le temps des vérités

Simon somnolait sur le canapé du salon, son plaid posé sur lui. C’était sans doute ce qu’il préférait l’hiver, s’emmitoufler deans un plaid, un chocolat bien chaud devant la télévision. D’ordinaire, il y aurait eu Lizzie à ses côtés, mais leur relation n’était pas au beau fixe, malgré toutes les discussions, malgré ses tentatives de semblant de vérité, il n’y arrivait pas. Il sentait que leur relation prenait la mauvaise direction, et son coeur se serrait à chaque fois qu’il y pensait. On tentait de lui donner des conseils qu’il écoutait vainement. Il savait que ce n’était que des mots que l’on pensait justes, tandis qu’on ne savait pas réellement quel était le fond du problème, et le fond du problème résidait en une addiction bien cachée. Il en était fatigué. Il ne savait pas quelle heure il était quand il passa sa main sur son visage endormi, attrapant la télécommande de la télé afin de l’éteindre. Sa mère était déjà montée se coucher une demi-heure auparavant, et lui avait préféré continuer à somnoler sur le canapé. Il était rentré de sa garde à la caserne le matin, et après avoir fait quelques courses, il était rentré et s’était occupé de ranger, la ferme, la maison, les factures qui avaient diminué grâce à l’aide de sa soeur. Simon rabattit le plaid sur le côté pour se lever quand il entendit son téléphone vibrer. Il vit le nom de sa soeur s’afficher, et il eut un sourire en voyant son message. Décidément, ils avaient la poisse avec les voitures dans cette famille. Bien sûr, j’arrive tout de suite. lui répondit-il en se passant une nouvelle fois la main sur le visage pour se réveiller, et enfila son manteau et ses chaussures avant d’attraper ses clefs laissées sur le meuble d’entrée.

Après quelques minutes de route, le pompier gara son pick-up à côté de la voiture de sa sœur. Il se demanda un instant si elle était retournée à l’hôpital l’attendre, ou bien si elle était encore dans le parking. Tout en s’approchant, il vit la silhouette de sa soeur bouger au volant ; alors, il se pencha et tapota légèrement à la fenêtre. Il comprit qu’il venait de la surprendre au cri qu’il venait d’entendre. Il entendit la voiture se déverrouiller et entra à l’intérieur de celle-ci, se frottant les mains l’une dans l’autre tentant de les réchauffer. La température extérieure contrastait grandement avec celle qu’ils maintenaient à la maison, et il n’avait pas vraiment attendu que sa voiture chauffe pour venir chercher sa sœur. « Eh beh, je ne savais pas que je faisais si peur à voir. » dit-il, d’un air amusé quand il constata bien rapidement la détresse de sa soeur. « Em’, qu’est-ce qui t’arrive ? Il s’est passé quelque chose ? » demanda-t-il en posant sa main sur son épaule. « Bien sûr que je vais nous ramener à la maison, mais qu’est-ce qu’il se passe ? » s’inquiéta-t-il. Il n’avait jamais vu sa soeur dans cet état.

le temps des vérités

En arrivant, il ne s’attendait pas à une telle réaction. Sa soeur avait pris peur en l’entendant tapoter à la vitre de sa porte de voiture. Quand il entra, il s’aperçut bien rapidement que quelque chose n’allait pas : sa soeur était en pleurs, articulant difficilement, tandis qu’elle s’écartait face à son geste pourtant anodin. Il voulait seulement lui témoigner son soutien. Elle ressemblait à ces victimes qu’il avait croisées lors de ses interventions, recroquevillées sur elles-mêmes, apeurées. La simple idée qu’il ait pu arriver quelque chose à sa soeur lui pinça le coeur. Elle ne voulait pas lui raconter, pas maintenant dans cette voiture ; elle voulait rentrer. Il était confus, mais il acquiesça simplement avant de lui dire : « Rentrons alors. » Il sortit à son tour de la voiture, encore étonné de ce qu’il se passait. Il cherchait dans ses souvenirs des derniers jours si sa soeur avait fait mention de quelque chose qui n’allait pas, à son travail, parmi ses collègues, parmi ses amis, mais rien ne vint. Il s’installa alors au volet de son pick-up, silencieux, regardant sa soeur du coin de l’oeil tandis qu’il les conduisait jusqu’à la ferme familiale. Il eut une pensée pour leur mère qui dormait, et c’était sans doute mieux ainsi. Sinon, il savait qu’elle s'inquièterait pour Emmy, et n’était pas sûr que sa sœur aborderait réellement le problème si leur mère était dans les parages. Le Fitzgerald respecta le silence que sa soeur leur imposait, tandis que bientôt ils arrivèrent à la ferme. Il ferma la portière et la suivit jusqu’à l’intérieur, tentant encore de comprendre ce qu’il s’était passé. Il n’avait jamais vu sa soeur dans un tel état, et cela ressemblait fort à une crise de panique, à moins qu’il lui soit arrivé quelque chose sur ce parking avant qu’il n’arrive. Non, il préférait balayer cette idée. Il se déchaussa à son tour, se sentant tout à coup bien idiot à ne pas savoir quoi faire pour aider sa soeur, ni même comment aborder le sujet sans que cela ne déclenche une nouvelle crise. S’il s’était agi d’une victime dans le cadre professionnel, il aurait sans doute assuré, mais quand il s’agissait de sa propre famille, il n’était pas aussi sûr de lui. Fort heureusement pour lui, sa soeur lui facilita la tâche en lui demandant un chocolat chaud. « Je te fais ça. » répondit-il tout en se dirigeant vers la cuisine où il attrapa une tasse. Il y mit tout son cœur dans cette préparation car il sentait que c’était le mieux qu’il pouvait faire pour la soulager un peu.

Le Fitzgerald arriva finalement dans le salon, tendant la tasse à sa soeur avant de se poser sur le canapé, non loin du fauteuil sur lequel était installée sa soeur. « C’est plutôt moi qui suis désolé. Je ne voulais pas te faire peur en arrivant. » la reprit-il. Sa soeur reprit la parole. Il était vrai qu’il tiquait, comme disait sa soeur, sur son retour à RH, tandis qu’elle semblait pourtant s'épanouir à New York ces dernières années. Des deux, c’était plus lui le rustre qui aimait vivre à la campagne, loin de tout. Elle, elle était plutôt faite pour la vie urbaine, ou tout du moins, c’était ce qu’elle avait donné à voir ces dernières années. Depuis son retour, elle se cachait derrière le fait qu’elle revenait pour l’aider, mais il n’y avait jamais vraiment cru. Le retour de sa soeur demeurait un mystère. Alors, il sentait qu’elle allait révéler la raison de son réel retour ici, mais il ne s’était pas attendu à cela. Les mots qu’elle venait de prononcer mirent du temps avant de faire sens dans sa tête. Agresser, par un patient, il y a trois ans. Cela correspondait à la période durant laquelle elle avait mis de la distance. Il ne savait pas quoi dire, se sentant soudainement con d’avoir douté de sa soeur durant tout ce temps alors qu’elle faisait elle-même face à ses propres démons. Elle n’en avait parlé qu’à Dorian. Rien d’étonnant quand on voit la manière avec laquelle il l’a accueillie dès son retour. Il n’était pas disponible pour qu’elle lui en parle, trop égoïste, perdu dans ses propre problèmes, oubliant que les autres eux-mêmes pouvaient souffrir. « Je suis désolé, Em. » fut tout ce qu’il trouva à dire dans un premier temps. Il tentait encore d’analyser les mots de sa sœur. Il sentait également la colère serrer son coeur, trouvant le monde si injuste tout à coup, mais il savait que ce n’était pas ce dont sa soeur avait besoin. « Il a été condamné ? » demanda-t-il en relevant les yeux vers sa soeur. « Je savais que quelque chose clochait. J’aurais dû faire plus attention à toi. J’ai vraiment été con avec toi. Je suis désolé Em. » Il s’en voulait de ne pas avoir été là pour elle et de s’être comporté comme un véritable con avec elle. Elle ne méritait pas ça.

le temps des vérités

Simon ne savait plus quoi dire, culpabilisant soudainement de s’être comporté ainsi avec sa sœur, de lui en avoir voulu de ne pas lui donner de nouvelles, de ne pas être là pour lui, pour sa mère et pour la ferme. Il se sentait égoïste, oubliant que le monde autour d e lui ne se résumait pas en ses quelques problèmes. Les autres aussi avaient des problèmes, parfois même plus importants que les siens, et Emmy avait traversé une période difficile, qui n’était d’ailleurs pas encore derrière elle. De plus, elle aussi avait dû affronter l’annonce de la maladie de leur mère, en parallèle de ce qu’elle vivait. Et lui ? Il s’était trouvé une cible pour déverser la colère qu’il ressentait vis-à-vis du monde entier, un fautif à accabler depuis l’annonce de la maladie de sa mère : quelqu’un à blâmer. Sa soeur marquait un point : il n’aurait pas pu le deviner, seulement, il aurait au moins pu avoir le bénéfice du doute, se dire que sa soeur rencontrait peut-être des soucis à New York, et que son silence n’était pas lié au fait qu’elle vivait une petite vie tranquille en ville, oubliant sa famille qui vivait toujours à Redwood Hills. Qu’il avait été égoïste de penser cela, idiot, bien que ce simple mot était finalement un euphémisme pour exprimer ce qu’ilr essentait en ce moment-même pour se qualifier lui-même. Lui qui se croyait toujours tourné vers les autres, il se fourvoyait ; il faisait souffrir ses proches. D’abord, il y avait eu Lizzie, avec tous ces non-dits et ces secrets qui n’avaient fait que les éloigner. Maintenant, il y avait Emmy qu’il n’avait pas su écouter, comprendre. Il aurait dû savoir qu’elle ne s’était pas évaporée de leur ville par simple égoïsme, mais que quelque chose n’allait pas. Ce n’était pas sa sœur. « J’aurais quand même dû me douter que quelque chose n’allait pas. » lâcha-t-il en secouant la tête, assimilant encore les douloureuses révélations que sa sœur venait de lui faire. Il lui faudrait sans doute du temps pour se faire à l’idée que sa sœur avait vécu cet horrible événement. Il éprouvait un peu de réconfort dans le fait que le coupable était toujours en prison. Il n’y aurait rien eu de pire que de savoir que ce dernier errait encore dans les rues, libre.

Emmy tentait de le rassurer en lui disant qu’elle aurait agi comme il l’avait fait, mais il n’en était pas certain. Sa sœur ne l’aurait probablement pas lâché, pas aussi facilement. Emmy était intelligente, bien plus que lui, et elle aurait deviné non sans mal qu’il lui cachait quelque chose. Finalement, ils étaient entourés de non-dits. Qu’il s’agisse de lui, de la fin de sa carrière dans l’armée, de son accident en intervention ou bien qu’il s’agisse de sa sœur, de ce qu’elle venait de lui avouer ; ils n’étaient peut-être finalement pas si proches. Ou bien, peut-être que si, et qu’ils ne voulaient pas que le regard de l’autre change. Il n’en savait rien. « C’est différent, Em. Il y a dix ans, tout allait bien. Maman n’était pas malade. Tu avais ta vie à New York et tu t’y épanouissais. Moi, je n’étais pas plus là que toi, finalement. J’étais en mission la plupart du temps, et je rentrais de moins en moins souvent. Je ne suis vraiment revenu que quand j’ai quitté les Marines, et que maman est tombée malade… Je n’ai pas été plus présent que toi ces dix dernières années. » la rassura-t-il. Parfois, il se demandait même s’il n’avait pas participé sans le vouloir à cette maladie, avec sa mère qui portait la ferme à bout de bras, et lui qui risquait sa vie…
Il sortit de ses pensées en entendant sa soeur reprendre la parole, et expliquer qu’il était devenue incapable d’exercer la profession qu’elle aimait pourtant. Il sentait encore toute la détresse qu’elle éprouvait et il se sentait impuissant face à cette dernière. Elle était toujours suivie depuis cet évènement. Il avait du mal à rester concentré et à écouter ce qu’elle lui racontait. Rienq ue d’imaginer la scène, il en avait la nausée et préférait laisser son regard se perdre sur la cheminée dont les flammes dansaient devant lui. Il était livide. « Je ne peux pas imaginer ce que tu as traversé. Tu n’as pas à te sentir honteuse, pas avec moi. Tu n’y étais pour rien dans ce que tu as vécu, et si ce salopard n’était pas en prison… » C’était sans doute lui qui l’aurait achevé. « Ce que tu as vécu est aussi important que la maladie de maman. Tu n’aurais pas dû t’isoler, on aurait pu être là pour toi, pour t’aider à y faire face. » Ce n’était pas des reproches, au contraire, mais il aurait voulu être là pour sa soeur, pour la rassurer quand elle hurlait la nuit, ou encore être à ses côtés lorsque le coupable a été jugé. Il arrivait bien après. « L’important, c’est que tu sois là aujourd’hui avec nous. Et pitié Em, s’il t’arrive quoi que ce soit, dis-le moi. Ne me laisse pas t’en vouloir pour des trucs futiles et me comporter comme un véritable con. » Il soupira. Il n’arrivait pas encore à croire à tout ce que sa soeur avait traversé et tout ce qu’elle venait de lui révéler. Il se laissa tomber contre le dossier, le regard perdu dans le vide. Finalement, leur famille était bien plus brisée qu’il ne le pensait.