C’était bien cela et pourtant. Un nuage de tristesse s’était levé pour assombrir tout d’un coup la légèreté de cette journée de festival. Une impression de solitude ou de vide, au fond. Ce qui n’empêchait pour autant rien des sourires, des accolades et les mots gentils. Willy. Personne d’autre qu’elle, et sans aucun doute mes sœurs, la plus vieille autant que la plus jeune, ne m’appelait comme ça. « Ne te laisse pas avoir. Derrière cette bouille d’ange se cache un petit monstre toujours adorable, mais insatiable à ses heures. » M’entendais-je dire avec amusement, mais affection aussi, cela ne se cachait pas. Ce petit humain était très rapidement devenu partie intégrante du centre de mon monde. L’expression le disait si bien : il fallait tout un village pour élever un enfant. Dans notre cas, il fallait en tout cas tout un clan, le clan des Brennan, pour entourer et gâter le premier descendant des membres de notre fratrie élargie. Ces choses sautaient-elles donc une génération ? Ni Nate, trop occupé par sa carrière, ni Winona, trop prise par… elle-même, pour envisager d’élever un enfant. Quant à moi ? J’aurais aisément affirmé avec conviction que quelque chose clochait chez moi. Cette même réflexion n’avait eu de cesse de me passer dans la tête lorsque j’avais pensé à la jeune femme ces dernières semaines. « Non, je suis sage. » Ou presque, quelque chose comme ça. « Ça fait partie du contrat, je dirais, quand la petite soeur devient maman. Mais tu as raison pour les sensations fortes, il faut beaucoup d’imagination pour éviter d’ennuyer un bonhomme de dix-huit mois. » Je me grattais la tête après avoir ri de sa suggestions. Des sensations fortes ? « Tu verras peut-être ça un jour. » Possibilité lancée dans les airs par fierté de me souvenir qu’elle en avait une aussi, une soeur. Mais il me restait cette note d’étrangeté au travers de la gorge, crispée derrière le sourire persistant pour balayer les doutes. « Il n’y a que moi et Archie. » Autant le préciser, avant qu’elle ne se méprenne et songe que je n’avais pas de temps à lui accorder. Même si je n’avais pas cherché à provoquer une rencontre en chair et en os depuis longtemps, à présent qu’elle était là, il paraissait tout simplement impensable de ne pas profiter de l’instant pour parler. Prendre de ses nouvelles et faire aussi le point sur cet imbroglio d’émotions étouffées quelque part, à l’intérieur.
D’ailleurs, je l’observais plus longuement que nécessaire, ses lèvres, ses fossettes et ce rire contagieux. Au moment d’entendre mon neveu rire bruyamment parce qu’en le reniflant, le lapin lui chatouillait le bout des doigts, me passait la réflexion que c’était définitif, quelque chose ne tournait pas rond chez moi. « Et toi ? T’es toute seule ? » Cette curiosité mal placée, qui me semblait prendre toute la place, alors que je n’avais pas forcément parler d’un éventuel compagnon. Ce souvenir de cette soirée en cuisine, à faire des cookies au chocolat tous les deux, partager le chocolat fondant de la préparation un peu comme celui qui ornait sa gaufre. « Je suis désolé, j’aurais dû t'appeler, prendre des nouvelles plus tôt… Je t’avais dit que je le ferais. » Et tout d’un coup, il avait été si facile de constamment remettre cela au lendemain, jusqu’à ce qu’il ne semble tout simplement trop tard pour le faire. « Comment tu vas ? » C’était peut-être la délicieuse odeur de sucre, finalement, qui poussait Archie à se désintéresser des animaux pour retrouver sa moue boudeuse et tendre les bras. Je me penchais pour prendre dans les miens le petit garçon, avant de regarder de nouveau la jeune femme. « T’as envie de marcher un peu ? Je dirais qu’il a faim aussi. » Archie semblait, effectivement, plus qu’intéressé par la gaufre de Gabriela.

La situation actuelle était quelque peu inédite. Me faire interpeler par un homme, je l’avais déjà vécu. Mais jamais en étant déjà avec Tehaunui et encore moins quand ce dernier est à quelques mètres de moi. Le dénommée Will ne renonce pas facilement. Il insiste, même après lui avoir fait comprendre ne pas être intéressée et même après l’arrivée de Tehaunui. J’essaie de minimiser la situation au mieux. Je sais que Tehaunui est doté d’une grande patience. Mais cette dernière à malgré tout ses limites. Le jeune hawaïen reste d’ailleurs de marbre pour le moment, mais le regard qu’il pose sur l’inconnu en dit long. Il n’a même pas besoin de prononcer le moindre mot pour se faire comprendre. Un léger silence s’installe. Un silence assez pesant. Les deux hommes se fixent de longues secondes. Le silence est soudainement brisé par Elio qui commence à sangloter légèrement. Puis après un dernier regard sur moi, l’entêté Will finit par tourner les talons. Un soulagement.

Je me tourne alors vers Tehaunui, posant mon regard sur Elio. Je me hisse sur la pointe des pieds pour venir déposer un doux baiser sur le haut de sa tête et venir caresser cette dernière tendrement pour tenter de l’apaiser un peu. Mon regard croise ensuite celui du jeune papa. La colère semble être moins présente. Quant à mon regard il traduit la reconnaissance que je pouvais avoir quant au fait qu’il soit arrivé à temps, j’ai bien cru que je n’allais pas pouvoir m’éloigner de cet inconnu. Une de mes mains vient se poser dans le dos du jeune hawaïen « Oublions ça » suggérai-je simplement. A quoi bon y repenser toute la journée et gâcher cette dernière. « Allons faire un tour... » Après tout c'était pour cela que nous étions là. Profiter du festival, flâner. Ensemble, en famille.

Tehaunui ne sait pas ce qui se passe exactement. Il ne sait pas qui est ce type, mais son instinct se réveille. Un instinct protecteur. Une envie de protéger Moïra. Alors l’hawaïen se redresse, fait les yeux noirs. Soit le gars en face de lui ne comprend pas, soit il n’en a rien à faire. Peu importe, il finit par tourner les talons. Enfin. Peut-être que les sanglots du bébé l’ont fait fuir. Tehaunui l’observe s’éloigner, seulement pour être sûr qu’il les a bien lâchés. Il va probablement trouver quelqu’un d’autre à emmerder… Il sent la jeune femme se hisser sur ses pieds pour tenter de calmer Elio. Leur regard se croise. Mo’ semble reconnaissante. Apparemment, il a bien fait de venir auprès d’elle. Il s’apaise alors, près à reprendre le fil de sa journée. Marcher bercera sans doute Elio qui replongera sans doute dans le sommeil. « Allons-y. » L’inconnu à beau être parti, Tehau replace son bras autour des épaules de la brune. Juste pour l’avoir près de lui. « Jamie est là-bas. » dit-il en montrant du menton le stand où il était il y a à peine deux minutes. Le beau-frère semble aux aguets de ce qui se passe pour Moïra et Tehaunui. Ce dernier lui fait un petit signe de la main, comme pour le rassurer, lui faire comprendre que tout va bien et qu’ils viennent le voir. « Tu as vu ta sœur ? Ou ta filleule ? » Pas que ça l’intéressait énormément, de savoir où se trouvait Grace ou Melody… Il voulait surtout savoir si Mo’ avait croisé d’autres personnes que le lourdingue de tout à l’heure.

L’arrivée de Tehaunui avait finalement fait tourner les talons au dénommé Will. Je me sentais quelque peu soulagée à présent. Maintenant toute mon attention se porte sur Elio et le jeune hawaïen que je remercie d’ailleurs d’un seul regard. Je ne voulais pas que ce « petit imprévu » gâche le reste de la journée. Alors je suggère tout simplement à Tehaunui que l’on oublie ce qu’il venait de se passer et qu’on aille faire un tour. Comme cela était initialement prévu. Le jeune hawaïen replace son bras autour de mes épaules, je me rapproche alors davantage de lui pour marche à ses côtés, à leurs côtés. Car ne l’oublions pas, Elio est là aussi, en train de s’endormir à nouveau. Tehaunui me demande si j’avais vu Grace ou Mélody tout en faisant un léger signe à une personne au moins. Cette personne c’était Jamie. « Non pas encore » Mais eut-être que lui les avait déjà vu « Et toi ? » demandai-je au jeune homme tout en continuant à marcher près de lui en direction du stand de Jamie. Arrivés à sa hauteur, je salue chaleureusement mon beau-frère. « Salut Jamie, comment vas-tu ? » J’avais toujours beaucoup apprécié le jeune homme, le voir était toujours plaisant. Je jette un coup d’œil à son stand. On pouvait y voir des papiers, des boussoles et des attaches. Je souris un peu amusée « Heureusement que Grace m’a déjà expliqué en quoi consiste l’activité car à première vue ça peut paraître un peu étrange... » dis-je pour taquiner le jeune homme. Je faisais surtout référence aux attaches bien en évidence sur la table. Bien évidemment, je savais qu'il s'agissait d'une simple chasse au trésor.

Ainsi donc, Peter était le genre de personne à brandir des suggestions de prénoms sans savoir d’où ils venaient ? Très bien, black-listed. Je ne ferais pas appel à lui la prochaine fois que j’aurais un prénom à trouver pour qui que ce soit. Ou peut-être que si, si l’idée était de désarmer de stupéfaction mon interlocuteur ! Le plus important était que la fougue du jeune homme me faisait rire, chose qui ne se faisait que rarement dans la demi-mesure avec moi. En plus de ça, Peter était bon joueur, avec lequel il n’était même pas nécessaire de jouer pour gagner. « Okay, pas moyen que tu te laisses oublier ta cuisante défaite, alors. » Fanfaronais-je pour rien du tout, espiègle. « T’es sûr que cette victoire ne vaut même pas un tout petit, riquiqui pot de confiture à la poire ? » Ça en tenait apparemment à son honneur d’être the one and only à les déguster. Dommage – et quel gâchis surtout ! Je profitais de l’occasion pour faire le point sur nos connaissances communes, ou plutôt, une en particulier. Il y avait bien un moment d’hésitation à l’entendre prononcer son prénom, mais l’enthousiasme dont il faisait preuve me prenait presque de court. « Rien que ça ! » Que je m’exclamais joyeusement. Pour la vie, c’était long, enfin on ne savait jamais, alors autant en profiter comme il se devait. J’ignorais où en étaient vraiment les choses entre lui et Jayden, mais sa réaction lui faisait gagner quelques points en ma compagnie. Le poto méritait assurément d’être pris en grande estime de ses proches, ex ou pas. Pour l’heure, la priorité était de retrouver nos mères, de l’avis de Peter quelque part en train de se bidonner de leur connerie. Cette image n’était pas déplaisante, si ce n’était qu’elle ne correspondait en rien à ce que je connaissais de la mienne. Ellen Hawkins n’était pas connue pour son sens de l’humour, à moins qu’elle ne se fasse justement connaître différemment auprès du voisinage qu’après de sa famille. « Tu la connais sur le bout des doigts, on dirait bien. » L’entendait-elle, cette petite, toute petite, amertume coincée entre le sourire moqueur et le signe de la main qui balayait l’importance de l’affirmation. Il y aurait du temps plus tard pour me faire du mauvais sang. « Fair enough. Je joue le Petit Prince sur les planches, cet été encore, à quelques reprises en août, si jamais tu veux continuer de me voir comme un gosse. Tickets gratuits pour ta mère et toi en échange de confitures à la poire ? » Peter ne savait pas pour quoi il avait signé en me parlant de ces fameuses confitures. J’étais tenace !
À défaut d’être enthousiaste de théâtre, M’ame Black était une groupie qui s’ignorait, passion apparemment transmise à sa progéniture. « Dans ce cas, peut-être que TU devrais monter sur scène, ça l’attirera inévitablement. » Apparemment, c’était comme ça avec les mères, elles étaient là pour voir leur gamin s’épanouir dans ce qu’il entreprenait, sauf avec la mienne. Ce n’était pas à elle que j’offrirais des places pour le théâtre, à moins de vouloir m’assurer qu’elles restent vides. La mauvaise langue que j’étais oubliaient bien vite ses réflexions puisque la silhouette de ma mère se faisait enfin deviner à l’horizon ! À rire aux éclats ! Telle mère, tel fils, aurait-on pu dire… Si seulement ça n’avait pas été aussi bizarre. Je saluais ma mère d’un vague signe de la tête, grommelant : « Comme ça, je me suis égaré ? C’est toi qui t’es sauvée ! » « Oh, David. » Le même ton que l’on aurait employé pour réprimander un gosse, au moins c’était cohérent. « Enchanté, M’ame Black. Je suppose que vous étiez aussi dans le coup ? » À elle, j’adressais un sourire complice. « Vous avez bien failli faire mourir de honte ce pauvre Peter. » Je retrouvais mon sourire et mon humour, tant pis, je n’allais pas perdre la face rien que parce que ma mère se trouvait tout à coup amusante avec une amie dont je ne connaissais même pas l’existence avant aujourd’hui. « Désolé. Je ne résiste jamais à échanger les dernières nouvelles avec Martha. Martha, mon fils, David. Qui est nouvellement papa, ce qui explique sa mauvaise humeur, les nuits sont courtes. » Ah oui, tiens. Toujours le mot pour faire plaisir.

Jamie n’a pas plus d’idée de ce qui se passe une fois Tehau parti à la rencontre de Moïra. Il en a bien une petite, d’idée, en l’ayant vue avec ce type, qui ne lui plait pas du tout. Jamie ne peut pas faire grand chose, que garder un oeil sur la scène. Il n’a jamais vu Tehaunui en colère, ne lui a jamais connu une raison de l’être non plus. Lui qui vantait son calme à toute épreuve il y a quelques secondes… Il fait signe à son collègue le plus proche, l’air de dire tiens toi prêt, au cas où. Pour rien, au final, et il en est soulagé. Content d’avoir eu raison au sujet de son beau-frère. Ça l’agace tout de même, pour Moïra, et d’un signe de tête il donne son feu vert au collègue pour qu’il signale le type.
L’activité au stand est un peu ralentie, la faute à Jamie qui a été distrait. Sur le visage il a toujours son sourire tendre en voyant le couple revenir vers lui, sourit comme si son sourire adoucirait un peu la chose pour sa belle-sœur. Il espère que sa journée ne sera pas gâchée. « Ça va, et la jeune maman ? » Craint que lui retourner la question soit malvenue. La jeune maman, il insiste sur le terme pour la flatter, bien sûr. Comme Tehau, son attention se porte très vite sur les sangles, ce qui le fait rire autant qu’il est surpris. « Je vais finir par croire que c’est vous deux qui avez l'esprit mal placé. » Son regard, suspicieux, taquin, passe de l’un à l’autre. Aucun doute, ils se sont bien trouvés, et ont l’air d’avoir les mêmes idées -douteuses. Les joues de Jamie ont pris quelques couleurs. Oublions la chasse au trésors. « D'autres activités vous ont inspirés ? »

@Tehaunui Kealoha & @Moïra Miller