Devant la maison, Castiel gardait le sourire. À croire que ses zygomatiques étaient figés pour l’éternité en ce sourire éclatant, même si ce sourire cachait son angoisse. Il n’avait aucune envie d’échouer. Il devait trouver la faille pour mettre Asael à terre. En attendant, il fallait qu’ils s’occupent de Venda.
Lorsque la porte s’ouvrit, le sourire de Castiel s’étira et fit briller ses yeux de satisfaction. Il ouvrit la bouche pour débiter son discours lorsque la porte se referma aussi vite. Il n’eut pas le temps de réaliser que cette vieille bique venait de lui claquer la porte au nez que celle-ci s’ouvrait et qu’elle réapparaissait, les laissant rentrer cette fois, car elle venait de le reconnaître. Alléluia, tout ce qu’il avait fait n’avait pas été vain.
Il ne put s’empêcher de remercier la femme pour son accueil et le temps qu’elle voulait bien leur accorder. Garensen se retrouva persona non grata, mais il s’en fichait. Il allait avoir le temps de faire une petite enquête de voisinage, bien utile s’il devait revenir ‘perquisitionner’ la bicoque.
Castiel regarda peu le décor. Il n’était pas là pour faire un article dans un magazine de décoration, quoique la maison de cette femme pût y figurer dans une rubrique spéciale. Les meubles encore emballés dans leur protection plastifiée le laissèrent dubitatif. Pendant que Peter regardait les photos et faisait quelques commentaires à voix basses, Leo lisait le journal. Castiel n’avait aucune envie de s’asseoir, mais rester debout n’était pas envisageable. À contre-cœur, il se mit sur un fauteuil. Il opinait du chef aux paroles du tatoueur tandis que son regard tombait sur un bouquet d’endives. Pour le coup, il se retint de rire. Il avait l’horrible impression d’être dans un mauvais film.
Lorsque Venda revint avec des biscuits et des verres d’eau, il ne put que la remercier encore une fois en priant pour ne pas avoir à en avaler un. Il préférerait et de loin, bouffer les endives.
Alors que la maîtresse de maison revenait en traînant les pieds, Castiel restait fasciné ou dérouté par la profusion d’objets se rapportant à la série préférée de Venda.
Il sourit au compliment de Leo sur le bouquet. Il est vrai que côté originalité, c’était plutôt gagné.
Il avait encore quelques atouts dans sa manche, mais il allait devoir jouer serré s’il voulait remporter la partie et repartir avec les lettres. Ou du moins, les lire. Trouver une info. Quelque chose qui les mette sur une piste que Garensen creuserait.
Pour sa part, Castiel préféra rester silencieux, ne sachant pas dans quelle direction lancer la conversation. Entrer dans le vif du sujet se semblait pas être une bonne idée d’après le dossier de Garensen. Cependant, cette femme était loin d’être la patience personnifiée.
Dans quelle galère ils s’étaient lancés.
Savoir qu’il y avait une photo de Venda avec Anahid sur l’un des meubles, laissait tout de même une once d’espoir en ce qui concernait leur démarche.

Leo hésite sur l'approche, lorsque Venda revient avec leurs boissons et les biscuits, se contente en premier lieu de commenter ses endives. C'est quand même atypique; l'assurance avec laquelle elle lui répond lui arrache cependant un sourire. Eh, au moins c'est assumé; et ça pousse sans doute le trio à s'activer pour amener le sujet de leur présence dans ce salon sur le tapis. Avant qu'il ne puisse répondre à Venda, Peter reprend la parole. Leo se dit qu'il doit avoir pensé à une approche subtile. Pour le moment, l'artiste mentionne leurs intentions, celle d'obtenir quelque chose de sa part, un échange de bons procédés en somme. Bon, c'est direct mais ça se fait. Qu'il songe en premier lieu. Pas le temps de respirer qu'il enchaîne rapidement en mentionnant un gala, un autre en présence de Chuck Norris. Improvisation totale, Leo qui avait plutôt repéré un même événement plus proche dans sa ville, s'imaginait qu'elle serait sans doute moins motivée à se déplacer jusqu'à Houston. Il n'en dit rien. C'est la suite de son discours qui lui fait sortir les yeux de ses orbites. WTF. Un regard en direction de Castiel, l'air de dire : Calme ton pote, qui fait une typique Peter, à savoir de foncer dans le mur sans avoir la moindre considération pour les sentiments des autres. Balancer Chuck Norris, le Vietnam, sa sœur, et son neveu… décédé qui ne l'est pas réellement dans le même contexte, c'est trop. Il la noie d'informations auxquelles n'importe quel humain ne saurait pas comment réagir. Pas étonné de la voir perdue, la pauvre dame. Même lui, qui pourtant de base n'avait aucune sympathie pour elle, ne peut que compatir. Il est fou.

Et puis il continue, le moulin à paroles qui ne s'arrête absolument jamais et qui n'insiste pas sur la situation familiale qu'il venait de décrire pour la distraire à coup de promesse de rencontre de Chuck Norris. Leo qui à ce stade se demande s'il se rendait compte ou non, hésite à lui balancer un des coussins décoratifs dans la tronche. Faites le taire. Essaie de trouver une ouverture pour prendre le relai, mais c'est impossible d'en placer une. Peter qui se met à les présenter : Castiel le pote de Chuck, Leo le fan du Texas – il retient in extremis une grimace. S'il s'est renseigné, il n'y a absolument aucune chance qu'il atterrisse sur un cheval. Après son énième monologue, Leo, un peu dépité, se demande s'il ne venait pas de griller toutes leurs cartes. Un regard désespéré vers Castiel, puis par dépit, se jette sur un des biscuits. On avale de travers. Infecte. L'homme qui se rabat sur l'eau tiède, toute aussi infecte. Envie de crever. La déglutition difficile; pas le seul qui a du mal à digérer. Venda qui résume les propos du musicien. Cringe. Manquerait plus qu'il la menace dans la foulée pour avoir le combo gagnant. Il s'en veut, de ne pas avoir tenté quelque chose, difficile de lui reprocher d'avoir essayé mais à ce stade-là, même Leo reste une seconde sans voix alors qu'il est temps de tenter une autre approche, sans l'agacer davantage. Hm. Veuillez excuser son manque de tact, il semblerait qu'il l'ait oublié dans l'avion. On vient de Redwood Hills, qu'il indique pour les resituer sur une carte. Pour être franc, on est inquiets pour votre sœur, et de ce que l'on sait, vous êtes sa seule famille survivante. Nous pensons qu'elle a été internée contre son gré, en étant dupée, vous savez, ces psychiatres qui vous font penser que vous êtes fou alors que non. Peut être que c'est une expérience qui lui parlera, maybe not. La dernière fois que je l'ai vue c'était en décembre 2023 et elle avait l'air d'avoir toute sa tête. Est-ce que... peut être, vous aurait-t-elle donné un signe depuis, une lettre, un appel ? Il sait qu'elle ne lit pas les lettres, mais peut-être qu'en mettant le sujet sur le tapis, ça lui donnera soit envie de les consulter, soit envie de les leur remettre.

Castiel s'efforçait de rester impassible face au monologue décousu de Peter. Chaque nouvelle phrase était plus incongrue que la précédente, et il peinait à suivre le fil de ses pensées. Chuck Norris ? Des fleurs ? Des chevaux ? Il serrait les dents, essayant de comprendre comment ce flot de paroles pouvait les rapprocher de leur objectif, plutôt que les en éloigner à toute allure. L'intervention de Peter n'était-elle pas censée être subtile et calculée ? Castiel sentait poindre l'inquiétude. Si leur interlocutrice n'éclatait pas de rire ou ne les jetait pas dehors, ce serait un miracle.
Qu'est-ce qu'il est en train de faire ? Castiel se répétait la question intérieurement, cherchant désespérément une cohérence dans ce qu'il entendait. Peter semblait vouloir tout dire d'un coup, en espérant que quelque chose finirait par convaincre leur hôte. Mais la façon dont il avait mentionné Anahid et son internement... C'était brutal... trop brutal...Castiel redoutait la réaction de la sœur d’Anahid, craignant qu’elle ne se ferme complètement à toute discussion. Il n’était pas encore temps de révéler autant d’informations.
Il sentait que le moindre faux pas pouvait ruiner toute la mission. Le silence qui s’installait après les mots de Peter semblait lourd, presque oppressant. Castiel se retint de croiser le regard de Leo, de peur que son propre désarroi ne s'y reflète. Il leur fallait une issue rapide, une manière de recentrer la conversation avant qu’elle ne prenne un tournant irréparable.
Castiel essayait de rester maître de ses émotions. Il avait appris, au fil du temps, à ne pas montrer ce qui se passait dans sa tête. Mais là, il était presque à bout. Comment allaient-ils pouvoir recoller les morceaux après ce désastre verbal ?Il songeait déjà à une manière de reformuler l’offre, d’apaiser la situation sans offenser leur interlocutrice, lorsque Leo prit la parole.

L'homme d'affaires poussa un soupir de soulagement intérieur. Après l'avalanche de mots lancée par Peter, entendre quelqu'un de plus concis et mesuré lui fit l'effet d'une bouffée d'air frais. Enfin, Leo semblait avoir compris que ce n'était pas en bombardant Venda d’informations qu’ils allaient obtenir ce qu’ils voulaient. La manière posée dont l’avocat recentra la discussion et aborda directement le sujet de leur préoccupation – la situation de la sœur d’Anahid – eut l'effet apaisant espéré. Castiel remarqua avec satisfaction que Venda commençait à s'intéresser à ce qu'ils disaient.
Il n'avait jamais douté de Leo, mais après le spectacle chaotique de Peter, Castiel s'était préparé à devoir intervenir. Cependant, l’avocat avait pris les choses en main avec tact, offrant une approche beaucoup plus sobre et pertinente. Bien joué, Leo, songea Castiel, en observant la réaction de Venda, qui semblait moins désorientée qu’auparavant. Cela les rapprochait enfin de l’objectif. Castiel se permit même un léger sourire intérieur en voyant que Leo restait professionnel et déterminé à rattraper la situation.
Tout en écoutant Leo dérouler son discours, Castiel se réjouissait de constater que l'attention de Venda ne s'était pas totalement détournée d'eux. Le fait qu'elle semblait désormais ouverte à écouter leur inquiétude au sujet de sa sœur lui redonna espoir. Leo avait habilement évité de trop insister sur les aspects émotionnellement chargés de la situation, tout en apportant une touche d’humanité.
L’avocat parvenait non seulement à parler avec diplomatie, mais aussi à ménager la susceptibilité de Venda, ce qui était crucial. Castiel ressentait maintenant un calme qu'il n'avait pas ressenti depuis leur arrivée. Il se disait que, même si tout n’était pas encore gagné, au moins, Leo avait évité la catastrophe et leur avait donné une chance de poursuivre la conversation sur de meilleures bases.
Castiel se surprit même à sourire légèrement en voyant Leo tenter de faire passer Peter pour un homme distrait par le vol. L'humour de Leo, bien que subtil, avait peut-être même réussi à détendre légèrement l’atmosphère. Castiel espérait maintenant que Venda serait plus réceptive à leur demande. Il sentait que Leo avait fait un pas décisif dans la bonne direction.

Castiel s’éclaircit légèrement la gorge avant de prendre la parole, veillant à garder un ton calme et respectueux. Il savait que chaque mot devait être pesé. Venda venait de leur accorder quelque chose de précieux : l'accès aux lettres d'Anahid. Il ne pouvait laisser passer ce moment sans exprimer sa gratitude de manière appropriée.
"Madame Fitzer," commença-t-il doucement, croisant son regard, "je tiens d’abord à vous remercier, au nom de nous tous, de nous avoir reçus aujourd’hui. Je sais que notre présence n’était pas prévue et que notre démarche peut sembler intrusive. Nous n’avons pas été les plus délicats dans notre approche, et pour cela, je m’excuse." Il marqua une pause, cherchant à établir une sincérité palpable, une connexion honnête. "Mais malgré tout cela, vous nous avez écoutés et c’est quelque chose que nous apprécions énormément."
Castiel se redressa légèrement sur son siège, faisant craquer par la même occasion le plastique sous lui, inclinant la tête en signe de reconnaissance. "Permettez-moi de vous remercier tout particulièrement pour votre décision de nous laisser accéder aux lettres d’Anahid." Il se retint de se perdre dans des détails inutiles, préférant rester simple et direct.
Il reprit une inspiration, baissant légèrement le regard avant de continuer. "Ces lettres, c’est peut-être notre seule façon de comprendre ce qui se passe réellement. Ce sont ses mots à elle, ses pensées, et je crois sincèrement qu’elles contiennent des réponses que nous n’avons pas encore. "
Il laissa quelques secondes s’écouler, s'assurant que ses paroles résonnent sans paraître forcées. "Encore une fois, merci. Vous nous aidez plus que vous ne le pensez. À ce sujet, accepteriez-vous de venir avec nous lui rendre visite ?"
Asael avait bien mentionné que seuls les membres de la famille pouvait lui rendre visite, et Venda était de la famille. Pas la meilleure partie, même si sous ses aspects bourrus, elle s’était montrée étonnement conciliante.