Alli trépignait d’impatience, elle allait en soirée pyjama chez Jun et Juliet avait proposé à Ben de dîner avec lui en parallèle, du coup elle attendait que son tuteur soit prêt, Jun et elle avaient déjà organisé leur soirée et si elle était en avance c’était encore mieux. « Allez oncle Ben, dépêche-toi !! » Le grand brun ronchonna, il était en train de rédiger un mail pour le boulot et voulait terminer avant de partir. « Alli, tu as rangé ta chambre comme on avait dit ? Sinon on ne part pas, j’irai vérifier. » répondit-il avec aplomb en espérant surtout gagner cinq minutes de calme pour terminer ce qu’il avait à faire. Il entendit un bruyant soupir et des pas qui s’éloignaient. Gagné ! Ben soupira à son tour, essayant de se reconcentrer sur le boulot. Bien sûr qu’il avait envie d’y aller, mais il n’avait pas fini ce qu’il avait à faire et Ben était conscient qu’arriver en avance à une invitation n’était pas toujours agréable pour l’hôte. Envoyé. Ben s’étira, en ce moment, les journées étaient longues était-ce l’arrivée du printemps qui faisait qu’il enchainait les chantiers ou simplement le bouche-à-oreille qui se refaisait depuis son arrivée ? Tout était-il qu’il était presque entièrement booké jusqu’à la fin de l’été prochain et était parfois obligé de décliner des propositions.

C’était comme s’il n’était jamais parti, cela faisait plaisir et Ben ne crachait pas sur le travail au contraire, depuis qu’il avait revu Lizzie, il s’était plongé dans ce quotidien chargé, essayant le plus possible de ne pas avoir de temps mort pour ne pas avoir à réfléchir. Cela faisait plus d’un mois maintenant et il n’avait eu aucune nouvelle, il avait beau essayer de se persuader que c’était normal, il était quand même un peu déçu. Ça ne l’empêchait pas pour autant d’avoir envie de reconstruire autre chose, si la dernière discussion avec Liz lui avait permis quelque chose c’était bien ça : les malentendus avaient été levés, les vieilles blessures pansées, refermées, même si la cicatrice serait sans doute là pour longtemps, il était temps de passer à autre chose. Il allait même dîner avec une très belle femme célibataire, enfin, de ce qu’il savait. Bien sûr, il n’y allait pas pour ça, mais il avait quand même mis du parfum, taillé proprement sa barbe et mis un nouveau pull propre et non pas un de ses vieux habits qu’il mettait pour trainer dans la campagne, sortir le chien ou se promener sur les chantiers.

« Ça va, tu me fais pas trop honte pour une fois, t’es même plutôt pas mal pour un adulte » déclara Allison en le voyant sortir de la salle de bain non sans un sourire malicieux. Ben leva les yeux au ciel devant l’impertinence de sa nièce, s’en amusant intérieurement mais ne prenant pas la peine de lui répondre. « Et ta chambre jeune fille ? » demanda-t-il en changeant de conversation. « Parfaitement rangée, tu peux aller vérifier ! » s’exclama-t-elle. Alli n’était pas désordonnée, mais elle s’éparpillait vite et avait besoin d’un cadre. Il passa une tête, c’était rangé, bon, il n’allait pas vérifier les placards mais il imaginait que l’intérieur n’était pas aussi ordonné que l’extérieur. « On y va maintenant ? » demanda-t-elle en prenant son sac à dos qui contenait certainement des produits de beauté qu’elle avait acheté avec son oncle le week-end d’avant « toutes les filles à l’école se maquillent » avait-elle déclaré. Incapable de vérifier et malgré le fait que Ben lui avait dit à plusieurs reprises qu’elle n’avait pas besoin de ça pour être belle, l’oncle avait cédé pour l’achat de quelques produits. Sa liberté d’esprit, son caractère et même ses expressions lui faisait tellement penser à sa mère, la sœur de Ben, plus elle grandissait plus c’était flagrant. Ça ne devait pas être facile de grandir sans présence féminine et pour cela Ben était content qu'Alli et Jun s'entendent aussi bien et le courant semblait aussi bien passer entre Allison et Juliet, ce qui rassurait beaucoup Ben. Elle avait besoin de présence de femmes autour d'elle.

Ils arrivèrent tout pile à l’heure pour sonner chez Juliet et Jun, une bouteille de vin et des olives dans le sac, même si la mère de Jun lui avait dit de ne rien ramener, il ne se voyait pas venir les mains vides. « Bonsoir Jun, bonsoir Juliet, comment allez-vous ? » demanda Ben en entrant alors qu’Alli saluait également son amie et sa mère. « Merci pour votre invitation. Je sais que tu n’avais dit de rien prendre, mais j’ai quand même ramené un peu de vin et des olives, j’espère que vous aimez ça ? » demanda-t-il, le goût pour les olives pouvait être un peu clivant mais Alli et Ben aimaient beaucoup tous les deux. Rapidement, Alli disparut avec Jun pour laisser Bene seul avec Juliet. Il lui fit un grand sourire comme pour s'excuser de la vivacité des deux adolescentes. « Eh beh, je ne pense pas qu'on va les voir beaucoup ce soir. » ajouta-t-il en riant.

« Nous allons bien » affirme Ben dans un grand sourire. Alli opine de la tête avec le même sourire que son oncle. Les chiens ne font pas des chats, l’air de famille est clairement inscrit sur son visage même si Ben n'est pas le père d'Alli. Ben donne à Juliet ce qu’il a ramené pour elle, il n’y avait pas grand-chose mais c’était la moindre des choses. Sa mère et ses tantes lui avaient appris les bonnes manières. « T’inquiète, reste sur ce que tu as prévu. Tu peux garder cette bouteille pour un autre moment, c’est pas nécessairement pour boire ce soir. » assura-t-il. Cela pouvait être pour une autre occasion, avec oui sans lui. Il n’était pas inquiet, le vin ça se gardait bien. Jun emmène rapidement Alli en haut sous le sourire bienveillant de son oncle. « Disney+ ? Je me disais aussi qu’elle m’en parlait beaucoup ces derniers temps ! A la maison, nous n’avons que Netflix pour le moment, mais Alli essaie de me convaincre. » répondit-il en souriant. Lui n’avait pas vraiment le temps de regarder la télé en ce moment, mais Alli le faisait de temps en temps, surtout quand de nouvelles saisons des séries qu’elle suivait sortaient.

Ben suit Juliet dans la cuisine, la mère de Jun est habillée simplement d’un tee-shirt et d’un jean mais elle a toujours autant de classe et Ben y est sensible. Qui ne le serait pas ?  Il acquiesce lorsque Juliet lui propose d’ouvrir une bouteille de vin. « Avec plaisir, tu veux que je l’ouvre ? » demanda-t-il avec curiosité. Ben aimait beaucoup les bonnes bouteilles de vin, sans être spécialiste, il apprécie les bons crus. « Est-ce que tu as besoin de moi pour quelque chose ? » rajouta-t-il prêt à aider. C’est un homme célibataire, il n’a pas les deux pieds dans le même sabot. Il sait qu’inviter quelqu’un fait toujours beaucoup de travail pour la personne qui reçoit. Après le vin versé, il lève son verre. « A toi Juliet, en te remerciant encore pour ton invitation » dit-il d’une voix douce en trinquant. « C’est la première fois qu’on dîne seulement tous les deux non ? » demande-t-il en se rappelant du bon vieux temps. Jul était une connaissance depuis de longues années, qui pouvait être à Redwood depuis longtemps sans tomber sur un Howell ? Cette famille était une institution dans le coin. « Alors, comment tu vas pour de vrai ? Quoi de neuf en ce moment ? » ajoute-t-il en s’adossant contre le comptoir avec son verre de vin à la main.

Star Wars ? Ben sourit, il n’était même pas né quand la franchise était sortie, fin des années 70. Directement avec un épisode IV, comme ça. C’était quand même sacrément présomptueux de la part du cinéaste. Surtout que c’était le début des effets spéciaux. Bien sûr que Ben avait été fan à un moment. Mais il n’avait pas vraiment suivi les nouvelles sorties. « Haha, oui. C’est bien possible » répond-t-il en riant à la remarque de Juliet. Alli passait en effet souvent chez Jul, surtout parce qu’elle s’entendait bien avec Jun et aussi parce que Ben savait que le boulot lui prenait beaucoup de temps alors Alli en profitait pour demander à sortir. Il récupère la bouteille de vin et l’ouvre. « Disons que je sais reconnaître quelques arômes, je m’y intéresse mais je ne suis pas un grand spécialiste pour autant. » Il ouvre la bouteille de vin blanc sortant du frigo et sert deux verres. Il trinque à l’invitation de Juliet, cela la fait sourire et ce sourire lui plait, il ne peut pas dire l’inverse. Bien sûr qu’il n’est pas là pour la draguer, loin de lui cette idée, mais badiner un peu ne fait de mal à personne, juste être sociable et sympathique. Il regarde la robe du vin, le fait tourner un peu pour observer le vin glisser sur les parois, il en déduit qu’il est sucré, puis goûte avec Jul. Il sourit, son retour en « ville », c’est un grand mot pour qualifier Redwood. Elle lui explique qu’elle a enfin trouvé son rythme, Ben hoche la tête. Il voit ce que c’est, lui aussi a lancé son business, il sait ce que c’est de devoir se diversifier tout en ayant peur de tout perdre. C’est l’avantage et l’inconvénient d’avoir son entreprise. La charge mentale est énorme mais l’on peut aller où l’on veut, suivre ses projets, aller au bout des choses. Elle lui demande comment il va, lui. « Mieux, pour tout t’avouer, avec Alli, on sort d’une période compliquée dû au décès de sa mère, on commence aussi à trouver un rythme. Le boulot ça va bien, même très bien, j’essaie quand même de ménager un peu de temps pour moi, mais ce n’est pas toujours évident. » Il trouve la force d’être un peu honnête. Ce n’est pas facile pour Ben. Avoir retrouvé Lizzie, puis ne plus l’avoir revue du tout. Il a l’impression que tout ce qu’il touche peut partir en fumée. Que rien n’est vraiment stable. Que ce soit ici ou ailleurs. Il sait que c’est faux, bien sûr, que ce qu’il a vécu est exceptionnel, que tous ses proches ne sont pas voués à disparaître, mais l’intellectualiser est une chose. Le vivre en est une autre. Il boit une autre gorgée. « Ça ne doit pas être facile pour toi non plus. » A y penser, ils sont tous les deux dans une situation très proche. Parents célibataires d’une adolescente, gérant de leur propre entreprise. Il sourit, il essaie de détendre l’atmosphère conscient que ses histoires plombent souvent l’ambiance. « Raison de plus pour en profiter ce soir. La prochaine fois, ça sera à moi de t’inviter. » Il se rapproche d'un petit saladier de gâteaux apéros. « Je peux ? » demande-t-il avant de piocher une chips.

Ben sourit, c'est agréable et naturel de parler avec Juliet. Elle mentionne des "trucs de filles", ça étire son sourire. C'est bien. Je suis content qu'elle puisse avoir aussi quelqu'un comme Jun proche d'elle. Je m'occupe d'elle depuis qu'elle a 11 ans alors j'ai déjà dû gérer quelques trucs "de filles", mais elle arrive à un âge avec le maquillage, les histoires de cœur et où ça sort de ma compétence... Ben se souvenait de la première boite de serviettes hygiénique achetée pour sa nièce... Il avait pris un peu au hasard s'il devait avouer, même s'il avait une bonne idée du concept des règles, il avait demandé à son ami google ce qu'il était censé faire... Du coup, pour son premier soutien gorge quelques mois plus tard, il avait demandé à sa tante d'accompagner Allison. Ce n'était pas évident tous les jours, à l'époque la jeune fille avait en lui une confiance aveugle, c'était encore encore une enfant, aujourd'hui à bientôt 15 ans c'était une adolescente affirmée. L'adolescence, l'âge où tout change si vite.

Ils dérivent sur une possible invitation de Juliet à la maison. Il rit à la remarque de Juliet. J'avoue que je ne sais pas du tout si en Italie ils ne tolèrent que le tiramisu classique, mais t'as raison, il faudrait que je fasse attention à qui j'en parle ! répond-t-il sur le ton de l'amusement. Fort heureusement, il ne connaît pas d'Italien de souche à Redwood. Ils arrivent dans le salon. L'ambiance est chaleureuse. Il y a quelque chose de réconfortant chez Juliet, quelque chose de sain, un soupçon de normalité apaisante que Benedict découvre et apprécie. Il comprend pourquoi Alli passe autant de temps ici. Ce n'est pas que c'est mal chez lui mais parfois l'atmosphère doit être plus pesante, plus chargée de leurs émotions négatives à tous les deux.

Deux ans, dit-elle, ça passe vite. C'était le temps qu'avait duré sa relation avec Liz, pense-t-il. C'était passé vite aussi. Trop vite. Malheureusement, le temps n'allait jamais en arrière. L'entreprise va bien, confirme-t-il. À mon retour c'était un peu timide, alors j'ai fait pas mal de relances et là maintenant tout me tombe sur les bras. Juste avant de venir te voir, j'envoyais encore un mail pour une demande de devis. C'est génial de voir qu'au bout de trois ans les gens ne t'ont pas oublié... Comme tu dis le temps passe si vite parfois et les journées ne font que 24h. Il sourit, boit un peu de vin. J'ai l'avantage que dans la région, les gens ne changent pas beaucoup, surtout dans mon domaine d'activité. Je suis content d'être revenu à Redwood. Ça m'avait manqué ce job, cette vie... Il soupire mais garde le sourire, il est plus heureux ici qu'il ne l'était à Portsmouth, c'est certain.