Le téléphone était posé sur le lit, le haut-parleur activé. A l’autre bout du fil, sa meilleure amie. Les deux femmes s’appelaient régulièrement, au moins une fois par semaine quand elle ne se voyait pas. Entendre le son de sa voix faisait du bien à Juliet, comme entendre ses remarques parfois acerbes. La blonde changeait de tenue, tandis que son amie lui racontait ses dernières galères au travail. Elle n’écoutait que d’une oreille, son esprit préoccupé par autre chose. Ce qui n’échappait pas à son amie.
- «
Tu m’écoutes ?-
Hmmm ? »
Elle passa la tête hors de la salle de bain, posant son regard sur le téléphone.
- «
Allez ! Dis-moi ce qui ne va pas, blondinette ! Donne-moi un truc à me mettre sous la dent ! »
Juliet fronça les sourcils, approchant du lit. Elle récupéra l’objet qu’elle colla à son oreille.
- «
Qu’est-ce que tu sais ? »
Elles se connaissaient par cœur. Son amie savait quand quelque chose n’allait pas pour Juliet, et Juliet savait que son amie était au courant de quelque chose. Parce que Jun et sa marraine étaient en contact régulièrement. La jeune fille lui avait d’ailleurs raconté avoir rencontré le nouvel ami de sa mère, à qui elle offre des cartes Pokémon et avec qui elle va observer le brame des cerfs à la nuit tombée. Son amie ne s’était pas privée de lui demander plus de détails au sujet du brun.
- «
Je sais tout un tas de choses, ma belle, mais ce qui m’intéresse c’est ce que toi, tu as à me dire. »
Juliet laissa tomber ses fesses sur le lit, comme las de devoir tenir debout. Et elle était aussi las de ressasser tout ça dans son esprit, sans pouvoir en parler à personne. Elle était sa meilleure amie, la seule à qui elle se confiait entièrement.
- «
Il s’est passé un truc avec Neil…-
Le soir d’Halloween, au Drop of Milk, c’est ça ? »
Juliet ferma les yeux un instant et souffla. Bien sur que Jun lui avait dit. Cette gamine était bien trop observatrice, bien trop maligne. Elle avait vu dans le regard de sa fille qu’elle se doutait que quelque chose n’allait pas. Elle voyait ses regards en coin. Jun s’inquiétait pour sa mère. Et elle en avait parlé à la seule personne susceptible de lui tirer les vers du nez.
- «
Je me suis trompée de destinataire pour un message. Je l’ai envoyé à Neil plutôt qu’à… peu importe. Il était là, au milieu des clients. Des gamins sont venus demander des bonbons, que je leur ai donné évidemment et il… Il m’a demandé si je rendais compte du poison que je leur refilais. »
Elle se tut, repensant à cette phrase qui résonnait dans son esprit.
- «
Il a pas tort…-
Peut-être, mais ce n'est pas la question. La façon dont il l’a dit... Comme si j’étais une inconsciente et qu’il fallait me faire la morale ! »
Elle se leva du lit, debout sur ses pieds, portée par la colère qui ressurgissait. Elle s’était sentie attaquée, piquée. Comme quand il l’avait traitée d’hypocrite. Mais à l’époque, ils ne se connaissaient pas.
- «
Et qu’est-ce que tu lui as dit ?-
Je lui ai demandé ce qu’il faisait là avec son cageot de pommes. »
Revoyant le visage du brun, elle sentit la culpabilité refaire surface. Celle d’avoir attaqué à son tour, sans essayer de comprendre, sans analyser ce qui venait de se passer. Elle avait levé ses défenses tout aussi rapidement que la première fois.
- «
Son cageot de pommes ?-
Je pense qu’il ait venu me donner un cageot de pommes. Il l’a posé et il s’est enfuit. »
Enfui, c’était le mot. Il avait fui l’endroit. Et cette question sournoise s’insinuait en elle à chaque fois qu’elle y repensait. Ne l’avait-il pas fui, elle aussi ? Comme tous les autres avant.
Elle ne laissa pas le temps à son amie de dire quoi que ce soit qu’elle reprit, d’un ton plus ferme, plus décidé.
- «
Il n’avait pas à me parler comme ça ! Je me suis trompée de destinataire, et alors ? C’est pas un drame ! Et puis, j’étais quand même contente de le voir ! »
Elle avait été surprise de le voir là, mais elle n’avait pu réprimer un sourire en le voyant, à ce moment-là.
- «
Et puis, vas-y que je me prends un tacle sortit de nulle part ! Comme ça, sans raison ! »
Sa colère revenait à la charge. Elle n’arrivait pas à s’en défaire. Mais elle n’était pas seule. Elle ressentait bien d’autres choses par rapport à cet instant, et tout se mélangeait. Elle faisait encore les cent pas, essayait de remettre de l’ordre dans sa tête.
- «
Je fais attention à ce que je dis, pour qu’il comprenne, pour ne pas se retrouver dans une incompréhension. Je ne fais pas de sous-entendus, pas de second degré, parce que ça ne marche pas avec lui ! Et c’est pas grave ! Mais je fais des efforts ! Et lui alors ? Hein ? »
Sa voix se faisait de plus en plus forte. Elle décolla le téléphone de son visage, laissant échapper un juron. Elle était en colère mais pas seulement après lui. Aussi après elle. Il arrivait à la mettre dans un état…
- «
Ça m’agace ! Il m’agace ! »
Elle se laissa tomber entièrement sur son lit. Elle était empêtrée dans ses sentiments contradictoires. Il avait réussi à la foutre en rogne en quelques secondes. Et il l’a faisait aussi culpabilisé d’être en colère. Elle mettait ça sur son dos, même si il ne faisait pas grand-chose.
- «
Ça y est t’as fini ?-
Ça ne devrait pas me contrarier autant…-
Non, mais c’est probablement parce que tu t’es attachée à lui, pour des raisons obscures… »
Elle lui décrocha un mélange de grimace et de sourire. Elle s’est attachée à lui… Et elle ne savait pas pourquoi elle-même.
- «
T’as pas le choix maintenant, va falloir que t’aille le trouver et que tu lui dises ce que tu as sur le cœur !-
C’est à lui de venir ! Pour s’excuser ! Pas à moi ! »
Elle se releva légèrement, complètement en désaccord avec ce qui lui proposait son amie. Juliet avait déjà fait le premier pas, plusieurs fois, vers lui. C’était à lui de venir.
- «
Je n’ai pas dit que tu devais aller t’excuser. J’ai dit que tu devais lui dire ce que tu viens de me dire là. Ça te fera du bien ! Et puis, franchement, je n’ai pas subi toutes tes anecdotes de vos balades dans les bois pour que ça finisse comme ça ! Sans savoir si c'est un bon coup... »
Elle leva les yeux au ciel. Sans commentaire. Un petit sourire gagna ses lèvres. Elle l’avait écoutée et dispensé son conseil, elle pouvait maintenant se laisser aller à plus de légèreté.
- «
Je vais y réfléchir. Merci. »
La discussion se termina et Juliet raccrocha. Elle n’avait pas tort, ça pourrait lui faire du bien de lui dire tout ça, mais elle n’était pas encore prête à s’avouer vaincue. Têtue, la Juliet.