La rentrée est passée, avec fracas et sautes d’humeur d’Allison, sa nièce. Elle a ralenti son traitement et elle a eu des hauts et des bas, ce n’était pas évident à gérer. Elle a travaillé toute la fin d’août chez Lizzie, Ben lui est resté distant comme il devait l’être. Le changement de rythme a été brutal à la reprise des cours, elle n’a pas réussi correctement la transition. Ben, lui-même, a accusé la perte définitive de son ex avec ce qui lui restait de forces entre Alli et le boulot qui était très prenant, c’est-à-dire pas grand-chose. Heureusement, il est sorti, il a vu des amis, il a pu se reposer sur les gens qu’il aimait. Le mois d’octobre est arrivé bien vite, ils ont célébré ensemble la première année de la mort de sa sœur. Ils ont pris le week-end pour aller visiter sa tombe, Tim, le demi-frère d’Allison était là, lui aussi. Pour une fois, la rencontre entre le frère et la sœur s’est fait naturellement, tout le monde était là pour rendre hommage à Liliana.

Aujourd’hui était le jour du groupe de parole. Ben a la chance d’avoir un travail qui lui laisse du temps pour ce genre de choses. Il y va une semaine sur deux environ. Pas à chaque fois, mais régulièrement, ça lui fait du bien, il a l’impression d’être moins seul dans sa peine. Curieusement, ça l’a aidé sur de nombreux points, notamment aussi à faire aussi le deuil de sa précédente relation. Deuil qu’il aurait dû faire depuis des années, il le savait bien. Il se demande si Lizzie a accouché, ce n’était pas pour ce mois-ci ? Il n’a pas de nouvelles et à vrai dire, il n’a pas eu envie d’en prendre non plus. Ben a installé une appli de rencontre, mais il n’a pas eu le temps d’organiser de rendez-vous, il discute avec des femmes et rien que ça, ça change un peu sa vie. Le groupe se passe bien, il y a des nouvelles têtes, des plus anciennes, c’est toujours le cas. Il y a un temps d’échange en groupe d’abord, puis, il y a un temps pour discuter entre eux. Il arrive tout pile à l’heure et s’installe sur une chaise inoccupée entre Henry qu’il salue d’une poignée de main discrète et une jeune femme qu’il ne connait pas. Ben, enchanté. dit-il avec son sourire naturel et un signe de tête. Il ne veut pas forcer le contact. Ben est naturel avec les gens, sociable et souriant, mais rarement intrusif. S’il l’est c’est le plus souvent de la maladresse. Il salue aussi d’un signe de la main à trois autres personnes de l’assistance qui lui répondent par un sourire ainsi que l’animateur. Il mime des mots à certains en silence, promet par quelques gestes de se reparler après ou qu'il leur a envoyé un message, le geste n'est pas clair, mais la personne en face semble comprendre. Depuis qu’il y vient, il a eu le temps de se faire des amis, il organise même parfois des verres en dehors avec certains membres du groupe. Parfois, certains ne viennent plus mais Ben continue de maintenir le contact, il est ainsi. Il ne vient pas toujours aux mêmes séances, mais cette session du mardi 18h est celle qu'il fréquente le plus. Il aime le fait qu'ils ne soient que huit maximum, ça permet a chacun d'avoir le temps de parler.

Bien, on va pouvoir commencer… indique l’animateur autres personnes présentes ce jour-là. Il se présente, rappelle les règles de base du groupe : respect du silence, écoute active, confidentialité et non-jugement comme à chaque début de session. Ben fait un second sourire à sa voisine. A la fin de l’introduction, chacun tour à tour commence à parler. Le jeune homme écoute, son sourire disparait et réapparait en fonction de ce qu’il entend. Certains parlent de la personne qu'ils ont perdue, d’autres de leurs émotions, de leurs difficultés ou de leur manière de traverser le deuil. C’est variable, chacun a un parcours différent. A la fin de chaque intervention, il a un petit temps où les autres participants sont invités à exprimer de la compréhension ou de l'empathie. Parfois, ils posent des questions ou partagent des expériences similaires brièvement, mais toujours dans le respect du ressenti de celui qui a parlé. Ben ne s’exprime pas trop pendant ces interventions. Lorsque vient son tour, il fronce les sourcils, regarde les participants avant de se lancer.

Bonsoir à tous. Pour ma part, on a « fêté » les un an de sa disparition, il y a dix jours. Je ne sais pas pourquoi je dis fêter, puisqu’on a surtout pleuré en fait. Il sourit, comme souvent quand il est malheureux, il sourit, parce qu’il a appris à faire ça pour éviter les questions pour éviter qu’on ne s’inquiète pour lui. Aujourd’hui c’est devenu un tic naturel. Un sourire qui cache des blessures. J’ai emmené sa fille au cimetière qu’elle puisse parler à sa mère et aussi à son père. Ça faisait depuis janvier, qu’on était pas descendus la voir, c’est ma faute j’ai été pris par le boulot, la maison, le retour à Redwood Hills… Il soupire. Ça a été dur. Vraiment dur. Plus dur que je ne m’imaginais, de revenir là-bas, de revoir notre maison d’enfance, revoir nos amis car quelques personnes sont venues aussi, mon père… Ma nièce, elle, a éclaté en sanglots, j’ai passé un partie de mon temps à la consoler… Il lève les yeux qu’il avait légèrement baissé sur ses mains. C'était un exercice auquel il était habitué maintenant, de parler devant tous ces gens, des amis mais aussi des inconnus à qui il livrait une partie de son âme. Je sais que ce sont des étapes importantes – les anniversaires – mais j’ai l’impression que cet anniversaire m’a fait reculer. J’avais l’impression d’avoir retrouvé le contrôle de ma vie d’avancer. Depuis que je suis revenu, tout est difficile de nouveau… Le dire lui fait du bien, car avoir une adolescente à la maison l’oblige le plus souvent à faire front. Bien sûr, il s’autorise à être triste devant elle, ils en ont beaucoup parlé depuis qu’elle voit une psy, mais c’était lui l’adulte alors… Il gardait aussi, rien que parce qu’il devait se lever le matin et aller travailler. Je crois que je vais m’arrêter là pour aujourd’hui. Il sourit et certains participants le remercient pour son partage. C’est au tour de la voisine de droite. Mais le plus souvent, les nouveaux venus ne parlent pas, il n’y a pas d’obligation de toute façon, chacun suit son rythme.