La situation en est presque absurde. Hailee, rongée par la curiosité et la culpabilité de mettre Peter dans l’embarras, ne sait quel chemin prendre pour aborder la conversation fatidique. La nervosité semble les gagner tous les deux alors qu’ils s’efforcent d’avoir l’air normaux. Mais fallait-il avoir l’air détendu après ce qui venait de se passer à la fin de la projection ?

Enfin, Peter avoue à demi mot. Hailee écarquille les yeux. C’était donc eux. Aussi discrètement que possible, elle regarde autour d’eux deux. Les gens sortent, des voitures se garent devant la vitrine de l’antre, ce qui les éclaire un peu. Peter et elle sont devant les petits fours, mais aucun d’eux n’a l’air d’avoir réellement faim. « Est-ce que c’est sécure d’en parler ici ? Après… ça ? » Elle pointe furtivement l’entrée de la salle où a eu lieu la projection maudite. Peut-être faudrait-il qu’ils partent et aillent discuter ailleurs… Sait-on jamais, la Rose pouvait encore traîner dans les parages. Elle s’en voudrait affreusement de lui causer du tort. Peter enchaîne avec une question qui la déconcerte totalement. Elle n’y répond d’ailleurs pas tout de suite, réfléchissant à la meilleure manière de le rassurer et qu’il lui fasse confiance. Aucune émotion ne s’affiche sur le visage de la brune, si ce n’est une mine concentrée et involontairement dubitative. « Non. » répond-elle froidement. Si elle se justifie d’une quelconque manière, peut-être que Peter va croire qu’elle essaie de lui mentir. « On sort dehors ? »

@Peter Black  

Même si le hot topic du moment est au bout des lèvres de tous les participants de la soirée, Hailee tient à prendre ses précautions. « Je doute que ça soit de ça dont les gens parlent ce soir. » En effet, sa trouvaille n’allait pas vraiment dans le sens de la doxa générale au sujet de la secte locale. La brune écoute religieusement Peter sans pour autant répondre à sa dernière remarque. Non, elle ne s’est jamais sentie concernée par la Rose Lunaire. Jusqu’ici, elle ne s’est d’ailleurs jamais sentie menacée dans ses recherches dont elle ne s’est jamais cachée. Mais ce soir, en discutant avec Peter, elle sent qu’elle prend un risque.

Les deux sortent enfin du grand hall du Stowe cinema. L’air glacial remet un peu les idées en place d’Hailee. Elle commence à marcher pour s’éloigner du brouhaha collectif et observe Peter du coin de l’œil. Ce n’est pas qu’elle a peur, mais c’est quand même un peu stressant de passer le cap. Elle n’en a encore parlé à personne. « J’ai trouvé un document. Qui date de 1985. Ça m’a tout l’air d’être un extrait de journal de bord, peut-être même un journal intime. » Elle jauge la réaction de son interlocuteur puis reprend rapidement : « Cette personne retrace l’histoire d’un évènement lié à la famille Black et à deux bienfaiteurs membres de la Rose qui les ont aidé financièrement… John et Daisy. » L’historienne passe nerveusement une main dans ses cheveux. « Je suis historienne, je sais que ce document est authentique. » Peter s’est déjà trahi quelques minutes auparavant dans ses gestes et paroles, ce qui confirme que l’histoire est possiblement vraie. Qu’attendait-elle vraiment de cette discussion ? Elle verrait en fonction des réactions du protagoniste de sa soirée.

@Peter Black  

N’en plaise à ma fée, beaucoup de choses avaient déjà changé. Moi, le premier et toutes les priorités nouvelles d’une vie à deux. Mais ce n’était pas une raison pour que l’amitié, elle, n’ait plus ses ailes ! Je me trouvais entre deux feux, ne pouvant pas prononcer les mots qui auraient conforté mon amie de toujours sans que ceux-là ne fassent grincer des deux ma belle-sœur. Si sérieux sans être sérieux que je pouvais l’être, j’allais finir par avoir mal aux joues à force de contenir ce sourire qui sauvait les apparences ! « Ah, mais c’est de famille, tu crois ? » Lançais-je alors, un coup d'œil pour une, puis pour l’autre – difficile de savoir de qui j’espérais une réponse finalement. « C’est que tu n’as pas l’intention de venir faire du babysitting pour nous ? À mes oreilles, tatie Joe, ça sonne bien… Très bien, même ! » Oui, mais non, quelque chose me disait que ma compagne ne serait pas de cet avis, elle qui s’était mise dans tous ces états à savoir sa petite sœur dans les parages. Et il était vrai que Noam avait déjà manifesté son intention de se montrer présent, si le besoin se faisait sentir. De toute façon… « Wanda pourra venir aussi, à l’occasion. » Pas besoin de cacher quoi que ce soit, et à sentir la jeune femme s’accrocher à mon bras, j’avais bien l’impression que je serais bientôt coupé en deux ! « … Tant que tu ne lui donnes pas rien que des bonbons ! » Sourire complice à la belle blonde, comme si, nous, nous avions l’habitude d’être raisonnables…
Autrement, ça en faisait déjà beaucoup, de projets, pour un tout petit bébé. Un certain soulagement se faisait ressentir, alors qu’il était enfin temps de prendre place dans la salle de cinéma – mon lieu préféré d’entre tous, les bras grand ouverts d’un écran prêt à faire le pont avec son imaginaire. Mais bien vite, la brunette se glissait entre nous, de sorte que je ne pouvais pas même empêcher le coup d'œil réprobateur à son égard, bien assez rapidement interrompu par - il était temps ! - le documentaire que nous étions tous venus voir. À voir ainsi défiler les visages familiers, j’en oubliais presque les reproches silencieux de Joe, presque, avant d’apercevoir l’auditorium du lycée et la troupe de théâtre et… Une fraction de seconde, j’étais là, occupé à gesticuler devant la troupe de théâtre. Mon moment de gloire ? Sourire amusé, je tournais la tête vers Wanda, ou plutôt, Joe, ah… Les yeux rivés sur le grand écran, voilà qui était mieux pour tout le monde, et ce, jusqu’à la toute dernière minute du générique rempli de noms connus. « Eh bien, un de mes meilleurs passages à l’écran et de loin ! » Me moquais-je avec humour. « S’ils présentent ça ailleurs, on sera envahis par les touristes, ça a l’air d’être le plus beau coin de pays. » Ils avaient fait ça, vraiment, vraiment en grand. De quoi redorer le blason d’un patelin à peine marqué sur la carte du Vermont ! Quoi que… Il fallait un instant pour réaliser qu’autre chose s’était mis à passer sous nos yeux. Avait-on donc l’intention de faire une suite ? Une scène cachée, façon Marvel, pour nous donner envie de voir les prochains épisodes merveilleux de la vie à Redwood Hills ? « On devrait sortir. » Joe ne comprenait pas, Joe ne pouvait pas comprendre. « Ça va ? » Que je demandais à Wanda, juste avant de reposer les yeux sur Joe. « Ne t’éloigne pas, s’il-te-plaît, ça ne laisse… Rien présager de bon, quand ils font ça. » Les spectateurs avaient tous la même idée ! Sortir de cette salle, peut-être même du cinéma tout court. Il fallait presque piétiner sur place, et difficile de ne pas se faire marcher sur les pieds. Je tirais mon smartphone de ma poche, comme s’il était susceptible de m’apprendre quoi que ce soit. Non, rien. Pas de messages urgents, pas de drame à signaler encore.
Quelques instants encore et nous y étions enfin, hors de la salle, quand je réalisais tout à coup. « Attends… Joe, elle est où, Wanda ? » Je ne l’avais quittée des yeux qu’une seconde, deux pas plus, et voilà que mon cœur ratait un bond. J’interrogeais Joe du regard, toujours à mes côtés, tandis qu’il apparaissait impossible d’aller à contre-courant à présent, d’autres spectateurs évacuant toujours la salle.

Voilà, le morceau est sorti. L’espace d’un moment, Hailee se demande si elle a bien fait de raconter cela à Peter. Il est indéniablement directement concerné par la secte, et elle ne sait pas ce qu’il va faire de l’information qu’elle lui donne. Cela ne lui ressemble pas de foncer tête baissée sans un minimum de réflexion. Mais la soirée avait été très particulière, franchement, quelles étaient les chances qu’elle se retrouve à discuter avec Peter Black ce soir-là ?

« Non, aucun nom. Juste John et Daisy, un couple riche et visiblement philanthrope, ayant brièvement été membres de la Rose... » Elle se concentre pour bien se rappeler exactement de ce que contient le document. « Ils ont créé un fond pour aider les familles, en particulier pour que les enfants ne manquent de rien. » Elle fronce les sourcils, cherchant dans sa mémoire quelques compléments d’information. « Il est question de la famille Black, d’un enfant hospitalisé pendant très longtemps... » Hailee relève son regard vers Peter. Elle plisse les yeux et se mord la lèvre, perplexe. Peter devait avoir quelques années de plus qu’elle tout au plus… « Les parents, des agriculteurs qui n’auraient pas pu payer les frais... ont reçu de l’argent de ce fond approvisionné par John et Daisy, appartenant à la Rose. »

Hailee s’arrête doucement et fixe son interlocuteur. C’est comme si elle pouvait sentir les connexions se faire dans son cerveau, et elle se sent un peu submergée par cela. Elle a déjà entendu la mère de Peter, bénévole à la Paroisse parler de leur ferme. Peter Black pouvait donc totalement être cet enfant dont parle le document… Et si elle avait fait une erreur de lui en parler ? « Est ce que je vais avoir des problèmes ? » Elle joue nerveusement avec ses doigts contre sa jambe. Elle pense à Owen, à Joséphine. Elle s’en voudrait toute sa vie si elle avait mis leur sécurité en danger.

@Peter Black  

La confidence de Grace ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Le sourire qu’elle lui adresse alors qu’elle répond à son fils ne fait aucun doute, il ne l’a jamais battue, voilà ce qu’elle dit et elle a raison, Grace, elle a toujours raison. Mais Jamie ne s’avouera pas vaincu sans résister. « Mais pour en être vraiment sûr faudrait que la championne remette son titre en jeu. » Le sourire carnassier qu’il lui renvoie traduit une réelle envie, l’idée de se faire une partie une fois la séance terminée le séduit. Tout est bon pour se distraire avant que la salle soit plongée dans le noir. Avant que tout devienne sérieux.
Le visage de Grace apparait sur le grand écran et Jamie veille du coin de l’œil, le regard posé sur la Grace de chaire et d’os assise à ses côtés, guettant sa réaction. Si elle ne se trouve pas assez bien, il lui suffit de détourner le regard une seconde pour qu’il vienne trouver le sien et alors elle se verra dans ses yeux à lui et elle ne doutera plus. Comme elle sourit, Jamie se détend, arrive à profiter de l’expérience, du rendu des lieux familier à l’écran et des quelques témoignages même s’il ne peut s’empêcher de tiquer du bout des lèvres de-ci de-là. Mais il ne dira rien, puisque face aux caméras il a choisi de se taire.

Bien. C’était bien. Il reste pendu à ses lèvres attendant qu’elle finisse sa phrase mais elle ne la finira pas. Trop bien. Ça ne pouvait finir ainsi, évidement. Tout son corps se crispe, uni au diapason à celui de la Maire. C’est elle qu’ils visent, forcément. Comment le prendre autrement ? Si j’avance, suivez-moi. Jamais aucun mot ne lui a plus donné envie de fuir. Mais Grace est Maire, il doit de se le rappeler, alors il attend, voit la nouvelle Capitaine courir après le propriétaire des lieux comme il aurait lui-même couru s’il avait encore son badge, en vain qu’il n’ose à peine penser de peur de lui porter la poisse. Il se demande si Grace va devoir courir aussi, après lui ou quelqu’un d’autre. Sa main vient trouver la sienne enfoncée dans l’accoudoir, attendant que le choc passe alors que des silhouettes gravitent autour d’eux. Sa main libre attrape le bras de Marlon qui ne dit rien ou n’ose rien dire pour l’ancrer près de lui, le protégeant d’un mal invisible, en attendant là aussi… mais quoi ? De rentrer à la maison ? Saura-t-il quoi dire une fois là-bas ? Trouvera-t-il de quoi briser le silence sur le trajet ? « Tu veux qu’on s’en aille ? » Qu’il demande finalement, essayant de décoller Grace de l’écran. Il commence déjà à rassembler leurs affaires, à moitié debout. Si ça ne tenait qu’à lui il serait déjà parti, les aurait entraîné dehors, mais le statut de Grace lui impose peut-être des obligations. Tout ce qu'il sait, c'est qu'ils n'iront pas jouer au flipper...  

@Grace Fordham

Katey a beau tourner et retourner toutes les informations en sa possession dans tous les sens, elle ne comprend pas ce qu’il se passe. Et le bruit dans la salle de cinéma qui parvient à ses oreilles comme de loin lui indique qu’elle n’est pas la seule dans ce cas-là. Aspen le lui dit franchement par ailleurs : elle ne sait pas non plus, elle ne sait rien. Le départ précipité de la nouvelle capitaine de police un peu plus tôt lui donne également à penser que les forces de l’ordre vont tenter d’éclaircir le mystère tant qu’il est encore brûlant. Elle se penche vers Aspen et lui chuchote en indiquant la place laissée vide par Jenna : « Tu crois qu’ils vont les arrêter ? Ceux qui ont fait ça ? S’ils sont encore là… » Elle ignore complètement comment les personnes inconnues qui ont réussi à diffuser cette vidéo à la suite du documentaire s’y sont prises mais elle songe que peut-être, elles sont encore dans les parages. Peut-être même mêlées à la foule… Aspen lui demande si elle veut s’en aller. Katey jette un regard à la porte de sortie de la salle. Évidemment, tout le monde a eu la même idée et veut s’éloigner au plus vite de l’endroit. On ne sait jamais, s’il se passe quelque chose d’autre… cette simple idée la fait s’agiter d’un bref frisson. Mais Kate a un côté courageux et surtout, elle ressent le besoin de comprendre ce qui est arrivé. Il manque tellement de pièces au puzzle… et elle se dit qu’elle ne pourra plus jamais dormir, plus vivre comme avant, tant qu’elle ne les aura pas toutes rassemblées. « On peut attendre un peu, pour voir » hasarde-t-elle. De toute façon pour le moment, qu’elles restent assises ou tentent de se diriger vers la sortie, c’est pratiquement du pareil au même vu la foule qui a quitté son siège.  

@Aspen Vaughn