Son esprit lui semblait s'être brusquement arraché au reste de son corps, pour observer la scène du dessus. Elle n'avait pas bougé d'un pouce, pas même lorsque Logan Allen s'était tournée vers elle – vers eux – pour leur offrir de la suivre et de quitter l'estrade. Le reste lui parut s'enchaîner très vite. Quelques coups sourds frappés contre la porte. Des bruits de lutte. Ces vibrations en provenance de sa poche. Et la voix d'Archibald, venue l'arracher à sa torpeur. Le temps de rassembler ses affaires, son regard clair vint balayer l'écran de son smartphone. « Non... » bafouilla-t-elle, en réaction à sa question. Son cœur tambourinait furieusement dans sa poitrine et sa vue lui semblait se brouiller tandis qu'elle s'efforçait de déchiffrer le SMS. Archibald insistait, pourtant, et cet interrogatoire en bonne et due forme venait alimenter le sentiment de confusion et de culpabilité qui lui broyait l'estomac. « Non ! » s'exclama-t-elle encore, avec une telle force, cette fois-ci, que les mots lui semblèrent provenir d'une autre bouche que la sienne. Elle n'eut pas le temps d'en éprouver du remord, car un coup de feu se fit entendre, presque aussitôt suivi de cris. Dans un violent sursaut, Faith consentit finalement à saisir cette main salutaire pour sauter au bas de l'estrade. Là, ses yeux se posèrent un instant sur Logan Allen et sur cet homme qui se tenait à côté d'elle. Leurs regards se croisèrent brièvement, avant qu'elle ne détourne brusquement la tête. « Il ne faut pas rester ici. » souffla-t-elle mollement, l'air hagard, sans qu'il soit aisé de dire à qui cette remarque était réellement adressée. « Les issues de secours. » suggérait une voix grave et familière, quelque part dans son dos. Il avait toujours été là, penchée au-dessus de sa vie, comme une tour de garde dont elle n'avait jamais trouvé la porte. Le temps d'esquisser un geste pour le retenir, son père avait disparu pour héler un policier en uniforme et lui indiquer la double-porte battante qui finit par céder, elle aussi. Comme elle s'y laissait entraînée, leur point de vue changea pour laisser apparaître le corps ensanglanté d'un homme. De quoi lui arracher un haut-le-corps. « Tu as vu quelque chose ? » articula-t-elle, d'une voix blanche, tandis que sa main se resserrait encore un peu autour du bras de son ami. « Ils n'étaient pas... » Elle secoua la tête, en même temps qu'elle cherchait son souffle. Non, elle n'avait pas vu d'arme. Son téléphone était toujours fermement serré dans son autre main quand il vibra de nouveau. Elle ne prit pas l'appel.

@Archibald Stanhope @Jack Kelley

D’un côté, la présence de Liam près d’elle la rassurait, d’un autre, elle aurait aimé être ailleurs, et que lui aussi soit ailleurs, ainsi que ses parents. La seule qui était en sécurité, c’était Serena. Serena qui avait eu la bonne idée de préférer rester chez elle, plutôt que de venir soutenir son père. Même à cet instant, June aurait pu trouver une raison d’en vouloir à sa demi-sœur. Mais le moment n’était pas à cela. June écoutait plus ou moins les paroles échangées dans la salle, elle essayait surtout de réfléchir, de se demander ce qu’elle pouvait faire maintenant. Et puis, un grand bruit, derrière elle, attira son attention. Les forces de l’ordre entraient dans la salle, la confusion régnait. Et puis un coup de feu. Le réflexe de la brune fut de se baisser en protégeant sa tête, tandis qu’un petit cri sortit de sa bouche. La peur l’envahissait. Elle ne pouvait plus réfléchir, ni penser. Que se passait-il donc ? C’était un cauchemar. Elle n’osait même plus bouger. Elle sortit de sa torpeur quand Liam la questionna. Elle ne remarqua même pas qu’il avait eu un geste de protection envers elle. Elle ne remarquait plus rien. Elle acquiesça d’un mouvement de tête, incapable de prononcer un mot. Elle sentit Liam lui prendre la main, elle se laissa faire, se laissant complètement guider par son beau-frère qui semblait garder la tête froide. Il proposait de sortir d’ici, de retrouver ses parents. Ses parents… La peur, l’angoisse, s’empara d’elle. Elle serra un peu plus la main de Liam tandis qu’elle tourna la tête vers l’estrade, mais elle ne vit pas son père. Il avait du descendre comme la plupart des candidats. Il fallait qu’elle se rassure, son père n’allait pas jouer les héros, il allait tout faire pour sortir sain et sauf de cette salle, et pour sortir sa femme de là. June reporta son attention sur Liam. Il était désormais son guide et s’en remettait totalement à lui.

@Liam Swire

Jamais une assemblée municipale ne m'avait semblé aussi hostile, peut-être parce que je ne m'étais jamais sérieusement imaginé qu'un tel meeting pouvait prendre ce genre de proportions. Nous n'étions après tout pas à Washington, il ne s'agissait pas de discours pouvant changer la nation toute entière, mais je me rendais rapidement compte que la sécurité n'était pas non plus au même point que pouvait l'être celle des grands rassemblements politiques auxquels j'étais habitué depuis toutes ces années où mon père, le Sénateur Hargreaves, faisait carrière en politique. La tension montait dans la salle, jusqu'à ne plus pouvoir distinguer candidats et simples citoyens. Bien sûr, les aspirants aux titre du maire se trouvaient toujours sur l'estrade, mais d'autres voix en venaient à s'élever et un vent de confusion, en plus de celui de peur, balayait la salle. Je n'avais osé bougé qu'au moment où la police arrivait enfin, ayant pour idée de retrouver Sebastian quelque part, n'importe où, sauf que la voie n'était pas libre. Les gens allaient à contresens, se bousculaient presque pour retrouver leurs proches et la sortie dans le chaos naissant. Jusqu'à ce qu'un coup de feu et des cris vienne fendre l'agitation d'un moment de flottement... Un moment seulement, car les mouvements s'intensifiaient et je me retrouvais rapidement contraint de quitter la salle sous l'initiative de certains policiers qui tentaient d'évacuer le périmètre. En passant près de l'entrée, je l'apercevais : un homme, du sang, une femme penchée sur lui pour prendre ses signes vitaux. Mon sang se glaçait et je me retrouvais sur la rue, en pleine confusion. À l'extérieur, mon regard se perdait sur les affiches, les nouvelles affiches depuis qu'elles avaient été remplacées parce que les premières avaient été taguées, et je vacillais presque, jusqu'à ce qu'un agent m'interpelle d'une voix ferme pour me demander de ne pas m'approcher de l'édifice. « Oui, non... » Il fallait que je retrouve ... Sebastian ! Sa silhouette apparaissait enfin parmi ceux qui sortaient de la mairie. « Seb ! » L'interpelais-je en reprenant presque vie. « Cameron était déjà sortie, elle est... » À la voiture ? Aucune idée, en fait. Sebastian était en un morceau. Je me jetais presque sur lui pour le prendre dans mes bras. « T'es vraiment un crétin. » Pour s'être présenté à la mairie, pour avoir cru que c'était une bonne idée, que ce serait facile, parce que j'avais eu peur de ce qui pouvait lui arriver et parce que je ne pouvais plus le lâcher.

Il y avait bien quelque chose dans sa voix, quelque chose qui aurait nécessairement retenu mon attention si cela n'avait été des circonstances particulières, teintées de l'urgence de réagir plutôt que d'analyser les humeurs. Les hommes qui étaient montés sur l'estrade étaient déjà disparus, il ne servait plus à rien d'espérer les identifier parmi la foule qui s'agitait, le coup de feu avait par ailleurs coupé court à la moindre volonté en ce sens. Une fois l'assurance acquise qu'elle était à mes côtés, je cherchais du regard une issue et un homme que je devinais être son père nous suggérait une sortie de secours à proximité. La porte venait tout juste de céder à quelques personnes avec l'aide d'un policier. « Viens. » Nous étions tous les deux chancelants, je ne m'accrochais qu'à ce besoin devenu viscéral de quitter la salle et ne m'étais pas accordé le luxe de laisser mon regard s'attarder sur le corps inerte à quelques pas de là. Elle n'avait pas besoin de compléter sa question. « Je ne crois pas. » Je n'avais pas vu d'armes, rien, il n'en avait pas fallu pour instaurer ce vent de panique dans la salle. « Je ne sais pas si c'est eux ou... » La police. Qui avait tiré ? Une fois à l'extérieur, je cherchais son regard, peinant malgré tout à faire preuve de véritable concentration. C'était comme si tout était devenu surréel, un mauvais rêve. « Faith, je préfèrerais te ramener chez toi. » Nous étions tous les deux sous le choc, nous l'étions tous, seulement je ne voulais pas la laisser seule dans cet état. Je m'attendais malgré tout à devoir négocier, même si je ne m'arrêterais pas à un refus dans tous les cas. Il y avait de l'agitation autour de nous, des allées et venues incessantes et... Un homme l'interpellait. Faith, j'avais bien discerné le prénom, me montrant malgré tout méfiant par réflexe devant l'inconnu qui s'était approché de nous. Un regard vers la jeune femme me convainquait toutefois qu'elle le connaissait bien et que ma présence n'était peut-être plus requise. « Je reste à côté. » Annonçais-je en désignant ma voiture. « Fais-moi signe s'il y a quoi que ce soit. » Idéalement, si elle décidait de quitter les lieux par d'autres moyens aussi. Je n'insistais pas davantage et la laissais avec l'homme, cherchant à tâtons dans mes poches mes clefs pour me laisser choir sur le siège conducteur et récupérer mon portable.

Toute forme de prudence, ne serait-ce que la plus infime, aurait dû lui dicter de se tenir à l'écart, le plus loin possible de la mairie. Pourtant, en apprenant ce qui était en train de s'y passer, Rafael n'avait pu se résoudre à autre chose que foncer sur son portable, signalant à plus d'une reprise le numéro de sa compagne. Sans réponse, il lui avait aussi envoyé un message et n'avait pas attendu plus longtemps pour se déplacer jusque-là. Le Sullivan avait toujours détesté les foules, spécialement celles où il était difficile de se fondre, mais il n'en était pas moins alerte. Il parvenait à capter quelques bribes de conversation agitée tout en sondant les différents visages qui sortaient de la salle, tandis que d'autres, des membres des forces de l'ordre surtout, s'y engouffraient. Puis, soudain, il l'apercevait. Faith était là, en la compagnie d'un homme qu'il reconnaissait sans mal. Archibald Stanhope, le patron du café. L'homme travaillait avec elle et ce n'était pas la première fois qu'il entendait parler de lui, sa présence n'empêchait en tout cas en rien le hacker de bondir jusqu'à l'ex-journaliste. « Faith... » Sa voix était ferme et claire, non sans rappeler d'autres voix peut-être, sauf qu'elle vibrait d'une étrange impulsivité qui ne lui était pas habituelle. Stanhope ne s'attardait pas, tant mieux. « Merci. » Soufflait-il tout de même à l'attention du jeune homme avant qu'il ne les ait quittés. « Est-ce que ça va ? » Qu'est-ce qui s'est passé... Cette question l'obsédait désormais, mais moins que celle qu'il venait de lui poser en la scrutant du regard à la recherche du moindre indice qui lui serait plus évocateur que les mots. « Je ne me le serais pas pardonné si... » Ce n'était pas l'endroit pour parler. Ce n'était même pas l'endroit pour se trouver, tous les deux, au vu des circonstances trop récentes. Un policier le bousculait légèrement en fonçant vers la salle, mais le jeune homme ne bronchait pas. « Ton père. » Ce dernier venait tout juste de sortir de la salle et les regards s'étaient croisés. Il n'y avait pas exactement de l'animosité entre les deux hommes, mais parler de chaleur aurait été trop risqué. Ils étaient en ce moment même de ceux qui se souciaient le plus, et le plus intimement, de la sécurité de la candidate.

Lexie allait bien, ce qui soulageait un peu Tehaunui. Il pensait toujours à son amie, qui était peut-être quelque part dans la foule. Il tendit le cou pour essayer de voir qui avait été touché et ce qu’il en était de la situation, mais la foule était dense et plusieurs personnes semblaient se presser vers le blessé, ou le mort… Lexie ne le lâchait pas et l’entraina un peu à l’écart, histoire de se protéger du mouvement de foule. Les gens se pressaient désormais vers la sortie et on ne pouvait pas les blâmer pour cela. Tehaunui aussi aurait aimé se précipiter vers l’extérieur, retrouver l’air frais de la soirée et l’espace pour bouger à son aise. L’hawaïen n’aimait pas vraiment les bains de foule mais il n’avait pas le temps de vraiment y penser. « Pas moyen de voir qui a été touché, y’a trop de monde. » répondit-il à son amie tandis qu’Elias les rejoignait, par on-ne-sait quel moyen. Tehaunui se tourna vers lui en secouant la tête par la négative. Non, on ne sait pas qui, on ne sait pas comment et non, pas moyen de s’échapper par la fenêtre. « On devrait tenter de sortir, nan ? » Il regardait surtout Lexie, savoir ce qu’elle en pensait et ce qu’elle voulait. Il voulait avant tout la mettre à l’abri, elle, comme si il devait jouer les protecteurs envers elle. De toute façon, ils n’allaient pas rester là indéfiniment. « Certains ont l’air d’avoir réussi. » Il avait vu des silhouettes passer la porte et la foule lui semblait moins dense, d’un coup.

@Lexie Donovan

Il leur fallut jouer des coudes pour espérer se frayer un chemin jusque sur le parking. La toute première bouffée d'air frais lui parut salvatrice. « Non, ça va... » lâcha-t-elle, dans un souffle, tandis qu'elle s'efforçait de remettre un peu d'ordre dans le maëlstrom de pensées qui se bousculaient sous son crâne. « Je vais marcher. » Elle s'attendait à devoir négocier lorsqu'une voix – dont le timbre était familier mais les nuances inhabituelles – s'éleva brusquement, quelque part dans son dos. En réaction à cet appel, Faith sentit le moindre de ses muscles se tendre comme un arc. Rafael. Les traits de son visage auraient dû s'adoucir en réaction à son arrivée, quoique tardive. Elle n'en demeurait pas moins sur ses gardes, comme le serait un animal à l'affût d'une menace dont elle ne savait plus si elle était dedans ou dehors – passée ou à venir. C'était stupide. Elle le sut à l'instant même où sa voix grave et chaude prononça son prénom – encore. Merci, voulut-elle souffler à son tour, à l'attention d'Archibald, qui avait jugé bon de s'éclipser. Mais aucun son ne parvint à sortir de sa gorge. L'instant d'après, elle reportait son attention sur son compagnon. En d'autres circonstances, elle se serait probablement laissée couler dans ses bras. Quelque chose l'en empêchait. « Quelqu'un est... » Mort. Et s'il était bien hasardeux de relier les événements entre eux – son retard, et la tournure tragique de ce meeting – elle ne pouvait vraiment s'en prémunir. Cet effarement matiné de distance sembla attirer l'attention d'un autre. Son père. A peine annoncé qu'il se manifestait déjà, d'une main posée sur son épaule. « Viens. Je te ramène chez toi. » Quand son regard préoccupé était toujours posé sur Rafael. « C'est un peu tard, tu ne crois pas ? » objecta-t-elle alors, dans un petit rire sans joie. « Pour jouer les bons pères de famille. » Leurs deux regards se croisèrent brièvement – comme on croise le fer. « J'ai fait de mon mieux. » Il n'en fallait pas plus pour que Faith sente son sang battre contre ses tempes. « Et elle est morte. » Le mot lui parut claquer furieusement sur sa langue. « Il faut croire que ton mieux n'était pas suffisant. » Elle avait tourné les talons, bien avant que d'avoir eu le temps de regretter ses mots qui semblaient s'être imprimés durement sur les traits de cet homme qui ne lui avait jamais paru si vieux ni éprouvé. Elle était déjà trop loin pour l'entendre, lorsqu'il saisit le bras de Rafael pour lui glisser : « Elle ne peut pas rester ici. » Ici, sur ce parking. Ici, à Redwood Hills. La précision qui s'en suivit ne laissait planer aucun doute. « Vous auriez tort de les sous-estimer. » Quelques mètres plus loin, Faith s'était figée près de la voiture du hacker. Signe, s'il en fallait, qu'il était grand temps de quitter les lieux.

@Rafael Sullivan