Mars ain't the kind of place to raise your kids
- Leah & Tom -

Ça avait presque été un ordre de mon mari : sors te changer les idées, Thomas. Parce que Sacha me connaissait un peu trop et savait mieux que quiconque que ces journées de travail à distance ne me faisaient pas le plus grand bien ces dernières semaines. À l'approche du plus grand jour de notre existence, mon esprit était partout, sauf là où il devait être. Alors j'avais repensé à cette invitation lancée par la cousine, que j'avais repoussée trop de fois déjà. Un café, mieux, une sortie déjeuner au Snow Rose café me permettrait de faire la coupure et d'échanger quelques nouvelles. Après tout, avoir Leah tout près était un plaisir dont je n'avais pas suffisamment profité depuis qu'elle ne vivait plus dans ses bagages. Il m'arrivait d'en culpabiliser: après tout, j'étais devenu celui qui avait toujours mille et un projets, professionnels autant que personnels, et qui ne pouvait plus se libérer aussi aisément qu'avant. Ce qui était remis à « bientôt » se retrouvait bien trop rapidement des mois plus tard ! Signe que la vie évoluait parfois plus vite qu'on ne le réalisait. Ou que j'avais tout simplement une mauvaise gestion de mon temps. Quelques-uns de mes collègues se seraient assurément rangés à cette seconde option, puisqu'il m'était arrivé à une ou deux reprises (trois ou quatre) de m'emmêler les pinceaux sur les deadlines des campagnes en cours ces derniers temps. Rien de dramatique, heureusement, mais de quoi me faire regretter de ne pas avoir pris mon congé parental quelque temps avant l'arrivée du bébé tout compte fait. L'envie de profiter de chaque seconde avec notre fils avait dicté ce choix qui, au moment de le faire, avait semblé être le plus sensé.
Je profitais néanmoins de quelques précieuses minutes de concentration pour terminer un croquis dont j'étais satisfait, juste avant de ne la voir entrer dans le café. J’accueillais Leah d'un grand sourire et d'un signe de la main, puis d'une accolade chaleureuse alors qu'elle me rejoignait à ma table. « Comment tu vas ? Trop content que tu aies pu te libérer à la dernière minute, comme ça ! » Leah ne laissait pas sa place lorsqu'il était question de zèle, surtout parce qu'elle aimait ce qu'elle faisait. « T'as faim ? Je t'ai attendu avant de commander à manger, j'ai simplement pris un thé... Ok, deux thés. » Nous serions tous d'accord qu'il valait mieux du thé que du café, vu l'agitation constante qui me guettait ces derniers temps. « T'as vu ? Ils en ont des nouveaux. » Des sous-verres, cette grande passion. Ça avait tendance à en faire rire plus d'un, mais j'avais réellement une grande collection de ceux-ci, dont Leah avait été la principale contributrice en m'en ramenant des quatre coins du mondes au fil de ses voyages. « J'ai presque envie d'en piquer un, mais... » Je me penchais vers la jeune femme pour chuchoter à voix basse ... « ... C'est tout de même un peu plus subtil quand on a un sac à main... » Le sac à bandoulière que je trainais avec moi n'avait que l'espace pour y ranger ma tablette graphique, ça n'était pas trop ça... Bref, une vibration plus tard et je me ruais presque sur l'écran de mon smartphone pour m'assurer qu'il n'y avait rien d'urgent. Il ne s'agissait que d'un collègue de l'agence qui m'envoyait une info sur la campagne, rien de bien important. Je redéposais mon téléphone sur la table pour me concentrer sur ma chère cousine et la carte des délicieux sandwichs, juste au dessus du comptoir.

@Leah Hargreaves

Mars ain't the kind of place to raise your kids
crédit/ wickedgifs ✶   @Tom Hargreaves  

A son retour à Redwood quatre ans auparavant, Leah avait souffert d'une forme de dépression après ce qu'elle avait traversé. Au début, elle s'était renfermée, puis elle s'était réfugiée dans son travail . Elle avait cherché à fuir les gens, à demeurer seule, en se retirant plusieurs jours, que ce soit en forêt dans la région ou autour du lac Champlain. Elle avait eu besoin d'expier son sentiment de culpabilité, de traverser la douleur de la perte et d'évacuer toutes les émotions négatives qui polluaient son corps et son esprit. La nature, fidèle passion qui animait sa vie, avait réussi à l'apaiser et à la ramener vers les autres. Leah avait notamment trouvé en Tom une oreille attentive et une étonnante épaule sur laquelle se reposer. Petit à petit, la brune avait réussi à surmonter, loin de Daniel, la perte de leur enfant. Elle avait surtout eu besoin de s'éloigner de lui durant quelques temps, parce qu'il lui rappelait trop cette vie manquée qu'ils auraient pu avoir. Parfois, elle se laissait envahir par un doux rêve, celui d'un espoir futile où la vie effacerait leur passé et ils pourraient à nouveaux s'aimer comme les deux âmes soeurs et parents qu'ils avaient failli devenir. Les cicatrices ne deviendraient alors qu'un vague souvenir qui n'aurait jamais existé. Mais ce n'était qu'un songe, et le songe avait rapidement explosé contre la réalité. Avec le temps, elle avait appris à vivre avec ses blessures et Tom l'avait aidée à se relever progressivement en dépit de son emploi du temps chargé. Et puis, Leah avait retrouvé le goût à la vie et elle avait récupéré une partie de sa bonne humeur et de sa légèreté. Et à présent, aujourd'hui, c'était au tour de Tom de vivre cette merveilleuse aventure que celle de devenir parent, une aventure dans laquelle elle se plaisait à l'accompagner et le soutenir. Ces derniers temps, Leah pressentait qu'il était submergé par un flot d'émotions face à la naissance à venir et qu'il était tout autant noyé par sa charge de travail. C'est pourquoi elle lui avait proposé de se voir, à la fois pour passer du temps ensemble et pour prendre la température avant le grand jour. Il avait accepté la proposition mais la perspective de quelques jours s'était transformée en semaines. Finalement, ils décidèrent un jour en dernière minute de se retrouver pour un déjeuner au Snow Rose Café, véritable institution de la ville.

Quand Leah entra dans le restaurant avec un peu de retard, elle aperçut Tom, déjà attablé. Elle le salua avec un grand sourire et lui rendit son accolade chaleureuse avant de prendre place en face de lui. « Ça va... Pas mal occupée entre le boulot... et les crises existentielles de Seb. » Plaisanta-t-elle à moitié. « Trop contente de pouvoir te voir aussi. Tu vas finir par avoir un agenda plus chargé que ton père. Et toi comment vas-tu ? » Par le passé, il est vrai que Leah avait souvent donné la priorité à son travail – en même temps difficile de revenir pour un déjeuner quand elle était en reportage à l'étranger – alors elle pouvait comprendre, mais depuis qu'elle était revenue, elle essayait de gérer son agenda différemment lorsque c'était possible. « Eh bien je vais te suivre sur le thé. Et oui, j'ai faim, j'ai complètement zappé de manger ce matin. » Passionnée par ce qu'elle faisait, elle était absorbée et oubliait parfois de se sustenter. Oups. « Oui ! Les autres avaient bien vécu... D'ailleurs, j'ai pensé à t'en ramener un de ma dernière escapade. » Leah sortit de son sac le cadeau ramené à son cousin. « Tiens... Bon, ça ne vient pas de très loin. Je suis partie au week-end ski organisé par la ville. Il y avait Seb, Daniel, les soeurs Orbinson et plein d'autres. On a tous nagé dans un lac gelé. » Raconta-t-elle, amusée. Le plus drôle, c'était surtout l'inscription de Seb à cette course à son insu. Tom, lui, continuait de s'extasier sur les sous-verres du café. Leah rangea dans son sac celui qu'elle lui offrait et en chipa un du Snow Rose pour la collection de son cousin. « Tu imagines si tout le monde faisait ça... Ils devront encore reprendre des nouveaux. » Un rire complice s'échappa de ses lèvres. « Qu'est-ce que tu ne me ferais pas faire. » Cependant, Tom ne prêta guère attention à sa dernière remarque. Son téléphone vibra et il se précipita dessus pour vérifier le message... comme s'il s'attendait à une mauvaise nouvelle. Il fit ensuite mine de rien en regardant le tableau des sandwichs mais Leah n'était pas dupe. « Tout va bien ? Tu as l'air la tête ailleurs. »

Ne disait-on pas que les enfants répétaient souvent les mêmes erreurs que leurs parents ? Qu’il y avait un lien indéfectible qui poussait souvent l’histoire à se répéter ? Face au commentaire de Leah, j’avais grimacé. Mon père était un homme doté de bien des qualités, mais sa disponibilité ne trônait sûrement pas au sommet de la liste. Un sacrifice que l’on m’avait appris à faire assez jeune, parce que j’avais toujours très bien compris qu’il faisait quelque chose d’important. Je ne m’étais pas senti moins aimé, il aurait été hypocrite de le prétendre alors que je n’avais jamais manqué de quoi que ce soit, mais… « Pitié, non. » Un problème, néanmoins, auquel il allait falloir remédier plus tôt que tard. « C’est pour ça que je ne suis pas encore en congé… » Bien entendu, ce n’était pas moi qui portait notre enfant, mais j’aurais pu commencer mon congé déjà, et ainsi, avoir davantage de temps pour préparer son arrivée. « J’ai l’intention d’être là, cent pour cent là, pour les premiers mois de sa vie… Et ensuite, on verra… Ce n’est pas exclu que je trouve une solution, si je ne peux pas composer avec le boulot. » J’avais déjà plusieurs scénarios en tête. Après tout, professionnellement parlant, ça avait toujours été le choix de la facilité pour moi. Dès ma sortie de l’université, j’avais obtenu ce poste et je n’avais fait qu’évoluer à l’agence, sans jamais songer à chercher ailleurs ou à travailler à mon compte. Bref. Si c’était Seb que l’on accusait volontiers de faire des crises existentielles au détour d’une conversation pour plaisanter, force était d’admettre que je ne donnais pas ma place en la matière. « Ça va ! Même si j’ai l’air complètement désorganisé, là tout de suite… » Le sourire en coin dont je me fendais était un aveu silencieux. À vrai dire, c’était tout à l’intérieur, cette fébrilité, qui ne me quittait plus. « Grosse journée ? » Pour qu’elle en oublie de manger quelque chose depuis le réveil, ça ne devait pas être de tout repos. Au moins, nous avions pu glisser ce tête à tête promis dans nos emplois du temps respectifs. Tout comme Leah me glissait un cadeau que j’accueillais avec une réelle expression de surprise… et de plaisir ! « Ah, mais trop bien ! Il est trop chouette, merci ! » Cette nouvelle pièce à ma collection serait, certes, un peu moins exotique, mais ça n’y changeait rien. Il y avait aussi l’intention et le fait qu’elle y pensait chaque fois, qui y donnait une valeur ajoutée.
Ainsi donc, elle l’avait récupéré au fameux week-end de ski.. « On voulait y aller, avec Sacha, et finalement… On s’est laissés dépasser. Vous vous êtes bien amusés ? » Nager dans un lac gelé n’était pas forcément l’idée que je me faisais de l’amusement, mais soit. Si j’imaginais très bien ma Billie se prêter à une expérience de sensation forte, j’imaginais un peu moins aisément Seb s’en réjouir… ! La note de culpabilité était bien palpable dans ma voix, d’autant plus que les personnes qu’elle nommait pouvaient toutes s'enorgueillir d’avoir droit à mon affection. La vie d’adulte imposait constamment de faire des choix, parce que l’on ne pouvait pas être partout à la fois. Les chances y étaient que ce soit encore pire après la naissance de notre fils, alors j’espérais bien m’assurer de resserrer les liens avec mes proches, pour les inclure dans cette nouvelle aventure. « Mais c’est pour une place de choix dans la plus grande collection de sous-verres de la région… Si pas de tout l’État… » Avais-je plaidé avec convictions. Jusqu’à ce que la sonnerie de mon téléphone portable ne capte toute mon attention. « Oh, non… Ne t’en fais pas, c’est juste que je me dis que d’une minute à l’autre, n’importe quand, tu sais… » Léger haussement des épaules. Alors que je croisais le regard de ma cousine, j’éprouvais cette sensation que j’avais souvent d’être parfaitement transparent, comme un livre ouvert. « Environ 10% des enfants naissent prématurément… Alors à deux semaines, comme ça… » Je m’attendais à tout instant à recevoir un appel ou un message, m’annonçant que le grand moment était arrivé. L’écran de mon téléphone s’illuminait d’ailleurs de nouveau et comme je jetais un coup d'œil, il s’éteignait tout aussi brusquement. « Merde, je… Il décharge tellement rapidement, maintenant… » Qu’on ne me dise pas que l'obsolescence programmée n’existait pas. Je me mettais à fouiller dans mon sac. « T’as un chargeur avec toi ? J’étais sur d’avoir le mien, mais on dirait que… » Nope, pas de chargeur. Un sentiment de panique, probablement injustifié mais parfaitement incontrôlable, s’emparait alors de moi. « J’ai pas eu le temps de voir le message… Et si c’était pour le bébé ? Mon dieu, Sacha ne pourra pas me joindre s’il se passe quelque chose… Je ne peux pas manquer la naissance du bébé… ! » Et voilà que j’étais parti dans des suppositions et qu’il serait bien difficile de me ramener sur terre… !

hj:

Mars ain't the kind of place to raise your kids
crédit/ wickedgifs ✶   @Tom Hargreaves  

Leah songea que la voix du père de Tom résonnait parfois dans la tête de son cousin, chaque fois qu'il avait posé un choix susceptible de changer le cours de sa vie. Et même si cette voix s'était affaiblie en grandissant, elle demeurait présente, comme un rappel entêtant de son nom et de son enfance. La grimace qui étira les lèvres du graphiste trouva écho à la pensée de la brune. L'emploi du temps de Tom comptait parmi ses inquiétudes, soucieux de ne pas reproduire le schéma familial dans lequel il avait grandi, bien qu'il ne se soit pas senti moins aimé. Le regard teinté de douceur, Leah lui adressa un sourire rassurant, une tendre affection qu'elle ressentait toujours quand son cousin se sentait vulnérable et en l'occurrence, dépassé. L'avenir était toujours incertain, pourtant elle était persuadée qu'il arriverait à gérer en tant que parent. Car oui, c'était évident qu'il stressait à cause de l'arrivée imminente de l'enfant. Le contraire aurait été surprenant. « Tu as raison : tu pourras passer un maximum de temps avec lui. On n'a qu'une envie quand il est là : c'est de profiter avec son bébé et sa famille. » Elle qui avait voyagé dans maints pays à travers le monde avait eu des informations sur les congés parentaux avantageux dans certains endroits. Et elle s'était aussi renseignée lorsqu'elle était tombée enceinte. Malheureusement, ce congé de paternité ou de maternité n'était pas officiellement reconnu aux États-Unis. La seule option mise en place d'un point vue légal se résumait à une absence autorisée et non payée de maximum douze semaines pour motifs familiaux. Mieux valait être prévoyant sur le plan des économies afin de pouvoir profiter des premiers mois de vie de son enfant en toute quiétude. « Tout parent est amené à devoir composer. C'est une question d'organisation. Vous vous en sortirez aussi. Tu seras entouré de Sacha et de la famille pour t'aider. Et si ton employeur manque de souplesse, il n'est pas le seul acteur du marché qui exerce dans le milieu publicitaire. » Leah avait parfaitement compris la fameuse solution dont Tom parlait. « Ça va aller. Tout est prêt à la maison ? Je ne peux sûrement pas t'aider pour le boulot, mais si tu as besoin d'aide pour finaliser des choses chez toi, je peux venir. » Un coup de peinture dans la chambre, un berceau pas encore livré. Ça, c'était à la portée de Leah. « Ou pour t'aider à te détendre un peu. » La reporter imita une position de yoga simple, puis esquissa un sourire. « Oui, j'ai pas mal de choses à finir aussi, mais ça ira. Parfois, c'est le rush, comme partout. On doit tenir des délais pour les publications. » Parfois aussi, elle travaillait dans des conditions plus calmes. Il n'y avait rien de plus silencieux qu'une virée au milieu de la nature à attendre que la faune se manifeste. Récemment, Leah avait quand même pu souffler le temps d'un week-end au ski en compagnie d'autres habitants de Redwood, l'occasion pour elle de renouer avec Daniel dans une atmosphère légère. Et comme à chaque fois qu'elle partait, elle avait ramené un souvenir précis pour Tom. « Avec plaisir. » Tom et Sacha avaient failli participer également mais leur emploi du temps les en avait finalement empêché. « Oui, c'était cool, on a bien rigolé. Je te montrerai quelques photos tout à l'heure. » Puis, elle avoua son crime de lèse-majesté envers sa seigneurie Hargreaves. « J'avoue, j'ai été un peu peste avec Seb... J'ai senti qu'il allait se défiler, alors je l'ai inscrit à son insu. Mais bon, ça rattrape toutes les fois où il m'a charriée pendant toutes ces années. Au moins, il s'est donné pour la bonne cause. » Leah adressa ensuite un petit mot plus particulier à l'attention de Tom. « Nous n'aurons qu'à tous y retourner avec Sacha et toi, et votre petit bout d'amour. Je me porte volontaire pour rester bien au chaud avec bébé pendant que vous pataugerez dans la neige. Pas sûre que Seb revienne, par contre. » Leah rigola et joua ensuite le jeu en subtilisant des sous-verres disposés sur la table et en les cachant dans son sac pour satisfaire l'appétit vorace du collectionneur en face d'elle. « De tout l’État, oui. » Le téléphone de Tom sonna, ce qui rompit la bulle de légèreté entre les deux cousins. Le monde extérieur s'était rappelé à lui. Immédiatement, l'inquiétude creusa un pli sur son front et il débita un flot de paroles consécutives. « A huit mois et demi, ce ne serait pas un grand prématuré, ça devrait bien se passer. Et puis rien ne dit que c'est maintenant, mais je comprends que tu restes alerte, au cas où. » Heureusement, Leah arrivait à parler de nouveaux-nés sans sombrer dans une spirale négative. Remonter la pente avait pris du temps mais elle était fière de réussir à écouter son cousin sans être trop affectée. Par contre, pour ne rien arranger, le téléphone de Tom se déchargea complètement. « Non, je n'ai pas pris mon chargeur non plus. » Les deux cousins ne se voyaient que le temps d'un repas, alors elle n'y avait pas vu d'utilité. « Tiens, voilà mon téléphone si tu veux prévenir Sacha. Comme ça, si quelque chose se passe, il pourra te tenir au courant. »

HJ:

Prendre une pause, le temps de déjeuner avec Leah. Quelque chose que nous faisons bien souvent avant, mais qui était devenu moins fréquent en raison des engagements de chacun. À défaut d’avoir moi-même une fratrie, il y avait toujours eu celle de mes cousins. À tel point qu’il n’était pas rare qu’on nous méprenne pour des frères et sœurs. Plus jeunes, cela m’avait toujours fait secrètement plaisir. En quelque sorte, j’avais envié la relation entre Eliot et Seb, quoi que parfois houleuse. Et que dire des grandes soeurs que j’aurais adoré avoir ! Ça ne s’était pas passé à un moment précis, il n’y avait certainement pas eu de pacte de sang, mais nous avions en quelque sorte convenu par nos gestes de rester soudés. La présence de Leah en témoignait, et c’était bien au-delà. Face à mon habituelle nervosité, exacerbée par les évènements imminents, elle répondait avec douceur et encouragements. Impossible de ne pas retrouver le sourire. « Tout est prêt, oui. Je crois… » Avec tous les livres pour futurs parents que nous avions consultés et les checklists disponibles en ligne pour prévoir l’arrivée du bébé… Il y a très peu de chances qu’on ait oublié quoi que ce soit, avec Sacha. « On a peint une murale dans la chambre du bébé avec Lily. Je crois même qu’elle voudrait changer de chambre si elle pouvait.... Je me dis qu’on pourra en refaire une pour la sienne aussi, si elle veut, quand le bébé sera installé. Je me doute qu’on sera bien occupés pendant quelque temps… » Racontais-je avec mon habituel débit. Impliquer la petite Lily dans cette nouvelle aventure avait été une évidence. Je craignais souvent qu’elle se sente à part ou déstabilisée par la nouvelle configuration de notre famille. Après tout, elle avait dû faire face à beaucoup de changements au cours des dernières années. Entre la rencontre avec sa mère biologique, mon arrivée dans leur vie et son adoption. « Je ne dis pas non pour la détente… C’est peut-être les derniers jours pour ça, qui sait ? Soirée vino et films romantiques ? » Ça changerait des soirées cinéma Disney. « On pourrait aller au cinéma, aussi, j’ai vraiment l’impression que ça fait une éternité que je n’ai pas pris le temps… Tu es allé au Stowe depuis sa réouverture ? » Notre cinéma local attirait apparemment un bon public, même si son événement d’inauguration avait été frappé par la présence de la Rose lunaire. En croisant le regard de ma cousine, je songeais qu’il devait être difficile pour elle de m’entendre parler du bonheur qui m’attendait. Pourtant, elle n’en montrait rien. Depuis que j’avais annoncé la nouvelle au reste de la famille Hargreaves, elle ne s’était montrée que réjouie pour nous.
C’était pour cela, toutefois, que je me montrais si enclin à parler du week-end de ski et de ma fameuse collection, des sujets somme toute beaucoup plus légers. « J’ai hâte de voir ça. T’en as une de sa tête quand il a su que tu l’avais inscrit à son insu ? » C’était un plaisir coupable de se moquer gentiment de l’ego de Seb, même si maintenant que nous nous étions réconciliés, je n’aurais risqué de le contrarier pour rien au monde. Ces semaines, mois, de silence radio m’avaient été pénibles. « Ah, mais pas le choix ! C’est lui le parrain après tout, il ne peut pas manquer la première sortie de ski ! Honnêtement… J’ai hâte de voir comment ce sera. Moi, je suis convaincu qu’il sera excellent, mais parfois, on dirait qu’il doute encore de notre choix. » Ou mon choix, plus exactement. Bien que Sacha l’avait approuvé. Après tout, Balthazar était son oncle. C’était différent pour Seb, et j’avais eu envie de lui offrir ce titre spécial. De le choisir, lui, qui pensait souvent toujours passer en dernier après les autres.

Et tout aurait pu continuer à être simple - à peu près simple - si la malchance qui me guettait toujours ne s’était pas décidée à frapper de nouveau. Entre mes mains, l’écran de mon téléphone se fermait définitivement. Je n’avais pas eu le temps de voir le numéro s’afficher à l’écran, trop rapide. Leah me proposait son téléphone à elle, mais… « Je ne connais pas le numéro par coeur. » Ce que ça semblait bête, tout d’un coup ! « Quand on était petits, je pouvais réciter celui des parents, celui de Billie, des parents de Billie, de… Tu connais par coeur celui de Donn… » Gloups. Très, très tommiesque de mettre ainsi les pieds dans les plats. Même si c’était idiot, il me semblait que faire semblant de n’avoir pas dit cela était encore la meilleure des options disponibles. « Tu as raison, ce n’est sûrement rien. » Est-ce qu’elle avait dit ça ? Elle essayait juste de garder son calme, ce à quoi moi, je n’étais pas très doué… « … …. … Est-ce qu’on peut prendre pour emporter et aller manger chez moi ? » Là où se trouvait un chargeur ! Il y avait bien quelques avantages à vivre dans une aussi petite ville où tout se faisait en quelques minutes à peine… !