Tu espères qu'elle lui plaira. Et c'est le cas. Tu sais que le côté plus classique lui conviendra mieux. Le but est qu'il porte cette ceinture. Pour l'autre côté, il pourra la mettre à certain moments, peut être lors de soirées. Tu aimes qu'il te touche, que vous soyez si proches, connectés. Tu t'es mis à regretter Daniel tant de fois depuis que vous êtes ici... Tu te dis que tu n'aurais pas du. Tu as Alonso. Bien sûr, avoir perdu Daniel avait été quelque chose, probablement un gros déclencheur de tes futurs crises et c'est aussi pour ça que ta peur de l'abandon s'est accentuée, à en devenir une obsession. Parce que l'homme qui t'aimait tant, l'homme qui ne t'aurait jamais abandonné... avait fini par le faire. C'était autre chose évidement mais pour toi, la finalité était la même. On finissait par t'abandonner, même si on devait mourir pour ça.

Alonso te dit qu'il est fier de toi, tu as le droit à un nouveau baiser. Heureusement, parce que l'émotion était en train de te gagner de nouveau. Ce baiser là respire l'amour qu'il te porte, cet amour dont tu as besoin pour survivre. Tu voudras le remercier, d'être là, de te comprendre, d'accepter un peu de Daniel dans votre vie à deux. Tu restes contre Alonso, tu es bien là, entouré de l'univers de ton ancien compagnon. Mais Alonso demande déjà à partir... Tu fronces les sourcils, tu le fixes, l'air un peu perdu. Mais... Le téléphone n'a pas sonné encore...On peut... Je peux... Tu te retournes, tu commences à soulever des objets et les reposer, à fouiller sans véritablement le faire. Ça n'a pas sonné encore. Tu répètes. Non, non, ça n'a pas sonné. Il l'avait dit et les règles sont les règles. Tu fais tomber quelque chose sur le sol, c'est un livre alors il soulève de la poussière mais rien ne se brise. Tu le ramasses, tu ne te souviens pas de ce livre et tu t'en veux, tu devrais t'en souvenir, tu devrais te souvenir de chaque objet qui est entreposé ici. Tu le montres à Alonso. Je connais pas ce livre Alonso, il... Je dois me souvenir de tout. Juste un instant, je fais un rapide tour et je regarde si je me souviens de tout, ça sera rapide je le promets. Tu gardes le livre dans ta main gauche, tu le plaques contre ton torse pour continuer tes recherches, reconnaitre tous les objets, Daniel le mérite bien. Le livre... Tu vas t'en souvenir, tu en es certain.

Il a parlé un peu vite. Quand il a dit, on ne va pas tarder il pensait plus faire comprendre à Jeff qu'il allait bientôt partir. Mais, bien sûr qu'ils peuvent attendre le minuteur. Il n'y a pas d'urgence non plus. L'instant d'avant il était rassuré dans ses bras. Là, Jeff retournait dans une angoisse compulsive. Jeffrey. Alonso ne l'appelait jamais par son prénom complet. Jamais. Depuis le lycée, depuis donc toujours. Pose-le. Jeffrey, repose ce livre maintenant. Tu es en train de perdre pied et je ne le tolérerais pas. Sa voix est brutale et sèche. Il n'est pas sûr que ça suffira à calmer Jeff. On va attendre la fin de la sonnerie. Viens à côté de moi. Ça devenait compliqué. Il le regarde obéir et son regard s'adoucit un peu, comme sa voix. Tu ne te souviendras pas de tout et c'est une bonne chose. Ça fait mal mais ton cerveau va oublier des détails. Ça fait des années qu'il est parti, c'est normal. Il prend ses mains dans les siennes.

Ce n'est pas parce que tu ne te souviens plus d'un livre qu'il n'a peut-être jamais lu que tu l'oublies lui. Il se rapproche de lui. Tu as oublié des détails de notre relation à l'époque et pourtant tu ne m'as pas oublié moi. Jamais. Ça sera pareil ici. Il caresse sa joue, il a peur de le voir partir, il a peur de la crise. Je contrôle,  tu n'as à avoir peur. Il le regarde en prenant une pause. Répète après-moi. Il commence à parler. Laisse le temps à Jeff de répéter à chaque respiration. Daniel... Je suis ici, avec Alonso et je suis désolé, mais ne me souviens pas de tout. Ça ne veut pas dire que je t'ai oublié... Jamais je ne t'oublierai, Alonso le sait, je le sais. Mais je dois continuer d'avancer, pour ceux dont je suis devenu l'eau, l'essentiel, comme tu le disais si bien. Pardonne-moi d'avancer sans toi, Daniel. Tu seras toujours dans mon cœur, c'est là que tu vis désormais, avec tous ceux que j'aime et que j'ai aimé. Je t'aime. Alonso lui laisse le temps de répéter, c'est lent, la sonnerie de fin d'une heure rententi en vibrant dans sa poche, mais il s'en fiche, c'est assez faible pour ne pas les déranger. Il n'accélère pas tant que Jeff n'a pas répété. Il finit par un Je t'aime et prend Jeff dans ses bras. Je t'aime Jeff. répète-t-il. Reste avec moi dans le présent. Je te protège. Je ne pars nulle part. murmure-t-il doucement, ce n'est pas un ordre, c'est une invitation.

Forcément, le box était trop. C'était couru d'avance, que tu allais vouloir plus, que tu allais demander plus. Tu vis dans le passé, tu te nourris du passé et quand tu tentes de t'en sortir, tu y plonges de nouveau, dans les souvenirs d'un homme qui n'est plus et que tu ne reverras jamais. Ta plus grande peur matérialisée par tout ce qu'il y a autour de toi. Cet abandon forcé et non voulu que tu réalises à nouveau dans ce petit entrepôt. Tout est devenu des souvenirs. Pas des choses qu'on utilise, des souvenirs. Parce que Daniel appartient au passé et qu'une part de toi n'a toujours pas envie de l'accepter.

Jeffrey. Tu sursautes. Ton nom résonne dans le box. C'est fort et surprenant car Alonso ne t'appelle jamais comme ça. Tu le sais que quelque chose ne va pas. Tu poses le livre que tu avais encore contre toi, tu as encore envie d'obéir, c'est simple, c'est rassurant d'obéir. Tu te rapproches d'Alonso, son ton est trop autoritaire pour que tu en fasses autrement.

Il te parle, te prend les mains et ce contact te rassure. Tu as les larmes aux yeux, comme plus tôt, comme tu vas les avoir tant que vous resterez à Los Angeles. Cette ville appartient à Daniel, tout ressemble trop à lui. Tu fais comme il dit, tu répètes quand il te laisse une pause pour le faire. Daniel... Je suis ici, avec Alonso et je suis désolé.... Tu déglutis. Mais ne me souviens pas de tout. Ça ne veut pas dire que je t'ai oublié... Jamais je ne t'oublierai, Alonso le sait, je le sais. Les larmes commencent à couler, ce que tu dis, ce qu'Alonso te fait répéter est tellement touchant. Tes mains tremblent un peu, tu fixes Alonso dans les yeux, tu ne perds pas son regard un seul instant et tu espères qu'il ne détournera pas non plus le sien. Mais je dois continuer d'avancer, pour ceux dont je suis devenu l'eau, l'essentiel, comme tu le disais si bien. Là, les larmes coulent encore plus, ta voix craque un peu. Pardonne-moi d'avancer sans toi, Daniel. Tu seras toujours dans mon cœur, c'est là que tu vis désormais, avec tous ceux que j'aime et que j'ai aimé. Je t'aime. Ta voix a déraillé sur la fin, mais tu l'as dit, tu pleures mais tu l'as dit, du début à la fin, en fixant Alonso dans les yeux. C'est si dur pour toi, tellement dur de lui demander pardon de continuer à vivre. Tu aurais voulu qu'il vive à ta place, c'est certain, si le choix se présentait à toi, tu le prendrais, même aujourd'hui. Mais ce genre de choix n'existent pas, tu le sais et tu dois donc avancer. Garder de Daniel un doux souvenir, savoir parler de lui, évoquer l'être qu'il a été dans ta vie sans que ça soit une source d'angoisse pour toi. C'est ce que tu lui dois après tout, au lieu de le terrer dans ton cœur. Daniel méritait la lumière, comme Russell méritait les ténèbres les plus sombres jamais créés.

Tu te laisses tomber dans tes bras, il t'y amènes, tu ne sais pas. Mais tu laisses échapper ta peine, tes larmes, ton râle, cette injustice de la mort qui s'est abattue sur lui. Ce n'est pas une crise, c'est simplement une peine, une peine que tu n'as pas su exprimer quand elle est arrivée. Le faire maintenant te fera un bien fou plus tard, même si pour le moment, tu ne fais que pleurer et que ton cœur souffre, que ta gorge est serrée à telle point que tu as l'impression que tu ne vas plus savoir respirer. Mais tu es là, contre Alonso. Alonso qui t'aime et te soutient. Tu es là comme il te demande, mais si tu es là, tu es malheureux, malheureux de dire au revoir à cet homme qui a tant compté pour toi. C'est fait, tu as accepté qu'il soit parti. Tu devais le faire, parce que sinon, tu aurais toujours eu l'impression qu'il ne t'avait qu'abandonné. Il ne l'a pas fait, il est décédé et c'est tout à faire différent. Tu réaliseras bientôt que Daniel n'a jamais voulu tout ça, que la vie est cruelle parfois mais qu'elle est aussi très belle, à l'image de tout ces moments que tu as eu avec lui, à l'image de ceux que tu as avec Alonso.

Il te faut quelques minutes tout de même, avant de te calmer, de te ressaisir. Tu te sen vidé, ton cœur l'est, tes forces sont parties, ton esprit en a marre de cette journée. Est ce qu'on peut rentrer ? Est ce que je peux dormir un peu contre toi ? Mon amour ? Mon tendre amour ? Tu restes contre lui, tu le serres fort, plus fort que normalement. Alonso est là, il est ton présent, c'est ce que tu te répètes à l'instant. Peut être que vous n'irez pas au restaurant, que commander quelque chose sera plus confortable pour ce soir. Mais tu tiens à te reposer parce que tu tiens à ce qu'Alonso ait Coco pour une partie de la soirée. Tu sais qu'elle lui manque. C'est foutu pour mon maquillage je pense bien.. Tu ne peux pas te voir, mais Alonso le peut. Tu souris faiblement, tu te redresses un peu. Tu regardes derrière toi, toutes les affaires. Tu leurs promets en silence que tu reviendras, quand tu iras mieux, quand ça sera plus facile. Je ne t'oublie pas. Tu murmures, comme s'il pouvait t'entendre, quelque part, là où il y a le plus de ce qu'il reste de Daniel plus que partout ailleurs dans le monde. Tu prends le carnet, tu le colles contre ta poitrine, le voilà, ton véritable trésor, bien plus qu'un livre dont tu ne te souvenais plus. Alonso le reste, tu le laisses refermer car tu n'en aurais pas la force. Tu reviens chercher ses bras quand il a fini. Je t'aime tellement. Je t'aime si fort...Tu... Tu es tellement incroyable, merci d'être toi, d'être toi avec moi. Personne ne t'aurait offert un tel cadeau, un tel adieu. Surtout pas un compagnon pour un ancien compagnon.

Jeff répète, Alonso tente d'utiliser ce que Jeff lui a dit, il tente de faire en sorte que les mots aient un sens et surtout qu'il arrive à les dire, qu'il arrive enfin à les dire, ces mots qui font mal, ces mots qui disentpardon, mais je dois avancer. Jeff le regarde et Alonso reste plongé dans son regard. C'est extrêmement difficile ce qu'il lui demande et il sait qu'il ne lui laisse pas le choix. Il sait aussi que prendre trois choses de cet immense box est certainement insurmontable. Même de Russell il avait eu ses cinq cartons. Un jour, peut-être que Jeff pourrait les découvrir avec la même curiosité et joie qu'il avait découvert ceux de Russell, pas maintenant, c'était bien trop tôt encore. Il pleure et pendant qu'il parle Alonso caresse ses mains, l'encourage par le regard.

Al ouvre ses bras et Jeff vient s'y réfugier, exprimer enfin sa peine. Il lui laisse le temps dont il a besoin, repondant à son étreinte, immobile, la main glissée dans ses cheveux, l'autre dans son dos. Il a envie de pleurer aussi tant Jeff est malheureux, il sent monter la peine mais il la retient, se concentrant sur les émotions de son compagnon et non sur les siennes. Jeff finit par se calmer et demande à rentrer toujours contre lui. Les mots qu'il utilise le rassurent. C'est idiot parce que ce n'est pas à lui d'être rassuré, c'est à Jeff. Mais peut-être qu'il faut aussi qu'il s'écoute un peu. Rentrer à l'appartement lui fera beaucoup de bien aussi. On rentre, oui. il embrasse ses cheveux. Peut-être qu'il n'aura pas Coco ce soir finalement, ce n'est pas grave, l'important ici c'était Jeff et le deuil qu'il était en train de faire. Il ne sait pas, cette décision là ne lui appartient pas.

Il sourit quand Jeff lui parle de son maquillage, il a laissé des traces d'ailleurs sur sa chemise blanche, ce n'est pas grave, ça part au lavage. Al sort un paquet de mouchoirs de son sac. Mouche-toi. dit-il doucement. Il attend que Jeff le fasse puis, il prend un second mouchoir pour retirer délicatement l'excédent de maquillage qui a coulé, essuyant aussi ses larmes. Ca ira jusqu'au démaquillage. lui dit-il d'un ton très doux. Il lui laisse regarder les affaires de Daniel. Alonso prend les deux boites contenant l'une le foulard, l'autre la ceinture et Jeff a le carnet contre lui. Il ferme le box non sans émotion, car c'est difficile, vraiment difficile de priver Jeff de tout ça. Mais, il estime que c'est le chemin qu'il doit prendre pour le moment, tant qu'il ne pourra pas voir tout ça sans ressentir une vague de désespoir l'envahir. Ça viendrait, ils reviendraient ici. Jeff revient dans ses bras et il l'accueille avec bienveillance. Il lui déclare combien il l'aime et le remercie. C'est une belle victoire à célébrer d'être entrés dans ce box et d'en être ressortis dans cet état d'esprit, sans colère, sans haine, sans que Jeff ne le blame de ne pas le comprendre, sans que Jeff veuille y rester et laisser Al dehors.

Il ne sait pas quoi répondre, mais se dit tout de même qu'il ne doit pas laisser une telle déclaration sans réponse. Tu mérites que je sois parfait pour toi... C'est plus ou moins ce que Jeff lui a dit avant de sortir. Il lui fait un sourire, pour lui montrer que tout va bien et qu'il est là pour lui. J'appelle un taxi. murmure-t-il en cherchant son téléphone, il laisse Jeff dans ses bras, il garde son étreinte sur lui. C'est le moment d'être présent. Il ne sait pas si cette après-midi où il a pris le contrôle sur les choix de Jeff était ce qu'il fallait faire. Ça s'était bien passé mais moralement c'était douteux, questionnable. Ce n'était pas un jeu sexuel, c'était leur vie, celle de Jeff. Il embrasse sa joue de quelques baisers alors qu'il est toujours au téléphone, ne rompant pas le contact avec lui. Ils sont en centre ville cette fois le taxi va vite être là. Alonso accompagne Jeff jusqu'à la sortie. Ca se voit qu'il a pleuré, ses yeux sont rouges et gonflés et l'épaule d'Alonso en garde les traces, mais bien sûr le chauffeur ne fait pas de commentaires. Il a dû voir pire.

Ils arrivent enfin à l'appartement, Alonso aurait envie de se baigner. Il espère qu'ils pourront le faire avant de partir. Il ouvre l'appartement. Le voyage s'est fait sans mots mais tout en gestes tendres. Il lui montre qu'il est là. Alonso ferme la porte, toujours en laissant la clé dessus. Il s'approche de Jeff et vient le prendre dans ses bras tendrement. On arrête le contrôle, je te redonne ton libre arbitre ? Il ne l'avait pas vraiment perdu et Jeff aurait pu le reprendre à n'importe quel moment. C'était aussi ça la confiance qu'ils avaient entre eux.

Affreux. Tu dois avoir l'air affreux mais ce n'est rien. Daniel mérite bien que tu te fiches de ton apparence. Alonso ne semble pas t'en vouloir, il te laisse te moucher et vient limiter les dégâts sur ton visage encore marqué par ta peine. Tu souris tout de même, il faut que tu puisses te raccrocher à ce que tu vis à présent, cette belle et touchante relation avec Alonso. Bien sûr, elle sera différente de celle que tu as perdu avec Daniel. Mais tu n'avais pas de regret, pas sur le fait que ça soit Alonso maintenant. Tu regretteras toujours ce qui était arrivé à ton tendre Daniel mais... Il fallait que tu arrêtes de te blâmer pour cela, il fallait que tu acceptes d'avancer sans lui.

Pour le moment, tu veux partir d'ici. Tu sais que si tu restes, tu vas repartir dans tes travers. Tu regardes une dernière fois ce petit monde, celui de Daniel, cette vie amassée ici dans un simple box. Vous pouvez rentrer à l'appartement, en taxi, ce sera plus confortable et intime pour toi. Pendant le trajet, tu ne prononces pas un seul mot, tu caresses Alonso, avec tendresse, tu cherches son contact. Mais tu n'as rien besoin de lui dire. Vous remontez alors jusqu'à l'appartement loué, tu es un peu déçu de ne pas voir le chat vous suivre, ou vous montrer la route. Quand vous arrivez, Alonso demande s'il te redonne ton libre arbitre. Tu hésites. C'est rassurant de ne pas décider mais... Tu pouvais tellement t'y complaire que tu pourrais aussi ne plus lui demander de l'arrêter, le supplier de continuer même. On peut oui, merci. C'est dur, mais c'est la bonne décision et tu le sais. Peut être même qu'Alonso n'aime pas te contrôler. Il le fait et le fait très bien, ça ne signifie pas qu'il apprécie. Tu devras lui demander mais pour le moment tu veux juste te poser. Tu te détaches de ses bras. Tu le regardes, tu observes aussi sa chemise. Je vais aller me poser dans le lit un peu, mais je peux y aller seul. Profite de la piscine, de dessiner, même de partir te promener. Je me repose un peu et après on voit ce qu'on fait ce soir ? Tu ne sais pas encore. Ça dépendra de ton état à ce moment là. Tu le laisses, tu l'embrasses avec tendresse, tu déposes un baiser sur sa joue ensuite et puis tu vas te mettre dans le lit. Tu te mets nu car il fait chaud ici encore, et te retrouver dans de doux draps te fait du bien. Tu n'as pas envie d'imposer ton rythme de sommeil à Alonso, alors il peut bien s'occuper, même flâner un peu.

Tu dors pendant deux bonnes heures au moins, sans te réveiller, tu avais besoin de ce temps pour te reposer, te ressourcer. Tu émerges avec la bouche un peu pâteuse, tu as dormi sur ta main droite alors elle est toute engourdie. Tu t'étires un peu, tu regardes autour de toi et tu ne vois pas Alonso. Il doit être dans la piscine ou bien il est parti se promener. Tu restes encore quelques minutes avant de trouver le courage de te lever, tu étires ton dos, tu mets un boxer parce que tu ne sais plus si on peut vous voir de la terrasse. Tu t'y rends et tu vois Alonso dans la piscine. Cette vision te fait sourire, tu vas t'assoir sur le bord et tu mets les pieds dans l'eau. Elle est bonne... Tu profites bien ? Tu regardes la vue, c'est vrai que c'est un bel endroit. Tu regrettes de ne pas avoir ton téléphone pour le prendre en photo mais tu n'as pas envie de bouger pour le moment. Tu veux toujours aller te promener avec Coco ? Parce que toi tu en as envie, de ce moment à deux, pour Alonso, pour Coco aussi.

Jeff sort du jeu et c'est un soulagement pour Alonso. Ce n'est pas qu'il n'a pas aimé le faire, c'est qu'il n'a pas aimé l'état de Jeff, sa peine, son désespoir, c'était terrible à voir. Jeff lui dit qu'il peut y aller seul, Al entend qu'il préfère sans doute être seul. Il regarde sa valise, prend son maillot de bain, un livre aussi. D'accord... Oui, je vais aller dehors, j'aviserai. Il lui sourit tendrement et laisse les lèvres de Jeff se poser sur les siennes. Son sourire s'agrandit. Il le regarde se mettre nu dans le lit, il est beau, si beau, extérieurement et intérieurement. Il sort de l'appartement avant de lui avoir déclaré un délicat : Repose-toi bien mon Jeff... Le voilà dehors. Mais il ne sait pas très bien quoi faire. Il descend quelques marches, s'installe sur un transat et laisse son regard se perdre. Rapidement, il ne regarde plus rien, il pense, il réfléchit. Le livre posé sur ses cuisses.

Pour Alonso, l'épisode Daniel ne faisait de commencer. L'Espagnol était quelqu'un de calme, de réfléchi, il pensait relativement vite de manière générale, il n'était pas lent par nature mais par choix, toujours dans la peur de rater une information, alors il prenait son temps pour analyser son environnement, le comprendre vraiment, ne pas se laisser piéger par des biais cognitifs. C'était pareil pour ses émotions, il les vivait et ensuite, il les absorbait, lentement, les digéraient. L'analyse de ce qui s'était passé aujourd'hui allait prendre du temps. Il en résumait ceci, Jeff avait été fou amoureux d'un homme, Daniel, qui était également fou de lui pendant de nombreuses années. Une confiance mutuelle, sans doute une connexion incroyable, un second grand amour après la perte du leur. Un grand amour qui s'était brisé un jour, tragiquement, sans aucun préavis. Jeff avait dit qu'il n'était pas mort sur le coup, qu'il ne s'était jamais réveillé. Combien de temps avait-il attendu qu'il se réveille ? C'était il y a environ 10 ans, estimait-il, mais il n'en avait jamais fait le deuil. Il avait fui... Il pouvait le comprendre. C'était arrivé alors qu'ils vivaient ensemble depuis un long moment, alors qu'ils s'étaient promis l'un à l'autre de s'appartenir pour toujours dans un luxe immodéré, un luxe que Jeff avait toujours recherché ensuite...

Malheureusement, il n'avait pas recherché que ça après ce tragique événement. Il avait plongé, il avait souhaité se détruire, il avait dû penser mériter de souffrir, mériter d'avoir mal puisque ce genre de blessures psychologiques étaient tellement incompréhensibles. Une partie de Jeff avait refusé de survivre à Daniel et une autre partie avait effacé le reste de leurs souvenirs pour se protéger, bloquant ainsi toute chance de faire le deuil. Alors il devait être là, vivant, mais sans trop savoir pourquoi, refusant de faire face à la réalité, se relevant parfois et trébuchant sans cesse, alternant les phases de profonde depression pour rechercher les minutes d'euphorie où il se sentait vivant, enfin vivant, avant de regretter profondément de l'être et de retourner dans ses propres ténèbres. Il avait dû retrouver des bulles de bonheur et les fuir. Puis s'enfoncer, toujours plus profondément dans la nuit jusqu'à trouver des Spencer, puis un Russell qui l'aimait tel qu'il était devenu, à la fois glorieux, car Coco avait poursuivi sa route de son côté et tellement fragile, désespéré d'amour et complètement dépendant de l'affection des autres. Surtout dépendant du désamour, comme une envie de se punir perpetuellement. Quelque part, Jeff devait penser qu'il méritait Russell, quelque part il devait même se dire que même quelqu'un comme Russell ne méritait pas quelqu'un comme lui, qu'il avait de la chance qu'il soit là pour lui, qu'il avait de la chance qu'il le protège et l'empêche de faire des erreurs. Des erreurs qui avaient coûté la vie à celui qu'il avait aimé plus que tout.

Alonso n'avait pas oublié ce que Jeff lui avait dit, qu'il s'en voulait de ne pas avoir pu lui dire, le prévenir, qu'il aurait voulu remonter le temps. Il ne savait pas les circonstances de cet accident, peut-être était-il sorti pour Jeff, peut-être Jeff lui avait dit qu'il n'avait pas besoin d'être aussi précautionneux quand il traversait, peut-être qu'il s'était moqué... Alonso ne savait pas, ne saurait sans doute jamais, parce qu'il ne demandrait pas. Ce qu'il savait, c'était que Jeff avait commencé à parler de Daniel au moment où ils avaient recommencé à discuter achat de maison, au moment où Alonso était enfin revenu vers lui après l'avoir laissé une semaine seul à dormir dans la grande chambre du bas. Quels cauchemars avait-il fait, seul dans cette chambre, pour que ça réveille en lui le souvenir de Daniel ? Alonso y repense, il s'en veut, il l'avait laissé sept nuits seul, mais ça avait été le minimum pour que lui s'en remettre, et d'ailleurs il ne s'en était pas totalement remis. Pas avant aujourd'hui, pas avant ce matin et cet échange dur mais tellement nécessaire. Pas avant de comprendre, de trouver un sens, non pas à la depression de Jeff parce que ça il pouvait accepter qu'elle ne vienne pas forcement de lui, mais d'enfin comprendre que son compagnon ne l'avait pas trahi pour des raisons totalement incohérentes de dépendance perpétuelle à Russell, d'amour et de confiance incontrôlée pour ce malade... Non, il y avait une histoire derrière tout ça, une histoire sombre qu'il apprenait aujourd'hui.

Lui aussi, il faudrait qu'il accepte tout cela, toutes ces émotions contradictoires qui se mêlaient en lui : la tristesse, l'incompréhension, l'empathie, la tendresse et un brin de nostalgie de son propre vécu. Il repense à Flora, à des amis qu'il a aimé et qui sont mort aussi, son père... C'était ainsi, la vie. Vieillir était un privilège qu'ils n'auraient pas tous. Il se demande aussi comment les compagnons de Jeff avaient pu supporter cet amour qu'il avait encore pour lui, Alonso. Sans doute qu'il fallait l'aimer très fort et faire preuve de recul, Daniel l'avait fait. Si Jeff luttait de son côté, Alonso aussi commençait à devoir faire face à ses émotions. Des émotions qu'il lui fallait accepter, sans culpabiliser, sans s'y perdre non plus. Les minutes passent, une heure, sans doute plus, il se sent triste, c'est sans doute l'émotion qui le domine le plus, triste pour Jeff, triste pour lui et Daniel. C'est plus facile d'accepter qu'il a mal pour eux, surtout maintenant que Jeff n'est pas dans les environs.

Il commence à se faire un peu tard et le décalage horaire de trois heures seulement pourtant commence à lui peser et la journée avait commencé tôt. Pourtant, il avait sommeillé dans l'avion entre deux tirages de poils par son compagnon, puis ils avaient fait une petite sieste dans la matinée. Ça irait, il tiendrait, physiquement et émotionnellement. Il le fallait. Il soupire, il se sent fatigué mais il est quand même bien réveillé, trop dans ses pensées pour avoir envie de dormir. Jeff lui a dit de faire ce qu'il voulait. Alors, dans le soir qui se couche sur LA, il s'approche de la piscine et se déshabille, il met son maillot qu'il avait pris en sortant. Vérifie quand même que les voisins ne sont pas dehors, mais apparemment non et il rentre dans l'eau. Elle est bonne, à température et l'eau est à fleur d'horizon. C'est magnifique. Il avance dans la piscine, pose ses deux bras sur le rebord et contemple la ville. Los Angeles, il n'en avait jamais profité comme ça. Il n'en profitait pas totalement, mais c'était déjà mieux que venir pour le travail. Son état d'humeur s'améliore dans l'eau, il fait quelques brasses jusqu'à sentir qu'il s'apaise, puis il revient chercher la vue, sourit. Il a envie de prendre un crayon et de dessiner l'horizon.

Il se retourne quand il entend le clapoti de l'eau. Jeff est là et le regarde. Al s'approche de lui en quelques mouvements de nage, la piscine n'est pas très grande surtout en largeur. Il vient poser sa joue contre l'une des cuisses de son partenaire. Elle est bonne oui, je profite bien, mais je m'ennuyais de toi. Il pose un baiser sur son genou pour confirmer cette pensée. Jeff lui demande s'il veut toujours se promener avec Coco. Oui, bien sûr. Toujours. Mais, c'est toi qui voit en fonction de comment tu te sens. Si tu te sens assez bien pour lui laisser la place. Et Alonso redevenait Alonso, laisser la main à l'autre, exprimer ses désirs sans jamais prendre plus que ce qu'on lui donnait. Il y avait un juste milieu, mais il avait parfois peur d'être rejeté s'il disait tout ce qu'il pensait, comme Jeff le faisait parfois. On commande à manger d'abord et ensuite, je te laisse te préparer ? Je t'avais dit que je te laissais choisir le repas de ce soir. Il tent les bras, invitant Jeff à le rejoindre dans l'eau pour une étreinte, avec ou sans boxer, comme il préférait. D'ailleurs, ça lui faisait penser qu'il avait oublié de prendre une serviette.

Tu repenses à ton fichu téléphone. Pourquoi tu n'y as pas pensé ? Il faudrait qu'il invente une sorte de technologie pour faire des photos avec le regard. Ça serait si populaire, voir à travers les yeux de quelqu'un. Tu aimerais qu'on voit ce que tu vois, la beauté si pure d'Alonso. Cet homme que tu ne penseras jamais mériter tant il est doux, tant il est rempli de gentillesse. Tu crois toujours, au fond de toi, que tu ne mérites que des Russell... Et que c'est pour ça qu'ils reviennent toujours à toi ou que tu te sens attirés par eux. Parce que les Alonso et les Daniel méritent des personnes au moins aussi divines qu'ils le sont.

Alonso se rapproche de toi, se pose contre toi. Contre ta cuisse. Tu viens lui caresser les cheveux, tu les mouilles un peu car tu as mis tes mains dans l'eau. Il te propose de commander quelque chose, c'est parfait, c'est ce que tu voulais faire également. Si tu me demandes ce sera sushis... Tu n'es pas très original mais au moins, ce sera léger pour ensuite faire venir Coco. Tu le rejoins dans l'eau, tu t'y glisses quand il te laisse la place de le faire. L'eau est vraiment bonne et déborde un peu, c'est prévu pour de toute manière. On voit à peine où la piscine se termine, face au paysage, à l'horizon. Tu retires alors ton boxer et tu le fais sortir de l'eau, puis tu le jettes sur la terrasse, il vous éclabousse au passage. Ça te fait doucement rire. J'aimerai tellement prendre une photo de nous en ce moment... Mais tu n'a pas la perche pour se prendre en photo de loin -tu aimerais l'avoir d'ailleurs- et tu n'as même pas ton téléphone. Tant pis, tu peux toujours tenter de te figurer ton moment dans ta tête. Mais ton esprit te joue si facilement des tours que les photos pour toi sont rassurantes. Des photos... Tu aurais du chercher après ça dans le local, des photos de Daniel et toi. Tu y songes maintenant, tu te laisses déraper lentement dans cette pensée, une minute, deux minutes... Tu reviens à toi et tu souris. Tu auras le temps d'aller chercher les albums, Alonso te l'a promis et ce n'est pas un menteur. Tu bouges un peu dans l'eau, il fait bon ce soir, c'est agréable de profiter de cette piscine en septembre. J'espère que ce n'est pas trop pour toi... Ce weekend, Los Angeles... L'ombre de.... Daniel, tu connais son prénom, mais tu bloques pour le moment. Tu souris tout de même pour lui indiquer que ça va. Tu me le diras, si je vais trop loin ? Qu'il ne le fasse pas juste parce que tu en as besoin. Alonso aussi avait des besoin et parfois, parfois quand ton cœur s'emportait, il t'arrivait de les oublier.

L’eau a toujours été un élément dans lequel Al se sentait bien. Parfois, il oubliait à quel point il aimait cette sensation. Alors ça sera des sushis. répond-t-il avant d’accueillir Jeff dans l’eau. Il observe Jeff qui retire son boxer après l’avoir mouillé. Ca fait rire Alonso qui pose un baiser dans son cou. Il parle de photo. Alonso lui n’en a pas besoin, pas pour ça, il ne se souviendra pas de tout ce week-end, mais il sait que ce moment dans la piscine, il s’en souviendra. Il voit que Jeff reste pensif, il l’observe, le laisse à ses pensées tout en caressant ses bras. Il est prêt à lui demander si tout va bien quand Jeff refait du mouvement. Il est soulagé. Pendant la dernière minute, il avait presque retenu sa respiration, toujours inquiet d’où les pensées de Jeff pouvaient le mener. Alonso baisse les yeux quand il ne termine pas sa phrase. L’ombre de Daniel. Jeff sourit mais il n’a pas pu dire son nom. Peut-être qu’il avait peur de le faire souffrir ? Jeff lui demande s’il lui dira s’il va trop loin. Al a un léger rire de désespoir qu’il ne contrôle pas tout à fait. Jeff… Non… C’est déjà allé trop loin. Dès les premiers mots où il lui a fait comprendre qu’il était avec lui simplement parce que Daniel était décédé. Rien que ça… Il ne savait pas quoi faire de cette information. A quoi Jeff s’attendait ? Il avait commencé par les mettre en compétition, directement et il continuait à le faire.

Et Alonso n’était pas un compétiteur né, il n’a d’exigence que pour lui-même, il ne se battait pas pour ce qu’il ne pouvait pas avoir. Il fait quelques brasses tourne sur lui-même et le regarde. Jeff demandait qu’il lui dise, mais était-il prêt à entendre ? Il sent que les mots ont envie de sortir, mais il ne sait pas s'il doit les sortir. S'il doit les dire, parce que ce qui est dit ne peut pas être dédit et ce qu'il ressent est délicat à exprimer sans blesser Jeff. Je veux simplement savoir… Pourquoi… Il soupire, se rapproche finalement, jusqu'à être à moins d'un mètre. Pourquoi tu me dis des choses comme l’ombre de Daniel… Jeff… Tu n’es pas sensé employer ces mots-là. Tu n’es pas sensé me faire comprendre que c’est une ombre qui plane sur notre couple. Peut-être qu'il extrapole, il se doute que Jeff ne va pas comprendre alors il prend ses mains. Il lève brièvement les yeux vers le ciel, cherchant une inspiration, trouver les bons mots. Ce n’est pas trop. Non, ça va. Mais ce serait plus simple si tu n’essayais pas de me mettre en rivalité avec son souvenir. Je sais que tu ne t’en rends sans doute pas compte. Mais… Me dire qu’on ne serait jamais ensemble s’il était là… Me dire que vous auriez vécu des années de parfaite idylle, que vous seriez restés ensemble coute que coute… Que nous deux ça n'aurait jamais existé. Il pince légèrement les lèvres dans un silence. Ce n'était plus du souvenir, c'était de l'imagination. Bien sûr que je veux que tu me parles de lui, je veux que tu me dises que vous vous êtes aimé, je veux savoir quand, pourquoi, où, quand vous avez acheté cette maison, combien d'années vous y avez vécu… Mais quand tu te projettes hors de tes souvenirs, quand tu me compares à lui, tu t'éloignes de moi et j’ai l’impression que tu me fais comprendre que je suis et je resterais un second choix… C’est ça qui est le plus difficile ce week-end. C’est de me sentir repoussé systématiquement quand tu parles de lui… d’être relégué au rang de lot de consolation. Comme si… Comme si notre histoire ne pouvait pas cohabiter avec son souvenir. Comme si dès que tu te souviens de lui, je n’existe plus, parce que tu as l’impression qu’il est toujours là avec toi, que votre histoire n’a jamais eu de point final… Donc ça, ça c’est difficile à accepter. Tu comprends ? C'est comme si je te disais que si Flora avait voulu me suivre à New York, on aurait adopté ensemble et je ne serais jamais revenu à Redwood parce que j'aurais été si heureux avec elle et toi et moi, on ne se serait jamais revu. Tu te serais occupé seul de ta mère et voilà. Comme si je te disais que si Sonia ne m'avait pas trompé, je ne me serais jamais intéressé à toi de nouveau, même si on s'était croisé. C'est peut-être vrai, mais c'est blessant, gratuitement blessant. Parce que on ne peut pas connaître ce qui aurait pu être. Il ne sait pas pourquoi il dit tout ça. Il n’a même pas pensé à ça pendant ces deux heures tout seul, au contraire, il pensait à quel point cette histoire était malheureuse. Ce que je veux dire, c'est que cette barrière que tu mets entre Daniel et moi… Ça m’empêche de l’aimer aussi, cet homme qui t’a rendu heureux. Ça m’empêche de poser des questions sur lui, ça m’empêche de m’y intéresser. Et peut-être que c’est aussi pour ça que tu le fais, je ne sais pas, pour que je rejette cette histoire et qu’on en parle plus… Je ne sais pas pourquoi tu fais ça, mais ça me peine beaucoup parce que je suis sûr que je l’aurais aimé ton homme, Jeff. Et que tu le veuilles où non, dans cette réalité aujourd'hui, tu as eu Daniel et tu as maintenant Alonso. Il le dit doucement et sans accélérer le ton, d’une voix un peu peinée. Mais ce n’était pas si grave, non.

C'est dur pour toi, de parler de Daniel, de dire son nom, surtout, de dire qu'il n'est plus. Mais tu ne te rends pas forcément compte que c'est aussi très dur pour Alonso, de t'entendre dire que tu es avec lui parce que ton autre grand amour est mort. C'est injuste, inutile parce que la vie ne sera jamais autrement. Il n'existe aucun moment où la réalité pourrait changer, peut être d'autres réalités quelque part dans l'univers, mais ce ne sont que des réalités qui n'existent pas dans la tienne.

Il commence à te parler. Tu l'écoutes bien sûr, parce que tu as cru capter, cru comprendre que tu avais fauté quelque part. Tu n'es pas le plus doué pour ces choses là, tu essaies d'être plus à l'écoute parce qu'Alonso le mérite, lui qui l'est toujours pour toi, lui qui sait même anticiper tes besoins et les voir venir avant même que tu ne t'en rendes compte. Alonso devrait savoir à quel point tu l'aimes, à quel point tu ne changerais jamais ta vie de maintenant pour quelques instants, une éternité avec Daniel. Peut être que tu as besoin de vivre de regrets, de choses qui n'ont pu se faire. Comme il t'arrivait d'être injuste avec ton ancien compagnon, à parfois lui dire, la tête pleine de mélancolie, que ta vie aurait été différente si vous ne vous étiez pas perdus avec Alonso, si tu ne l'avais pas trompé et s'il n'en avait pas fait de même. Que vous auriez pu vous pardonner. Finalement, peut être que Daniel acceptait de saluer sa photo avec toi pour que le souvenir que tu avais d'Alonso reste plaisant, qu'il ne se transforme pas en cette mélancolie et ce regret que subit Alonso aujourd'hui, envers Daniel. Accepter une petite partie de ton passé regretté pour qu'il n'envahisse pas le présent, peut être que c'était le parti pris de Daniel et que tu n'en as jamais eu conscience, que tu n'en as toujours pas conscience.

Tu l'écoutes. Tu essaies de comprendre chaque mot, chaque phrase sans ne rien dire. Alonso reste calme, ses sourcils ne se fronce pas. Il n'a pas l'air de t'en vouloir alors de ton côté, l'angoisse ne monte pas. Tu hoches la tête de temps à autre, pour indiquer que tu es toujours là, que tu ne fais que l'écouter et rien d'autre. Il n'y a que l'eau qui remue un peu quand vous bougez pour faire du bruit, l'eau et la voix posée d'Alonso. Il finit. Tu tentes un faible sourire. Je l'aime, cette réalité, tu le sais ? Être avec Alonso n'est pas un regret, c'est même ton petit miracle. Si tu pouvais juste changer une chose, alors peut être que tu ferais vivre Daniel, mais sans toi, toi, tu reviendrais à Redwood, tu irais choisir des vêtements pour faire plaisir à ta mère et Alonso irait se cacher derrière les nouvelles collections de la boutique parce qu'il aurait un doute sur le fait que ça soit bien toi. Mais tu aurais du le lui dire, tout ça, au lieu de ne parler que de regrets. Tu pousses un long soupire, tu espères que tu vas bien parler alors tu réfléchis tout de même quelques instants avant de reprendre la parole. Je suis désolé. Tu commences, c'est peut être un bon commencement, parce que tu l'es et parce que tu as des tas de raison de l'être. Daniel est un souvenir. Un souvenir encore douloureux, c'est vrai et j'ai tendance à imaginer comment les choses auraient pu se passer, peut être à les idéaliser aussi, tu sais, vivre dans une réalité qui ne l'est pas, mais qui est parfaite, sans angoisses et rassurante... C'est comme un cocon pour moi et même si je me sens bien dans ma vie actuelle, j'ai tendance à me réfugier dans ce cocon par habitude. Tu ne parles pas de ces moments à l’hôpital, dans des cliniques, où ces cocons fictifs étaient ton seul moyen de tenir le coup. Tu t'es souvent créé des réalités parfaites avec Alonso, d'ailleurs. Je ne voulais pas dire que je regrette...Enfin, bien sûr que je regrette qu'il...Qu'il ne soit plus là. Pas mort, mort c'est un peu trop encore. Mais...Tu ne sais pas si le mais à sa place ici. Tu ne sais plus trop. Est ce que tu dois parler de lui ou ne pas le faire. Tu l'as bien écouté pourtant mais tout semble déjà s'embrouiller dans ta tête et tu es dans l'eau, c'est tout de même perturbant de parler dans l'eau. Je te parlerai de Daniel alors. Tu as raison, s'il ne doit pas être un tabou, c'est bien avec toi. Je suis désolé, vraiment désolé. Je dois arrêter de m'imaginer ma vie et vivre celle qu'on m'offre... Ce n'est pas comme si je pouvais m'en plaindre. J'ai un bel homme, sans doute le plus beau de toute la région, un homme tendre et compréhensif. Un homme à l'intelligence qui me surprend toujours. Un homme qui aime les fleurs et qui conduit sa moto. Que l'on prend parfois pour un mexicain... un homme qui n'a cessé de me désirer même quand je me sentais si peu désirable qu'il m'était insupportable de passer devant un miroir. Un homme que je trouve glouton parfois alors que le problème est que je mange comme un moineau qui vient de naitre. Un homme qui pense à prendre des cordes pour une sortie d'un weekend parce qu'il connait ma sensibilité pour ces dernières. Un homme qui n'est pas du tout un second choix, jamais. C'est sans doute le seul point positif, je ne sais pas si on peut le dire comme ça. Ce que je veux dire, c'est que cette vie là, cette vie avec toi c'est celle que je chérie le plus. Le reste... Le reste sont des mondes dans lesquels parfois, je me perds parce que je les imagine parfait et donc faciles. Mais la vie ce n'est pas ça, ce n'est pas facile. Et je préfère encore la difficulté de la vie, celle que je mène avec toi, que mes rêves parfaits où d'ailleurs, tu as aussi souvent été le personnage principal. Mais tu n'es pas un second choix Mon Alonso, tu es celui de cette vie, celui qui me va le mieux. Tu n'es même pas un choix, je ne sais pas comment le dire, tu es une évidence. Tu as beaucoup parlé, tu déglutis, peut être que tu t'es enfoncé et tu espères qu'il te le dira, qu'il ne sera pas juste d'accord avec toi et qu'il gardera sa tristesse. D'ailleurs, je vais le dire, Daniel n'est pas une ombre sur notre couple, il ne peut pas l'être. Il est... C'est dur, c'est tout de même dur. Il est mort. Je le dis sans que tu me fasses répéter. Il est mort et je le regrette mais comme tu m'as fait le dire, ce n'est pas de ma faute et je dois maintenant chérir les moments qu'on a eu ensemble, autant que je chéris ceux que nous avons, toi et moi. Et l'idée que les nôtres s'écrivent encore une infinité de page... c'est ce qui me rend heureux aujourd'hui. Voilà. Tu ne sauras pas le dire autrement. C'est vous deux, à vous aimer comme peu d'autres le font, mais à ne pas savoir le dire correctement à l'autre.

Son compagnon l'écoute jusqu'au bout. Il lui montre qu'il est là et qu'il l'entend. C'est important pour lui. C'est important pour eux. Alonso hoche la tête quand Jeff lui dit qu'il aime leur réalité. Oui... Il sait, il s'en rend compte. Il le voit que son compagnon est bien avec lui. Mais... Il se demande s'il est suffisant, il a beau être bien. Il reste un second choix. Mais Jeff s'excuse et lui explique et Alonso retrouve un léger sourire quand il énumère ce qui compte pour lui. Il vient caresser son visage lorsqu'il lui dit qu'il préfère la difficulté de leur vie à ces mondes idylliques. Il comprend mieux. Alonso se dit qu'il a bien fait de parler à Jeff, même si c'était soudain, en plein milieu de la piscine. Oui la vie ce n'est pas facile, mais c'est beau aussi, peut-être plus beau que toutes les réalités parallèle, parce que c'est réel. Alors, dans la vraie vie, on perdait des gens, on les blessait, on devait faire attention aux mots employés mais pour Alonso, il n'y avait pas d'autres vies parallèles. Et si elle existaient... Il ne voudrait pas les connaître.

Jeff lui dit qu'il est une évidence. Alonso se rapproche un peu plus. Une évidence... Jeff était la sienne. Qu'importait la difficulté. Il prononce enfin que Daniel est parti et du coup Alonso fige ses mouvements pour lui laisser l'espace de dire les choses comme il souhaite le dire. Est-ce que Jeff peut supporter cette réalité à présent ? Vraiment ? Il sait que ce n'est pas aussi simple, mais c'est un début, un bon début. Accepter le décès, au moins en le nommant, c'est une étape importante. Ça lui montre qu'il n'est plus dans le déni. Cette discussion lui a permis de mieux comprendre les enjeux qui se cachent arrière les mots de Jeff. Son compagnon est irrémédiablement maladroit. Mais ce n'est pas uniquement de sa faute. Il a vécu, plus que la plupart des gens, avec un passé lourd et une pathologie qui n'arrangeait rien, voire qui se nourrissait de son mal être. Il se rapproche encore un peu jusqu'a faire se toucher leurs corps. Alonso a encore son maillot, mais Jeff est nu, lui. Accroche-toi à moi... murmure-t-il en posant les mains sur ses cuisses pour qu'elle viennent enlacer son buste. Il entoure ses bras autour de Jeff et l'embrasse avec tout son amour.

Alonso adore cette proximité, torse contre torse, bassin contre bassin. Il termine le baiser et frotte son nez contre le sien, il ferme les yeux et sourit. C'est vrai que ce week-end est particulier, mais j'ai l'impression de te connaître de mieux en mieux, de te comprendre de mieux en mieux et de reconstruire une confiance en l'autre que j'ai longtemps crue perdue. A cause de quelqu'un qui s'appelait Sonia et qui l'avait blessé, plus profondement que quiconque. Et je t'aime tellement. Je veux vivre pleinement cette vie avec toi, les bons moments mais aussi les mauvais moments. Tu es mon évidence aussi, tu le sais déjà. Mi amor... Son sourire s'élargit, son visage s'éclaircit comme à chaque fois que son sourire est large et sincère. Il fait glisser un peu leurs corps dans l'eau, dans cette postion qu'ils ne peuvent faire que dans une piscine sans se casser définitivement la figure.