Un contrat est un contrat, y compris lorsqu’il force à s’associer à des gens que l’on n’aime pas particulièrement. Professionnelle, la Billie qui se gare devant le restaurant en soupirant d’avance à l’idée de devoir passer la journée avec Benedict. L’homme est-il si désagréable que cela ? Pas vraiment, pourtant, et si elle était honnête la blonde devrait bien reconnaître qu’il ne lui a rien fait qui mérite cette animosité. C’est juste que les premiers contacts n’ont pas été particulièrement chaleureux et que l’artiste n’a guère l’habitude de se forcer à passer outre ses premières impressions ; Caractère trop brut et trop franc pour se laisser facilement amadouer, elle aurait plutôt tendance à laisser couler. Ce chantier ne nécessite pas qu’ils aient envie de se rouler des pelles, à première vue. « Bonjour. » Un sourire froid, qui ne s’efforce même pas de faire semblant, tandis qu’elle range dans sa poche arrière les clés de son camion. Mince, il lui tend la main maintenant. « C’est mon job. » Voilà pourquoi elle ne l’aime pas, elle s’en rend compte tout en répondant sans conviction à sa poignée de main et à sa remarque creuse : il est un peu trop mielleux à son goût. Une impression directement dérivée de la manière dont il rit aux blagues nulles de ses parents à chaque fois qu’il en a l’occasion ? Pas impossible non plus. N’étant pas l’enfant préféré de la famille, Billie a tendance à prendre ses distances de tous les amis de ses parents, sans exception.

« Tu m’as dit qu’il y avait déjà un jardin de statues, avant ? » Ne pas perdre de temps en des échanges de politesses trop appuyé, Billie jette un regard à l’immense bâche qui recouvre l’établissement derrière Benedict. Visiblement, les clients du jour aimeraient quelque chose dans le même style que ce qu’ils avaient avant, si elle a bien compris. Encore faudrait-il qu’elle puisse y jeter un œil. « Je te suis. » Équipée de ses chaussures de chantier, de son appareil photo et de son mètre, elle est effectivement prête à aller jeter un œil à ces vestiges. Surprise, cependant, lorsque l’autre homme ouvre une porte menant sur un escalier sombre. « Euh… » Pas vraiment peureuse, la blondinette, mais forcément déconcertée. « Ils ont foutu leurs statues à la cave ? » Outre l’aspect tout à fait impratique (porter de tels poids, se les trimballer tout le long d’un escalier, savoir qu’il faudra au final refaire le chemin inverse ?), il faudra bien reconnaître que la démarche est juste flippante. Rien que d’imaginer une série de visages à moitié effacés par les effets du temps dans l'ombre d'une cave oubliée lui arrache un léger frisson. « On va dire que ce n’est pas du tout bizarre… » murmure-t-elle tout en attrapant la lampe torche que son compère lui tend, se préparant à une descente qui risque de leur flanquer tout autant la trouille à l’un que l’autre.

 Silencieusement, l’écho volontairement déformé de la voix de Benedict et l’ajout d’un ton tout à fait insupportable. Suis-moi, gnagnagna. La blonde réprime un soupir et se mord l’intérieur de la joue pour ne rien montrer de l’agacement d’ores et déjà présent, battant son propre record : il n’aura guère fallu à son collègue plus de deux secondes et un quart pour déjà lui sortir par les trous de nez. Billie n’oublie cependant pas la raison de sa présence sur le chantier, le chèque qui l’attend au bout du compte. Largement de quoi prendre sur elle et ravaler son irritation aussi irrationnelle qu’irrépressible, produit injuste d’une rancœur qui se dirige finalement bien plus vers ses parents ou sa sœur que Benedict. L’incongruité de la situation termine d’accaparer son attention ; Pourquoi Diable irait-on stocker des statues dans une cave ? Frissonnant à la vue des marches couvertes de poussière qui s’enfoncent dans une obscurité écrasante, notre sculptrice feint le courage et s’avance prudemment lampe torche en main. « Vingt ans ? » La tête que doivent avoir les araignées, après tout ce temps ! Nouveau frisson, légère grimace tandis que le nez se plisse et que la pointe du pied cherche un appui en contre bas. Situation nulle. Situation vraiment très nulle, dès lors que la porte se referme en un claquement sec dans le dos des deux explorateurs de caveau.

« Argh… » Un regard en arrière pour ne rien trouver d’autre qu’une issue désormais bouchée, laissant à peine filtrer un mince faisceau lumineux sous la porte. Peut-être qu’elle a trop regardé de films d’horreur, mais cette configuration n’inspire rien de bon à Billie qui repose volontairement sa torche sur Benedict à la recherche d’un visage familier sur lequel posé un regard courroucé. Qu’est-ce que c’est que ce bourbier, franchement ? L’homme n’en a cependant que faire des regards indignés de son acolyte, continue tranquillement sa descente comme si de rien n’était. Preuve supplémentaire s’il en fallait que ce type est bizarre. « Des angelots du dix-neuvième siècle… Génial… Vraiment de plus en plus génial… » qu’elle marmonne, emboîtant le pas à Benedict avec une certaine mauvaise volonté. Bien qu’assez sèche, la cave dégage l’odeur typique de ces lieux que personne n’a aéré depuis des décennies. Sous ses semelles, quelques crissements que la blonde préfère attribuer à du petit gravier pour se rassurer. « Euh… » Ce qu’elle en pense, sincèrement ? Pas grand-chose, si ce n’est qu’elle préfèrerait être à peu près n’importe où ailleurs qu’ici en cet instant. Les draps jetés sur ce qu’elle imagine être de vieux meubles renforcent encore l’allure glauque des lieux, chaque champ non éclairé par le faible rayon de sa torche promettant de contenir mille monstres. Elle ne manque pourtant pas de courage, Billie, mais il ne faut pas pousser mémé non plus.

« C’est… spécial. » Avec une précaution immense, elle s’avance de quelques pas pour scruter de plus près un visage sans vie qui l’observe en retour de son regard aveugle. Retour en arrière quasi illico, supplément chair de poule sur le chemin retour. « Il faudrait que je prenne des photos… » Et qu’elle pose sa lampe torche pour le faire, or l’idée même de se défaire de ce qui semble son dernier rempart avant de se faire engloutir par le noir épais de cette cave lui arrache une nouvelle grimace. A contre cœur, elle jauge un peu la surface du sol dans l’idée d’y déposer la précieuse source de lumière avant de sursauter et de reculer en hurlant, son dos se cognant contre Benedict. « PUTAIN DE… QU’EST-CE QUE C’ÉTAIT ?! » Un rat, au mieux. Une fucking statue vivante, au pire. Quelque chose à bougé en tout cas, elle en est sûre. Et en a lâché sa torche qui s’est fracassée sur le sol avant de s’éteindre, dans sa précipitation pour reculer.

En règle générale, Billie n’est pas très fan du principe de reproduire des statues déjà existantes. De nature créative et désormais armée d’une bonne expérience, la petite blonde préfère assurément se laisser inspirer par l’ambiance et produire des œuvres qui lui ressemblent. A quoi bon faire appel à un artisan, si on n’attend qu’un maigre travail de copie ? Un contrat ne se refuse cependant pas, même si ses termes sont insatisfaisants. C’est pourquoi Billie songe à prendre quelques photos des statues entreposées à la cave, passablement abîmées mais dont certaines caractéristiques seront facilement reproductibles. « Hm » répond-elle sans davantage de manière tandis que son partenaire du jour propose de l’éclairer dans sa tâche, toujours peu fan du principe de ce mec également. Double corvée, donc, supplément cave lugubre. Cool. Et tout à coup, les évènements s’enchaînent à une rapidité folle, le cœur de Billie faisant un quadruple salto dans sa poitrine alors qu’elle percute Benedict dans son dos.

« JE SAIS PAS » qu’elle crie encore, avant de ressaisir et de se forcer à respirer un grand coup. Quelque chose l’a très certainement touchée, oui : mais quoi ? Au sol, les restes de sa lampe fracassée. La seule source lumineuse provient désormais de l’homme qu’elle n’apprécie pas mais vers lequel elle se tourne quand même, instinct de survie qui pousse à surmonter les détestations. « Berk. » Dégoûtée et sentant déjà un haut-le-cœur monter, elle se détourne finalement assez vite. « Le proprio doit vraiment nous détester… » lâche-t-elle entre deux grimaces, le souffle qu’elle s’efforce de reprendre ayant immanquablement le goût de poussière et d’humidité. Cette situation est merdique et Billie aimerait vraiment rentrer chez elle désormais. C’est alors que Benedict lui tend la dernière torche encore en état de marche, qu’elle attrape sans se faire prier pour l’éclairer à son tour. Silencieuse et dans l’appréhension, elle l’observe tenter de réassembler les morceaux éparpillés sur le sol. Sans grand succès. « T’es sûr que t’as mis les piles dans le bon sens ? » Ne sait-on jamais, ça arrive de se tromper. Or, il faudra bien admettre que la deuxième lampe est tout simplement hors service.

« Same. » Après la panique, l’air blasé reprend ses droits. Elle soupire et jette un dernier coup d’œil aux statues. « Franchement ? Même pas sûre qu’on revienne plus tard. Ils auraient au moins pu faire en sorte d’installer une lumière ou de dératiser. C’est pas des conditions de boulot correctes. » Non mais de qui on se moque, franchement ? Billie n’est pas une grande froussarde mais il ne faut pas pousser mémé dans les orties non plus ! Elle fera au mieux pour reproduire ce qu’elle a pu observer, mais sans efforts de la part du propriétaire, n’en fera pas davantage. « Allons-y. » Voilà de quoi conclure l’épisode « cave infernale » qu’elle espère oublier rapidement, ouvrant la voie pour remonter à la surface tout en évitant les toiles d’araignées qu’elle parvient à distinguer dans le faisceau lumineux. Une marche, deux marches. Le pas qui accélère sous la pulsion de vivre se tirer de là et l’impression d’avoir le regard aveugle des statues fixés dans le dos. Elle finit par enquiller les marches deux à deux pour arriver le plus vite possible à la porte dont elle cherche désespérément la poignée. « Benedict ?... » Nerveusement, Billie actionne de toutes ses forces la poignée qui refuse obstinément de s’abaisser. Coincée, comme engluée de l’intérieur. « Benedict ?! » Bon, il va se décider à l’aider ou on attend le déluge ? Le mécanisme semble complètement grippé et Billie a beau appuyer de toutes ses forces sur la poignée, rien ne bouge.

« Nan, je te crois. » A contre cœur, Billie secoue la tête. Ça l’aurait quand même bien arrangée que Benedict soit empoté au point d’avoir mal refait le montage de la lampe torche, mais il faut se rendre à l’évidence : ce n’est pas de sa faute si l’objet ne fonctionne plus. Super. La situation est donc la suivante : eux deux à la cave, avec une seule source de lumière, des rats et des statues. Un véritable scénario de film d’horreur que Billie n’aurait jamais souhaité vivre ! Motivée par le côté anxiogène de toute cette configuration, la blonde ne tarde pas à remonter les marches en quête d’une solution, quitte à ce que la seule solution soit d’enguirlander le propriétaire. Qui fait venir des artisans dans un lieu infesté de rats, sérieusement ?

Malheureusement pour elle, son petit speech indigné devra attendre. Dans sa voix perce une inquiétude encore différente de la précédente alors qu’elle appelle l’homme qui l’accompagne, ses doigts ne parvenant à déclencher aucun mécanisme dans la poignée de la porte capable de les libérer. Et c’est qu’elle l’engueule lui, du coup ! Il faut bien que le trop plein se déverse sur quelqu’un. « J’arrive pas à l’ouvrir » lâche-t-elle dans un souffle court, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine. Quel idiot, il doit bien voir qu’il y a un problème avec la porte, non ? Plutôt que de s’énerver davantage, la blonde se force néanmoins à prendre une grande inspiration et à faire un pas de côté pour laisser Benedict essayer. Avec un succès… tout aussi dépourvu de succès que sa propre tentative. « Fuck… » Une main tremblante essuie le front sur lequel perle un début de sueur froide. Pas vraiment peureuse mais un peu quand même, finir dévorée par des rats dans le fond d’une cave n’était définitivement pas son projet de vie principal.

L’impatience monte tandis que Benedict décroche son portable pour tenter de joindre le propriétaire, en vain une nouvelle fois. Elle en taperait presque du pied, Billie, sentant l’appréhension augmenter encore davantage à chaque seconde écoulée. Combien de temps vont-ils devoir attendre ici, dans le noir, avant que quelqu’un vienne les chercher ? Sans un mot, elle s’exécute et éclaire son interlocuteur lorsqu’il le lui demande, puis sort son propre téléphone pour vérifier son niveau de batterie. « Inutile… J’ai aucune barre de réseau. » Ça l’agace tellement qu’elle s’en mord un peu l’intérieur de la joue, et l’hypothèse de forcer la porte de l’intérieur lui semble définitivement plus fiable que l’attente d’un quelconque secours extérieur. « Ouais, peut-être… Si tu trouves quelque chose qui peut faire levier… » Elle s’efforce de réfléchir vite et de maîtriser les battements de son cœur, la lumière de la lampe suivant brièvement son regard alors qu’elle observe la porte pour vite revenir à Benedict qui redescend les marches. A chacun de ses gestes pour vérifier ce qui se trouve sous les draps de la cave, un nuage de poussière s’élève. « Vraiment ? » Les sculptures dans le bois, c’est ça qui l’intéresse ? Exaspérée, la blonde redescend à son tour les marches pour rejoindre l’homme inutile qui l’accompagne. « C’est vraiment ça ta priorité, là tout de suite ? Bon sang, mais... Bref. Je vais chercher moi-même de quoi nous sortir de là. » On n’est après tout jamais mieux servi que par ses propres moyens, et cette maxime est encore plus vraie en compagnie d’un homme cis totalement inutile.

Depuis le départ, cette situation est franchement merdique et Billie a hâte d’en sortir. Elle n’apprécie pas particulièrement de travailler avec Benedict, encore moins dans une cave. Encore encore moins dans une cave dont la porte s’est refermée sur eux en les laissant pris au piège avec une armée de statues flippantes. L’ambiance est glauque, genre de début de film d’horreur nul et la blonde s’exaspère d’être coincée avec le type qui meurt toujours en premier dans tous les films : celui qui regarde la déco plutôt que de chercher une solution. Un soupir lorsqu’il désigne un morceau de bois qui n’a de toute évidence aucune chance de passer entre la porte et le mur pour faire lever. A défaut d’avoir du réseau sur son portable, Billie a au moins des yeux et un minimum de sens pratique. « Ouais… J’aurais pu m’en douter » qu’elle grommelle lorsque son compagnon d’infortune se rend tout seul à l’évidence, grand lauréat du prix des Captain Obvious. Les recherches se poursuivent également de son côté, elle relève la tête lorsqu’elle entend Benedict se viander contre la rambarde de l’escalier. On est d’accord que c’est très littéralement ce que font tous les mecs qui meurent en premier dans les films ? « Regarde où tu marches, peut-être ? » Conseil d’amie qui compte survivre, même si honnêtement à ce stade elle n’hésitera éventuellement pas à l’abandonner derrière. Elle est tendue, notre blondinette. Pas sûr que les interrogations du malheureux boiteux aident beaucoup à changer ça.

« Je te déteste, moi ? C’est un peu exagéré. » Honnêtement, Billie n’est pas la personne la plus furax de l’univers en général. Un peu brute de décoffrage, pas très diplomate sans doute : elle peine à trouver ses mots mais ne va pas spécialement au conflit le cœur léger. « Après c’est sûr que je t’apprécierais plus si tu pouvais éviter de te tuer là tout de suite. » Une grimace, la main qui se pose sur la hanche en regardant Benedict d’un air atterré. Il est vraiment pas doué ce type. « Ça va ? T’es à jour sur tes vaccins ? » Pas trop sûre de comprendre comment il a réussi à se planter un clou dans la main tout seul, mais d’accord. La lampe torche ratisse un peu le paysage proche en essayant de repérer les éléments potentiellement dangereux quand on est accompagné d’un homme en mousse, s’arrête finalement sur le coffre qu’il désigne. « Euh… Ouais ? » Ou pas ? Difficile de dire s’il s’agit d’une excellente idée ou d’un projet réellement pourri, la blonde prend donc le temps d’y réfléchir un instant avant de soupirer. « Franchement, mis à part une pierre pour éclater le cadenas… » Elle cherche de nouveau autour d’eux, finit par relever la torche sur un visage d’ange. « Est-ce que tu te sens de tuer un ange pour nous sauver ? Pas sûre que nos assurances couvrent ça, ceci dit… » Elle a déjà vu le cas où casser un bien appartenant à un client de manière un peu urgente était nécessaire, mais là… Ça commence un peu à la rendre chèvre, et de désespoir elle s’éloigne de nouveau à la recherche d’un objet lourd potentiellement plus adapté. « De toute façon qu’est-ce que ça peut faire, qu’on s’apprécie ou pas ? » qu’elle lâche d’un peu plus loin, totalement indifférente au fait de le laisser sans torche. Pas que ça la tracasse tant que ça mais… Peut-être un peu quand même. « T’es déjà copain avec Sam et mes parents, non ? C’est plutôt un bon bilan… Ah, tiens ! Ça ! » Une massue, oubliée dans un coin de la cave. De quoi casser le coffre ou la porte -ou les deux, peut-être. Elle revient en tout cas avec la lumière et l’outil. « Retire tes mains ? » Pas doué, pas doué, pas doué, pas doué.