Danny ressemble à une tortue avec cet énorme sac sur son dos, il en a bien conscience. Ne prenez que le strict nécessaire, voilà ce qu’on lui a dit, et Danny n’est pas du genre à s’embarrasser du superflu. Pourtant, son sac lui donne quand même l’impression de peser le poids d’un éléphanteau dans la force de l’âge. Derrière lui, il entend le pas de Leah contre le sol de terre, sa respiration, et il se retourne avec un mince sourire. « On y est presque » le temps est radieux, le soleil haut dans le ciel, Danny n’aurait pas pu rêver mieux pour cette randonnée en pleine nature qui doit les conduire au bord de la rivière pour la suite de l’activité : une descente en canoë. Il en a déjà fait par le passé, Danny, et quand il a entendu parler de cet organisme qui propose des balades sur la rivière, pas question de passer à côté. Qui d’autre que Leah, sa fidèle partenaire de randonnée, pour l’accompagner dans ce périple qui s’annonce déjà haut en couleurs ? Elle n’a pas longtemps hésité non plus, voilà pourquoi ils se retrouvent tous deux à longer le sentier à l’ombre de la sylve, tandis qu’au loin, le son de l’eau commence à résonner dans leurs oreilles. Il accélère un peu le pas, impatient d’arriver. « Ça me rappelle notre bivouac, il y a quelques années » commente-t-il, songeur. En réalité, les choses sont sensiblement différentes ; d’abord, cette balade ressemble à une promenade de santé en comparaison à leur aventure précédente, quand ils avaient fait un bout de trajet ensemble. Comme à son habitude, Danny fuyait quelque chose. Ses anciens démons.

Il y a bien longtemps qu’il n’a rien fui, se dit-il en laissant son regard se perdre vers le bout du chemin. Malgré les années, il demeure sur ses gardes. Il craint le retour des fantômes, craint que le passé ne soit jamais vraiment enterré et qu’il revienne un jour projeter son ombre douloureuse sur le présent. Sur sa relation avec Louise, surtout. Parce qu’ils sont heureux tous les deux, pour le moment. Et il a toujours peur que quelque chose foire – à cause des fantômes. Cette fois, il ralentit l’allure pour revenir à hauteur de Leah. « Au moins cette fois, il ne devrait pas pleuvoir et notre tente ne risque pas de prendre l’eau » il laisse échapper un léger rire à ce souvenir. Non, aujourd’hui semble être un jour parfait pour ce qu’ils s’apprêtent à faire. Tout juste risquent-ils de finir vaguement éclaboussés dans leur canoë, rien d’autre. Le clapotis de l’eau lui parvient un peu plus clairement. Et puis des éclats de voix, signe qu’ils se rapprochent toujours de leur objectif. Il n’a pas beaucoup parlé durant la promenade, Danny, comme à son habitude. Encore que, avec Leah, il se montre un peu plus bavard parce qu’en confiance. Elle fait partie de son cercle amical proche, il sait qu’avec elle, il n’a pas besoin de se cacher. Il peut être le véritable Danny, sans crainte d’en subir les conséquences. Alors, parfois, il parle.  

En se remémorant la randonnée vécue des années plus tôt, Danny ne peut empêcher les souvenirs de l’assaillir. Il n’est pas certain que le mot amusé colle vraiment bien à la réalité, mais ce qui est certain, c’est qu’ils ont connu un sacré paquet de péripéties. Sans doute que cela a contribué à les rapprocher, même si depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Chacun a évolué de son côté, mais ça ne les empêche pas de se retrouver, parfois. Comme au bon vieux temps. Souvent pour marcher dans les environs de Redwood Hills d’ailleurs, car rien ne les enthousiasme davantage que de se réunir pour arpenter les chemins qu’ils ne connaissent pas encore. C’est ça, la vie, pour Danny. Une existence simple mais diablement heureuse. Il ne changerait pour rien au monde, jamais il ne reviendrait à l’avant. « Tu as peur que je tombe raide mort de déshydratation en plein milieu de notre descente en canoë ? » lance-t-il pour toute réponse, malicieux. Ils n’ont pas le temps de tergiverser puisque déjà, ils arrivent sur place. Là, au milieu des arbres verdoyants, se dessinent les canoës soigneusement rangés les uns à côté des autres, attendant qu’on les mette à l’eau. « Un pour deux, ça me semble plus adapté. Comme ça, pas de risque qu’on se perde de vue » il n’y a pas de raison qu’une telle chose arrive, naturellement, la rivière n’est pas extrêmement large, mais au moins, ils galéreront ensemble ou pas du tout. Ce sera aussi plus aisé pour les discussions, même si Danny n’est pas du genre très bavard. Il apprécie parfois d’échanger plus de quelques mots, surtout avec Leah.

Un homme les accueille avec un sourire courtois pour leur donner quelques informations et règles de sécurité, avant de les laisser faire. « Prête ? » demande Danny à la jeune femme. Une fois sur l’eau, ils ne pourront plus aussi facilement se mouvoir. Leurs affaires précautionneusement placées dans un bidon étanche, ils prennent place dans le canoë. Danny est impatient de se lancer à l’assaut de la rivière, il n’écoute que d’une oreille distraite ce que leur dit le guide en les poussant lentement dans l’eau. Une fois seuls sur l’eau, dans l’embarcation qui dérive doucement, Danny esquisse un sourire. « J’ai un peu étudié le parcours et ses spécificités, à priori, on ne devrait pas se retrouver en difficultés. Certains passages sont un peu plus délicats mais pour le moment, c’est calme » il s’installe un peu plus confortablement, assis à l’arrière, pour diriger le canoë avec sa pagaie. Et il réalise vite combien il n’est pas évident de se coordonner ! Il a plutôt le sentiment de faire du surplace, mais ça l’amuse. Il s’y attendait, Danny. Tout en essayant de trouver une manière efficace de naviguer, il reprend « Comment ça se passe, le boulot, en ce moment ? » plus facile de parler de ce sujet, surtout pour lui. Un sujet banal, qui le passionne pourtant autant qu’il passionne Leah, il le sait. C’est bien pour cette raison qu’il engage la conversation de cette façon.