Peu de choses irritent tant Asael que la sensation de laisser filer entre ses doigts une situation qu’il pensait pourtant avoir sous contrôle. L’organisation de cette fête, ses invitations personnelles, Suzy : tous les pions soigneusement placés pour jouer le théâtre que le pasteur souhaitait voir et qui pour une raison inconnue décident soudainement de ne bouger qu’à leur convenance propre. Sans doute avait-il sous-estimé l’inquiétude grandissante au sujet de sa femme, grain de sable qui en cascade provoque la chute de chaque pièce. « Vraiment ? Quelle troublante… Affaire. » Le regard qui se détache de Peter pour revenir à la petite blonde à ses côtés ; Froid. Ce n’était pas le plan. « Heureusement, oui. Je vous remercie d’avoir pris la chose au sérieux. » Bien sûr, bien sûr : le jeune Black prend tout ce qui ne le concerne pas très au sérieux. Un autre phénomène qu’il avait mal anticipé, à croire que le pasteur stratège ne soit définitivement pas aussi doué pour lire les esprits qu’il n’aimerait le prétendre. Drôle de déception, quelles en seront ses conséquences ?

Le Livre entre ses doigts raccroche le vieil homme au concret et au présent, l’urgence étant évidemment de foutre ces deux idiots dehors. Impatient, son regard ne fixe que l’objet convoité et pas le jeune homme qui s’approche et effectue un geste maladroit exactement au même moment. Des documents glissent de la Bible ; Le cadre de la photographie présentée par Peter tombe dans un bruit étouffé sur le tapis. Bon sang. Asael n’est plus assez jeune et ses hanches plus assez dynamiques pour lui permettre de s’accroupir rapidement : il se contente de pointer du doigt les papiers à terre, laissant la pauvre Suzy à la mine désormais particulièrement coupable se précipiter pour les lui rendre. « Nous sommes tous jeunes avant d’être vieux, je sais que cette nouvelle vous surprendra » commente-t-il sans tenter de dissimuler à quel point toute cette scène l’agace. Ses secrets de nouveaux dissimulés entre les pages de la précieuse vérité, il reporte enfin son regard sur le souvenir qui date de cinquante ans. « Les services effectués auprès des héros de notre nation ont marqués le début de mes fonctions. » Qu’Asael ait porté visite aux vétérans du Vietnam est de notoriété publique, de toute façon. Il ne s’en vante pas, ne s’en cache pas : un épisode certes valorisant mais dans lequel il n’a guère envie que l’on aille chercher des détails. « Je vous raccompagne. » La discussion est terminée. D’un geste, la porte désignée. La photographie replacée dans la bibliothèque et le soupir réprimé. « Il reste encore beaucoup de travail, n’hésitez pas à vous rendre utiles » conseille-t-il enfin d’un ton faussement détaché, décidé à prendre un instant seul dans son bureau pour vérifier que rien n’aura bougé.

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Alors que les autres bénévoles partaient de leur côté pour vaquer à leurs occupations, Grace resta au stand en compagnie de la nouvelle venue, June. Elle n’avait pas l’intention de s’éterniser, elle souhaitait apporter son aide ailleurs aussi, ce n’était pas le travail qui manquait à la paroisse ce jour-là. Mais elle ne résistait pas au visage poupon d’un bébé et ne put s’empêcher de se pencher au-dessus de la poussette pour s’émerveiller devant la petite Lydia. Oh, comme ça lui rappelait Lucy ! « Non, ce n’est pas beaucoup plus reposant, au contraire. Il faut sans cesse les surveiller ! Mais c’est une période extraordinaire » sa propre fille s’en éloignait peu à peu, même si elle était encore à un âge où l’on s’accrochait à sa mère. Grace savourait ces précieux moments, elle avait bien conscience qu’ils ne dureraient pas éternellement. Melody et Elijah avaient de moins en moins besoin d’elle. Elle contempla encore de longues secondes le bébé avant de se relever pour se concentrer sur la mère et, surtout, sur leur environnement. Grace n’oubliait pas la raison pour laquelle ils se trouvaient tous ici, et la petite fille pouvait attendre. « Tu peux prendre mon relais au stand, si tu veux ? Je comptais justement m’éclipser pour donner un coup de main à l’intérieur de l’église et j’ai besoin de quelqu’un pour me remplacer » seulement si June le voulait, naturellement, mais Grace supposait que ce serait pratique pour elle. Elle pourrait ainsi tenir le stand, servir les bénévoles qui viendraient se désaltérer, tout en gardant un œil sur le bébé. Si Grace avait été à sa place, c’était ce qu’elle aurait aimé, en tout cas. Une fois le sujet réglé, l’avocate lui souhaita une bonne journée, même si elles se recroiseraient certainement un peu plus tard. Et, après un ultime coup d’œil au bébé, elle s’éloigna des stands pour offrir son aide ailleurs. 

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