La question de Nate était vaine. Et pourtant, une jeune femme eut la même idée que lui et interrogea le policier. Qui devrait sans doute répéter une centaine de fois la même chose. Il n’évoqua pas la possibilité que certaines personnes aient pu s’ajouter. Mais ça ne le rassura pas. Pas du tout même. Il avait l’air d’en savoir aussi peu qu’eux. Pas étonnant, il ne savait même pas pourquoi il avait posé la question. S’ils savaient avec précision qui se trouvait dans ce restaurant, ils l’auraient dit. Mais Nate ne put y penser plus longuement puisqu’un coup de feu se fit entendre. Son esprit n’eut pas le temps de réfléchir qu’il lui imposa déjà différents scénarios, tous aussi effrayants les uns que les autres. Impliquant à chaque fois une personne différente, une conséquence différente, une mort différente. Il en fut brutalement arraché par son téléphone qui se mit à vibrer. Numéro inconnu. Alors qu’il s’éloignait un peu pour répondre, il entendit le policier et la jeune femme. Nicki ? Il avait lu son nom sur l’affiche. Une étudiante qu’il avait croisée plusieurs fois à l’université. C’était ça l’inconvénient de vivre dans une petite ville, on finissait par connaître plus ou moins tout le monde. Mais les personnes qu’il connaissait à peine ne le préoccupaient pas tellement en cet instant, même si c’était cruellement égoïste.

Dans le bruit ambiant et l’angoisse qui l’agitait, Il parvint tout juste à grappiller quelques mots de son appel. Les plus importants. Joyce était avec elle. Qui ? Aucune idée, mais ce n’était pas son souci actuel, tant qu’elle n’était pas avec Hesther. Son interlocutrice voulait prendre des nouvelles. Nate ne fit que dire des évidences. Il fallait attendre. Juste, attendre. Il la remercia avant de raccrocher pour qu’elle passe d’autres coups de fil. Comme si elle avait besoin de se justifier. Ce n’était pas ses affaires, il avait eu les informations qu’il voulait, alors le reste… Elle pouvait bien faire ce qu’elle voulait tant que Joyce restait en sécurité. Et maintenant qu’il savait que c’était le cas, son angoisse se transféra à ceux qui étaient à l’intérieur. Son frère. La mère de sa fille. Sa… Casey. Putain, il pouvait presque tout perdre en quelques secondes. Il ferma un instant les yeux pour inspirer et expirer calmement. Si c’était possible. Il resta quelques secondes, les yeux dans le vide, à essayer de chasser toutes ces images qui l’étouffaient, avant de retourner vers le policier qu’il avait quitté pour à peine une minute. « Merci » Il ne réussit à lâcher que ça. Sans vraiment répondre à sa question. Mais franchement, qu’est-ce qu’il pouvait bien lui dire ? Que ça allait ? Mensonge. Que ça n’allait pas ? Il ne pouvait rien y faire. Alors autant le laisser tranquille pour gérer cette jeune femme qui s’inquiétait pour Nicki, et les autres qui viendraient. Il s’éloigna à nouveau et chercha Grace du regard pour la rejoindre et la soutenir. Ou pour ne pas être seul.

@isiah vaughn @grace fordham

Grace cherchait encore à obtenir des informations supplémentaires sur ce qui se déroulait à l’intérieur, quand un coup de feu retentit, la coupant dans son élan. Tout le monde se figea, elle la première, tandis qu’elle cherchait du regard un visage ami, une silhouette à qui se raccrocher. Mais personne ne semblait comprendre ce qui se passait et Grace paniquait de plus en plus, jusqu’à apercevoir Nate un peu plus loin. Aussitôt, elle se précipita vers lui ; elle avait complètement oublié leur précédente conversation, oublié les tensions qui se dressaient entre eux, elles n’existaient plus vu tout ce qui venait de se produire. « Nate ! » hurla-t-elle en lui attrapant le bras. « Tu... Tu as entendu ? » ses yeux brillaient de larmes, son cœur menaçait toujours de lâcher sous le poids de la panique. Elle n’avait jamais connu une telle angoisse et toutes celles qu’elle avait pu connaître autrefois n’étaient rien en comparaison de celle-ci. « Pourquoi... Pourquoi quelqu’un aurait-il tiré ? Tu crois que quelqu’un est touché ? » s’inquiéta-t-elle, en pensant forcément à son enfant, mais aussi à Casey, et tous ceux qui étaient à l’intérieur, dont personne n’avait de nouvelles. Elle ne pouvait pas lâcher Nate, et sans doute devait-elle lui faire un peu mal à force de serrer son bras d’une telle manière, mais elle ne pouvait pas réfléchir. « J’ai vu... J’ai vu Hesther sur la liste aussi. Et ton frère » sans doute le savait-il aussi, c’était pour cette raison qu’il se trouvait dans le périmètre. Grace se rappelait bien qu’Hesther était la mère de sa fille, donc elle comptait aussi pour lui, sans doute énormément. Quelques instants plus tard, toutes ses pensées étaient retournées vers son fils, tandis qu’elle priait intérieurement pour qu’il ne lui soit rien arrivé. Elle croyait en Dieu, elle devait se remettre à lui, il le fallait.

Le Danois n'avait clairement pas imaginé qu'un moment aussi anodin qu'un marché de ce genre, puisse être le théâtre une fois de plus de la folie. Bien sûr ils n'étaient pas aux premières loges, mais le manque d'informations et l'impuissance ne fit qu'accroitre ce sentiment qui était né chez lui, il y a plusieurs mois de cela. Un sentiment d'insécurité vis à vis de la ville. Et ce dernier ne faisait que grandir de jours en jours. Ce n'était pas normal de se sentir ainsi. Non, ce n'était pas normal du tout. Lorsque la liste des personnes se trouvant à l'intérieur du restaurant parue et après vérification auprès de Mila, ils s'avancèrent – auprès du van bleu - comme pratiquement toutes les personnes ayant une personne chère à l'intérieur. Un nombre considérable de personnes se trouvait devant les policiers. Alarik serra la main d'Ellie. Au milieu du groupe de personnes, il repéra Sky. « Sky... », dit-il en s'approchant d'elle. Lorsqu'il parvint à sa hauteur, il remarqua qu'elle avait dû pleurer. Instinctivement, après avoir remercié un policier - auprès duquel elle se tenait - d'un signe de la main, il la pris dans ses bras. « Est-ce que tu en sais plus... est-ce que Nicki est vraiment à l'intérieur ? Si oui... Ça va aller... Tout va bien s'passer. La police va faire sortir tout le monde en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire », essaya-t-il de la rassurer, mais surtout de se rassurer lui-même, surtout après avoir entendu les coups de feu.  

@A. Skylal Oxburry

Dés qu'elle fut dehors avec Eli dans ses bras, et malgré le poids de l'enfant, elle se mit à marcher aussi vite qu'elle le pouvait pour rejoindre les forces de l'ordre. Ils vinrent d'ailleurs rapidement la rejoindre et Elijah fut alors porté par un policier. "Allez tiens le coup Eli, j'vais trouver ta maman. Le gentil policier s'occupe de toi." Se tournant, elle veut passer un barrage mais on l'en empêche. Ils ne veulent pas qu'elle aille dans la foule, compréhensible, la presse allait sûrement lui sauter dessus. "Vous, vous allez chercher Grace Fordham, jolie femme blonde, sûrement avec sa fille. L'ambulance part pas sans elle alors bougez-vous !" Le ton autoritaire de la petite blonde sembla faire effet parce que deux policiers partirent vers l'endroit où les familles étaient. Elle retourna vers Eli et passa doucement sa main sur son front. "Tiens le coup, chaton, ta maman arrive." La culpabilité la bouffait lentement mais elle restait forte, pour Eli, pour Grace, pour cette famille qui était devenue un peu la sienne au fil des mois et des années.

@elijah fordham

Grace fut celle qui le trouva et l’arracha brutalement de sa torpeur. Il sentit la pression de sa main sur son bras et la puissance de sa détresse en croisant son regard. Il acquiesça à son interrogation angoissée, incapable de dire plus. Il aurait aimé la rassurer, mais il n’y avait rien à dire. Rien qui pouvait l’aider à supporter cette attente. Alors il restait auprès d’elle, espérant lui apporter une présence réconfortante, à défaut de mieux. « Je sais pas Grace, je sais pas... » Ça ne la rassurait sans doute pas, mais que pouvait-il dire de plus ? Il n’avait aucune idée de ce qu’il se passait à l’intérieur. Il ne pouvait qu’espérer, comme tous, que ce coup de feu n’avait fait aucun blessé, aucune victime. Grace continua à s’accrocher à lui, fortement, mais Nate n’y faisait même pas attention. Encore moins lorsqu’elle évoqua ceux pour qui il s’inquiétait. Son frère qu’il avait enfin retrouvé. Il se promettait de faire des efforts, plus d’efforts. Table rase du passé, des rancoeurs, des gamineries. Et puis, il avait beau ne plus rien ressentir pour Hesther, il ne pouvait empêcher cette angoisse de le submerger pour elle aussi. Et même de le ramener des années auparavant, quand elle avait vécu une situation semblable. Une journée qui avait d’ailleurs changé leurs vies. C’était tellement stupide la façon qu’ils avaient de se rendre la vie difficile… Mais Grace oubliait aussi Casey, pas lui. C’était toujours quand on imaginait la perte de quelqu’un qu’on se rendait compte à quel point cette personne comptait. Nate ne savait même pas ce que ça voulait dire, à part qu’il ne voulait pas la perdre aujourd’hui.

C’est alors que deux personnes sortirent du restaurant. Il sentit son coeur faire un bon dans sa poitrine et saisit la main de Grace sur son bras en reconnaissant les deux silhouettes et la voix qui se perdait presque dans la panique générale. Elijah et Casey. Et du sang. Il se précipita, entraînant Grace avec lui. Tant pis s’il n’avait pas à le faire, c’était bien le dernier de ses problèmes. Il parvint rapidement au niveau de Casey, la serra contre lui sans lui laisser le temps de comprendre ce qui lui arrivait, observant par la même occasion Grace retrouver son fils, ce qui ne faisait qu’amplifier l’horreur de la situation. Il resta ainsi des secondes qui lui parurent des minutes et se détacha enfin d’elle, pour constater que le sang n’était peut-être pas que celui d’Elijah. « Casey, t’es blessée… ? » Le regard perdu entre angoisse et incompréhension, Nate essayait de comprendre ce qu’il voyait avec ce t-shirt abîmé et imbibé de sang.

@Grace Fordham @Casey Connors

Grace voyait les journalistes affluer de toute part, mais elle n’eut pas le temps d’aller les houspiller en leur demandant de respecter les proches dans l’attente insupportable de savoir comment allaient ceux coincés à l’intérieur. Au même moment, elle vit un mouvement près du restaurant et tourna la tête, attirée par l’agitation. Nate, à qui elle s’était désespérément raccrochée pour trouver du courage, comprit en même temps qu’elle et l’entraîna vers le tumulte et Grace marqua un temps d’arrêt, commençant par apercevoir la chevelure blonde d’une silhouette familière. « Casey ! » elle était recouverte de sang et Grace crut défaillir en se demandant si son amie était blessée, avant de réaliser l’intolérable. Dans la tourmente, elle ne s’était pas rendue compte tout de suite qu’elle tenait contre elle Elijah, elle entendit les mots il est blessé et elle se figea, le souffle coupé, alors que son cœur se brisait en comprenant tout à coup la cruelle vérité. « Eli... ? » murmura-t-elle d’une toute petite voix. Sa vie, l’espace d’un instant, venait de s’arrêter. Son fils ensanglanté, pâle et tremblotant, une vision que plus jamais elle ne pourrait effacer de son esprit, une vision cauchemardesque qu’elle avait toujours pensé pouvoir éviter. « ELI » hurla-t-elle enfin, comme revenue à la raison, en ne cessant de répéter son nom. Casey avait confié le petit garçon à un policier et Grace se précipita vers lui. On essaya de l’en empêcher, de la tenir à l’écart, mais bien sûr, elle se défendit bec et ongle en continuant de hurler « Laissez-moi passer ! C’est mon fils ! ELI ! » elle était trop abasourdie pour ressentir une quelconque émotion, emportée dans le feu de l’action, elle ne réalisait pas réellement ce qui arrivait. Elle aurait voulu serrer son enfant dans ses bras, mais on ne lui en donna pas le temps, les secours s’activaient autour d’eux, il fallait charger le garçon dans l’ambulance. Mais Grace ne lui lâcherait pas la main, non. Elle aurait voulu adresser un geste, dire un mot à Casey, mais toute son attention était dirigée vers son fils et elle savait que Nate prendrait le relais. « Elijah, mon chéri, tu... tu m’entends ? » geignit-elle en sentant une vague d’un chagrin incommensurable la submerger.    

Lorsque la journaliste arriva, Teddy eut tout de suite le réflex de glisser Melody derrière elle. La fleuriste avait toujours détesté voir les enfants apeurés aux nouvelles. Non seulement elle ressentait son coeur débattre en voyant leurs petits visages traumatisés, mais elle pensait aussi à l'après. Aux enfants qui retourneraient à l'école se faire agacer d'avoir aparu, larmes à l'oeil, a la télévision nationale. Elle fit donc bouclier de son corps contre les micros et les caméras.

« Madame ! C’est votre fille ? Savez-vous ce qui se passe ici ? Auriez-vous pu imaginer une prise d’otages ici, à Redwood Hills ? »

Elle n'entends presque rien, essaie de comprendre comment quelqu'un peut garder la tête assez froide, dans un tel moment, pour éllaborer des questions. Derrière la journaliste aux mèches trop évidentes et au maquillage gommant, ses proches et ses amis forment un brouhaha de cris, de peur et de sang.

« Oui, madame, en fait, je m'y attendais. Tous les jours je vais me coucher en pensant que je devrais peut-être allerter les autorités de mon attente imminente d'une prise d'otage. Eh bien non, évidemment, qu'on ne s'y attendait pas. Est-ce qu'on a l'air d'être dans le coup? Et qu'est-ce que ça change si c'est ma fille ou non, d'ailleurs? C'est un enfant qui a peur et j'en prends soin, bordel. »

Théodora sait très bien qu'elle s'emporte. Mais les émotions sont trop fortes. Tout le monde a le droit de craquer.