Une chose était certaine, j’étais ravi que mon nouvel interlocuteur n’ait pas été invité aux séances de brainstorming avec Teddy, lorsque nous avions décidé du nom de notre fils. Amusé tout de même, je haussais un sourcil, c’était qu’il fallait reconnaître l’effort et l’originalité. Quant à ce qu’il avait contre les trois millions que nous étions, l’explication ne tardait pas tellement à tomber. Gamin en larmes ? Gosse perdu à la recherche de sa mère ? Cette fois, c’était une véritable grimace qui se logeait sur mon visage, alors que j’imaginais d’ici la performance digne d’un Oscar que ma mère avait peut-être donné, pour avoir de l’attention. Parce que c’était ce qu’elle faisait, Ellen, c’était ce qu’elle avait toujours fait. Ses lubies n’avaient d’égal que son inconsistance à jouer son rôle de mère, mais les chaussettes sales se lavaient en famille, pas auprès d’un parfait inconnu, si divertissant (et bon pigeon, à en croire comment il s’était retrouvé sur la trace du petit David perdu pour sa mère éplorée, sans oublier –quote– super inquiète) était-il. « Eh beh, dis donc, elle aura mis vingt ans à s’en rendre compte. » Me moquais-je alors, après avoir soupesé la possibilité de mener le jeune homme en bâteau. Ça, c’était le petit David, ou quelque chose du genre, et je n’avais pas tant que ça envie de jouer à ce jeu ! « J’ai toujours su qu’Ellen jalousait secrètement ma carrière. » Moins expressive, mais certainement tout aussi douée pour la comédie, la pomme ne tombait jamais bien loin de l’arbre. « Il s’adonne que je cherche aussi ma mère, mais je n’avais pas pensé à suivre l’arc-en-ciel. » Entendre ici, les propos farfelus qu’elle avait probablement tenu auprès de ce pauvre garçon. « À son âge, je pensais qu’elle finirait par revenir là où nous étions avant que je cligne des yeux. » Autant s’en amuser, il y avait bien pire de toute façon. « Tu es Peter Black, non ? » L’illumination, la voilà. « On m’offre des confitures de chez vous à toutes les occasions. » Qu’il ne se méprenne pas, au fait, car : « Elles sont délicieuses, de loin les meilleures de la région. » Bon. Maintenant que le voile était levé sur le mystère, quand même, ça ne réglait pas la question des bêtises que ma mère était en train de raconter – super inquiète, tu parles. C’est qu’il ne fallait pas disparaître, alors qu’elle savait très bien où j’étais allé échanger les tickets contre nos boissons.
J’observais alors le bon samaritain de l’heure. Il fallait le remercier de se dévouer à une cause presque perdue, et reconnaître qu’il y mettait du cœur, quand même. Oui, il le fallait, mais moi, j’avais surtout envie de rendre la monnaie de la pièce. « Tu voudrais pas lui dire qu’un gamin m’a assommé en tirant au chamboule-tout et que, du coup, je suis à l’article de la mort ? » Un sourire narquois pour appuyer le tout. « Et surtout, filmer la réaction pour mes archives personnelles. » Ellen offrirait sûrement la meilleure performance de l’histoire face à un public gagné d'avance, un peu comme elle l’avait fait lors des élections municipales en se décrivant comme une pauvre mère monoparentale ayant tout fait pour réussir malgré l’adversité. « Oh, eh... David. » Je lui tendais la main, j'avais quand même quelques manières.

Le classique coup sur l’épaule. Je m’y attends, mais je ne suis pas assez rapide pour qu’elle rate son coup. Ça fait rire Cody et Ewen - et moi aussi. « Je croyais que c’étaient eux les muscles de la journée. » Je pointe les deux garçons qui me dévisagent avec un air partiellement confus. « T’es capable de porter ta sœur, n’est-ce pas, Ewen ? » Le petit frère de la concernée secoue la tête. Négatif, mon capitaine. J’aime bien Ewen. Depuis mon retour à Redwood, on a appris à se connaître et à bien s’apprécier. Même que je le vois probablement plus souvent que mon propre fils… Et autant qu’il ne pourra jamais le remplacer, il reste que parfois, il vient combler ce petit manque. Je ramène mon regard sur Nicki et hausse les épaules, faussement désolé. « Le conseil a parlé, tu vas devoir te débrouiller. » Mais avant toute chose, je devais tenir ma promesse - un chapeau de cowboy pour Cody. Pour tout le groupe, en fait. Nos deux acolytes se joignent à notre petit délire. Je prends soin de choisir le chapeau parfait pour Nicki. J'étais callgirl dans une autre vie, tu savais pas ? J’arque les sourcils et la dévisage, cherchant à comprendre le lien. Elle finit par se corriger. Je ne peux m’empêcher d’étouffer un rire et de railler amicalement : « Ouais, ouais. » Heureusement, Cody est trop préoccupé par la trouvaille d’Ewen pour entendre et demander la définition de callgirl. Manquerait plus qu’il rapporte ces mots à Caitlin pour lui donner un argument contre moi. Au tour de Nicki de me choisir un chapeau avant de me complimenter. Je hausse les sourcils en détournant le regard, presque gêné avant de le ramener d’un coup sur elle, en répondant d’un ton très théâtral : « Dans ce pays, si on ne veut pas mourir de faim, il faut faire ou le moine ou le bandit. » Parce que c’est toujours le bon moment pour insérer une citation de film. Mais parfois, il m’arrive d’y songer. À ce désir d’héroïsme qui m’habite depuis trop longtemps. Puis-je réellement me considérer comme un héros ?

Parlant de classique de l’écran, un mini Lucky Luke fait son apparition avec son acolyte. Un tendre sourire se dessine sur mon visage à la vue de mon fils et son chapeau, mais surtout de l’air heureux qui teint ses traits. Ça me fait plaisir. « Les Daltons sont mieux de faire gaffe ! » Nicki se propose pour payer et je m’y oppose, sans trop insister non plus. De toute façon, le vendeur lui refile la facture à elle, donc aucune chance de gagner cette bataille. La meute de cowboys continue son chemin. Je balaye les lieux du regard, admirant les quelques installations. « Ça me va d’être attaché à la vieille sœur. » Je lui glisse un sourire complice, en la poussant doucement d’un léger coup de coude. « Mais va falloir que tu donnes tout. Hors de question que je termine la chasse sans avoir tout coché sur la liste. » Le pire est que je suis presque sérieux. Je peux me montrer déterminé, et je ne cherche pas à m’en cacher.

@Nicki Oxburry

Tehaunui n’avait pas été convaincu tout de suite par ce… truc. Une écharpe de portage qu’elle disait, Moïra. Pour une chose, elle avait raison, ça avait l’air pratique. Elle portait Elio contre elle et avait ses deux mains libres. Le nouveau-né semblait apprécier sa sieste contre sa mère. Mais quand la brune lui avait proposé le dispositif, il s’était montré un peu réticent. Il avait fini par se plier à la chose. Il était là, à déambuler au snowdrop festival, son fils tout contre lui, dans une écharpe. Ce n’était pas désagréable pour lui. L’hawaïen retrouve certains réflexes, certaines habitudes depuis que son fils est né. Il pensait souvent à Leilani, sa fille disparue. Il l’imaginait pleine de joie à l’idée d’être grande sœur, protectrice et attentionnée envers son petit frère. Bien sûr, à ses pensées, son cœur se serrait, mais la tristesse ne l’envahissait plus comme avant. Tehaunui avait retrouvé une joie de vivre auprès de Moïra, et Elio était une raison de plus de guérir. De faire son deuil. L’homme était rempli d’amour pour son fils. Il commençait une nouvelle vie. Le divorce avec Lali était prononcé. La cohabitation avec Mo’ se passait bien et maintenant, ils pouponnaient ensemble.
Les premières semaines après la naissance n’avaient pas été de tout repos. Tehaunui avait oublié les nuits blanches à cause des pleurs d’un nourrisson. Mais il était là. Il n’avait pas fui. La petite voix qui lui intimait de prendre la route avait fini par disparaître. Seulement, il ne pouvait pas rester enfermé à la maison plus longtemps. Le festival était une bonne occasion de prendre l’air. Il avait pris de l’avance, laissant Moïra dormir tranquillement à la maison. Elle s’était bien sûr assurée qu’il avait tout ce qu’il fallait avec lui, voire même plus. « On se débrouille comme des chefs tous les deux. » murmura-t-il à son fils, lové contre lui. L’hawaïen avait réussi à s’arnacher de l’écharpe et Elio dormait maintenant tranquillement.
L’ambiance était légère aujourd’hui. Même si Tehau n’était pas un grand fan de ce genre de rassemblement, ça avait l’avantage de le distraire pendant qu’il marchait, ce qui berçait l’enfant. Son attention fut attirée par une tête connue et il n’hésite pas une seconde à s’approcher du stand de son beau-frère. « Va falloir que tu m’expliques c’est quoi cette activité, parce qu’au premier coup d’œil, ça semble un peu louche… » Il avait attrapé une des attaches sur le stand, l’observant d’un peu plus près, l’air circonspect.