se situe avec l’alcool. Coco a bu avec lui, mais il ne se souvenait pas avoir vu Jeff boire devant lui. Enfin… Cela allait faire partie de cette fameuse « discussion » qu’il avait évoqué par texto. Il s’étire, reste un instant encore à regarder les nuages dans le ciel et finalement se lève pour rejoindre Jeff à la cuisine, refermant la terrasse car Jeff a l’air encore mouillé et qu’il ne veut pas qu’il attrape froid. Il se pose sur le comptoir face à la cuisine, déboutonne les manches de sa chemise pour les remonter, enlève sa montre, passe une main dans ses cheveux. Alonso passe en mode maison.

Il regarde Jeff et le laisse œuvrer dans la cuisine, il est toujours nu pied. Tu as besoin de chaussons peut-être ? demande un Alonso amusé. La vision de son ami dans la cuisine lui fait un tel bien qu’il ne peut pas exprimer pour le moment. Ils avaient discuté de tout ce qui pouvait arriver de mal, mais ils avaient oublié de parler de ce qui pouvait arriver de bien. Ils y avaient certainement pensé tous les deux, sinon ils n’auraient pas choisi de vivre ensemble. Ça n’allait définitivement pas comme les trois petites semaines où Jeff avait habité ici. Anticipant ses questions sur le positionnement des ustensiles de cuisine, il montre les bons placards de la tête, il pouffe quand Jeff n’arrive pas à comprendre ce qu’il veut dire tout de suite. Tu réorganiseras si tu veux. ajoute-t-il le regard brillant. Il voulait qu’il se sente chez lui et s’il avait besoin de changer de place les casseroles et les saladiers pour le faire, Alonso était prêt à le laisser faire.

Tu ne le sais pas, et lui ne le sait pas pour toi, mais vous avez tous les deux envie de vous rapprocher. Pourtant, votre passé, votre histoire, les évènements récents, rien n'est fait pour vous donner confiance et cet élan qu'il vous manque. Peut être que ça prendra du temps, peut être que dès demain, tu passeras ton temps à l'embrasser. Tu ne sais pas et tu n'y songes pas. Ce n'est pas ce qui compte. Ce qui compte vraiment, c'est que tu parviennes à lui alléger la tâche qu'il s'est incombé. Il faut que tu fasses au mieux pour ne pas merder cette fois. Si tu as pu te le permettre avec tes anciennes relation, celle-ci, même si elle ne reste qu'amicale, mérite bien plus que tu donnes tout ce que tu peux donner. Tu l'écoutes, tu hoches la tête puis il est temps pour toi d'aller dans la cuisine. Tu traverses alors le salon pour prendre le dessert en premier et le mettre au réfrigérateur. Pas besoin de faire venir Alonso pour ça. Tu en profites pour sortir une bière, que tu décapsules et tu la poses sur l'ilot central. Ça ira, le bois de ton parquet est plutôt chaud, je préfère rester pieds nus. Coco t'aurait sermonné, abimer vos pieds de la sorte ! Tu y songes un instant, pas trop, pour éviter que de mauvaises émotions te submergent.

Mais très vite, ta tâche est plus compliqué. Tu as déjà du chercher pour nourrir les animaux et maintenant, c'est pire. Tu cherches un plat, tu ne veux pas te compliquer la tâche et tu vas faire une quiche, comme il l'a suggéré. Mais le moindre ustensile requis te prend un temps fou. Alonso a acheté du fromage non râpé et voilà que tu galères à trouver la râpe à fromage et qu'il ne semble pas t'aider beaucoup avec ses indications qui ressemblent plus à un vieil homme en train de faire une crise cardiaque que quelqu'un qui t'indique le bon rangement. Tu n'as pas besoin de réorganiser, tu as juste besoin de temps pour t'y faire. Oh je vois, tu me cantonnes déjà au rôle de la ménagère ? Tu es resté de dos pour lui lancer cette petite remarque, sur le ton de la plaisanterie uniquement. Parce que tu ne trouves toujours pas la râpe à fromage. Bon sang Alonso ! Comment peut-on aussi mal ranger une simple râpe à fromage ? Tu lèves les bras en l'air quand tu parles et ils retombes contre tes flancs ensuite. Cuisiner est plutôt simple, le faire dans une cuisine que l'on ne connait pas devient tout de suite bien plus compliqué. Après tout, se disputer sur l'emplacement d'un ustensile de cuisine, n'est ce pas là la meilleure sensation que tu as pu ressentir depuis des semaines ? Très certainement.

Alonso s'empêche d’éclater complètement de rire. Mais enfin ! Elle forcément est là ! s’exclame-t-il comme simple défense aussi exaspéré qu'amusé. Il se lève en soupirant, il ouvre le placard qu’il lui indique depuis tout à l’heure et que pourtant Jeff a ouvert au moins deux fois et effectivement la râpe à fromage n’y est pas. Il a un instant de bug devant son placard. Il ouvre un autre tiroir, l’air surpris. Jusqu’à ce qu’il comprenne… Alonso pince ses lèvres en comprenant, se retenir de rire. Pardon, je crois que finalement, en fait, elle est au lave-vaisselle… lâche-t-il les joues contractées par l’envie de rire. Instant de silence. Ils se regardent. Non… Mais je vais la laver, attend. Alonso sort la râpe qui est effectivement dans ledit lave-vaisselle. Il allume l’eau chaude pour la nettoyer, coup d'éponge et la tend à Jeff. Et voilà la râpe ! Je te préchauffe le four, comme ça pas de souci et je te relaisse la place. Il touche quelques boutons et lance le four.

Il vient se replacer derrière le comptoir et en profite pour prendre un verre pour sa bière. Alonso n’aimait pas boire directement au goulot. Il se verse sa bière et en boit une gorgée. Cela lui fait du bien d’avoir un instant de normalité. Son regard se pose sur le corps de Jeff. En se rapprochant de lui, il avait senti l’odeur du shampoing et du savon, il n’avait pas osé le toucher, même pour lui poser une main sur l’épaule, pas encore. Bon, je vais te laisser terminer, je vais mettre la table si ça ne te gêne pas. Crie si tu as besoin d’aide. déclare Alonso d’un ton toujours amusé. Il s’occupe de mettre deux couverts sur la table puis sort aussi quelques biscuits apéritifs et des tomates cerises sur l’îlot. Après tout, la quiche n’allait pas se cuire immédiatement et le pharmacien commençait vraiment à avoir faim. Tu veux boire quelque chose ? demande-t-il car Jeff ne s’était pas servi. Il attend que Jeff termine et lui tire le tabouret à côté du sien pour l’inviter à venir s’installer avec lui.